RAPPORT Nº 10/96

A PROPOS DE L’ADMISSIBILITE

AFFAIRE 10.636

GUATEMALA

5 mars 1966

 

 

            I.            ANTECEDENTS

 

            1.            Le 11 septembre 1990, Mme Myrna Mack sortait de son lieu de travail dans la ville de Guatemala pour se rendre chez elle, quand deux individus porteurs d’armes blanches l’ont supprise et l’ont attaquée la frappant de 27 coups de couteau jusqu’à ce que mort s’ensuive.  Ensuite, ces individus sont partis en empportant le sac à main de la victime, son portefeuille et un sac de plastique qu’elle transportait.

 

            2.            Les requérants ont présenté une requête à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (ci-après la “Commission”) pour dénoncer l’assassinat de Myrna Mack et demander une enquête qui éclaircisse les faits.  Mme Mack était une anthropologue guatémaltèque qui consacrait ses études à la question des personnes déplacées au Guatemala.  Les requérants ont allégué que des agents des forces de sécurité du Gouvernement du Guatemala ont été responsables de l’assassinat de Myrna Mack en représailles à ses travaux qui critiquaient l’Etat.  Le 17 septembre 1990, la Commission a ouvert l’instance sous le numéro 10.636.

 

            II.            INSTRUCTION DEVANT LA COMMISSION

 

            3.            Entre la date à laquelle ils ont intenté leur requête et le 21 décembre 1995, les requérants ont fait parvenir à la Commission de nombreuses communications contenant des informations supplémentaires en l’espèce[1].  Ils ont donné des informations au sujet des enquêtes de la police, de la détention de Noél de Jesús Beteta Alvarez (l’un des auteurs présumés de la mort de Myrna Mack), de la mort de l’enquêteur José Mérida Escobar qui avait rédigé le rapport d’enquête sur l’affaire, du déroulement de l’instruction de la procédure pénale dans la législation interne et des recours interjetés par Helen Mack demandant l’accès aux preuves et l’ouverture de la procédure pénale contre les autres auteurs intellectuels et matériels de l’assassinat.  Enfin, ils ont demandé la conclusion des enquêtes et de la procédure pénale au Guatemala et demandé à la Commission réparation pour les membres de la famille de Myrna Mack.

 

            4.            Pour sa part, le Gouvernement a répondu à la Commission le 20 février 1991.  De cette date jusqu’au 14 février 1996, la Commission a reçu du gouvernement des renseignements supplémentaires concernant les enquêtes de la police, la détention de Noél de Jesús Beteta Alvarez et la suite donnée aux recours interjetés par le ministère public et par les requérants dans la législation interne, ainsi que la situation de la procédure pénale.[2]

 

            III.           FAITS LIES A L’ADMISSIBILITE DE L’INSTANCE

 

            Les faits exposés ci-après se fondent sur les renseignements fournis par les requérants et par le gouvernement.  Les faits allégués par les requérants n’ont pas été contestés par le gouvernement.

 

            A.  Enquêtes effectuées par la police du Guatemala

 

            5.            L’enquête effectuée au Guatemala à propos de l’assassinat de Myrna Mack a commencé par les mesures prises le jour même par le Département des enquêtes criminelles sur ordre du Directeur général de la police.  Les membres de ce département se sont rendus sur les lieux des faits aussitôt après qu’ils se soient produits.

 

            6.            Le Juge de paix de service s’est également rendu sur les lieux et a donné l’ordre de transporter le cadavre de Myrna Mack dans la salle d’autopsie du Service de médecine légiste de l’organisme judiciaire.

 

            7.            Le rapport élaboré par le médecin légiste a établi que la mort de Myrna Mack avait été causée par 27 blessures profondes sur le cou, le thorax et l’abdomen et avait été produite par un choc hypovomélique et que l’arme utilisée était du type “arme blanche”.  Le rapport ne contient pas l’analyse des cheveux et des morceaux de peau qui se trouvaient sous les ongles de la victime et qui auraient pu appartenir à ses agresseurs.

