LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME EN HAITI
1995

 

CHAPITRE III:      LA SITUATION POLITIQUE EN HAITI

 

 

1.          Introduction

 

50.     Le présent chapitre a pour objet de fournir des informations au sujet de l'évolution politique en Haïti, ainsi que des négociations et démarches de l'Organisation des Etats Américains et de l'Organisation des Nations Unies visant à trouver une solution à la crise haïtienne.  Les informations fournies par la Commission ne prétendent pas être exhaustives mais se bornent à rappeler les décisions les plus importantes prises par la communauté internationale à partir de janvier 1994, et à indiquer les réactions politiques en Haïti et leurs répercussions dans le domaine des droits de l'homme.

 

 

2.       Le retour de la Mission civile OEA/ONU

 

51.     En présence du blocage de la situation politique en Haïti et de l'aggravation de la situation des droits de l'homme, l'envoyé spécial de l'ONU/OEA, M. Dante Caputo, a recommandé au début de janvier 1994 le retour en Haïti de la Mission civile internationale.  Le 26 janvier est arrivé le premier groupe de 22 observateurs, qui a été rejoint plus tard par le reste de l'équipe qui se trouvait à Saint-Domingue.  A son arrivée, la Mission civile est restée à Port-au-Prince et a constaté une recrudescence de la violence, aussi bien dans la capitale que dans ses environs.  Le nombre d'assassinats se maintenait à un niveau alarmant, notamment les exécutions extrajudiciaires.  Dans certains cas, la Mission civile a obtenu des informations qui lui ont permis de conclure à la responsabilité des membres des forces armées, de leurs auxiliaires et des membes du FRAPH.  Dans d'autres cas, les témoignages reçus par la Mission indiquent comme agresseurs des civils armés, ce qui n'a pas permis d'établir s'il s'agissait d'« attachés » ou de bandes armées agissant avec la complicité des forces armées.

 

52.     Durant les deux premiers mois de son arrivée, la Mission civile OEA/ONU a publié 11 communiqués de presse indiquant la dégradation de la situation des droits de l'homme, la vague de répression dans les zones rurales, les disparitions et l'existence de centres de détention clandestins.  Néanmoins, malgré la présence de la Mission civile et les efforts qu'elle déployait, la situation a continué à s'aggraver, pour devenir critique à la fin avril, quand des militants du FRAPH et des forces militaires ont massacré plus de 20 personnes à Raboteau, un hameau des Gonaïves.

 

 

3.          Nouveaux efforts pour poursuivre les négociations

 

53.     Durant le mois de février 1994, le « Plan des parlementaires » a proposé la désignation d'un nouveau Ministre, le départ du Général Cédras, l'adoption de la loi d'amnistie et l'adoption, une fois le nouveau gouvernement entré en fonction, de la loi portant création d'un service de police.  Enfin, il prévoyait le retour du Président Aristide, mais sans en fixer la date.  Le Plan a échoué car il n'a pas rencontré l'appui nécessaire dans les pays amis d'Haïti et ne fut pas accepté non plus par le Président Aristide, qui jugeait qu'il s'écartait de l'Accord de Governors Island.

 

54.     Durant ce même mois de février, une scission s'est produite au Sénat quand cinq sénateurs de l'Alliance pour la cohésion parlementaire et huit sénateurs élus durant les élections controversées du 28 septembre 1993 ont violemment expulsé le Président du Sénat haïtien, Firmin Jean-Louis, ainsi que les 12 sénateurs élus démocratiquement en 1990 et l'ont remplacé par Bernard Sansaricq.  Bien qu'elle ait institué une direction parallèle du Sénat, la faction dirigée par Sansaricq ne fut jamais reconnue par la communauté internationale.

