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LA
SITUATION DES DROITS DE L'HOMME EN HAITI
CHAPITRE
II:
TRAVAUX DE LA COMMISSION EN HAITI EN 1994 1.
Rapport de la CIDH au Conseil permanent de l'OEA 17.
Sur invitation du Conseil permanent de l'OEA, le Professeur Claudio
Grossman a informé cet organe politique, le 11 mai 1994, en
qualité de représentant de la Commission interaméricaine des Droits de
l'homme, au sujet de la situation des droits de l'homme en Haïti et a
indiqué que la Commission continuait à observer en priorité cette
situation. Il a indiqué que,
sur la base des visites qu'elle avait effectuées, la Commission avait
constaté que les abus commis par des éléments militaires et
paramilitaires se situaient dans un climat d'impunité absolue, que la
situation générale des droits de l'homme continuait à se dégrader
profondément en Haïti, où il n'existait aucune autorité judiciaire
permettant de protéger la population contre ces violations. 18.
Dans ces conditions, vu le régime de terreur qu'encouragent les
forces armées et le rejet continu par celles-ci des accords politiques
visant à rétablir la démocratie en Haïti, la Commission a annoncé sa décision
d'effectuer de nouveau une visite in loco dans ce pays à partir du
16 mai 1994. 2.
Visite in loco de la CIDH du 16 au 20 mai 1994 19.
La Commission interaméricaine des droits de l'homme a décidé
durant sa quatre-vingt quatrième session, qui eut lieu en février 1994,
d'effectuer une visite in loco en Haïti vu l'aggravation de la
situation des droits de l'homme dans ce pays.
Cette visite d'observation a eu lieu du 16 au 20 mai 1994. 20.
La Délégation de la Commission se composait du Dr. Patrick
Robinson, de l'Ambassadeur John Donaldson et du Professeur Claudio Grossman,
membres de la Commission. Elle
était aidée de Me Edith Márquez Rodríguez, Secrétaire exécutive de la
CIDH; de Me Bertha Santoscoy-Noro, Spécialiste principale responsable des
questions haïtiennes; de Me Relinda Eddie et Isabel Ricupero, avocats de la
CIDH; de Serge Bellegarde, interprète de l'OEA, et de Cecilia Adriazola,
secrétaire de la Délégation. 21.
Durant sa visite, la Commission a rencontré les personnalités
suivantes: le Premier Ministre Robert Malval, accompagné des Ministres
Victor Benoit, Rosemont Pradel, Louis Déjoie II, Berthony Berry;
l'Ambassadeur Colin Granderson, Directeur de la Mission civile OEA-ONU et
Tiebilé Dromé, membre de la mission; le Nonce apostolique, Monseigneur
Lorenzo Baldisseri; le Président de la Chambre des Députés, Frantz Robert
Mondé et le Président du Sénat, Firmin Jean-Louis.
La Commission a également demandé de rencontrer le Chef des forces
armées d'Haïti, le Général Raoul Cédras et les membres de son Etat
Major, ainsi que le Chef de la Police, le Lieutenant-Colonel Michel François;
elle n'a pas eu de réponse. 22.
La Commission s'est également entretenue avec le coordinateur de
l'ancienne Commission présidentielle, le Père Antoine Adrien, et avec des
représentants d'organismes non gouvernementaux:
organismes populaires de base, groupes de droits de l'homme et
dirigeants de divers partis politiques, afin de recueillir des informations
au sujet de la situation des droits de l'homme dans le pays.
De même, elle a rencontré des représentants de la presse orale et
écrite, qui ont fourni des témoignages au sujet de la situation de la
liberté d'expression en Haïti, et avec des représentants du secteur
industriel et de diverses églises. 23.
L'absence d'autorisation a empêché la Délégation de se rendre au
Pénitencier national de Port-au-Prince et de s'informer directement de la
situation judiciaire des prisonniers et de l'état général de ce centre de
détention. 24.
Durant sa visite, la Commission a recueilli d'abondantes informations
et entendu les témoignages de victimes de violations des droits de l'homme.
Grâce à la collaboration des membres de la Mission civile et des
groupes de droits de l'homme, elle a pu organiser des entretiens avec des
victimes qui, par crainte d'être identifiées, n'ont pas voulu rencontrer
la Commission au lieu où ces entretiens se déroulaient; la délégation de
la CIDH s'est donc subdivisée en cinq groupes pour essayer d'entendre un
grand nombre de plaintes dans des lieux clandestins. 25.