 

            8.            Durant les enquêtes effectuées par la section des homicides du Département des enquêtes criminelles de la police nationale, des actes de négligence et d’omissions ont compromis et gêné l’établissement de la responsabilité en l’affaire. Nous les indiquons ci-après:

 

-        sur les lieux du crime et malgré la présence du directeur de la police nationale, on n’a pas prélevé les échantillons nécessaires pour effectuer les épreuves dactyloscopiques, sous prétexte que la pluie empêchait de le faire.  Or, le jour du fait, il n’a plu que plusieurs heures après l’arrivée de la police.

 

-        on n’a pas protégé le lieu du fait avec un cordon de police pour tenir les personnes à l’écart.

 

-        on n’a pas analysé les morceaux du sac de plastique qui se trouvait dans les mains de la victime et aurait été touché par les responsables de l’assassinat; on n’a pas non plus prélevé son vêtement comme élément d’étude pour obtenir les empreintes des agresseurs sur les tâches de sang.

 

            9.            Le chef de la section des homicides de la police nationale, José Mérida Escobar, et Julio César Pérez Ixcajop ont rédigé un rapport daté du 29 septembre 1990.  Ce rapport identifie Noél de Jesús Beteta Alvarez comme l’auteur matériel présumé de l’assassinat de Myrna Mack.  Il établit en outre que ledit Beteta agissait sur les ordres de ses supérieurs, qui sont des hauts fonctionnaires de l’Etat-major présidentiel (“EMP”) du Guatemala.  Cette conclusion se fondait sur les déclarations de Noél Beteta Alvarez, qui a affirmé travailler sous les ordres d’Edgar Godoy Gaitán (fonctionnaire du EMP) et de témoins qui ont décrit les caractères physiques des auteurs du fait, en précisant qu’il s'agissait de militaires.  Le 26 juin 1991, l’enquêteur Mérida Escobar a fait une déclaration au tribunal confirmant son rapport du 29 septembre 1990.

 

            10.            Le 5 août 1991, l’enquêteur Mérida Escobar fut assassiné à coups de feu à moins de 100 mètres du siège de la police.  Mérida Escobar progressait dans son enquête et dans la préparation de l’affaire en vue du jugement.  Néanmoins, l’enquête qui a été effectuée à propos de sa mort ne l’a pas liée à son rôle dans l’affaire Myrna Mack.

 

            11.            Dans un nouveau rapport portant la date du 4 novembre 1990, la police conclut que l’assassinat de Myrna Mack a eu pour cause le vol et n’a aucun lien avec un membre des forces militaires ou avec un haut fonctionnaire quelconque du EMP.  Le rapport du 4 novembre 1990 concernant l’enquête de la police, section des homicides, se borne à copier textuellement les rapports médicaux et autres qui existaient.  Il ne fait aucune évaluation ni enquête indépendante.  En outre, la police ne s’est pas référée dans son rapport à des éléments importants de preuves.  Par exemple, elle ne mentionne jamais que des témoins oculaires du fait ont indiqué que les agresseurs de Mme Mack lui ont enlevé son portefeuille et son sac, mais n’ont touché ni ses bijoux ni son automobile, prouvant ainsi que le mobile de l’assassinat n’était pas le vol.

 

            12.            Le premier rapport du 29 septembre rédigé par la police ne peut être confirmé actuellement par ses rédacteurs, étant donné que l’enquêteur Escobar a été assassiné et que, à la suite d’une menace qu’il avait reçue, M. Pérez a décidé de quitter le pays.  En outre, deux témoins qui ont indiqué aux enquêteurs de la police qu’ils avaient vu la surveillance dont était l’objet Myrna Mack et reconnu les personnes qui la surveillaient comme étant des militaires et, l’un d’entre eux, plus particulièrement, comme appartenant au EMP, ont refusé de signer les déclarations contenues dans le rapport du 29 septembre.  L’un des témoins a demandé de ne pas être mis en cause “pour des raisons de sécurité”.