 

55.     Le 23 mars, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté la Résolution 903, qui prorogeait jusqu'au 30 juin 1994 le mandat de la Mission des Nations Unies (MINUHA) -- qui en réalité n'avait pas été déployée jusqu'alors en Haïti -- et demandait au Secrétaire général de l'informer lorsqu'existeraient les conditions nécessaires à l'envoi de cette mission.  Durant ce même mois de mars, l'Organisation des Nations Unies et l'Organisation des Etats Américains ont lancé un appel en faveur d'un « Plan d'action humanitaire » visant à répondre aux besoins les plus urgents de la population haïtienne.  Le budget permettant de mettre ce plan d'aide en marche fut évalué à 62,7 millions de dollars, qui devaient être répartis en divers domaines:  santé, nutrition, agriculture et éducation.  Comme les contributions n'ont pas été suffisantes, les deux organisations ont dû lancer un appel pour obtenir les fonds disponibles dans le cadre de leurs programmes nationaux afin de réaliser ces activités.

 

56.     Dans son rapport du mois d'avril, le Secrétaire général de l'ONU a indiqué que les négociations entreprises à cette date n'avaient pas abouti à des progrès concrets et qu'il serait donc utile de recommander la recherche d'une voie plus proprement haïtienne.  C'est pourquoi il a jugé souhaitable qu'avec l'appui de la communauté internationale, les acteurs jouent de nouveau un rôle positif dans ce processus.  Il a également ajouté que la communauté internationale, et en particulier les pays les plus intéressés, devraient, durant cette phase, rechercher un élément de rapprochement en tenant compte du blocage récent des négociations.

 

 

4.          Elargissement des sanctions d'embargo et leur répercussion politique

 

57.     D'une part, les deux semaines de grève de la faim du défenseur bien connu des droits de l'homme et directeur du groupe TransAfrica, Randall Robinson, l'arrestation de six membres du Congrès qui manifestaient devant la Maison blanche et les vives critiques du Président Aristide contre la politique du Gouvernement Clinton; et, d'autre part, les critiques des groupements non gouvernementaux des droits de l'homme à propos de l'absence de volonté politique conduisant à prendre des décisions fermes afin de rétablir Aristide au pouvoir et de modifier la politique de rapatriement sommaire des réfugiés haïtiens, ainsi que la dégradation de la situation des droits de l'homme en Haïti, ont amené le Gouvernement des Etats-Unis à modifier sa politique et à envisager de demander au Conseil de sécurité de l'ONU l'application d'un embargo total contre le régime de facto en Haïti.

 

58.     Après le changement de politique annoncé par le Gouvernement des Etats-Unis, Lawrence Pezzullo, Conseiller du Département d'Etat pour Haïti a démissionné le 27 avril et a été remplacé par William Gray, ancien membre démocrate du Congrès ayant le titre de Conseiller spécial.

 

59.     Dans le cadre des efforts visant à résoudre la crise haïtienne par des moyens pacifiques, le Conseil de sécurité de l'ONU a approuvé le 6 mai la Résolution 917, qui élargissait l'embargo imposé à Haïti en octobre 1993 qui n'avait pas eu l'effet souhaité, notamment le long de la longue frontière entre Haïti et la République Dominicaine.

 

60.     Les sanctions prévues par la Résolution 917 devaient entrer en vigueur dans un délai de 15 jours et, à partir de cette date, tous les Etats devaient: 1) refuser permission à tout aéronef de décoller, attérrir ou survoler son territoire si sa destination ou son origine était le territoire d'Haïti, à moins que le vol n'ait été approuvé pour des raisons humanitaires; 2) interdire la venue sur leur territoire de tous les fonctionnaires militaires d'Haïti, y compris les membres de la police et leur famille immédiate, les principaux participants au coup d'état de 1991 ainsi que les membres de leur famille; 3) interdire l'importation sur leur territoire de tous les biens et produits ayant Haïti comme origine ou exportés de ce pays, sauf pour des raisons humanitaires et 4) demander instamment à tous les Etats de bloquer immédiatement les fonds et les ressources financières des personnes visées ci-dessus.

