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LA
SITUATION DES DROITS DE L'HOMME EN HAITI
CHAPITRE
I: ANTECEDENTS 5. En présence de l'aggravation de
la situation des droits de l'homme en Haïti, la Commission interaméricaine
des droits de l'homme a continué à lui accorder la priorité dans ses
travaux et a présenté chaque année à l'Assemblée générale de
l'Organisation des Etats Américains un rapport spécial sur les droits violés
dans ce pays. Ces rapports
brossent un tableau de la situation politique en Haïti qui s'est caractérisée
par une augmentation considérable des violations des garanties
individuelles de la population à la suite de la répression exercée par
les autorités qui détenaient illégalement le pouvoir dans ce pays. 6. Après le renversement du
Gouvernement constitutionnel du Président Jean‑Bertrand Aristide, la
Commission interaméricaine des droits de l'homme a effectué quatre visites
sur place et, sur la base d'un examen constant de la situation haïtienne, a
constaté un nombre alarmant de violations des droits de l'homme.
Dans son dernier rapport spécial sur Haïti, elle a exposé les
travaux qu'elle avait effectués depuis le coup d'état du 29 septembre 1991
jusqu'en février 1994[1]. 7. Ce rapport décrit les démarches
effectuées par l'Organisation des Etats Américains et par l'Organisation
des Nations Unies pour essayer de faciliter le dialogue politique entre les
parties intéressées afin d'obtenir le retour du Président Aristide et le
rétablissement de la démocratie en Haïti.
Ces démarches ont débouché sur divers accords:
depuis, les Accords de Washington, de février 1992, qui furent
méconnus par les autorités de facto jusqu'à l'Accord de Governors Island,
puis le Pacte de New York, signés tous deux en juillet 1993[2].
Ces deux derniers accords ont permis à l'Assemblée nationale d'Haïti
de confirmer le candidat proposé par le Président Aristide au poste du
Premier Ministre. 8.
Presqu'en même temps que la confirmation du Premier Ministre Robert
Malval, l'OEA a recommandé la levée de l'embargo imposé le 8 octobre 1991
au gouvernement de facto d'Haïti.
De même, le Conseil de sécurité de l'ONU a décidé la suspension
immédiate des sanctions imposées le 16 juin 1993.
Le même rapport analysait les modalités de la création de la
Mission civile internationale OEA/ONU jusqu'au moment où elle fut évacuée
d'Haïti en octobre 1993, quand les militaires haïtiens n'ont pas
reconnu l'Accord de Governors Island et ont intensifié la répression
contre la population, et notamment contre les partisans d'Aristide.
La perspective d'un retour du régime démocratique a suscité l'apréhension
et l'opposition des milieux militaires. 9. Durant la visite qu'elle a
effectuée du 23 au 27 août 1993, la Commission s'est trouvée en
présence d'une population terrorisée par les militaires et par les
groupements paramilitaires qui les aidaient, appelés « attachés »
ou « Zenglendos », et opéraient en totale impunité grâce à
l'inefficacité et à la subordination des autorités judiciaires, qui
craignaient dans certains cas des représailles de la part des agents des
forces armées. 10. Durant la période examinée par ce rapport
spécial, les droits de l'homme ont continué à être systématiquement
violés après la signature de l'Accord de Governors Island.
Malgré les mesures prises par la communauté internationale pour
lever l'embargo, la situation a continué à se dégrader au point de
devenir critique à partir du mois de septembre 1993.
La majorité des actes de violence cherchaient à empêcher
l'installation et le fonctionnement du Gouvernement, et certains
fonctionnaires qui venaient d'être nommés n'ont pu prendre possession de
leurs bureaux, tandis que d'autres devaient quitter leur domicile après
avoir reçu des menaces de mort. 11. En Haïti, le climat restait caractérisé
par la répression et la terreur. Les
militaires agissaient avec un plus grand cynisme, témoin l'assassinat en
public du partisan bien connu du Président Aristide, Antoine Izméry, en
septembre 1993[3]
et, un mois plus tard, l'assassinat du Ministre de la justice, Guy Malary[4],
ainsi que les actes d'intimidation perpétrés contre les membres de la
Mission civile OEA/ONU. Dans
les zones rurales, les cas d'arrestations arbitraires, de coups, de
violations illégales de domicile et de confiscation de biens, de
disparitions et de tortures se sont multipliés, conduisant de plus en plus
de personnes à fuir ou à abandonner leur foyer.
