RAPPORT Nº 10/95
AFFAIRE 10.580
 
EQUATEUR
12 septembre 1995

            I.          ANTECEDENTS

            1.         La Commission interaméricaine des droits de l’homme a reçu le 29 août 1988 une communication alléguant que:

Le 14 octobre 1985, des soldats de l’infanterie de la marine  ont pénétré dans la maison d’Elena Ortiz à la Isla Piedad Esmeraldas où étaient en train de jouer aux cartes quelques jeunes hommes (aux alentours de 4 heures du matin).  Sous prétexte d’examiner leurs documents d'identité, les soldats de l’infanterie de marine ont arrêté les personnes suivantes: Manuel Stalin Bolaños Quiñonez, William España Ordóñez, Miguel Mosquera Betancur, Bonifacio Angulo Ordoñez.  Ces trois derniers ont été mis en liberté le lendemain.  Ils ont dit que les soldats de l’infanterie de marine les avaient emmené à (Puerto) Balao à Esmeraldas où on les avait séparés.  Ils ont emmené Manuel à un autre endroit et depuis lors on n’a plus entendu parler de lui.  Les membres de la famille de M. Bolaños ont essayé d’introduire des recours en habeas corpus, mais ceux-ci furent rejetés.

            Le 13 juillet 1990, la Commission a entrepris l’instruction de cette affaire et a demandé au Gouvernement de l’Equateur qu’il fournisse des informations pertinentes concernant les faits matériels de la plainte et cela dans un délai de 90 jours.

            2.         Selon les informations présentées à la Commission par les requérants en août 1988 et en juin 1990, les membres de la famille et d’autres personnes avaient commencé à demander des informations pour savoir où se trouvait Manuel Bolaños dans la soirée du jour où il avait  été arrêté.  Ils se sont adressés aux autorités de l’armée et de la base navale de Balao, aux services portuaires de Balao, au ministre du gouvernement et au ministre de la défense.  Le 19 novembre 1985, ils ont envoyé un télégramme au ministre du gouvernement et de la défense ainsi qu’au chef du Service d’enquêtes criminelles et de sécurité policière, demandant que l’on procède à une enquête sur la disparition de Manuel Bolaños.  Un autre télégramme en date du 6 novembre 1986 fut adressé au ministre du gouvernement et de la défense.  Les requêtes en habeas corpus ont été présentés au maire de Esmeraldas et des requêtes ont également été soumises à la Commission spéciale des droits de l’homme du Congrès national le 6 janvier 1987 et au tribunal des garanties constitutionnelles le 21 avril 1988.  Les requêtes en habeas corpus ont été rejetées.  L’une d’entre elles présentée par la mère de M. Bolaños le 8 janvier 1986 était encore en instance le 6 janvier 1987.  Toutes ces demandes n’ont pas permis d'obtenir des informations.  En 1987 et en 1988, des requêtes individuelles ont été présentées sans le moindre résultat au juge de la troisième zone navale demandant l’autorisation d’examiner le dossier de l’affaire et les sentences qui auraient été prononcées à ce propos.

            3.         Le 24 septembre 1990, la Commission a reçu des requérants des renseignements supplémentaires qu’on peut résumer comme suit:

           a.         Au moment de son arrestation, Manuel Bolaños avait 22 ans, était célibataire et maçon de profession.  Les requérants affirment qu’il fut arrêté illégalement par des membres de l’infanterie de marine - membres d’un groupe spécial d’enquêtes - et détenu à Isla Isabel, à Esmeraldas.  Ils affirment en outre qu’il fut torturé et qu’il est mort “des suites de l’interrogatoire” alors qu’il était sous la garde des agents de l’Etat le 14 octobre 1985. Les requérants affirment que le 9 juin 1987, ils furent informés de la mort de M. Bolaños.  Les requérants ont communiqué à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies la nouvelle de la disparition de Manuel Bolaños et à cette date la Commission des droits de l’homme a transmis la réponse reçue du gouvernement.  Comme il est expliqué dans celle-ci, M. Bolaños était mort le 29 octobre 1985 et une enquête avait été entreprise sur les circonstances et la responsabilité éventuelle.

           b.         Les requérants déclarent que M. Bolaños avait été arrêté à propos d’une enquête concernant l’assassinat du lieutenant Arturo Sotomayor, qui avait eu lieu le 12 octobre 1985, à la base  navale de Bala.  L’enquête de la police criminelle était confiée à des agents de renseignements de la marine et à deux officiers de police criminelle.  Les requérants fondent leur argument sur ce qu’il décrivent comme étant la déclaration faite le 19 octobre 1987 par le commandant de la station navale, Gracián Villota, devant le tribunal pénal militaire de la troisième zone navale.  (Les requérants citent la déclaration, mais n’en fournissent pas  copie).  M. Vélez Carriel, soupçonné de l’affaire et arrêté à Balao avait admis sa participation à onze heures du soir le 15 octobre et a incriminé des tiers parmi lesquels se trouvait M. Bolaños.  Une opération fut montée à une heure du matin le 16 octobre pour arrêter les inculpés.  Ces affirmations se fondent sur la déclaration susmentionnée du 19 octobre et sur la communication ESTESM-GVM-001-S à laquelle il sera fait référence plus loin.  Les requérants citent le texte de la déclaration du commandant Villota le 19 octobre 1987, selon lequel il avait suivi dans une jeep le groupe qui avait réalisé la manoeuvre dans une autre jeep accompagné d’un officier Carlos Romero et d’un officier de police de Quito.  Les requérants ont fait savoir que dans ce qu’ils décrivent comme une communication officielle no ESTEM-GVM-001-S, du 20 octobre 1985, le commandant Villota avait écrit au commandant de la troisième zone navale que Manuel Bolaños connu sous le nom de “Pedrito” avait été arrêté le 16 octobre à 4 heures du matin, étant accusé de participation à l’assassinat de l’officiel Sotomayor.  Après avoir été identifié par M. Vélez, M. Bolaños fut soumis à un interrogatoire par l’officier Morales et par des agents du service des renseignements.  (Les requérants citent la communication mais n’en fournissent pas copie).

           c.         Ils font également référence sans en présenter copie à une déclaration faite par le commandant de marine Hugo Unda Aguirre le 21 décembre 1988 [où il indique qu’il a assumé son poste le 7 novembre 1985, soit près d’un mois après l’assassinat de l’officier Sotomayor] où il mentionne une opération d’urgence ayant eu lieu à Esmeraldas à la suite de l’homicide de Sotomayor.  Des mesures spéciales de sécurité avaient été adoptées en réponse à la croyance qu’il y avait dans la zone des activités révolutionnaires et des personnes armées et que ces personnes avaient commis l’homicide.  Selon ce que disent les requérants, la déclaration décrit le sentiment puissant de camaraderie qui prévaut dans l’armée et la nécessité que tous ont ressenti de procéder à une enquête rigoureuse à propos de l’homicide de Sotomayor pour protéger “l’honneur de l’institution”.  Les requérants ont fait savoir que dans la déclaration, le commandant Unda Aguirre reconnaît que les facteurs susmentionnés ont contribué à une “légère” exagération en ce qui concerne la sécurité.  Il indique néanmoins qu’il avait mis en place des procédures légales pour corriger les exagérations et qu'il “existait une justice militaire pour freiner toute sorte d’exagérations” qui pourraient être commises de la part d’officiers appartenant à des échelons hiérarchiques inférieurs.

           d.         Les requérants ont observé que dans sa déclaration du 19 octobre 1987, le commandant Villota affirme qu’entre 4 heures 15 et 4 heures 30 du matin environ, le 16 octobre 1985, il est passé par la deuxième plate-forme de la base (zone administrative) et s’est aperçu qu’il y avait trois détenus couchés, le visage à même le sol et les mains attachées à l’épaule dans une flaque d’eau formée par les fortes pluies qui tombaient à ce moment-là.  Craignant qu’ils ne se noient, il avait donné l’ordre qu’on les change de position.

           e.         Les requérants affirment que dans la communication officielle ESTESM-GVM-001-S, le commandant Villota avait écrit que selon les informations qu’il avait reçues, M. BOLAÑOS était mort “des suites de l’interrogatoire” et que les agents qui étaient de cet interrogatoire avaient immédiatement enterré son cadavre.  Les requérants citent le texte de la déclaration du 19 octobre 1987 du commandant Villota selon lequel il indiquait avoir été informé du décès intervenu à 11 heures du matin le 16 octobre par le commandant Assan, qui avait lui-même reçu les informations de l’officier Morales, à six heures trente du matin le même jour.  Dans cette déclaration, il est dit que le commandant Villota avait  immédiatement téléphoné à la base de Balao, mais n’avait pas trouvé l’officier Morales qui était parti à Quito.  Quand le commandant Villota a demandé ce qu’on avait fait du cadavre, on lui a fait savoir qu’on l’avait enterré.  Le commandant Villota a demandé au commandant Assan où se trouvait la tombe et celui a répondu que les responsables lui avaient dit: “Je ne sais pas” ou “Je ne me le rappelle pas, parce que je ne connais pas le bois”.  Les requérants citent la déclaration du commandant Villota en date du 19 octobre 1987 mais n’en présentent pas copie.

