PROJET DE DECLARATION AMERICAINE SUR

LES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES

                                                             

                (Adopté par la Commission interaméricaine des droits de l'homme

            lors de sa 1333e réunion tenue le 26 février 1997, 95e session ordinaire)

 

 

                                                     PREAMBULE

 

 

1.       Institutions autochtones et renforcement national

 

          Les Etats membres de l’Organisation des Etats Américains (ci-après dénommés les Etats),

 

          Rappelant que les populations autochtones des Amériques représentent un segment organisé, distinct mais intégral de leur population, qu'elles ont  le droit de faire partie de l’identité nationale des pays, et qu'elles ont un rôle spécial à jouer dans le renforcement des institutions de l’Etat et dans la réalisation de l’unité nationale fondée sur des principes démocratiques;

 

          Rappelant en outre que certaines des conceptions et institutions démocratiques, concrétisées dans les Constitutions des Etats Américains, émanent d'institutions des populations autochtones, et que beaucoup de leurs systèmes actuels de participation aux prises de décision et à l'exercice de l’autorité contribuent au perfectionnement des démocraties dans les Amériques.

 

          Rappelant la nécessité de développer des cadres juridiques nationaux pour consolider le pluralisme culturel de nos sociétés.

 

 

2.       Eradication de la pauvreté et droit au développement

 

          Préoccupés par la fréquente privation des droits de la personne et des libertés fondamentales dont souffrent les autochtones, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de leur communauté, et préoccupés également par  le fait que les populations et les communautés ont été spoliées de leurs terres, territoires et ressources et qu'elles ont ainsi été privées plus particulièrement du droit au développement selon leurs traditions, leurs  besoins et leurs intérêts.

 

          Reconnaissant que les populations autochtones souffrent d'un appauvrissement extrême dans diverses régions du continent et de conditions de vie devenues déplorables;

 

          Rappelant que, dans la Déclaration de principes du Sommet des Amériques de décembre 1994, les chefs d’Etat et de gouvernement ont déclaré que, dans le cadre de la Décennie mondiale des populations autochtones, ils consacreraient leurs énergies à améliorer l’exercice des droits démocratiques et l’accès aux services sociaux des populations autochtones et de leurs communautés.

 

 

3.       Culture indigène et écologie

 

          Reconnaissant le respect que les cultures des populations autochtones des Amériques accordent à l’environnement, ainsi que la relation spéciale que ces populations entretiennent avec l'environnement, le sol, les ressources et les territoires qu'elles habitent.

 

 

4.       Coexistence, respect et non-discrimination

 

          Réaffirmant la responsabilité des Etats et des peuples des Amériques de mettre fin au racisme et à la discrimination raciale, afin d'établir des relations harmonieuses fondées sur le respect entre tous les peuples.

 

 

5.       Territoires et survie indigènes

 

          Reconnaissant que, pour beaucoup de cultures indigènes, les formes traditionnelles de contrôle et d’utilisation collectives des terres, des territoires, des eaux et des zones côtières, sont la condition indispensable de leur survie, de leur organisation sociale, de leur développement, de leur bien-être individuel et collectif; et que ces formes de contrôle et de propriété sont diverses et particulières et ne concordent pas nécessairement avec les systèmes protégés par les législations ordinaires des Etats où elles se trouvent.

 

 

6.       Sécurité des zones indigènes

 

          Réaffirmant que dans les zones indigènes les forces armées doivent limiter leur action à l'accomplissement de leurs tâches et ne doivent pas être la cause d'abus ou de violations des droits des populations autochtones.

 

 

7.       Instruments des droits de l’homme et autres progrès du droit international

 

          Reconnaissant la primauté et l’applicabilité pour les Etats et les peuples des Amériques de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et des autres instruments du droit interaméricain et international concernant les droits de l’homme;

 

          Rappelant que les populations autochtones relèvent du droit international, et ayant présents à l'esprit les progrès réalisés par les Etats et les populations autochtones, notamment dans le cadre des Nations Unies et de l’Organisation internationale du travail, dans l'élaboration de plusieurs instruments internationaux, notamment la Convention No 169 de l’OIT;

 

          Affirmant le principe de l’universalité et de l’indivisibilité des droits de l’homme et de l’application à toutes les personnes des droits de l’homme reconnus au plan international.

 

 

8.       Jouissance des droits collectifs

 

          Rappelant qu'ont été reconnus à l'échelle internationale les droits dont on ne peut jouir que collectivement.