 

            13.            En outre, il n’est pas possible de disposer des déclarations des deux seuls témoins oculaires de l’assassinat, José Tejeda Enriquez et Juan Carlos Marroquín Tejeda.  Quelques jours avant leur citation à comparaître devant la Cour, ces deux témoins ont reçu des lettres anonymes qui les menaçaient de mort, tandis que la maison de Marroquín fut mitraillée par un groupe d’hommes armés. Ces incidents ont contraints ces témoins à quitter le pays.

 

            B.            Procédure pénale dans la législation interne

 

            14.            Le ministère public fut la partie accusatrice qui a participé à la procédure pénale instituée pour enquêter sur la mort de Myrna Mack.  Helen Mack (soeur de la victime) est intervenue à titre d’accusatrice privée.  La procédure pénale était instituée contre Noél de Jesús Beteta Alvarez, supposé être l’auteur matériel de l’assassinat.  La procédure pénale instituée contre Beteta Alvarez a duré quatre ans.  L’affaire a été instruite au total par douze juges.

 

            15.            L’accusatrice privée, Helen Mack, a voulu prouver, dans le cadre de la procédure pénale, la participation intellectuelle au fait d’Edgar Augusto Godoy Gaitán, de Juan Valencia Osorio et de Juan Guillermo Oliva Carrera, supérieurs hiérarchiques de Beteta Alvarez à l’EMP.  De même, elle a désigné Juan José Larios, Juan José del Cid Morales et un individu dénommé Charchal comme étant les personnes qui ont aidé Beteta à effectuer la surveillance et à exécuter l’assassinat.  Tous ces fonctionnaires du EMP  du Guatemala figurent dans le rapport du 29 septembre parmi les auteurs intellectuels et matériels présumés de l’assassinat.  Helen Mack a cherché à faire inclure ces personnes dans la procédure.

 

            16.            Avec l’intention de prouver la culpabilité de ces individus, le ministère public et la partie accusatrice ont demandé, par l’intermédiaire de l’organe judiciaire intervenant, certaines informations et certains documents à des organismes du gouvernement tels que le Ministère de la défense et l’EMP.  Ces informations concernaient l’identité et les activités des auteurs matériels et intellectuels présumés et d’autres circonstances entourant l’assassinat.  Ces demandes ont toujours été repoussées, sous prétexte qu’il s’agissait d’informations confidentielles et secrètes de l’Etat

 

            17.            Le jugement de procédure pénale à l’encontre de Beteta Alvarez fut prononcé le 12 février 1993 par le troisième tribunal de première instance pénale du Guatemala.  Le tribunal de première instance s’est borné à condamner Noél de Jesús Beteta Alvarez.  Par manque de preuve, les autres auteurs matériels et intellectuels du fait n’ont ni été inculpés ni condamnés.  Dans le dispositif, le jugement condamne Noél de Jesús Beteta Alvarez, en tant qu’auteur du délit d’assassinat de Myrna Mack, à la peine de 25 ans de prison ferme au titre de l’assassinat.  Il indique également qu’il repousse l’ouverture d’une nouvelle procédure contre Edgar Augusto Godoy Gaitán, Juan Valencia Osorio, Juan Guillermo Oliva Carrera,  Juan José Larios, Juan José del Cid Morales et le dénommé Charchal.  Le jugement rendu par le tribunal de première instance qui condamne Noél de Jesús Beteta Alvarez a pris pour base probatoire l’enquête effectuée par la police dont rend compte le rapport du 4 novembre 1990, qui ne mentionne aucun autre fonctionnaire du EMP ni aucun autre militaire comme ayant participé à l’acte délictueux contre Myrna Mack.