           f.          Les requérants ont déclaré avoir entrepris une procédure pénale militaire pour enquêter sur les circonstances du décès de M. BOLAÑOS.  Les requérants affirment qu’avant d’entreprendre la procédure, le juge pénal militaire de la troisième zone navale avait fait savoir que selon ses informations M. Bolaños avait été arrêté le 15 octobre 1985 à propos d’une accusation de M. Vélez Carriel.  Sa mort était intervenue quand des membres du service de renseignements de la marine se disposaient à l’interroger.  On ne connaissait pas la cause du décès.  Le juge a décidé, entre autres mesures, qu’on effectue une autopsie.  Les requérants appuient leurs déclarations sur l’ordre d’institution de la procédure pénale mais n’en fournissent pas copie.

           g.         Après que le commandant Villota ait été informé du décès et de l’enterrement, il a, selon les requérants, consulté des tiers sur la manière de traiter la situation.  Les requérants affirment que la communication ESTESM-GVM-001-S indique que vu la “situation aussi difficile et compromettante”, le commandant Villota avait consulté Ricardo Gutiérrez, le chef politique, qui lui a conseillé que la meilleure chose à faire était de laisser le cadavre où il se trouvait, de le faire disparaître et de garder un silence absolu sur l’affaire.  (Les requérants ont cité cette communication mais n’en fournissent pas copie).

           h.         Les requérants affirment que M. Gutiérrez a conseillé que, étant donné la situation, et vu que la population se préoccupait de la “série de violations de domiciles et de détentions illégales” qui avaient eu lieu depuis l’assassinat de Sotomayor, la meilleure était de laisser le cadavre où il se trouvait.  Selon les requérants, M. Gutiérrez raisonnait de la façon suivante: toute autre façon de donner suite à la situation risque de mettre les faits à la connaissance du public; en effectuant l’autopsie on révélerait la cause véritable du décès, et toute manoeuvre qui aurait été faite plus tard était facilement identifiable et par conséquent plus compromettante.  Les requérants appuient leur allégation sur la déclaration faite le 19 octobre 1987 par le commandant Villota, mais n’en fournissent pas copie.  Les requérants affirment que le conseil du chef politique consistant à cacher le cadavre parce qu’une autopsie révélerait la cause véritable de la mort est pertinent parce qu’il conduit à conclure que M. Bolaños était mort des suites de la torture.  Ils affirment en outre que sa participation prouve que les autorités étaient prêtes à masquer les faits et à donner une impunité effective à ceux qui les avaient commis.

           i.          Les requérants ont déclaré que le Dr Romero Herrera avait  reçu des instructions pour délivrer un rapport de médecine légale faux, ce qu’il a fait en échange d'une somme d'argent.  Ils affirment qu’on a payé $200 000 (sucres) pour ce dit rapport faux et que le commissaire de police Perlaza a Esmeraldas avait signé ledit rapport.  Les requérants appuient leurs affirmations sur la déclaration du commandant Villota faite le 19 octobre 1987, mais n’en fournissent pas copie.

           j.          Les requérants affirment que le commandant Villota a fait au moins quatre déclarations officielles sur les faits concernant l’arrestation, la détention et la mort de Manuel Bolaños dont trois ont été adressées au juge Romero Herrera de la troisième zone navale.  Il affirme qu’on lui a donné l’ordre de modifier le rapport, puis de le détruire ainsi que d’autres qu’il avait rédigés.  Les requérants affirment que dans un cas on a donné l’ordre au commandant de remplacer un rapport par un autre qu’avait rédigé l’officier Pimentel.  Ce fut ce rapport falsifié, affirment les requérants qui a servi à entreprendre la procédure pénale.  Les affirmations des requérants se basent sur un texte qui cite une partie de la déclaration du 19 octobre 1987 faite par le commandant Villota.

           k.         Les requérants rappellent sur la base des information susmentionnées que deux officiers de la police criminelle ont participé à l’enquête sur Sotomayor.  Ils disent que dans sa déclaration du 19 octobre 1987, le commandant Villota mentionne que ces deux agents ont fait partie de l’équipe spéciale d’enquête.  Les requérants affirment que ces deux agents de police sont intervenus à l’interrogatoire de M. Bolaños et qu’ils devaient posséder des informations au sujet des circonstances de sa mort.  Néanmoins, répondant à une demande du tribunal des garanties constitutionnelles, le ministre de l'intérieur a déclaré que la  police n’était pas intervenue dans l’affaire de M. BOLAÑOS et que par conséquent il ne pouvait fournir aucune information.  Les requérants fondent leurs allégations sur la réponse donnée le 10 avril 1986 par le ministre de l'intérieur au tribunal des garanties constitutionnelles mais n’en donnent pas copie.

           l.          Les requérants ont observé la participation du Dr Carlos Romero Herrera à divers aspects de l’affaire.  Il était juge pour la mise en train de la procédure pénale après la mort de M. BOLAÑOS.  Dans l’ordre de mise en train de la procédure, affirment les requérants, le Dr Romero avait demandé qu’on effectue une autopsie.  Malgré cette demande, affirment les requérants, on n’a jamais fait d’autopsie et à la place, le Dr Romero a obtenu un faux rapport de médecine légiste.  Les requérants affirment que lorsque le tribunal des garanties constitutionnelles a demandé des informations au sujet de l’affaire en 1988, le Dr Romero s’est présenté devant ce tribunal à titre d’avocat défenseur du Commandant général de l’armée.

            m.        Les requérants citent également des cas d’informations contradictoires concernant le décès de Manuel Bolaños et l’enquête qui l’a suivi.  Ils citent, sans en fournir copie, le texte d’une lettre adressée par le ministre de la défense, le général Luis Piñeiros au commandant général de l’armée, l’amiral Hugo Unda Aguirre le 7 février 1986 demandant une precision au sujet des contradictions présentées par les rapports qu’avaient reçus l’amiral et le commandant de la troisième zone navale.  Le ministre de la défense se réfère au rapport en disant que celui-ci affirme qu' “au sujet de la disparition du citoyen [M. Bolaños] est en cours une procédure pénale “visant à établir les responsabilités” et “à connaître le lieu où il se trouve”.  Le ministre a décrit que ce dernier rapport contenait des questions de matière pénale détaillées trouvant leur origine dans la zone navale et comprenant une référence à la cause de “la mort de ce citoyen”.

             n.         La mère de M. Bolaños s’est présentée à la base navale dans la soirée du 16 octobre 1985 pour s’enquérir au sujet de son fils.  On lui a fait savoir qu’on ne savait pas de qui elle parlait et on lui a demandé de revenir le lendemain avec des photographies.  Les requérants affirment qu’il en est ainsi indiqué dans la déclaration du commandant Villota, faite le 19 octobre 1987 dans lequel il fait savoir que lorsque cette dame s’est présentée le lendemain, le commandant a déduit qu’elle recherchait le détenu connu sous le nom de “Pedrito”, c’est-à-dire Manuel Bolaños.  On a fait croire à la famille que M. Bolaños avait tout simplement disparu.

             o.         Les requérants croient que la question relevait de la juridiction du tribunal militaire pénal de la troisième zone navale.  Comme plusieurs années se sont écoulées depuis la mort de M. BOLAÑOS, ils n’ont pas pu établir qu’elle était la situation actuelle de la procédure.  Les requérants affirment que bien que l’article 63 du Code de procédure militaire statue que l’étape préliminaire de la procédure pénale doit durer 10 jours, les démarches se sont poursuivis au moins jusqu’au 19 octobre 1987, date de la déclaration du commandant Villota faite plus de deux années après la mort de M. Bolaños.

             p.         Les requérants affirment en outre que l’arrestation illégale, la torture et la mort qui en ont résulté, qui d’après eux ont eu lieu dans le cas de Manuel Bolaños, sont confirmés par d’autres abus commis par les autorités responsables de l’enquête.  Les requérants ont observé que dans les comptes rendus de la Commission multipartite du Congrès national qui a été chargée de l’enquête sur la disparition de Consuelo Benavides, figure une référence concernant des excès commis par des officiers durant l’enquête sur l’assassinat d’Arturo Sotomayor.

            Les éléments pertinents de ces informations ont été communiqués au Gouvernement de l’Equateur le 28 novembre 1990 en demandant qu’il fournisse toutes les informations pertinentes concernant l’affaire dans un délai de 30 jours.

            4.         Par note du 4 décembre 1990, le Gouvernement de l’Equateur a accusé réception des éléments pertinents de l’affaire envoyés par la Commission le 13 juillet 1990.  Le Gouvernement a fait savoir à la Commission que la procédure judiciaire entamée pour enquêter sur la détention et les faits postérieurs concernant M. Bolaños avait été terminée en 1989.  Le Gouvernement a également fait savoir que l’affaire de M. Bolaños se trouvait entre les mains de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies.

            5.         Les éléments pertinents de la réponse du Gouvernement furent communiqués aux requérants par la Commission par une note en date du 15 janvier 1991.

            6.         Dans une note de la même date, la Commission a accusé réception de la réponse du Gouvernement et a fait savoir à celui-ci que l’examen en cours de l’affaire par un organisme des droits de l’homme  ayant mandat d’examiner des situations générales concernant les droits de l’homme n’excluait pas l’examen de l’affaire par le présent organisme.