 

 

9.       Progrès des réglementations nationales

 

          Tenant compte des progrès réalisés dans les Amériques en ce qui a trait aux constitutions, aux législations et à la jurisprudence, pour affermir les droits et les institutions des populations autochtones.

 

 

          DECLARENT:

 

                      PREMIERE SECTION. LES POPULATIONS AUTOCHTONES

 

                                                         Article I

                                      Sphère d'application et définitions

 

          1.       La présente Déclaration s'applique aux populations autochtones et aux populations dont les conditions sociales, culturelles et économiques les distinguent des autres segments de la communauté nationale, et dont le statut juridique est réglementé en tout ou en partie par leurs propres coutumes ou traditions, ou par des lois ou règlements spéciaux.

 

          2.       L’auto-identification comme "autochtones" doit être considérée comme un critère fondamental pour déterminer les populations auxquelles s’appliquent les dispositions de la présente Déclaration.

 

          3.       L’emploi du vocable “populations” dans la présente Déclaration ne doit pas être interprété comme ayant une implication quelconque en ce qui concerne les autres droits susceptibles d'être attachés à ce terme en droit international.

 

 

                               DEUXIEME SECTION. DROITS DE L’HOMME

 

                                                         Article II

                                  Pleine application des droits de l’homme

 

          1.       Les populations autochtones ont le droit de jouir pleinement et effectivement des droits de l’homme et des libertés fondamentales reconnus par la Charte de l’OEA, la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, la Convention américaine relative aux droits de l’homme et d’autres instruments internationaux concernant les droits de l’homme;  aucun élément de la présente Déclaration ne peut être interprété comme limitant, restreignant ou refusant en aucune manière ces droits, ou comme autorisant une mesure quelconque qui ne soit pas conforme aux principes du droit international, y compris ceux des droits de l’homme.

 

          2.       Les populations autochtones bénéficient des droits collectifs qui sont indispensables pour que leurs membres jouissent pleinement des droits de l'homme à titre individuel.  A cet effet, les Etats reconnaissent entre autres, aux populations autochtones, le droit d'agir collectivement, d'avoir leurs propres cultures, de professer et pratiquer leurs propres croyances spirituelles et d'utiliser leurs propres langues.

 

          3.       Les Etats assurent aux populations autochtones la pleine jouissance de leurs droits et, en ce qui concerne leurs procédures constitutionnelles, ils adoptent les mesures législatives et autres qui s'avéreront nécessaires pour que soient appliqués les droits reconnus dans la présente Déclaration.

 

                                                        Article III

                             Droit d'appartenir à une population autochtone

 

          Les individus et communautés autochtones ont le droit d’appartenir à des populations autochtones, conformément aux traditions et coutumes de ces populations. 

 

 

                                                        Article IV

                                               Personnalité juridique

 

          Les populations autochtones ont droit à ce que, dans le cadre de leurs systèmes juridiques, les Etats leur reconnaissent la personnalité juridique.

 

 

                                                        Article V

                                               Rejet de l’assimilation

 

          1.       Les populations autochtones ont le droit de préserver, d'exprimer et de développer librement leur identité culturelle sous toutes ses formes, en dehors de toute tentative d'assimilation.           

 

          2.       Les Etats n'adoptent, n'appuient ni ne favorisent aucune mesure d'assimilation, artificielle ou forcée ou d'ethnocide, ou qui implique une quelconque possibilité d'extermination d'une population autochtone.

 

 

                                                        Article VI

                                Garanties spéciales contre la discrimination

 

          1.       Les populations autochtones ont droit à des garanties spéciales contre la discrimination, garanties qui peuvent se révéler nécessaires pour que ces populations jouissent pleinement des droits de l'homme reconnus aux plans national et international; elles ont droit également à ce que soient prises les mesures nécessaires pour permettre aux femmes, aux hommes et aux enfants indigènes d'exercer, sans discrimination, leurs droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et spirituels. Les Etats reconnaissent que la violence exercée à l'encontre de personnes, en raison de leur sexe ou de leur âge, gêne et annule l'exercice de ces droits.

 

          2.       Les populations autochtones ont le droit de participer pleinement à la détermination de ces garanties.

 

 

                         TROISIEME SECTION.  DEVELOPPEMENT CULTUREL

 

                                                       Article VII

                                           Droit à l’intégrité culturelle

 

          1.       Les populations autochtones ont droit à leur intégrité culturelle et à leur patrimoine historique et archéologique, éléments importants pour leur survie et l'identité de leurs membres.