 

            18.            L’accusatrice privée a fait appel contre le jugement du troisième tribunal de première instance pénale et a demandé l’ouverture de la procédure pénale contre les autres auteurs matériels et intellectuels du délit.  Par arrêté du 28 avril 1993, la quatrième chambre de la Cour d’appel a confirmé dans sa totalité l’arrêté de jugement, objet de l’appel.  De même, les 4 et 21 mai 1993, elle a décidé respectivement de  repousser le recours en intention et le recours en reconsidération interjetés par le ministère public.  Helen Mack a intenté un recours en explication pour que la Cour d’appel donne les raisons pour lesquelles elle avait rejeté sa demande de mise en jugement des autres personnes soupsonnées d’avoir participé à l’assassinat de sa soeur.  Ce recours fut repoussé le 14 juin 1993.

 

            19.            L’accusatrice privée a interjeté un recours en cassation devant la Cour suprême de justice contre la décision de la quatrième chambre de la Cour d’appel rendue le 28 avril 1993.  Le ministère public a refusé de poursuivre les recours disponibles pour demander l’ouverture d’une procédure pénale contre les auteurs intellectuels de la mort.

 

            20.            Pour obtenir la cassation, l’accusatrice a allégué la violation de ses droits de requête et de libre accès aux tribunaux de justice, en affirmant qu’on avait refusé à plusieurs reprises sa requête d’ouvrir l’enquête à propos des autres auteurs de la mort de sa soeur.  En séance publique de la Cour suprême, le 26 juin 1993, le ministère public a déclaré que, si on ouvrait une nouvelle procédure, elle ne devrait être entreprise qu’à l’encontre de l’autre auteur matériel qui a participé à l’exécution du délit aux côtés de Beteta et non, par conséquent, contre les auteurs intellectuel supposés fonctionnaires du EMP.

 

            21.            Le 9 février 1994, la Cour suprême a rejeté le recours en cassation; elle a estimé en effet qu’il ne correspondait pas aux violations des droits mentionnés par l’accusatrice.  De même, la Cour a repoussé le recours en protection demandé par Beteta contre l’arrêté de condamnation de la quatrième chambre de la Cour d’appel.

 

            22.            En vertu des pouvoirs que lui confère l’article 749 du Code de procédure pénale du Guatemala, la Cour suprême de justice a procédé d’office à une nouvelle analyse de la décision de la Cour d’appel.  Après avoir analysé l’affaire pour la deuxième fois, la Cour a reconnu la violation du droit qu’avait l’accusatrice privée d’exercer l’accusation et a conclu que la procédure permettait d'avoir des soupçons de participation d’autres personnes à l’assassinat.  Par décision du 9 février 1994, elle a ordonné l'ouverture de la procédure pénale contre Edgar Godoy Gaitán, Juan Valencia Osorio, Juan Guillermo Oliva Carrera, Juan José Larios, Juan José del Cid Morales et le dénommé Charchal afin d’établir leur participation dans l’assassinat de Myrna Mack.

 

            23.            La nouvelle procédure pénale fut renvoyée à une date ultérieure tandis que les officiers supérieurs accusés essayaient sans succès d’annuler l’ordre de la Cour suprême de justice du 9 février 1994 demandant l’ouverture de la procédure à leur encontre.  Par décision du 6 décembre 1994, la Cour de constitutionnalité a repoussé la requête de protection qu’ils avaient interjetée.  Néanmoins, la procédure pénale qui avait été instituée est restée quasiment lettre morte pendant près d’un an, depuis la décision du 6 décembre 1994 jusqu’à la fin de l’année 1995; en effet on n’a pas désigné un nouveau procureur tant que les organes militaires refusaient de collaborer à l’enquête en fournissant les informations demandées.