            7.         En réponse à la demande d’informations de la Commission en date du 15 janvier 1991, le Gouvernement de l’Equateur a fait parvenir à la Commission, le 29 janvier 1991, une copie de la décision prononcée dans la procédure judiciaire entreprise à propos de Manuel Bolaños.  La procédure pénale militaire avait été entreprise sur ordre du juge militaire de la troisième zone navale.  La première déposition transmise avait été faite par le tribunal de droit de la troisième zone navale le 27 janvier 1989.  On peut résumer comme suit la teneur de la décision:

            a.         M. BOLAÑOS, connu également sous le nom de “Pedrito”, a été arrêté le 16 octobre 1985 à 4 heures du matin, accusé par M. Vélez Carriel d’avoir participé à l’assassinat d’Arturo Sotomayor Bustamente.  M. BOLAÑOS est mort de causes inconnues quand des membres du service de renseignements se disposaient à l’interroger.

            b.         L’étape sommaire de la procédure avait été conclue et le ministre public de la zone ainsi que le procureur général militaire avaient fait connaître leurs avis respectifs.  Tous deux ont recommandé de ne pas continuer à instruire l’affaire du fait qu’ils n’existait pas de fondement à une accusation et pas de responsabilité personnelle en la matière.

            c.         Ils citent les témoignages de dix personnes, qui mentionnent de façon systématique qu’après l’homicide de Sotomayor on a monté une opération pour arrêter les responsables.  Plusieurs personnes ont été détenues, mais après avoir trouvé qu’ils n’avaient pas participé au crime furent mises en liberté.  L’un des détenus est mort aux alentours de sept heures du matin le 6 octobre 1985 pour des causes décrites dans les documents du dossier de l’enquête.  Essentiellement, le protocole de l’autopsie indique qu’il est mort à la suite d’une intoxication alcoolique,  Le dossier de l’enquête renferme les déclarations faites en dehors du tribunal devant le service des renseignements de la marine par les personnes détenues dans le cadre de cette opération où “on apprécie qu’aucune d’entre elles n’ont été contrainte physiquement ou psychologiquement à indiquer volontairement la raison de leur détention”.

            d.         Pour ces raisons et conformément aux avis du ministère public et du procureur général militaire, le tribunal a déclaré qu’il fallait rendre un arrêt de non-lieu.

            8.         Le gouvernement a également communiqué une copie de l’ordre pris le 10 mai 1989 par le tribunal de justice militaire de Quito, confirmant que le juge de la troisième zone navale avait décidé qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre l’affaire.  Cette disposition examine les points indiqués comme base de l’avis dudit juge de droit et indique également que le cadavre de M. Bolaños ne présentait pas de marques de mauvais traitement physique en indiquant que les experts médicaux avaient conclu que le décès était dû à une intoxication par l’alcool.  En raison de ces indications, elle a confirmé l’ordre de surseoir à l’affaire.

            9.         La Commission a communiqué copie de la décision aux requérants par note du 8 février 1991, leur demandant de présenter dans un délai  de 30 jours les observations qu’ils pourraient avoir à son égard.

            10.       Par note en date du 20 février 1991, les requérants ont fait savoir à la Commission que ni eux ni la famille de M. Bolaños n’avaient reçu de notification officielle du décès de M. Bolaños, des circonstances de ce décès ni du lieu où se trouvaient ses restes.  Ils ont également indiqué que malgré les nombreuses démarches effectuées auprès des autorités compétentes ils n’avaient pu obtenir copie de la procédure pénale entreprise en l’affaire.

            11.       Le 4 mars 1991, les requérants ont présenté leurs observations à propos de la communication du gouvernement en date du 29 janvier 1991.  En réponse à la déclaration officielle selon laquelle M. Bolaños était mort à la suite d’une intoxication par l’alcool, ils affirment qu’il est mort en fait à la suite de mauvais traitements reçus durant sa détention.  Les requérants se réfèrent de nouveau à la communication du 20 octobre 1985 dont ils avaient déjà fait mention par laquelle le commandant Villota a déclaré que lorsqu’il est arrivé à la base de Balao:

On m’a informé que le citoyen capturé (Manuel Bolaños) était mort à la suite de l’interrogatoire et que les agents qui avaient participé à l’interrogatoire avaient enterré le cadavre...   Devant une situation aussi difficile et compromettante, il fut décidé lors d’une réunion d’officiers de consulter le chef politique, M. Ricardo Gutiérrez, qui a conseillé de faire disparaître le cadavre et de maintenir un silence absolu sur l’affaire....

            12.       Les requérants citent ensuite la déclaration du commandant Villota en date du 19 octobre 1987 par laquelle il fait savoir qu’il a été informé du décès, s’est enquis au sujet du cadavre et qu’on lui a dit qu’il avait été enterré.  Les requérants rappellent leurs références à un paragraphe qui figure plus loin dans la même déclaration dans lequel le commandant Villota rappelle que le chef politique lui a conseillé de laisser le cadavre là où il se trouvait car sans cela on courait le risque d’exposer les faits à la lumière et parce que l’autopsie révélerait la cause véritable de la mort.

            13.       Avec cette réponse, les requérants ont envoyé des copies de divers documents qu’ils avaient cités à plusieurs reprises dans leurs communications précédentes: la communication officielle ESTESM-GVM-001-S, le rapport du 20 octobre 1985 du commandant Gracián Villota au commandant de la troisième zone navale; la lettre du 7 février 1986 du ministre de la défense au commandant général de l’armée; le dispositif d’une décision du juge pénal militaire Romero Herrera qui se réfère à  certaines mesures prises pour enquêter sur l’affaire; et trois pages de la déclaration faite le 19 octobre 1987 par le commandant Villota devant le juge pénal militaire Barriga Chiriboga.

            14.       Le 21 mars 1991, la Commission a demandé au Gouvernement de  l’Equateur de fournir une copie du dossier concernant l’enquête et la procédure pénale entreprise à propos de la disparition et de la mort de Manuel Stalin Bolaños Quiñonez.  La Commission a demandé qu’on lui envoie toutes les informations pertinentes dans un délai de trente jours.

            15.       Par note du 4 juillet 1991, les requérants ont demandé une prorogation de trente jours pour envoyer leurs observations sur l’affaire.  La Commission en a accusé réception et a accordé la prorogation par note en date du 17 juillet 1991.

            16.       La demande envoyée par la Commission au Gouvernement de l’Equateur pour que celui-ci fournisse des informations concernant l’affaire fut rappelée par note du 7 janvier 1992.

            17.       Dans une note de la même date, la Commission a rappelé aux requérants que bien qu’ils aient demandé et qu’on leur ait accordé une prorogation pour présenter leurs observations sur l’affaire, une réponse n’avait pas encore été reçue.  Elle leur a demandé d’envoyer leur réponse ou de présenter de nouvelles informations dans un délai de trente jours.

            18.       Le 27 janvier 1992, le Gouvernement de l’Equateur a accusé réception à la Commission de la correspondance du 7 janvier en indiquant qu’elle avait été reçue par le ministre des affaires étrangères le 23 janvier 1992 et qu’on était en train de réunir les informations demandées.

            19.       Les requérants ont remis de brèves observations sur l’affaire dans une note en date du 27 février 1992.  Ils objectent de façon absolue à la conclusion du tribunal selon laquelle Manuel Bolaños serait mort à la suite d’une intoxication par l’alcool et qu’il n’existait aucune base pour définir une responsabilité personnelle  quelconque.  Ils affirment que la version des faits présentés par le Gouvernement contredit de façon très nette les autres informations qui ont été obtenues y compris le rapport du commandant Villota en date du 20 octobre 1985 dans lequel il déclare que Manuel Bolaños est mort à la suite d’un interrogatoire et a été enterré par ses interrogateurs.  Ils rappellent de nouveau les informations qui se trouvent plus loin dans le rapport concernant le conseil du chef politique, Ricardo Gutiérrez “de faire disparaître le cadavre et de maintenir un silence absolu sur l’affaire”.

           20.       Les requérants ont demandé à la Commission:

a.       De rendre le Gouvernement de l’Equateur responsable de la disparition de Manuel Bolaños.

b.       De declarer que le gouvernement a violé les articles 4, 5 et 8 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

c.       De demander une enquête judiciaire indépendante pour déterminer le lieu où se trouve Manuel Bolaños et identifier et punir les responsables.

d.       De demander le versement d’une indemnité à la famille de Manuel Bolaños pour les dommages causés par les agents généraux qui ont ordonné et exécuté sa disparition.

            21.       Les éléments de fond contenus dans les observations des requérants ont été transmis au gouvernement par note du 16 mars 1992.

            22.       Le 18 août 1992, le Gouvernement de l’Equateur a remis à la Commission une copie de la procédure pénale militaire portant la cote 004/85, qui avait pour objet de découvrir les auteurs, les complices et les instigateurs de la mort de Manuel Bolaños.  Les documents du dossier indiquent que la procédure a débuté le 29 octobre 1985 pour se terminer le 31 mai 1989.  Le dossier comporte quatre-vingt-trois pages de documents relatifs à la procédure qui seront décrits en détail plus loin.