 

          2.       Les populations autochtones ont droit à la restitution intégrale du patrimoine dont elles ont été spoliées ou, si cela est impossible, à une indemnisation qui ne peut être inférieure aux normes du droit international.

 

          3.       Les Etats reconnaissent et respectent les modes de vie des autochtones, leurs coutumes, traditions, modes d’organisation sociale, institutions, pratiques, croyances, valeurs, vêtements, et leurs langues.

 

 

                                                       Article VIII

                                        Conceptions logiques et langue

 

          1.       Les populations autochtones ont le droit d'utiliser leurs langues, leur philosophie et leurs conceptions logiques, qui font partie de la culture nationale et universelle, et en tant que telles, les Etats devront les reconnaître, les respecter et les promouvoir, de concert avec les populations intéressées.

 

          2.       Les Etats prennent des mesures pour promouvoir et assurer des programmes radiophoniques et télévisuels en langues vernaculaires, dans les régions où les populations autochtones sont nombreuses, et pour appuyer la mise en place de stations de radiodiffusion et d’autres moyens de communication autochtones.

 

          3.       Les Etats prennent des mesures effectives pour que les membres des populations autochtones puissent comprendre les normes et procédures administratives, légales et politiques, et être compris lorsqu'il s'agit de ces questions.  Dans les régions où prédominent les langues vernaculaires, les Etats font les efforts nécessaires pour que ces langues deviennent langues officielles et qu’on leur accorde le même statut qu'aux langues officielles non-vernaculaires.

 

          4.       Les populations autochtones ont le droit d'utiliser leurs noms indigènes, qui sont reconnus par les Etats.


                                                        Article IX

                                                       Education

 

          1.       Les populations autochtones ont le droit de: a) définir et mettre en place leurs propres programmes, institutions et établissements d’enseignement; b) préparer et utiliser leurs propres plans et programmes d'études ainsi que leurs matériels pédagogiques; et c) former, instruire et nommer leurs enseignants et leurs personnels administratifs.  Les Etats doivent prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que ces systèmes garantissent l’égalité des chances d'éducation et d'enseignement pour toute la population, et la complémentarité avec les systèmes nationaux d’enseignement.

 

          2.       Si les populations autochtones le souhaitent, les programmes d'enseignement sont dispensés dans les langues vernaculaires et ont un contenu indigène; elles disposent également de la formation et des moyens nécessaires pour maîtriser parfaitement la ou les langues officielles.

 

          3.       Les Etats garantissent que ces systèmes d'enseignement égalent en tous points, en qualité, efficacité et accessibilité, ceux offerts à l'ensemble de la population.

 

          4.       Les Etats font en sorte que le contenu de leurs systèmes nationaux d'enseignement reflète le multiculturalisme de leurs sociétés. 

 

          5.       Les Etats apportent l'aide financière et autre nécessaire à la mise en pratique des dispositions du présent article.

 

 

                                                        Article X

                                         Liberté spirituelle et religieuse

 

          1.       Les populations autochtones ont droit à la liberté de conscience, de religion et de pratiques spirituelles qu'elles peuvent exercer aussi bien en public qu’en privé.

 

          2.       Les Etats prennent les mesures nécessaires pour empêcher toute tentative de convertir par la force les populations autochtones ou de leur imposer des croyances contre leur volonté.

 

          3.       En collaboration avec les populations autochtones intéressées, les Etats doivent adopter des mesures efficaces pour assurer que leurs lieux sacrés, y compris les lieux de sépulture, sont préservés, respectés et protégés.  Lorsque des institutions publiques se sont approprié des  sépultures sacrées et des reliques, elles doivent les restituer.

 

 

                                                        Article XI

                                           Relations et liens de famille

 

          1.       La famille est l'unité de base naturelle des sociétés et elle doit être respectée et protégée par l'Etat.  En conséquence, celui-ci reconnaît et respecte les différentes formes de la famille, du mariage, du nom et de la filiation indigènes.

 

          2.       Pour déterminer le meilleur intérêt de l’enfant, lorsqu'il s'agit  d'adoption d'enfants appartenant à des membres de populations autochtones, de rupture de liens ou d'autres situations analogues, les tribunaux et les autres institutions pertinentes tiennent compte des points de vue desdites populations, ainsi que des avis des individus, de la famille et de la communauté.

 

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