Un fait a révélé le bien fondé des craintes de la population haïtienne:
le jour qui avait été fixé pour recevoir les plaintes individuelles, la Délégation
a été informée que l'hôtel où elle était descendue était entouré de
personnes armées, ce qui avait suscité une situation de panique parmi les
pétitionnaires qui s'étaient réfugiés dans une maison et refusaient d'en
sortir depuis plusieurs heures. Par
la suite, avec l'aide de la représentante du Venezuela, l'Ambassadrice Elsa
Boccheciampe, la Délégation de la CIDH est parvenue à emmener les Haïtiens
dans diverses automobiles à un lieu éloigné de l'hôtel, d'où ils ont pu
se rendre à leur domicile sans être poursuivis. 26.
La Délégation a pu constater la grave détérioration de la
situation des droits de l'homme en Haïti depuis sa dernière visite d'août 1993
et à attribué la responsabilité des violations aux autorités de facto en
Haïti, dont le comportement permettait d'évoquer contre elles des
accusations de perpétration de crimes internationaux qui engendraient des
responsabilités individuelles. 3. Visite d'observation de la
situation des réfugiés haïtiens aux Bahamas 27.
Après avoir terminé sa visite en Haïti, la Commission s'est rendue
aux Bahamas pour constater la situation des réfugiés haïtiens dans ce
pays, où elle avait été invitée par le Gouvernement; sa visite a eu lieu
du 22 au 27 mai 1994. La
Délégation spéciale de la CIDH était composée du Professeur Michael
Reisman, Président de la Commission; du Dr. Leo Valladares Lanza, Vice-Président,
et de l'Ambassadeur John Donaldson. La
Commission était aidée de Me Edith Márquez Rodríguez, Secrétaire exécutive
de la Commission; du Dr. David Padilla, Secrétaire exécutif adjoint; de
Mme Relinda Eddie, Spécialiste des Droits de l'homme et de Mme Rosario
McIntyre, secrétaire de la CIDH. 28.
Durant son séjour, la Délégation de la CIDH a bénéficié de la
coopération du Gouvernement des Bahamas, d'organismes officiels et de représentants
d'organisations non gouvernementales. 29.
La Commission a rencontré les personnes suivantes:
le Premier Ministre, M. Orville A. Turnquest; le Ministre du Développement
social, Mme Theresa Moxey Ingraham; Sir Lynden Pindling, Chef de
l'opposition; Sir Clement Maynard; le Dr. Bernard Nottage et le Sénateur
indépendant Fred Mitchell; Mark Wilson, Secrétaire permanent du Ministère
de la sécurité publique et des transports, et des représentants d'autres
ministères; Mme Marina Glinton, Directrice de la Croix rouge; Mme Winifred
Murray, Représentant du Département du bien-être et M. Charles Drummond,
Directeur de l'Armée du salut. De
même, les représentants de diverses églises ont rencontré la Délégation. 30.
La Délégation de la Commission a visité des quartiers haïtiens à
Gran Abaco (Marsh Harbour, Treasure Cay), au Grand Bahama (Freeport), à
Eleuthera et à New Providence. Elle
s'est également rendue au camp de détention de Carmichael Road. 31.
La Commission a été frappée par le fait que les Bahamas avaient
fourni toute une série de services sociaux de base aux Haïtiens qui
avaient fui leur pays; les jeunes Haïtiens allaient à l'école dans les mêmes
conditions que les jeunes des Bahamas.
En d'autres termes, les Bahamas absorbaient une partie
proportionnellement plus grande de la diaspora haïtienne que tout autre
Etat du Continent, ce qui pesait lourdement sur son budget et sur son
infrastructure; c'est la raison pour laquelle la Commission a estimé que
les Bahamas avaient droit à recevoir une aide de la communauté
internationale. 4. Présentation
du Rapport sur Haïti à la XXIVe Assemblée générale de l'OEA 32.
Le Rapport spécial sur la situation des Droits de l'homme en Haïti
a été présenté à la XXIVe session ordinaire de l'Assemblée générale
de l'OEA qui a eu lieu à Belém do Pará, au Brésil, du 6 au 10 juin 1994.
C'est également durant cette réunion que le Professeur Michael
Reisman, Président de la Commission interaméricaine des droits de l'homme
et le Dr. Patrick Robinson, membre de la CIDH et Rapporteur pour Haïti, ont
présenté à la Réunion spéciale des Ministres des relations extérieures
et à l'Assemblée générale de l'OEA un rapport supplémentaire concernant
la visite récente effectuée en Haïti du 16 au 20 mai 1994,
conformément à la demande contenue dans la Résolution 630 du Conseil
permanent[1].