 

61.     Par sa Résolution 917, le Conseil a indiqué en cinq points que les sanctions ne seraient pas complètement levées avant :

 

          a)  La démission du Commandant en Chef des Forces armées haïtiennes et la démission ou la sortie d'Haïti du Chef de la police de Port-au-Prince et du Chef d'Etat major des forces armées;

 

          b)  Le remplacement total,à la suite de leur démission ou de leur départ d'Haïti, des responsables de la police et des hauts fonctionnaires militaires, comme le prévoyait l'Accord de Governors Island;

 

          c)  L'adoption des mesures législatives prévues par l'Accord de Governors Island ainsi que la création de conditions favorables à l'organisation d'élections législatives libres et justes dans le cadre du plein rétablissement de la démocratie en Haïti;

 

          d)  L'établissement par les autorités de conditions permettant le déploiement de la Mission des Nations Unies en Haïti (MINUHA);

 

          e)  Le retour le plus rapide possible du Président démocratiquement élu et le maintien de l'ordre constitutionnel, conditions indispensables à la pleine exécution de l'Accord de Governors Island.

 

62.     En présence de l'aggravation de la situation des droits de l'homme en Haïti, le Conseil permanent de l'OEA a condamné énergiquement, par sa Résolution 630 du 9 mai[1], les violations massives commises sous le régime militaire d'Haïti et a mentionné à cet égard les nouvelles récentes faisant état de massacres et d'incendies à Cité Soleil, Borgne et Raboteau, qui constituaient un grave obstacle à la pleine réalisation des buts poursuivis par la Réunion spéciale des Ministres des relations extérieures et rendaient impossible toute tentative d'exercer pleinement la souveraineté politique de la nation haïtienne.

 

63.     Dans la même résolution, le Conseil permanent a demandé à la Commission interaméricaine des droits de l'homme de donner priorité à l'enquête portant sur les cas d'exécution massive, d'abus sexuels et d'arrestations de mineurs, notamment quand ils étaient utilisés comme méthodes de terreur politique, et d'informer l'Assemblée générale, à l'occasion de sa XXIVe session ordinaire, du résultat de la prochaine visite d'observation en Haïti.

 

64.     Avant l'expiration du délai d'entrée en vigueur de la Résolution 917 adoptée par le Conseil de sécurité de l'ONU, et en défi ouvert lancé à la communauté internationale, Emile Jonassaint[2], magistrat de la Cour suprême, fut nommé Président provisoire d'Haïti avec l'appui de cinq sénateurs, sous la conduite de Sansaricq et avec l'appui des militaires, en présence du Chef des forces armées, Raoul Cédras.

 

65.     La nomination de Jonassaint fut rejetée immédiatement par l'ONU et l'OEA.  Le Conseil permanent de cette dernière organisation a déclaré à l'unanimité que la crise haïtienne ne pourrait trouver de solution qu'avec le retour d'Aristide et que tout acte du gouvernement illégitime serait considéré comme sans valeur, y compris un éventuel appel à des élections[3].  Plus tard, le manque de légitimité qui avait entouré la nomination de Jonassaint a isolé les hommes politiques qui l'avaient appuyée et la Chambre des Députés a fait savoir qu'elle ne reconnaîtrait ni le gouvernement ni les décisions qu'il prendrait.

 

66.     La Commission interaméricaine des droits de l'homme qui se trouvait alors en Haïti (du 16 au 20 mai), a fait savoir que le fait d'installer un « gouvernement » en l'absence d'un vote populaire et en contravention de la Constitution haïtienne représentait une violation flagrante des droits politiques de la population haïtienne et des droits à la participation politique que prévoit l'Article 23 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

 

67.     La CIDH a effectué une visite d'observation de la situation des droits de l'homme en Haïti durant laquelle, bien qu'elle ait été empêchée de réaliser une partie de son travail par les autorités militaires et par la crainte que de nombreuses personnes manifestaient d'être vues dans des lieux publics, elle s'est réunie dans des lieux clandestins et a obtenu d'abondantes informations.