            II.          CONSIDERATIONS

            ADMISSIBILITE

            1.         La plainte remplit les conditions formelles d’admissibilité que prévoit la Convention américaine relative aux droits de l’homme et le règlement de la Commission.  Conformément à l’article 47 b de la Convention, la Commission est compétente pour examiner cette affaire parce qu’elle concerne des faits qui tendent à établir une violation des droits de l’homme que consacre la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

            2.         Conformément aux conditions prescrites dans les articles 46 c et 47 d respectivement de la Convention, la question de la requête ou de communication n’est pas en cours d’autres procédures de règlement international et ne reproduit pas une requête antérieure déjà examinée par la Commission.  Dans sa communication du 4 décembre 1990, le Gouvernement a indiqué que cette question avait été soumise à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies aux fins d’étude.  La Commission interaméricaine a répondu alors que du fait que le mandat de la Commission des Nations Unies englobe des situations générales des droits de l’homme, son examen n’empêche pas l’instruction de l’affaire dans la présente instance.

            3.         La première requête a été présentée le 29 août 1988.  Selon la documentation remise par le gouvernement, il avait entrepris le 29 octobre 1985 une procédure pénale militaire pour enquêter sur les circonstances de la mort de Manuel Bolaños.  L’enquête était encore ouverte au moment où fut remise la requête.  Conformément aux dispositions de l’article 46.1 b de la Convention, la requête a donc été présentée à temps.

            4.         Conformément à l’article 46 de la Convention américaine, on aurait dû intenter et épuiser les recours de la juridiction interne.  Les informations dont dispose la Commission prouve que les requérants ont décidé de poursuivre de tels recours devant les juridictions internes et d’obtenir les informations nécessaires pour les intenter et les épuiser pleinement.  Les requérants ont présenté des requêtes en habeas corpus aux autorités municipales d’Esmeraldas et ces requêtes ont été rejetées.  Les informations reçues par la Commission indiquent que ces requêtes furent envoyées après que Manuel Bolaños soit mort lorsqu’il était en prison et alors qu’on aurait été en train d’effectuer une enquête sur les circonstances de sa mort.  Néanmoins, les requêtes ont été rejetées et on affirme que l’une d’entre elles a été l’objet d’un délai d’un an.

            5.         En ce qui concerne le rejet des requêtes, il faut rappeler qu’au paragraphe 67 de la décision du 29 juillet 1988 concernant Velásquez Rodríguez, il est fait référence à ce que “le simple fait qu’un recours ne donne pas un résultat favorable au requérant ne prouve pas en soi l’absence ou l’épuisement de tous les recours devant les juridictions internes”.  Dans la présente affaire, et selon les propres données du gouvernement, Manuel Bolaños est mort le 16 octobre 1985 alors qu’il était entre les mains des agents de l’Etat.  Les documents qui font partie du dossier de la procédure pénale militaire indiquent que le troisième commissaire de police d’Esmeraldas a participé à l’inspection officielle du lieu du décès le 23 octobre 1985.  En outre, le 6 novembre 1985, alors qu’avait été entreprise la procédure pénale militaire, le commissaire a remis au juge pénal militaire Herrera les documents originaux où étaient indiquées toutes les mesures prises sous son autorité à propos de la mort de M. Bolaños.  Cela indique que le recours en habeas corpus qui est normalement le plus efficace pour localiser et déterminer la situation d’une personne présumée détenue par les autorités est fonctionnellement inopérant dans la présente affaire.  Quant au retard présumé d’environ un an décrit par les requérants dans l’acheminement d’un de ces recours, il indique de nouveau que les recours devant les juridictions internes concernant cette affaire n’ont pas été appropriés et n’ont pas été efficaces.

            6.         La condition d’épuisement des recours de la juridiction interne donne à l’Etat la possibilité de résoudre une situation avant de pouvoir invoquer les recours complémentaires du Système interaméricain des droits de l’homme.  Les recours qui sont normalement efficaces pour localiser un détenu ou en déterminer la situation ont été en l’occurrence inefficaces et l’objet d’un retard injustifié.  Par conséquent, la Commission estime que les recours de la juridiction interne ont été suffisamment invoqués dans cette affaire et que conformément aux prescriptions de l’article 46.2 on ne doit pas appliquer la condition selon laquelle on a interjeté et épuisé les recours de la juridiction interne.  Le gouvernement n’a pas réfuté l’admissibilité de cette affaire en disant qu’on n’a pas épuisé les recours de la juridiction interne.

            7.         En octobre 1994, la Commission s’est mise à la disposition des parties pour faciliter une solution de cette affaire à l’amiable conformément à l’article 48 f de la Convention américaine.  La lettre adressée au gouvernement par la Commission le 12 octobre 1994 indiquait pour cela une période de 30 jours.  La note ultérieure de la Commission portant la date du 23 novembre 1994 rappelait que le gouvernement avait indiqué qu’il était favorablement disposé à une solution de l’affaire à l’amiable dans des conversations qu’il avait eues à l’occasion de la visite de la Commission en Equateur.  Néanmoins, la Commission a observé qu’il faudrait une notification immédiate et écrite des mesures spécifiques adoptées à cet égard, - dans un délai de dix jours - pour que la Commission estime que la procédure de solution à l’amiable reste ouverte.  Le gouvernement a répondu par une note du 26 décembre 1994 qui déclarait brièvement que le ministère des affaires étrangères était en train de trouver une solution rapide et définitive de l’affaire et avait communiqué à cet effet avec la police et avec les autorités judiciaires.  La Commission n’a reçu aucune autre information.  Etant donné que le gouvernement a refusé pendant plusieurs mois de proposer la moindre mesure précise pour résoudre cette affaire à l’amiable, la Commission n’a d’autres options que d’estimer que la procédure de solution à l’amiable est devenue caduque  du fait de l’inaction d’une partie.

QUESTIONS DE FOND

Article 7

8.         L’article 7 de la Convention américaine stipule dans sa partie pertinente que:

1.         Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne.

2.         Nul ne peut être privé de sa liberté si ce n’est pour des motifs et dans des conditions déterminées à l’avance par les Constitutions des Etats parties ou par les lois promulguées conformément à celles-ci.

3.         Nul ne peut faire l’objet d’une détention ou d’une arrestation arbitraires.

  ...

5.         Toute personne arrêtée ou détenue sera traduite dans le plus court délai devant un juge ou un autre fonctionnaire habilité par la loi à exercer des attributions judiciaires...

6.         Toute personne privée de sa liberté a le droit d’introduire un recours devant un juge ou un tribunal compétent pour voir celui-ci statuer sans délai sur la légalité de son arrestation ou de sa détention et ordonner sa libération....

...

Dans la présente affaire, il a été prouvé que des membres de l’armée équatorienne ont pénétré dans la maison de la soeur de M. Bolaños, et ont emmené ce dernier à la base navale de Balao où il est resté jusqu’à son décès.  Il semble qu’ils n’aient pas présenté d’ordre d’arrêt ou de perquisition.  Les déclarations des requérants indiquent qu’au moment où ils ont emmené les hommes de la maison, ils affirmaient que la détention avait pour but de vérifier leurs pièces d’identité.

9.         L’article 19.17 g de la Constitution de l’Equateur précise dans la partie pertinente que:

Personne ne sera privé de sa liberté sans ordre écrit de l’autorité compétente en l’occurrence, pour la durée et selon les formalités prescrites par la loi, sauf en cas de flagrant délit...

Le Code de procédure pénale de l'Equateur comporte des provisions spécifiques en matière de détention.  Parmi les articles pertinents, l’article 172 se réfère à la détention préventive par ordre judiciaire.  L’article 174 autorise l’arrestation en cas de flagrant délit (défini dans l’article 175 comme étant un délit commis en présence d’une ou de plusieurs personnes, ou découvert immédiatement après avoir été commis si l’auteur est appréhendé en portant des armes, instruments ou documents relatifs au délit qu’il vient de commettre).  L’article 176 déclare que personne ne pourra être arrêté si ce n’est par des agents autorisés par la loi.  L’arrestation par d’autres personnes n’est autorisée qu’au moment où un délit est commis; au cas où un fugitif est l’objet d’un jugement ou est l’objet d’un ordre d’arrestation; dans le cas d’une personne accusée, mise en accusation ou condamnée qui s'est échappé.  La personne appréhendée dans de pareilles circonstances devra être immédiatement remise à un agent de la police nationale, de la police judiciaire ou dans le cas qui nous concerne, au lieutenant politique.

            10.       Il semble donc évident à la lumière des informations reçues par les requérants et par le gouvernement qu’il n’y a pas eu d’ordre judiciaire pour l’arrestation ou la détention de Manuel Bolaños.  Les informations que renferme le dossier envoyé par le gouvernement, indique à plusieurs reprises que M. BOLAÑOS a été appréhendé et détenu à propos d’une enquête que réalisaient les autorités de la marine au sujet de l’assassinat de l’officier Arturo Sotomayor qui avait eu lieu le 12 octobre. Après cet évènement,  M. BOLAÑOS fut détenu pendant plusieurs jours dans la maison de sa soeur.  Tels qui sont exposés, les faits indiquent qu’il ne s’agissait pas d’une affaire où l’appréhension sans ordre judiciaire préalable était autorisée par la loi.  Qui plus est, les agents qui ont arrêté M. BOLAÑOS n’étaient pas autorisés par la loi à exercer cette fonction.  La Commission déduit des informations qui lui ont été remises que l’arrestation et la détention de Manuel Bolaños ont eu lieu en contravention des conditions de fond et de procédure exigées par la Constitution équatorienne et des lois qui ont été établies en la matière.