Etaient également présents à l'Assemblée générale, le Dr. Leo
Valladares Lanza et l'Ambassadeur Alvaro Tirado Mejía, Vices-Présidents de
la Commission et Me Edith Márquez Rodríguez, Secrétaire exécutive;
le Dr. David Padilla, Secrétaire exécutif adjoint et Me Bertha
Santoscoy-Noro, avocat chargé des questions haïtiennes. 5.
Démarches pour une nouvelle visite in loco 33.
Comme l'expulsion de la Mission civile de Haïti (le 11 juillet 1994)
signifiait qu'il n'y avait plus d'organisme international capable
d'enregistrer de façon coordonnée les violations systématiques dans ce
pays, le Professeur Michael Reisman, Président de la Commission, a chargé
le Secrétariat d'entreprendre les démarches pour une nouvelle visite in
loco. Le 27 juillet 1994, la Commission a publié un
communiqué de presse manifestant son inquiétude à la suite du départ de
la Mission et en faisant connaître sa décision d'effectuer une visite en
Haïti[2]. 34.
Le 8 août, le Secrétariat a demandé un entretien avec le Chef
des forces armées et son Etat major; cette demande fut repoussée à la fin
de ce même mois d'août. Devant
l'attitude négative des militaires et vu les problèmes logistiques provoqués
par la suspension de tous les vols commerciaux et le manque d'autorisation
donnée par le gouvernement de facto pour l'atterissage de vols privés,
la Commission a publié un deuxième communiqué de presse, le 31 août,
répudiant l'assassinat de sang froid du Père Jean-Marie Vincent commis
quelques jours auparavant et a fait connaître son intention de consacrer
une partie de sa prochaine session, en septembre 1994, à une analyse détaillée
de la situation en Haïti et aux mesures qu'elle pourrait prendre pour
essayer d'atténuer la persistance de violations des droits de l'homme dans
ce pays. 6. Audiences
durant la 87e session de la CIDH, du 19 au 30 septembre 1994 35.
Durant sa 87e session, la Commission a reçu en audience le Dr. Marco
Tulio Bruni Celli, Rapporteur de l'Organisation des Nations Unies sur la
situation des droits de l'homme en Haïti; celui-ci a fait savoir que la
situation dans ce pays conduisait à élaborer des plans de coopération
plus étroits avec d'autres organisations intergouvernementales, ce qui
pourrait être fait, à son avis, avec la CIDH dans le cadre de la promotion
et de la défense des droits de l'homme, en vertu des compétences que lui
confère la Convention américaine relative aux droits de l'homme. 36.
La Commission a également reçu en audience l'Ambassadeur Jean
Casimir, Représentant de la Mission permanente d'Haïti près l'OEA, qui a
exposé à la Commission les faits les plus récents qui s'étaient produits
en Haïti sur le plan de la situation politique et des droits de l'homme.
L'Ambassadeur Casimir a demandé à la Commission de se rendre le
plus rapidement possible en Haïti avant le 15 octobre 1994 afin
d'observer la situation des droits de l'homme et de prêter assistance au
plan de démocratisation du pays. 37.
L'Ambassadeur Casimir a expliqué que le Gouvernement démocratique
d'Haïti voulait que, outre la visite in loco, la Commission prépare
non seulement un programme d'activités fondé sur l'observation des
violations des droits de l'homme, mais aussi un programme de prévention et
de promotion des droits individuels qui serait mis en oeuvre à court et à
moyen termes. Ce programme envisagerait les moyens de financer ces activités.
Il a ajouté que, dans toute la mesure du possible, ce programme
pourrait collaborer avec l'Unité pour la promotion de la démocratie,
la Cour interaméricaine des droits de l'homme, la Commission interaméricaine
des femmes et toute autre institution que la CIDH jugerait bon d'englober. 38.
Parmi les représentants d'organisations non gouvernementales qui ont
été reçus en audience figurent M. William O'Neill, de la Coalition
nationale pour les réfugiés haïtiens, qui a demandé à la Commission
d'effectuer d'urgence une visite en Haïti pour que sa présence exerce un
effet dissuasif à l'égard des violations des droits de l'homme et pour que
la population haïtienne sache qu'elle n'a pas été abandonnée par les
organismes internationaux chargés de promouvoir la défense des garanties
individuelles. M. O'Neill
a souligné l'importance des observateurs des droits de l'homme en Haïti,
qui peuvent informer la communauté internationale au sujet des violations,
notamment à un moment où il n'y avait plus la mission civile de l'OEA/ONU. 39.
Enfin, la Commission a reçu en audience les représentants suivants
de groupements non gouvernementaux: Prof.
Rhonda Copelan (International Women's Rights Clinic, Cuny Law School); Dr.