 

68.     A la fin de sa visite, la Commission a organisé une Conférence de presse durant laquelle elle a déclaré que les nombreux témoignages des victimes de violations lui avaient permis de constater la grave détérioration de la situation des droits de l'homme dans ce pays depuis sa dernière visite d'août 1993.  La documentation reçue par la Commission indiquait, parmi d'autres violations, 133 cas d'exécutions extrajudiciaires commises entre février et mai de l'année en cours.  De même, la Commission a reçu des informations concernant la présence dans les rues de Port-au-Prince de cadavres portant de nombreuses mutilations et a pu voir elle-même un cas de ce genre.  La Commission a indiqué que ces actes avaient pour objet de terroriser la population[4].

 

69.     Comme les militaires se refusaient de trouver une solution à la crise politique, les sanctions imposées par la Résolution 917 de l'ONU ont été appliquées à partir du 21 mai 1994.

 

 

5.       Résolution 6/94 «Appel au retour de la démocratie en Haïti» de la Réunion spéciale des Ministres des relations extérieures de l'OEA

 

70.     Durant la XXIVe réunion ordinaire de l'Assemblée générale de l'OEA qui s'est déroulée à Belem do Pará, au Brésil, du 6 au 10 juin 1994, la Réunion spéciale des Ministres des relations extérieures a adopté, au vu des rapports présentés par la CIDH et par la Mission civile OEA/ONU, la Résolution 6/94 «Appel au retour de la démocratie en Haïti» qui condamnait la persistance de manoeuvres dilatoires et d'intimidation de la part des autorités militaires de facto, ainsi que la répression exercée par ces autorités contre les partisans de la démocratie.

 

71.     Par ailleurs, cette résolution demandait:  1) un appui pour renforcer la Mission civile internationale et lui permettre d'augmenter son personnel; 2) à la Commission interaméricaine des droits de l'homme de continuer à signaler les violations des droits de l'homme du peuple haïtien, de poursuivre ses enquêtes au sujet de la conduite des autorités de facto afin d'aider à identifier les responsables des violations commises, de collaborer avec le Gouvernement d'Haïti pour élaborer et exécuter des programmes de réforme des institutions judiciaires du pays et de poursuivre sa collaboration avec la Mission civile.

 

72.     Enfin, la Résolution 6/94 demandait instamment à tous les Etats membres qu'ils appuient les mesures des Nations Unies visant à renforcer la Mission des Nations Unies en Haïti (MINUHA) afin qu'elle puisse aider à rétablir la démocratie grâce à la professionnalisation des forces armées et à la formation professionnelle du nouveau service de police, en aidant à maintenir l'ordre public et en protégeant le personnel des organisations internationales et autres organisations qui participent aux efforts humanitaires et au respect des droits de l'homme en Haïti.  La Résolution renferme également un appel à la Communauté internationale pour qu'elle collabore à la solution du problème des personnes qui fuient Haïti et aide à l'acheminement de leurs demandes d'asile en qualité de réfugiés en leur offrant une protection lorsqu'ils remplissent les conditions voulues.

 

 

6.          Mesures pour forcer le départ des militaires haïtiens

 

73.     Le 10 juin, le Gouvernement des Etats-Unis a fait connaître sa volonté de rechercher l'isolement économique, financier et aérien d'Haïti dans un nouvel effort pour contraindre le départ des militaires au pouvoir.  Le Président Clinton a donc ordonné la suspension des vols commerciaux à destination d'Haïti à partir du 25 juin, en laissant ainsi un délai pour que les ressortissants américains qui résidaient dans le pays et souhaitaient le quitter aient le temps de le faire.  Le Canada et Panama ont adopté des mesures analogues.  Après cette date, les seules communications aériennes avec Haïti étaient assurées par la Compagnie hollandaise ALM et par Air France, qui ont plus tard suspendu également leurs vols.