            11.       L’article 7.6 de la Convention américaine stipule que: “Toute personne privée de sa liberté a le droit d’introduire un recours devant un juge ou tribunal compétent pour voir celui-ci statuer sans délai sur la légalité de son arrestation ou de sa détention...”.  L’article 19 (17)(i) de la Constitution de l’Equateur stipule dans sa partie pertinente que: “Toute personne qui pense être illégalement privée de sa liberté pourra se prévaloir de l’habeas corpus. Elle exercera ce droit elle-même ou par personne interposée sans nécessité de mandat écrit auprès du maire ou du président du Conseil dont elle relève de la juridiction...”.  La Constitution exige que les autorités municipales ordonnent immédiatement la présentation du détenu et l’ordre qui autorise la privation de la liberté.  En outre, les responsables des centres de détention sont obligés par la Constitution à suivre ses prescriptions sans la moindre excuse.

            12.       L’arrestation et la détention illégales qui ont eu lieu en l’espèce, apparemment sans ordre judiciaire par des agents qui n’étaient pas autorisés par la loi en maintenant le détenu dans un lieu irrégulier entraine la présomption qu'il a été privé de la possibilité d’avoir accès aux moyens et recours légaux pour exercer son droit lui même.  Le droit de recours qui détermine la légalité de la détention est la garantie fondamentale des droits constitutionnels et des droits de l’homme de tout détenu au cas où il aurait été privé de liberté par l’Etat.  Il faut également souligné que conformément à ce qu’ont dit les requérants, il y a un long retard dans l’acheminement de l’habeas corpus dans la présente instance.  Le gouvernement n’a pas fourni d’informations au sujet des requêtes en habeas corpus remises en l’espèce.  La Commission observe que ce retard présumé de l’acheminement d’un recours en habeas corpus constitue une contravention aux lois nationales et aux prescriptions de l’article 7 de la Convention américaine.

            Article 1

            13.       L’article 1 de la Convention américaine définit l’obligation des Etats parties d’abord de respecter les droits et libertés reconnus par la Convention et en second lieu de garantir le libre et plein exercice de ces droits à toute personne relevant de leur compétence.  Spécifiquement, cette dernière obligation que prescrit l’article 1:

sous-entend le devoir des Etats parties d’organiser tout l’appareil gouvernemental et... les structures par lesquelles s’effectue l’exercice du pouvoir public de façon à ce qu’elles soient capables d’assurer sur le plan juridique le libre et plein exercice des droits de l’homme.  En conséquence de cette obligation, les Etats doivent empêcher toute violation des droits de l’homme reconnus par la Convention, procéder à une enquête et punir les coupables et s’efforcer en outre si possible de rétablir le droit enfreint et, le cas échéant, d’ordonner réparation pour les dommages produits par la violation des droits de l’homme.

            (Velásquez Rodríguez, paragraphe 166).

            14.       Le dossier de l’affaire remis par le Gouvernement renferme 83 pages de documents concernant l’enquête sommaire effectuée par le tribunal d’instruction dans la procédure pénale militaire 004/85 entreprise le 29 octobre 1985 et terminée le 31 mai 1989.  L’ordre du juge pénal militaire Romero qui lance l’enquête sommaire indique que M. BOLAÑOS est mort pour des causes inconnues alors que des membres du service de renseignements se disposaient à l’interroger.  Il a ordonné une enquête pour identifier les auteurs et leurs complices, étant donné que les faits constituent un délit punissable en vertu du Code pénal militaire. (Dossier page 3).  Dans une lettre du 18 octobre 1985, le juge Romero avait demandé au troisième commissaire national de la police d’Esmeraldas de fournir des informations au sujet de toutes les mesures prises par son bureau à propos de l’affaire.  (Dossier page 6).  Dans la réponse portant la date du 6 novembre 1985, figurent les copies originales du procès-verbal qui identifiait le lieu du décès, le procès-verbal qui indique que le cadavre a été enlevé et le protocole de l’autopsie. (Dossier pages 7 - 11).

            15.       Par note du 25 février 1986, le juge Romero a demandé au directeur des Services de renseignement de la marine qu’il donne les noms des personnes qui avaient participé à l’enquête sur l’affaire Sotomayor sous les ordres de l’officier Fausto Morales. (Dossier, page 12).  Dans la réponse portant la date du 27 février 1985 et timbrée “CONFIDENTIEL” figure la liste du personnel de la marine énuméré ci-après qui ont participé à l’enquête:

                        Fausto Morales V                                         Carlos Albuja
                       
Agustín Novillo L.                                         Segundo Castillo Ch.
                       
Raúl Coello R.                                              Marco Pacheco P.
                       
Vicente Alvarado                                          Gracián Villota M.
                       
Luis Chacón R.                                             Jorge Guerrero C.
                       
Manuel Plua G.                                             Guillermo Reyes M.

            (Dossier, page 13).  Par notes du 6 mars 1986, du 21 avril 1986 et du 19 juin 1986, le juge Romero a demandé au Service de renseignement de la marine de faire comparaître sept des susnommés pour qu’ils fassent une déclaration.  (Dossier, pages 15, 23 et 25).  A deux reprises, le directeur des services de renseignement de la marine a répondu que le personnel nommé se trouvait en mission et se présenterait quelques jours plus tard.  (Dossier, pages 21, 24).  Dans une communication du 22 avril 1986, le directeur a fait savoir que deux des agents se présenteraient le jour-même; néanmoins, le 4 juillet 1986, les documents indiquent qu’aucune des sept personnes ne s’était présentée (Dossier, pages 24,26).

            16.       Le 8 juillet 1986, furent remises les déclarations des commandants Gracián Villota M. et Luis Chacón Romero, Carlos Albuja, Segundo Castillo Ch., Fausto Morales V., Vicente  Alvarado, Marco Pacheco F., et Gustavo Proano Garaicoa.  Le dossier renferme également une copie d’un rapport du 29 octobre 1985, rédigé par l’officier Chacón Romero à propos de l’enquête de l’affaire Sotomayor.  Après de nouvelles demandes du juge, Guillermo Reyes M. et Baltar Enrique Prias ont fait une déclaration le 14 juillet 1986.

            17.       Bien que le juge ait explicitement demandé que se présentent Agustín Novillo L. et Raúl Coello R., le dossier ne renferme aucune indication qu’ils se soient présentés.  D’après le dossier, Jorge Guerrero C. et Manuel Plua G. n’ont pas non plus fourni d’informations  à propos de leur participation à l’enquête de l’affaire Sotomayor.

            18.       Le 16 avril 1986, le directeur des services de renseignement de la marine a remis au juge pénal militaire la liste des noms des personnes détenues le 16 octobre 1985 dans l’opération d’Esmeraldas:

                        Fredy Rubing García Carreño                   José Delgado Bone
                       
Jimmy Moreno Nazareno                         Enrique Torres García
                       
Agapito Granja Castillo                           José Caicedo Medina
                       
Miguel Gabriel Mosquera Betancourt         Víctor León Acosta Caicedo
                       
Manuel Adolfo Loave Satizábal                 Onesio Segundo Mers Salas
                       
Juan Klever Mora Begne                          Oscar Aníbal Becerra Rojas
                       
Guber Mina Achillie

            En septembre 1987, il a été décidé qu’il fallait localiser ces personnes pour qu’elles fassent une déclaration.  Le directeur a donc demandé au service de renseignement de la marine qu’il les présente, bien que la demande ne comporte pas l’un de ces noms à savoir: Guber Mina Achillie.

            19.       A la suite de la demande du juge pénal militaire, le lieutenant Albuja Obregón a remis le 28 octobre 1987 copies des déclarations faites par les détenus à propos de l’enquête de l’affaire Sotomayor.  Le dossier ne contient que huit déclarations.  Parmi les personnes figurant sur la liste des services de renseignement de la marine, le dossier renferme les déclarations de José Delgado Bone, Jimmy Moreno Nazareno, Enrique Torres García, Agapiton Granja Castillo et Juan Klever Mora Begne.  Les trois autres déclarations sont celles des détenues Willyam Antonio España Ordoñez, Nicasio Bonifacio Angula Jama et Telmo Fernando Montaño García.  Seulement dans deux déclarations figure la date où elles furent prises (16 octobre 1985).

            20.       Le dossier indique que le 10 décembre 1987, on n’avait amené aucun des détenus à faire une déclaration à propos de l’enquête sur la mort de Manuel Bolaños.