 

            24.            Durant cette deuxième procédure, l’accusatrice privée a interjeté devant la Cour suprême de justice une “mesure conservatoire de saisie” des documents qui se trouvaient au Ministère de la défense nationale et à l’EMP, afin d’obtenir la protection et la fourniture de preuves importantes qui prouvaient la complicité de tous les accusés dans la mort de Myrna Mack.  Cette demande fut repoussée par la Cour le 18 mars 1994.

 

            25.            L’accusatrice privée a interjeté un recours de protection devant la Cour de constitutionnalité contre la décision du 18 mars 1994 prise par la Cour suprême qui refusait le recours à des mesures conservatoires de saisie, parce qu’on avait violé le droit de requête et de liberté d’accès aux tribunaux de justice protégé par la Constitution politique de l’Etat et par les lois du Guatemala.  Le 18 octobre 1994, la Cour de constitutionnalité a refusé le recours de protection sans en analyser le fond, en se basant sur l’argument que la Cour suprême avait agit conformément à ses facultés légales du fait qu’elle n’avait pas eu le dossier dans lequel on demandait des mesures et parce que c’est le juge de l’instance qui possède le dossier et doit statuer à son égard.  L’accusatrice privée a interjeté un recours en interprétation contre la dernière décision de la Cour de constitutionnalité, ce qui lui fut refusé le 21 décembre 1994 selon l’argument qu’il n’avait pas de base.  Plus tard, la Cour d’appel a révoqué la décision de non remise de documents demandés, en donnant l’ordre qu’ils soient demandés au ministère de la défense.

 

            26.            Le ministère de la défense n’a fourni qu’une partie des informations demandées par la Cour d’appel, sous prétexte qu’il s’agissait de documents qui traitaient de questions militaires ou diplomatiques relevant de la sécurité nationale et contenaient des données fournies par des particuliers sous la garantie de confidentialité de l’article 30 de la Constitution du Guatemala.  Les documents qui n’ont pas été fournis sont les suivants: les éléments quotidiens des faits nouveaux de l'EMP, les ordres généraux de l’armée, l’organigramme de l'EMP, le nom des services de l'EMP, et les personnes qui y travaillent, les personnes qui étaient au service du Département de sécurité de l'EMP, tout cela à partir de 1990, c’est-à-dire à partir de la date du délit.  Ces documents auraient sans doute permis de juger tous les responsables présumés de la mort dans le cadre d’une seule procédure s’ils avaient été remis durant la première procédure intentée contre Beteta.  De même, pour la deuxième procédure, ils devraient être utilisés par l’accusation pour prouver que Noél Beteta Alvarez était en congé médical et travaillait encore comme fonctionnaire de l'EMP lorsqu’il avait assassiné Myrna Mack, qu’il avait agi sous les ordres de supérieurs hiérarchiques de l'EMP et/ou que d’autres fonctionnaires de l'EMP étaient mêlés d’une façon ou d’une autre à l’assassinat.

 

            27.            Un certain nombre d’informations fournies par les militaires étaient des documents qui n’étaient pas supposés exister au moment de la première procédure, selon les militaires.  Ces documents furent soumis pour la première fois durant cette deuxième procédure et ont été présentés comme preuve de la culpabilité de Beteta Alvarez, déjà condamné sans autre instance d’appel.

 

            28.    A l’heure actuelle, la deuxième procédure pénale est en cours d’instruction devant un juge militaire.

 

            IV.   OBSERVATIONS DES PARTIES AU SUJET DE L’ADMISSIBILITE DE LA REQUETE

 

            A.    Position du gouvernement

 

            29.            Le gouvernement a déclaré que les recours de la législation interne n’avaient été encore épuisés.  C’est pourquoi, se prévalant des articles 46.1 et 47 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme (ci-après dénommée “la Convention”), il demande à la Commission de déclarer la requête inadmissible.