 

74.     Le 30 juin, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté la Résolution 933/94, qui demandait au Secrétaire général de présenter au Conseil, au plus tard le 15 juillet 1994, un rapport contenant des recommandations concrètes concernant les effectifs, la composition, le coût et la durée de la MINUHA afin de pouvoir l'agrandir et la déployer quand serait arrivé le moment d'apporter une aide au Gouvernement démocratique d'Haïti pour garantir la sécurité de la présence internationale, des hauts fonctionnaires du Gouvernement d'Haïti et des installations d'importance fondamentale; et apporter une aide au maintien de l'ordre public et aux élections législatives que les autorités constitutionnelles légitimes devraient organiser.  Il a également été décidé de proroger le mandat de la MINUHA jusqu'au 31 juillet 1994.

 

 

7.          Expulsion de la Mission civile OEA/ONU

 

75.     A l'improviste, le 5 juillet, le Ministère des affaires étrangères et des cultes d'Haïti a envoyé une note à la Mission civile indiquant que son mandat avait expiré et qu'elle continuait à fonctionner dans des conditions « non définies et irrégulières », ce qui signifiait qu'elle devait suspendre ses activités.  Ensuite, le 11 juillet, les autorités de facto ont remis à l'Ambassadeur Colin Granderson, Directeur de la Mission civile, un décret signé du Président non reconnu par la communauté internationale, Emile Jonassaint, déclarant les membres de cette mission «indésirables» et leur donnant 48 heures pour quitter Haïti.  Immédiatement, les Secrétaires de l'OEA et de l'ONU ont publié une déclaration conjointe qui condamnait ce fait déplorable[5] et ordonnait l'évacuation de la mission.

 

76.     D'un côté, l'expulsion de la Mission civile a montré une fois de plus le franc mépris des autorités de facto à l'égard de la communauté internationale.  D'un autre côté, la population haïtienne a connu un sentiment de désespoir et d'abandon en présence des transgressions des droits de l'homme qui devenaient chaque jour plus patentes à l'encontre des personnes qui conservaient un rapport direct avec le régime démocratique.

 

77.     La Commission interaméricaine des droits de l'homme, par un communiqué du 27 juillet[6], a indiqué l'inquiétude que lui suscitait l'expulsion de la Mission civile en déclarant qu'on privait ainsi le peuple haïtien d'un témoin des violations, tandis que les institutions de droits de l'homme n'avaient plus les sources de données indispensables à leur travail.  A la suite de ces événements, la Commission a jugé utile d'effectuer immédiatement une visite en Haïti afin d'observer la situation des droits de l'homme, conformément à la Convention américaine relative aux Droits de l'homme, d'examiner les méthodes permettant de mettre un terme à ces violations et de trouver d'autres moyens d'information.

 

78.     Le 27 juillet, la Mission civile OEA/ONU a présenté un rapport intitulé: «Situation de la démocratie et des droits de l'homme en Haïti»[7] portant sur la période allant du 31 janvier au 30 juin 1994, qui fait état de la répression politique exercée par les militaires et des nombreuses violations de droits de l'homme qui découlaient de cette répression.  Le rapport mentionne également les harcèlements et intimidations dont furent l'objet les membres de la Mission civile de la part des autorités de facto afin de faire obstacle à leurs activités.

 

 

8.          Résolution 940 du Conseil de sécurité de l'ONU

 

79.     En présence des événements récents et de la recrudescence de la violence en Haïti, le Président Aristide a demandé à la communauté internationale par lettre du 29 juillet adressée au Secrétaire général de l'ONU qu'elle prenne des mesures rapides et décisives sous l'autorité des Nations Unies afin de permettre l'application totale des mesures.

 

80.     Le 31 juillet 1994, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la Résolution No. 940/94 qui décidait de ce qui suit :

 

«Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, autorise les Etats membres à constituer une force multinationale sous commandement et contrôle unifiés et, dans ce cadre, à recourir à tous les moyens nécessaires pour ménager le départ d'Haïti des dirigeants militaires conformément à l'Accord de Governors Island, le retour rapide du Président légitimement élu et le rétablissement des autorités légitimes du Gouvernement d'Haïti ainsi que créer et maintenir un environnement sûr et stable qui permette l'application de l'Accord de Governors Island....»