            21.       L’Etat a l’obligation d’enquêter à propos de toute situation qui entraîne une violation des droits de l’homme consacrés par la Convention.  Si l’appareil de l’Etat agit de telle façon que la violation n’est pas punie et s’il ne rétablit pas rapidement la pleine jouissance de droits de la victime, il n’a pas satisfait son obligation de garantir le libre et plein exercice de ces droits aux personnes relevant de sa compétence.  (Affaire Velásquez Rodríguez, paragraphe 176).  Le fait qu’une enquête ne produise pas de résultats particuliers n’est pas déterminant, mais montre la nécéssité d'entreprendre sérieusement une enquête pour qu’elle soit efficace. (Voir idem, paragraphe 176).

            22.       Les informations remises par le gouvernement prouvent clairement que Manuel Bolaños fut arrêté par des agents de l’Etat qui ont agi sur couvert d’une soi-disant autorité publique.  L’arrestation de ces citoyens n’est pas une mesure qui a sa place parmi les fonctions autorisées des membres de l’infanterie marine ou de l’armée de l’Equateur.  Il semble en outre, que l’arrestation ne fut pas autorisée par ordre judiciaire comme l’exigent les lois de l’Equateur.  Tels qu’ils ont été révélés dans les requêtes présentées à diverses autorités par les familles et les requérants, ces faits auraient dû être suffisants en soi pour déclencher une enquête par les organes du pouvoir judiciaire.

            23.       Les informations dont dispose la Commission indiquent que les organes des pouvoirs exécutif et judiciaire ne sont pas intervenus en l’espèce. Alors que les familles et les requérants se sont adressés à de nombreuses autorités de deux pouvoirs et ont présenté des recours en habeas corpus aux autorités locales et au tribunal des garanties constitutionnelles, il convient de déduire des informations présentées à la Commission, qu'aucune de ces démarches n’a donné lieu à la moindre enquête significative.

            24.       Le fait que, alors qu’elles ont été en contact avec de nombreuses autorités de l’Etat et ont présenté diverses demandes d’informations, les familles n’ont jamais été officiellement avisé de la mort de Manuel Bolaños, prouve une grave carence des systèmes équatoriens conçus pour garantir le respect des droits des habitants du pays. A ce jour, la famille n’a pas pu enterrer convenablement le cadavre de Manuel Bolaños parce qu’on ne lui a pas dit où se trouvaient les restes.  La Commission arrive à la conclusion que les organes pertinents du Gouvernement de l’Equateur n’ont pas pris des mesures efficaces pour garantir le respect des droits de l’homme dans l’affaire qui nous occupe.

            25.       Même si les autorités navales avaient été investies de la faculté d’effectuer l’enquête sur la mort de M. Bolaños, cette enquête ne fut pas conçue de manière à pouvoir être efficace.  La procédure a été dénaturée par des retards qui ne se justifient pas dans une enquête de cette nature.  Le dossier ne comporte pas d’informations contemporaines de première main concernant les circonstances de la mort.  Les rapports contemporains de la part de ceux qui étaient présents sur les lieux au moment du décès seraient des documents d’importance fondamentale pour établir les circonstances exactes de la mort.  Or le dossier ne comporte pas de telles informations.  Il n’existe pas de témoignages de première main d’aucune des personnes qui ait assisté à la mort de M. BOLAÑOS.  Il n’existe pas de témoignages de première main d’une personne qui indiqurait le moment précis de la mort.  En fait, il n’existe aucune information dans le dossier qui indique une connaissance de première main des circonstances de la mort de M. Bolaños.  Les dix membres de la marine qui ont donné les déclarations figurant dans le dossier disent qu’ils ont été avisé de sa mort par quelconque d’autre.  Des questions n'ont été posées qu’à trois témoins durant leurs déclarations.

            26.       On observe en outre des manques de concordance même entre les fais les plus fondamentaux.  Par exemple, dans son rapport du 29 octobre 1985, le lieutenant Luis Chacón a indiqué que l’arrestation avait eu lieu le 17 octobre 1985, alors que dans sa déclaration, il affirme qu’elle a eu lieu le 16 octobre.  (Dossier, pages 28, 30).  L'agent Reyes Mendoza décrit également que l'opération s'est déroulée le 17 octobre.  (Dossier page 44).  Dans un autre cas, les agents Pacheco et Proaño ont attesté que quelqu'un leur avait dit qu'était mort un des détenus vers les sept heures du matin.  Il semble que ces deux agents ont observé le cadavre peu après.  Ils ont tous deux indiqué dans leur déclaration que l'officier Morales était présent.  Or, dans sa déclaration, l'officier Morales indique que quelqu'un lui a fait savoir la mort vers 7 heures quand il se trouvait dans un autre secteur de la base "éloignée" de l'endroit où se trouvaient les détenus.  Dans un autre exemple le service de renseignement de la marine a fourni la liste contenant les noms des détenus durant l'opération.  Alors qu'il est clairement indiqué dans d'autres dossiers que Manuel Bolaños a été détenu à cette occasion, son nom ne figure pas sur la liste.  On avait demandé au lieutenant Chacón de remettre les déclarations prises auprès des détenus durant l'opération.  Sur les huit déclarations qui ont été envoyées, seulement cinq des déclarants figurent sur la liste des services de renseignement de la marine alors que les trois autres avaient été détenus dans la même opération.  La Commission observe que les mesures adoptées par l'Etat pour enquêter sur la mort de Manuel Bolaños comme l'indiquent les informations fournies n'ont pas été conçues ou entreprises de façon à pourvoir aboutir à des résultats concrets.

            27.       La Commission observe que comme la charge de la preuve est fondée sur l'obligation de l'Etat de présenter le détenu et l'ordre qui justifie la détention dans une instance d'habeas corpus quand les agents d'un Etat ont participé à une détention illégale après laquelle l'un des détenus est mort, il incombe à l'Etat de prouver les circonstances précises de la mort.  La responsabilité incombe au gouvernement de toute évidence puisque le gouvernement est en possession du cadavre et des informations pertinentes.

            28.       Dans l'affaire Gangaram Panday, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a examiné le rapport entre une détention illégale et une violation présumée du droit à la vie.  La Cour a affirmé que la preuve de la responsabilité de l'Etat en vertu de la Convention doit essentiellement déterminer si la violation en question "est la conséquence du fait que l'Etat n'a pas satisfait à son obligation de respecter et garantir ces droits comme le prescrit l'article 1 (1) de la Convention".  (Affaire Gangaram Panday, supra, paragraphe 62, citant  l'affaire Velásquez Rodríguez, paragraphe 173; Affaire Godínez Cruz, paragraphe 183).  Dans l'affaire Panday, la Cour a statué que les circonstances ont rendu impossible "de fixer la responsabilité de l'Etat dans les termes décrits, en vertu entre autres, du fait que la Cour détermine une responsabilité de détention illégale par voie de conséquence et non parce qu'on avait prouvé que la détention fut en fait illégale ou arbitraire..." (Affaire Gangaram Panday, supra, paragraphe 62).

            29.       Dans l’affaire actuelle, la Commission a établi que la détention de Manuel Bolaños a été clairement illégale.  Les actes des agents de l’Etat ont été incompatibles tant au fond et sur le plan de la procédure avec les lois équatoriennes et avec les conditions que définit la Convention américaine.  La garantie d’habeas corpus qui est normalement le recours le plus efficace pour déterminer la légalité de la détention, trouver le détenu et définir la situation n’a pas été réalisée sur le plan pratique.  Alors que la Cour a conclu que dans l’affaire Gangaram Panday elle ne pouvait déterminer la responsabilité par ingérence sur la base d’une ingérence, dans le cas qui nous occupe elle a prouvé l’hypothèse de base.  En fait, les documents remis par le gouvernement montrent sans le moindre doute que l’appréhension et la détention de Manuel Bolaños ont été illégales.

Le droit à la vie et la garantie et le respect de celle-ci de la part des Etats ne sauraient être conçus de façon restrictive.  Ce droit ne sous-entend pas simplement qu’aucune personne ne pourra être privé de sa vie ... il exige aussi que les Etats prennent toutes les mesures appropriées pour la protéger et la préserver ... la protection internationale des droits de l’homme en vertu de l’article 4 (1) de la Convention américaine relative aux droits de l’homme a une dimension préventive dans laquelle l’obligation d’agir avec toute la diligence voulue entraîne des implications extrêmement graves quand il s’agit de détentions illégales.

            (Voir affaire Gangaram Panday, décision du 21 janvier 1994, avis contraire des juges Picado Sotela, Aguiar Aranguren et Cançado Trindade, paragraphes 3, 4).

            30.       Dans l’affaire actuelle, Manuel Bolaños était, selon les documents remis par le gouvernement lui-même, sous la garde d’agents de l’Etat au moment de sa mort.  En ce qui concerne la cause du décès, le dossier fourni par le gouvernement apporte trois indications; la première d’entre elles est le protocole de l’autopsie en date du 16 octobre 1985 où on peut lire que la mort a été due à une intoxication par l’alcool.  (Dossier, page 10).  La deuxième indication se trouve dans le procès-verbal où est indiquée l’identification du lieu où la mort s’est produite.  Dans ce rapport qui porte la date du 23 octobre 1985, les personnes présentes affirment que le lieu identifié est effectivement le lieu où est mort Manuel Bolaños “au moment où est intervenue une crise cardiaque”. (Dossier, page 8).  La troisième indication se trouve dans la déclaration du commandant Villota en date du 8 juillet 1986, dans laquelle il indique qu’il a été avisé de la mort par téléphone et que, lorsqu’il s’est enquis de sa cause on lui a dit que les agents étaient allés chercher M. Bolaños pour l’emmener dans la salle d’interrogatoires et qu’ils l’ont trouvé à même le sol, en observant qu’il “présentait des symptômes d’ingestion d’alcool et ne bougeait pas”.  Plus tard ils sont rendus compte qu’il était mort. (Dossier, page 32).