 

            V.            Position des requérants

 

            30.            Les requérants ont fait valoir qu’ils avaient dénoncé à diverses reprises devant des institutions de l’Etat, des institutions judiciaires, des institutions nationales et des organisations des droits de l’homme, les irrégularités commises durant l’enquête effectuée par la police du Guatemala.  Essentiellement, ils ont dénoncé la négligence qui a empêché de bien conserver les indices de preuves qui existaient sur le lieu des faits, qui étaient des éléments fondamentaux permettant d’identifier tous les coupables de la mort de Myrna Mack et d’obtenir des éléments importants de preuve au sujet de ces éléments et de ces coupables et des autres circonstances du fait.

 

            31.            D’autre part, les requérants allèguent qu’ils ont intenté tous les recours que permet la législation interne du Guatemala, afin d’obtenir les preuves indispensables pour poursuivre tous les coupables de l’assassinat de Myrna Mack, y compris des informations concernant les noms et les activités de fonctionnaires du EMP.  Que les requêtes ont été repoussées sans que les autorités judiciaires et le gouvernement aient avancé des arguments juridiques importants.  Qu’on leur a fourni uniquement une partie des informations qu’avait demandées la Cour d’appel, portant ainsi préjudice aux moyens dont Helen Mack disposait pour avoir accès aux recours  internes afin de poursuivre toutes les personnes qui offraient des indications de culpabilité.

 

            32.            Ils allèguent également que, s'il est vrai qu’on a ouvert une deuxième procédure pour enquêter au sujet des autres responsables de l’assassinat de Myrna Mack, il ne fait aucun doute que l’enquête reste dans sa phase préliminaire sans avoir apporté jusqu’ici des éléments de progrès.

 

            33.            Selon les requérants, les circonstances de l’affaire montrent qu’ils n’ont pas eu accès effectif aux recours internes permettent de juger tous les responsables de la mort de Myrna Mack.  Ils affirment que plus de cinq ans se sont passés depuis qu’ils ont entrepris les démarches internes sans que celles-ci aient apporté des résultats effectifs. Il s'agit d'un retard injustifiable des procédures internes pour juger les responsables de ce crime.

 

            V.            ADMISSIBILITE

 

            A.            Conditions de forme

 

            34.            La requête remplit les conditions formelles d’admissibilité que prévoit l’article 46.1.d de la Convention américaine et n'est pas manifestement sans fondement et non avenue.

 

            35.            La Commission interaméricaine des droits de l’homme a faculté de connaître de la présente affaire puisqu’il s’agit de violations présumées des droits de l’homme que définit la Convention américaine relative aux droits de l’homme dans ses articles 1.1, 4, 8 et 25.  La présente affaire relève de sa compétence rationae materiae, conformément aux dispositions de l’article 44 de la Convention.

 

            36.            En exécution des conditions prévues par les articles 46.c et 47.d de la Convention, la Commission a constaté que la requête ne représentait pas une

 

reproduction substantielle d’une requête déjà examinée et n’était pas en instance d’autre procédure de règlement international.

 

            37.            Les dispositions de l’article 46.b de la Convention, selon lesquelles toute requête doit être interjetée dans un délai de six mois à compter de la date de notification de la décision définitive, n’est pas applicable en l’instance puisqu’il n’y a pas eu de décision définitive.  En application des dispositions de l’article 37.2 du règlement concernant l’exception à l’épuisement des recours internes, en liaison avec l’article 31.2 du règlement, la requête a été présentée dans un délai raisonnable.  De toute façon, le Gouvernement du Guatemala n’a pas allégué la non-observation de cette condition.