 

81.          Aussitôt après cette résolution, les autorités de facto d'Haïti ont décrété l'état de siège et la perspective d'une intervention des Etats-Unis a conduit les militaires haïtiens à recruter par la force de nombreuses personnes et à leur donner un entraînement pour défendre le pays.

 

82.     La situation est devenue très tendue en Haïti durant le mois d'août et quelques ambassades ont rappelé leur personnel diplomatique.  Plusieurs fois, les lignes téléphoniques ont été coupées, laissant le pays sans communication.  Les attaques contre la presse devinrent constantes et les autorités de facto ont interdit par Decret la diffusion d'informations en provenance des ambassades (et en particulier de celle des Etats-Unis).  On ne permettait pas aux journalistes d'entrer dans le pays en passant par la République dominicaine, à moins de verser 500 dollars et seulement pour avoir accès à certains événements et à certains lieux.

 

83.     La situation des droits de l'homme a continué à se dégrader davantage en Haïti.  L'assassinat de sang-froid du Père Jean-Marie Vincent, ami proche et partisan d'Aristide, perpétré le 28 août, fut une violence de plus dans la série de celles qui étaient commises en toute impunité.  Sa mort a durement frappé le secteur qui appuyait le retour du régime démocratique et les milieux chrétiens des communautés de base.  Les forces armées haïtiennes continuaient à défier la communauté internationale et à commettre toutes sortes d'actes violents pour poursuivre la répression contre l'infortunée population, qui devait également supporter le poids des sanctions appliquées par l'embargo dans une économie au bord de l'effondrement, avec une terrible pénurie de produits et un chômage de plus de 80 % s'ajoutant aux obstacles érigés par les autorités de facto pour empêcher la distribution de l'aide humanitaire pendant près d'un mois.

 

84.     Le Secrétaire général de l'ONU, Boutros Ghali, avait annoncé à la mi-août 1994 l'envoi d'une Mission de l'ONU pour dialoguer avec les militaires haïtiens.  Son émissaire, M. Rolf Knutsson, s'est rendu en République dominicaine pour prendre les dispositions nécessaires à l'arrivée de la Mission qui devait ménager le départ pacifique des militaires.  Or, les militaires ont fait savoir qu'il fallait s'adresser au Président de la Chambre des Députés et à Bernard Sansaricq, qui jouait le rôle de Président du Sénat, pour parler d'un plan de réconciliation nationale et non pas de l'application de la Résolution 940.

 

85.     Le 30 août, Boutros Ghali a annoncé l'échec de cette initiative et a déclaré que la répression et les violations des droits de l'homme avaient rendu la vie insoutenable à la population haïtienne; les pays qui avaient reçu mandat d'intervenir en Haïti devaient désormais prendre une décision.

 

86.     Le 30 août, durant la réunion des Ministres des affaires étrangères des pays de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), à laquelle assistait le Sous-secrétaire d'Etat des Etats-Unis, Strobe Talbott, et le Sous-secrétaire à la défense, John Deutch, furent discutés divers éléments de la Résolution 940 concernant la force multinationale.  Cette résolution envisageait une opération en deux phases:  durant la première, une force multinationale devait envahir Haïti et prendre le contrôle du pays; ensuite, une mission de l'ONU-MINUHA, composée de 6.000 hommes, devait maintenir la paix et contrôler les forces de sécurité haïtienne.  Au début, quatre pays (Jamaïque, Barbade, Bélize et Trinité-et-Tobago), ont déclaré qu'ils contribueraient à une force de paix de 266 membres du CARICOM, chargée de maintenir l'ordre en Haïti après le départ des militaires.  La Grande-Bretagne a fait également savoir qu'elle participerait à la force multinationale.  On espérait que d'autres pays contribueraient à la deuxième phase de l'opération.