            31.       En premier lieu, en examinant le protocole de l’autopsie, la Commission observe que la conclusion à laquelle il aboutit n’est pas corroborée par les éléments de preuve qu’il contient.  Le seul élément du protocole qui prouve la découverte est que dans le contenu de l’estomac, on a décelé une odeur d’alcool.  L’existence d’une odeur d’alcool se borne à indiquer qu’une personne avait absorbé de l’alcool peu avant sa mort, elle n’indique pas le volume d’alcool absorbé.  (Rapport de l’expert de médecine légiste, le Robert H. Kirschner, à la Commission portant la date du 13 août 1994).  Ni le protocole ni le dossier n’indiquent la moindre analyse toxicologique du sang de la victime.  Un diagnostic de mort en raison d’une intoxication par l’alcool ne peut se faire que par une analyse toxicologique du sang.  La concentration mortelle minimum d’alcool dans le sang est d’environ 350 à 400 mg/dl (0,35-0,40%), soit l’équivalent de 18 à 20 boissons.  En outre, le diagnostic d’intoxication mortelle par l’alcool ne peut se faire que dans le contexte d’une autopsie et d’un examen toxicologique négatifs des autres aspects. (Idem).

            32.       La Commission et la Cour interaméricaines ont déclaré à maintes reprises que les obligations d’un Etat partie à la Convention américaine que prévoit en son article 1 comportent le devoir d’enquêter sur les violations supposées des droits de l’homme.  Quand un individu meurt pour des causes inexpliquées, alors qu’il est sous la garde de l’Etat, l’enquête nécessaire doit être menée de façon immédiate, exhaustive et impartiale.  La Commission rappelle que les Nations Unies ont établi des critères détaillés avec exemple pour les enquêtes sur les morts qui ne sont résolues de personnes placées sous garde dans leur annexe à la résolution du Conseil économique et social 1989/65, “Principes de prévention efficace et d’enquête sur les exécutions extralégales, arbitraires et sommaires”.  Par exemple, il faut photographier toutes les parties du corps du cadavre.  En l’occurrence, rien n’indique qu’on ait pris des photographies ni du corps ni du lieu où il se trouvait.  En Equateur, en outre, il est stipulé par la loi que dans l’enquête portant sur une mort qui sous-entend une responsabilité criminelle éventuelle, il faut prendre des photographies du lieu où on a trouvé le corps.  (Code de procédure pénale de l’Equateur, article 83 (4)).

            33.       De même, dans un cas comme celui qui nous concerne, le protocole de l’autopsie doit décrire toutes les indications, cicatrices ou blessures corporelles de tout genre.  L’espace où doivent être indiquées les indications corporelles dans le rapport immédiat a été laissé en blanc bien que dans une autre partie du dossier on dit ce que la victime possédait, à tout le moins, une cicatrice à la jambe gauche (dossier, page 9).  Les incisions sous-cutanées et les dissections à la recherche de blessures qui ne sont pas visibles à la surface sont essentielles dans une enquête de ce genre; néanmoins, le protocole n’en parle pas.  On ne semble pas non plus avoir effectué des études radiologiques, microscopiques ou toxicologiques.

            34.       La raison pour laquelle on exige une série de procédures en cas de mort non éclaircie d’une personne placée sous garde est d’offrir des garanties que cette mort ne va pas rester inexpliquée.  En l’occurrence, le protocole de l’autopsie ne répond pas aux conditions fondamentales d’une enquête viable, et se trouve donc insuffisante pour servir de base à une explication concernant la cause de la mort de Manuel Bolaños.

            35.       La seconde indication que contient le dossier est la mention dans le rapport du 23 octobre 1985 qui confirme le lieu de la mort, que les personnes présentes sur les lieux ont affirmé que Manuel Bolaños était mort à la suite d’une crise cardiaque.  Les personnes qui ont fourni ces informations ne sont pas identifiées.  Cette annotation au sujet de la cause de la mort n’est corroborée par aucune autre preuve et représente une nette contradiction par rapport aux conclusions du protocole de l’autopsie.  Il n’y a pas dans le dossier d’indications du fait qu’on ait jamais enquêté au sujet de cette contradiction.

            36.       La troisième indication du dossier qui pourrait être pertinente à propos de la cause de la mort en l’occurrence est la mention qui est faite dans un rapport du fait que le commandant Villota a été avisé que des agents étaient allés chercher M. BOLAÑOS pour interrogatoire et “se sont aperçus qu’il présentait des symptômes d’une ingestion d’alcool et ne bougeait pas”, et ont alors compris qu’il était mort.  On n’indique ni la personne qui a informé le commandant de cette évènement ni les agents qui ont vu M. BOLAÑOS.  On ne précise pas non plus quels symptômes ont été détéctés.  Conformément au rapport, la victime gisait sans mouvement sur le sol et était effectivement morte.

            37.       Selon la Commission, la mort de Manuel Bolaños alors qu’il se trouvait sous la garde d’agents du Gouvernement de l’Equateur reste sans éclaircissement.  L’arrestation et l’emprisonnement illégal de Manuel Bolaños, sa mort alors qu’il était sous garde et l’absence de mesures satisfaisantes prises par le gouvernement pour enquêter sur les graves allégations liées à cette mort amènent la Commission à conclure que le droit à la vie de Manuel Bolaños a été violé à la suite de l’incapacité du gouvernement d’accomplir son devoir qui était de respecter et de garantir le droit à la vie que reconnaît l’article 4 de la Convention américaine.

            Article 5

            38.       Les requérants affirment que les informations disponibles servent de base permettant de déduire que M. Bolaños fut torturé par les autorités alors qu’il était sous garde dans la base de Bala.  Dans leur dossier, les requérants indiquent sur la base des affirmations du commandant Villota que celui ci affirme qu’il avait été informé que M. BOLAÑOS était mort à la suite de l’interrogatoire et que le chef politique, M. Gutiérrez, lui avait conseillé de cacher le corps parce qu’une autopsie révélerait la véritable cause du décès.  Ces informations, affirment les requérants, prouvent qu’il y a eu des tortures.

            39.       Ces informations sur lesquelles se fondent les requérants ne sont pas contenues dans le dossier; le gouvernement n’a pas répondu non plus de façon directe et n’a pas contredit les fragments de cette soi-disant affirmation largement citée et mentionnée par eux.  Bien au contraire, le dossier renferme une affirmation du commandant Villota en date du 8 juillet 1986 dans laquelle il indiquait qu’il a été informé que les agents qui étaient allés chercher M. Bolaños pour l’amener dans la salle de l’interrogatoire et qu’à ce moment ils ont découvert qu’il était mort.  Le commandant fait observer que durant ces recherches, le personnel chargé de l’enquête lui a assuré que ni le mort ni d’autres détenus qu’ils avaient interrogés n'avaient subi de mauvais traitements physiques.  On n’indique pas quelles sont les personnes qui ont donné ces informations.  L’examen des affirmations des dix membres de la Marine qui sont contenues dans le dossier révèle qu’aucun déclarant ne s’est référé au traitement physique ni à l’intégrité physique des détenus.

            40.       Les accusations présentées par les requérants et communiquées au gouvernement à divers moments de la procédure donnent lieu à diverses allégations extrêmement graves.  Le gouvernement a fourni à la Commission des données qui bien qu’elles ne réfutent pas directement de telles allégations les contredisent en fait.  En outre, la Commission observe que l’enquête militaire n’a pas adopté les mesures voulues pour déterminer le traitement physique et les conditions du défunt.  Le dossier indique que durant l’enquête militaire on a pris la déclaration de dix personnes qu’on décrit comme étant membres du personnel militaire qui ont participé à la détention de M. BOLAÑOS.  Mais un seul déclarant , le commandant Villota, présente une affirmation au sujet de l’état physique de la victime.  Et cette affirmation ne se fonde pas sur ses propres connaissances mais sur des données soi-disant reçues de sources qui ne sont identifiées.  Les neuf autres déclarant ne semblent pas avoir eu connaissance personnelle du traitement physique ou de la condition de la victime.

            41.       Les données concernant cette question dans le dossier ne suffissent pas comme base permettant à la Commission d’évaluer le traitement donné à M. Bolaños.  La Commission ne peut non plus arriver à une conclusion à partir des accusations des déclarants.  Il faut néanmoins faire observer que le fait que les données soient insuffisantes indiquent une fois de plus l’incapacité du gouvernement en espèce de procéder à une enquête satisfaisante au sujet des violations supposées des droits de l’homme.