Deborah Anker et Nancy Kelly (Women's Refugee Project); Jennifer Green
(Human Rights Program, Harvard Law School); Dr. Wallie Mason et Anna Marie
Gallagher (Center for the Human Rights Legal Action); Beth Stephens (Center
for Constitutional Rights); Sabine Millien (Haitian Women's Advocacy Net.);
Portia R. Moore et Joyce Jones (Morrison & Foerster); et Jacqueline A.
McNeal, qui ont présenté des rapports sur la grave situation qui existe en
Haïti en matière de droits de l'homme et ont souligné en particulier la
situation des femmes. Elles ont
également remis à la Commission divers documents concernant des allégations
de violations des droits de l'homme. 40.
De même elles ont présenté à la Commission une des victimes des
violations de droits de l'homme qui a rendu témoignage au sujet des atrocités
commises contre sa personne par des militaires en Haïti. 41.
La International Women's Human Rights Clinic a demandé expressément
à la Commission: a) que
la CIDH reconnaisse les violences sexuelles comme une forme de torture au
sens de la Convention et parle de ces violations dans son rapport spécial
de ces violations; b) qu'elle envoie une mission d'urgence en Haïti
afin de recueillir de nouvelles informations; c) qu'elle prenne
l'initiative pour désarmer l'armée et la police; d) qu'elle constitue
un tribunal international pour juger les violations commises en Haïti et
enfin e) qu'elle présente des propositions concernant une méthodologie
d'enquête sur les violations des droits des femmes en Haïti. 7.
Visite in loco de la CIDH du 24 au 27 octobre 1994 42.
Après sa 87e session, qui a eu lieu du 19 au 30 septembre 1994,
la Commission a accepté l'invitation du Gouvernement constitutionnel d'Haïti
d'effectuer une visite in loco d'observation de la situation des
droits de l'homme dans ce pays. Cette
visite s'est déroulée du 24 au 27 octobre 1994. 43.
La Délégation se composait du Professeur Michael Reisman, Président
de la CIDH; de M. Patrick Robinson et du Professeur Claudio Grossman,
Membres de la Comimssion; de Me Bertha Santoscoy-Noro, Spécialiste
principale des droits de l'homme chargée des questions haïtiennes, de Me
Relinda Eddie, Meredith Caplan et Isabel Ricupero, avocats de la Commission;
de M. Serge Bellegarde, interprète de l'OEA et de Mmes. Cecilia
Adriazola et Gloria Hansen, secrétaires de la CIDH. 44.
Durant sa visite, la Délégation de la CIDH a rencontré le Président
de la République, M. Jean-Bertrand Aristide, à qui elle a déclaré la
satisfaction profonde que lui causait le rétablissement du régime démocratique
dans le pays. La Délégation a redit qu'elle souhaitait poursuivre sa
collaboration pour étudier toutes les questions relevant de son mandat. 45.
La Délégation s'est entretenue avec le Chef des Forces armées, le
Général Jean-Claude Duperval, pour s'informer des changements qui allaient
avoir lieu au sein de l'Armée et de la Police, conformément aux décisions
qui avaient été prises dans les instances internationales et nationales. 46.
La Délégation de la CIDH s'est également entretenue avec
l'Ambassadeur Colin Granderson, Directeur de la Mission civile OEA/ONU et M. Tiébilé
Dromé, chargé de la Direction des droits de l'homme.
Elle a également rencontré les représentants diplomatiques des
cinq pays amis d'Haïti: Argentine,
Canada, Etats-Unis, France et Venezuela; des membres du Parlement; le
coordinateur de l'ancienne Commission présidentielle, le Père Antoine
Adrien, et le Maire de Port-au-Prince, M. Evans Paul. 47.
De même, la délégation a rencontré les représentants
d'organisations de droits de l'homme et de groupements populaires de base,
des dirigeants des partis politiques, des représentants de la presse orale,
du Comité international de la Croix rouge, des syndicats, de la Chambre de
commerce, du secteur industriel et de diverses dénominations religieuses. 48. La Délégation s'est rendue au Pénitencier national de Port-au-Prince ainsi que dans les villes de Saint-Marc et des Gonaïves, où elle s'est entretenue avec des victimes de violations des droits de l'homme commises durant la dictature militaire. La Délégation s'est rendue dans les prisons de ces villes afin de recueillir directement des informations au sujet de la situation légale, des conditions d'hygiène et d'alimentation des prisonniers, et de la situation générale des prisons. 49.
Durant son séjour, la Commission a recueilli de nombreuses
informations au sujet de la situation générale du pays, ainsi que de
nombreuses plaintes de victimes de violations des droits de l'homme commises
sous le régime de la dictature. Ces
informations seront analysées au Chapitre IV du présent rapport.
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