 

87.     Par ailleurs, à la fin août, 88 observateurs du «Groupe multinational d'observateurs» (GMO) de l'ONU furent placés à la frontière entre la République dominicaine et Haïti pour empêcher la contrebande de carburants et autres produits en direction du territoire haïtien, conformément à l'embargo décrété par les Nations Unies.  Le Canada, l'Argentine, la Jamaïque, la Barbade et Antigua ont participé à ce groupe.  En outre, l'armée dominicaine a mis en place 15.000 soldats dans la région frontalière; néanmoins, selon certaines sources, la contrebande de carburants a continué entre ces pays.

 

 

9.       Accord entre le Gouvernement des Etats-Unis et les militaires haïtiens

 

88.     Devant la situation critique que connaissait Haïti et l'imminence d'une invasion, la Commission a indiqué le 31 août que, durant sa prochaine session de septembre, elle analyserait en détail la situation en Haïti et les mesures qu'elle pourrait prendre pour contribuer à atténuer les violations continues des droits de l'homme dans ce pays.

 

89.     Le 15 septembre 1994, devant le refus des militaires d'abandonner le pouvoir, le Président Clinton a annoncé l'invasion d'Haïti.  Le lendemain, il a fait savoir que, dans un dernier effort pour éviter l'intervention armée, il envoyait une mission composée de l'ancien Président James Carter, du Général Colin Powell et du Sénateur Sam Nunn pour fixer les termes du départ des militaires du pays.  Le 18 septembre, le Gouvernement des Etats-Unis a fait connaître l'accord conclu avec le Général Cédras pour qu'il abandonne pacifiquement le pouvoir avant le 15 octobre; durant cette période, le Parlement haïtien devait travailler à la loi d'amnistie.  Un élément de l'accord précisait que la police et les militaires haïtiens devaient travailler en étroite coopération avec la mission militaire des Etats-Unis.  Cet accord fut reçu avec beaucoup de scepticisme dans divers milieux.

 

 

10.     Arrivée de la force multinationale

 

90.     La force multinationale commandée par les Etats-Unis est arrivée le 19 septembre 1994 en Haïti et doit rester dans ce pays jusqu'à l'arrivée de la MINUHA.  Le même jour, le Représentant spécial de l'ONU/OEA pour Haïti, M. Dante Caputo, a présenté sa démission en évoquant dans sa lettre l'absence totale de consultation entre les Etats-Unis et l'ONU et le caractère unilatéral de la décision prise dans l'affaire haïtienne.  Quatre jours plus tard, le Secrétaire général de l'ONU a nommé l'ancien Ministre des affaires étrangères d'Algérie, M. Lakhdar Brahimi, son Représentant spécial pour les affaires haïtiennes.

 

91.     Lors du débarquement de l'infanterie de Marine des Etats-Unis, un grand nombre d'Haïtiens s'étaient rassemblés à Port-au-Prince pour assister à l'arrivée et manifester leur joie pour ce qui signifiait pour eux une protection de leurs garanties individuelles; à ce moment-là, des agents de police ont dispersé la foule en rouant de coups les manifestants, alors que les soldats nord-américains ne faisaient rien pour intervenir.  Ces actes de violence se sont soldés par deux morts et de nombreux blessés.  Quelques jours plus tard, un affrontement armé s'est produit à Cap-Haïtien entre une patrouille de la force multinationale et des militaires haïtiens, dont 10 ont trouvé la mort.

 

92.     Ces actes de violence furent répudiés par le Conseil permanent de l'OEA par sa Déclaration DP/DEC. 21 (1006/94) du 22 septembre 1994, qui demandait le retour de la Mission civile internationale en Haïti et insistait auprès de la CIDH pour que, en effectuant la visite demandée par le Président Aristide, elle aide à défendre et à promouvoir les droits de l'homme dans ce pays.  Dans cette même déclaration et à l'instar des Nations Unies, le Conseil exprimait sa satisfaction des progrès qui avaient été réalisés à la recherche d'une solution pacifique de la crise en Haïti.

 

93.     Le 29 septembre 1994, le Conseil de sécurité des Nations Unies a approuvé la Résolution 944 qui demandait au Secrétaire général de prendre les mesures nécessaires pour achever immédiatement le déploiement des observateurs et des autres membres du groupe avancé de la Mission des Nations Unies en Haïti[8].