 

            B.            Epuisement des recours internes

 

            38.            Conformément à l’article 46.2 de la Convention américaine, la condition d’épuisement des recours de la juridiction interne à laquelle se réfère l’article 46.1.a n’est pas applicable dans la présente affaire.  L’article 46.1.a stipule que, pour qu’une requête soit retenue par la Commission il faudra “que toutes les voies de recours internes aient été dûment utilisées et épuisées conformément aux principes du droit international généralement reconnus”.  Néanmoins, conformément à l’article 46.2.b, l'épuisement n’est pas nécessaire quand “l’individu qui est présumé lésé dans ses droits s’est vu refuser l’accès des voies de recours internes ou a été mis dans l’impossibilité de les épuiser”.  Selon l’article 46.2.c, la condition d’épuisement ne s’applique pas quand “il y a un retard injustifié dans la décision des instances saisies”.  En outre, à propos des  exceptions à la condition d’épuisement des recours internes, la Cour interaméricaine a statué que: “en aucune façon, la règle de l’épuisement préalable ne doit conduire à un retard qui rend inutile l’intervention internationale”.  (Cour IDH, Affaire Velásquez Rodríguez, exceptions préliminaires, arrêté du 26 juin 1987. Série C no 1, paragraphe 93.).  Les circonstances dans lesquelles ont eu lieu les enquêtes et les démarches pénales précédentes dans la législation interne, prouvent que les exceptions prévues par l’article 46.2.b.c exemptent l’affaire actuelle de l’épuisement.

 

            39.            La Commission estime que, s’il est vrai qu’Helen Mack, l’un des requérants en cette affaire devant la Commission, et membre de la famille de Myrna Mack, a eu accès formel aux recours internes, il est certain qu’elle n’a pas pu obtenir un accès effectif à ces recours pour que l’on juge toutes les personnes contre lesquelles existent de fortes présomptions de culpabilité dans l’assassinat de Myrna Mack, selon les conclusions des organes mêmes du Gouvernement du Guatemala, y compris la Cour suprême de justice.

 

            40.            Helen Mack s’est efforcée à plusieurs reprises de soumettre tous les coupables à une seule procédure.  Néanmoins, elle n’y est pas parvenue parce que les agents du gouvernement ont fait preuve de négligence dans l’enquête sur l’affaire et ont refusé de fournir une grande partie des preuves qui étaient nécessaires pour réaliser ladite procédure.  Par ailleurs, les tribunaux du Guatemala ont refusé de procéder à la poursuite simultanée de tous les responsables de l’assassinat.  Dans ces conditions, il a fallu entreprendre une deuxième procédure pénale pour poursuivre ceux qui auraient été jugés dans la première.  Dans cette deuxième procédure, on a également refusé à la partie accusatrice privée, Helen Mack, l’accès à la preuve qui permet de fonder son accusation contre toutes les personnes impliquées dans la mort de sa soeur.  En outre, vu l’absence de certains témoins dont le témoignage aurait pu apporter d’importants éléments de jugement pour préciser la responsabilité de tous les accusés, l’accusation s’estime limitée, ce qui a compromis la procédure.

 

            41.            L’enquête que la police a effectuée à propos de Myrna Mack présente des carences évidentes en ce qui concerne la conservation et la collecte de la preuve tendant à éclaircir le fait et à identifier ses auteurs.  Les preuves que la police n’a ni recueillies ni protégées auraient pu préciser la participation des autres auteurs présumés du fait, en sus de Beteta, durant la première procédure judiciaire et auraient fourni d’autres éléments pour les juger maintenant durant la deuxième procédure.

 

            42.            L’accusatrice privée a présenté de nombreuses demandes aux autorités gouvernementales et judiciaires pour avoir accès à la preuve, en fondant ses requêtes sur les lois du Guatemala et en interjetant tout recours voulu pour obtenir les preuves documentaires et autres dont disposaient les fonctionnaires de l'EMP et de l’armée.  Néanmoins, ses requêtes ont été repoussées par les autorités judiciaires pour de simple questions de formes.  Même après que la Cour d’appel ait ordonné enfin que l’on fournisse les preuves demandées, le gouvernement a refusé de nouveau de fournir certaines preuves.  A l’heure actuelle, le témoignage  d’au moins cinq témoins que les requérants jugent d’importance fondamentale ne peut être obtenu parce que certains témoins ont quitté le pays tandis que d’autres refusent de signer leurs déclarations antérieures.