Dans tout le pays, les violations bénéficiaient de la participation
active ou de la complicité du silence de la police et des forces armées.
La violence s'exerçait contre une population civile désarmée, qui
n'a jamais eu recours à la violence contre les agents de l'Etat. 12. Le 23 septembre, le Conseil de sécurité
de l'ONU a approuvé par sa Résolution 867 l'envoi d'une mission de
1.300 hommes, en Haïti (MINUHA) qui devaient encadrer la police,
servir d'instructeurs militaires et comporter une unité d'ingénierie de
construction. Or, les manifestations violentes organisées par le Front
pour l'avancement et le progès haïtien (FRAPH) et par d'autres groupes
paramilitaires ont empêché le débarquement du « Harlam County »,
qui transportait les membres de la mission d'assistance technique (MINUHA).
Le Gouvernement des Etats-Unis a rappelé son navire et le Canada a
rapatrié un détachement de 50 membres de la police. 13. Comme il estimait que les engagements pris
pour rétablir la démocratie en Haïti n'avaient pas été respectés, le
Conseil de sécurité de l'ONU a remis en place, par la Résolution 873 du
13 octobre 1993, l'embargo pétrolier et l'embargo sur les armes
contre Haïti et a bloqué les avoirs financiers à l'étranger des autorités
militaires haïtiennes. De même,
le Conseil permanent de l'OEA a adopté sa Résolution 610 du 18 octobre
et a demandé à la Commission spéciale chargée d'observer l'exécution de
l'embargo commercial contre Haïti de reprendre ses activités[5].
Cet embargo fut suivi par un blocus naval autorisé par le Conseil de
sécurité après que le Chef de l'Armée haïtienne, le Général Raoul Cédras,
ait refusé de démissionner. A cause du blocus naval, les observateurs de la Mission
civile OEA/ONU ont été évacués en République dominicaine et le
Gouvernement de ce pays a organisé une surveillance le long de sa frontière
avec Haïti. 14. Comme il était impossible d'obtenir le
retour en Haïti du Président Aristide et vu le blocage de la situation
politique, les représentants des quatre pays amis d'Haïti:
Canada, Etats-Unis, France et Venezuela, se sont réunis à Paris le
13 décembre 1993 et ont décidé d'envoyer en Haïti une mission
militaire de haut niveau pour s'entretenir avec les militaires haïtiens;
ceux-ci ont refusé de la recevoir. 15. Dans le cadre des efforts visant à trouver
une solution à la crise haïtienne, le Président Aristide a organisé à
Miami, du 14 au 16 janvier 1994, une Conférence qui s'est terminée
par un appel à l'unité du peuple haïtien et par une demande d'appui et de
prompte exécution de l'Accord de Governors Island et du Pacte de New York,
ainsi que par une recommandation demandant qu'on entreprenne des démarches
visant à nommer un nouveau Premier Ministre et un Gouvernement de concorde. 16. Dans le Rapport spécial sur Haïti qu'elle a
présenté à la XXIVe Assemblée générale de l'OEA, à Belem do Pará, la
Commission conclut: «Durant la période examinée, la Commission a en
connaissance de nombreuses morts, dont la portée politique a été prouvée
par le fait que les militaires pouvaient inciter à la violence ou la
supprimer; or, dans la situation actuelle, non seulement ils ont provoqué
et protégé ces actes de violence, mais ils se se sont également abstenus
de procéder à des enquêtes et de punir les responsables de ces
assassinats, commis dans le style des escadrons de la mort, ce qui conduit
à conclure que ces derniers ont lieu grâce à l'impunité que leur
accordent les militaires»[6].
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[1]
Rapport sur la situation des droits de l'homme en Haïti,
OEA/Ser.L/V/II.85, doc. 9, rev., du 11 février 1994.
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