 

94.     Pour sa part, le Parlement haïtien a commencé le 5 octobre 1994 l'étude du projet de loi d'amnistie concernant les militaires qui avaient participé au coup d'état qui avait renversé le Président constitutionnel Jean-Bertrand Aristide.  Le nouveau projet renferme un amendement à l'Article 3 de l'ancienne loi d'amnistie adoptée en 1860 précisant que, conformément à la Constitution, seul le Chef d'Etat pouvait accorder l'amnistie et uniquement en matière politique, c'est-à-dire à propos de crimes et délits contre la chose publique (res publica), la sécurité intérieure et extérieure du pays, lorsque ces crimes tendaient à perturber l'Etat, à propos des crimes et délits accessoires définis comme tels comme le Code pénal.  Cette loi fut votée le 6 octobre 1994.

 

95.     Depuis l'Accord de Governors Island, en juillet 1993, les militaires haïtiens exigeaient qu'on leur accorde une amnistie en échange du retour du Président Aristide en demandant une loi plus ample qui porte sur toutes les violations de la loi découlant du coup d'état du 30 septembre 1991.

 

96.     Le 3 octobre 1993, le Président Aristide avait promulgué un décret d'amnistie couvrant les infractions politiques commises entre le 29 septembre 1991 et le 3 juillet 1993.  Cette amnistie n'englobait pas les délits de droit commun et ne protégeait pas non plus contre d'éventuelles poursuites judiciaires civiles intentées contre les responsables des violations de droit de l'homme commises en Haïti depuis cette date.  Le décret fut repoussé par les militaires, qui exigeaient une loi couvrant toute la période du régime de facto.

 

97.     Le 10 octobre, un jour avant l'expiration de son mandat, le Général Cédras a annoncé qu'il quitterait le pays et a effectué la remise du pouvoir de direction des Forces armées au Major Général Jean-Claude Duperval, qui avait été officiellement désigné par le Président Aristide en décembre 1993.  Grâce à l'asile offert par le Gouvernement de Panama, les Généraux Raoul Cédras et Philippe Biamby, ainsi que 14 membres de leur famille, ont quitté le pays le 12 octobre.  Une semaine avant, le Lieutenant Joseph Michel François, Chef de la Police haïtienne, s'était rendu en République Dominicaine avec un visa de touriste que lui avait donné le Gouvernement de ce pays et qui l'autorisait à y rester temporairement en attendant de trouver une résidence permanente dans un autre pays.  Plus tard, la majorité des membres de la promotion de Cédras ont quitté Haïti pour occuper des postes d'attachés militaires dans divers pays.

 

98.     Par note du 11 octobre, après avoir consulté les Ministres des relations extérieures des Etats membres de l'OEA et sur demande du Président Aristide, le Secrétaire général de l'OEA a annoncé la fin de certaines sanctions appliquées par cet organisme contre Haïti.  Devenaient sans effet les mesures de suspension des vols commerciaux et la suspension des opérations financières internationales avec Haïti, tandis que restaient en vigueur les autres mesures jusqu'à ce que le Président Aristide reprenne ses fonctions.


[ Index | Précent | Prochain ]


    [1]   OEA/Ser.G, CP/RES 630 (987/94) du 9 mai 1994.

    [2]  Emile Jonassaint avait été nommé Président de la Cour suprême à la suite du coup d'état de 1991.

    [3]  OEA/Ser.G CP/DEC.18 (986/94) du 11 mai 1994.

    [4]  Les informations recueillies durant cette visite sont analysées dans le chapitre consacré à la situation des droits de l'homme.

    [5]  Situation de la Mission civile internationale OEA/ONU, OEA/Ser.G CP/RES.633 (995/94) corr.1, du 11 juillet 1994.

    [6]  Voir annexe page 112

    [7]  Doc. A/48/532/Add.3 27 juillet 1994.

    [8]  Résolution 944/94 du Conseil de sécurité de l'ONU, S/1994/1109, du 29 septembre 1994.