 

            43.            La Commission estime en outre qu’il y a eu retard injustifié de la procédure interne.  Il a fallu attendre quatre ans après la mort de Myrna Mack pour que la Cour suprême du Guatemala  ordonne l’ouverture d’une procédure pénale contre les auteurs intellectuels présumés de l’assassinat et contre les auteurs matériels qui travaillaient avec Beteta.  Deux années se sont écoulées et cette procédure en est toujours dans sa phase d’enquête.  Rien ne montre qu’elle avancera ou qu’on éclaircira les faits.  Bien au contraire, la façon dont s’est déroulée la procédure antérieure laisse essentiellement supposer que la procédure actuelle n’aboutira à aucun résultat positif.  En conclusion, près de six ans se sont écoulés depuis l’assassinat de Myrna Mack, le Gouvernement du Guatemala n’est pas encore parvenu à une solution de l’affaire concernant sa mort et il n’existe aucune indication qu’on aboutisse bientôt à une solution.

 

 

            44.            La règle de l’épuisement préalable des recours internes donne a l’Etat la possibilité de trouver une solution à l’affaire en ayant recours aux mesures légales que contient sa juridiction avant que l’instance ne soit soumise à une Commission internationale.  Cependant, le simple fait que la procédure de recours internes reste en instance ne saurait signifier que la Commission n’a pas faculté d’analyser l’affaire, sans quoi l’Etat pourrait d’effectuer des enquêtes et entreprendre des procédures judiciaires internes qui n’auraient aucune efficacité et aucune valeur pratique, prolongeant ainsi de façon déraisonnable la procédure, pour éviter l’intervention du Système interaméricain.  Quand il n’existe pas d'accès effectif aux recours et qu’il y a retard de justice, la condition de l'épuisement préalable des recours internes ne peut empêcher qu’une affaire dans laquelle on allègue des violations des droits de l’homme soit mise entre les mains de l’instance internationale de la Commission.

 

            45.            Sur la base des arguments exposés, la Commission estime que, dans l’affaire en question, la condition de l’épuisement de recours de la législation interne ne s’applique pas.  Les requérants ont prouvé qu’ils n’avaient pas eu accès effectif à ces recours, en donnant pour preuve un retard injustifié de la justice si l’on tient compte du temps écoulé depuis la commission du délit.  C’est pourquoi, en application de l’exception à la régle d’épuisement des recours internes conformément aux dispositions de l’article 46.2.b et c de la Convention, la Commission déclare l’admissibilité de la présente affaire.

 

LA COMMISSION INTERAMERICAINE DES DROITS DE L’HOMME,

           

DECIDE:

 

            1.            De déclarer admissible, conformément aux articles 46, 47 et 48 de la Convention, la plainte présentée dans l’affaire No 10.636.

 

            2.            D’envoyer au Gouvernement du Guatemala et aux requérants le présent rapport concernant l’admissibilité.

 

            3.            De publier ledit rapport dans son rapport annuel à l’Assemblée générale.

 

            4.            De poursuivre l’examen du bien-fondé de l’affaire.


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    [1]  Les requérants ont envoyé des informations aux dates suivantes: 11 septembre 1990, 3 janvier 1991, 8 février 1991, 30 mai 1991, 29 octobre 1991, 15 janvier 1992, 12 mars 1992, 28 janvier 1993, février 1993, août 1993, 9 février 1995, avril 1995, novembre 1995 et  21 décembre 1995.

    [2] Le gouvernement a fait parvenir des informations aux dates suivantes: 20 février 1991, 12 decembre 1991, 30 novembre 1992, 12 février 1993, 5 mai 1993, 12 mai 1993, 30 juin 1993, 28 avril 1995, 14 juillet 1995 et 9 février 1996.