            Article 8

            42.       Dans l’article 8.1 la Convention américaine déclare que toute personne a “droit à ce que sa cause soit entendue, avec les garanties voulues et dans un délai raisonnable, par un juge ou un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi antérieurement par la loi ... qui déterminera ses droits et obligations en matière civile ainsi que dans les domaines du travail, de la fiscalité et dans tout autre domaine”.  Le droit à une procédure judiciaire indépendante et impartiale entraîne non seulement le droit à avoir certaines garanties observées dans une procédure déjà instituée; il comporte également le droit à avoir accès aux tribunaux qui peut être décisif pour déterminer les droits d’un individu ou dans le cas de procédure pénale dans laquelle on refuse à la partie lésée la possibilité d’accuser.  Le droit de la partie affectée de porter une accusation en jugement pénal  est reconnu par le système juridique de l’Equateur.  En effet, le chapitre V du Code de procédure pénale de ce pays définit les conditions dans lesquelles les victimes, leurs représentants légaux ou les membres immédiats de leurs familles pourront présenter une accusation de caractère pénal.  En l’espèce on a empêché la famille de la victime d’exercer le droit de participer à un procédure pénale contre les responsables de l’arrestation illégale, de la détention illégale et de la mort de Manuel Bolaños, étant donné qu’on ne leur a pas permis d’avoir accès à toutes les informations pertinentes concernant cette accusation.  Après de nombreuses consultations informelles et formelles, ils ne sont pas parvenus à obtenir la moindre information sur le lieu où se trouvait Manuel Bolaños.  Quand la famille a été informée par des voies non officielles (voir le paragraphe 3.a ci-dessus) de la mort de M. Bolaños, l’affaire faisait l’objet d’une enquête pénale militaire.  Les requérants ont demandé  d’examiner le dossier ou de connaître les décisions prises à l’égard de l’instance, mais il leur a été impossible de savoir où en était l’enquête.

            43.       L’article 17 du Code de procédure pénale de l’Equateur déclare: “les sentences exécutoires des procédures pénales ont l’effet de la chose jugée en ce qui concerne une action civile, uniquement quand elles déclarent qu’il n’y a pas d’infraction; ou quand il y en a une, déclarent que l’inculpé n’est pas coupable de celle-ci.  On ne peut donc demander une indemnité civile s’il n’y a pas de sentence pénale ferme déclarant une personne responsable pénalement de l’infraction”.  Par conséquent, comme il n’est pas possible de déterminer judiciairement la responsabilité pénale parce que les organes judiciaires compétents n’ont pas enquêté dans l’affaire de Manuel Bolaños et comme on n’a pas permis à la famille d’avoir accès à toutes les informations pertinentes, on a également rendu impossible l’option d’indemnité civile.

            44.       De même, la Commission rappelle que l’article 8 stipule que la personne qui souhaite exercer son droit d’être entendue par un tribunal compétent doit pouvoir le faire dans un délai raisonnable.  L’enquête effectuée par le tribunal pénal militaire a été entreprise le 29 octobre 1985 et s’est terminée le 31 mai 1989.  Etant donné les éléments de l’instance et le caractère insuffisant des mesures adoptées durant l’enquête, il est clair que ce retard de près de quatre ans de la procédure légale n’était pas raisonnable.

            Article 25

            45.       Le Gouvernement de l’Equateur n’a pas rempli son obligation de fournir un recours simple, rapide et efficace à la famille de la victime pour qu’elle puisse faire valoir ses droits.  La famille de Manuel Bolaños a droit à connaître la vérité sur ce qui s’est passé, sur les circonstances de sa détention et de sa mort et à savoir où se trouve ses restes.  En effet, l’Etat a l’obligation d’utiliser tous les moyens dont il dispose pour procéder à une sérieuse enquête au sujet des violations commises dans le cadre de sa juridiction afin d’identifier les responsables (Voir affaire Velásquez Rodríguez, décision du 29 juillet 1988, paragraphe 166).  La Commission a établi que les victimes et les membres de leurs familles ont droit à une enquête judiciaire effectuée par un tribunal pénal désigné pour établir la responsabilité et punir les auteurs de violations des droits de l’homme (Voir en général les rapports numéros 28/93 (Argentine) et 29/92 (Uruguay), rapport annuel 1992-1993).

            46.       Il semble que les organes judiciaires compétents pour enquêter sur des faits tels que ceux de l’instance qui nous concerne n’ont chargé des agents de l’Etat d’effectuer une enquête sur l’arrestation de M. Bolaños, sur sa détention et sa mort alors qu’il était sous garde.  L’enquête effectuée par les autorités de la marine a duré environ trois ans et sept mois, mais n’a pas épuisé toutes les mesures possibles pour obtenir la vérité.  Bien que le gouvernement ait été en possession d’informations que la famille avait le droit de connaître, y compris des renseignements sur le lieu où avait été gardé M. Bolaños, les circonstances de son décès et l’emplacement de ses restes, ni les familles ni les requérants n’ont reçu la moindre information sur ces questions.  L’absence d’une enquête effectuée par des autorités compétentes impartiales, le retard et l’insuffisance de l’enquête qui a été réalisée ainsi que le manque d’informations fournies par l’Etat représentent une grave violation des droits de la famille à un recours judiciaire rapide et efficace.  Le retard et l’insuffisance de tous les efforts de l’Etat pour procéder à une enquête sur les graves allégations présentées par les familles par les voies de la juridiction nationale les ont véritablement empêchées d’exercer leur droit à la justice et leur droit à connaître la vérité sur ce qui était arrivé à Manuel Bolaños.

            47.       Les droits que reconnaissent les articles 8 et 25 de la Convention, c’est-à-dire, respectivement, les droits à un jugement juste et au recours à des remèdes judiciaires ainsi que l’obligation qu’a le gouvernement, en vertu de l’article 1, de procéder à une enquête, exigent que les autorités responsables de l’intervention juridique soient compétentes, indépendantes et impartiales.

            48.       Le gouvernement a l’obligation de mener à bien une enquête complète, indépendante et impartiale sur toute violation présumée du droit à la vie.  Cette obligation est inhérente au devoir qu’a le gouvernement de protéger les droits de l’homme que reconnaît la Convention américaine. Quand l’Etat permet que les enquêtes soient effectuées par des organes qui pourraient être impliqués, l’indépendance et l’impartialité se trouvent clairement compromises.  Les procédures légales sont donc inopérantes pour effectuer l’enquête et fournir les informations et le remède qui sont censés être disponibles.  En l’occurrence, les autorités militaires ont effectué l’enquête sur quelques faits qui semblaient impliquer une responsabilité de la part des membres de leur organisation et de l’organisation elle-même.  Les autorités militaires n’avaient pas l’autorité légale d’exercer ces fonctions et ne pouvaient absolument pas agir avec l’indépendance et l’impartialité nécessaires.  Il est instructif d’indiquer à ce propos que tous les témoins qui devaient présenter un témoignage dans la procédure pénale militaire étaient des membres de l’organisation militaire.  Une disposition de ce genre a pour conséquence que les responsables présumés se situent en dehors du cours normal du système  légal.  Ce genre d’impunité de fait entraine la corrosion de l’Etat de droit et viole les principes de la Convention américaine.

            III.         CONCLUSIONS

            1.         Le rapport 6/95 a été approuvé par la Commission le 17 février 1995 durant sa 88e Session, et a été transmis au gouvernement le 9 mars 1995.  La Commission a demandé que le gouvernement lui fasse connaître les mesures qu’il avait adoptées pour donner suite aux recommandations contenues dans son rapport et cela dans un délai de 60 jours.  La réponse reçue portait la date du 21 août 1995 et indiquait qu’on n’avait pas adopté les mesures recommandées.  Le gouvernement a affirmé que même dans l’hypothèse où Manuel Bolaños serait mort à la suite de tortures, la responsabilité incomberait aux individus arrêtés et non pas à l’Etat.  C’est pourquoi la Commission juge bon de rappeler au Gouvernement de l’Equateur le principe essentiel suivant: La responsabilité de l’Etat est engagé en vertu de la Convention américaine chaque fois que la violation d’un droit protégé par celle-ci est commise à la suite d'un acte de l’autorité publique ou par des personnes investies de cette autorité; chaque fois qu’une violation est commise avec l’assentiment ou l’appui du gouvernement; chaque fois que le gouvernement n’impose pas les mécanismes juridiques appropriés en cas de violation et chaque fois que le gouvernement n’adopte pas les mesures nécessaires pour empêcher cette violation.  En conséquence et en l’occurrence, la Commission a statué que le Gouvernement de l’Equateur est responsable de la privation de liberté et de la mort de Manuel Bolaños et est coupable de n’avoir pas réagi en présence de ces violations comme le prévoit la loi; ce faisant, il n’a pas rendu justice à la famille de la victime.

            2.         La victime, Manuel Bolaños, est morte alors qu’elle était sous la garde de l’Etat.  Or, le gouvernement n’a pas remis son cadavre ni expliqué pourquoi il ne le faisait pas.  Ce fait perpétue la violation du droit qu’a la famille de connaître la vérité au sujet du sort de Manuel Bolaños.  Le fait que la famille ne puisse donner une sépulture appropriée à l’un de ses membres revêt une importance inestimable dans le cadre de la vie familiale.  Ce droit, qui a un sens profond et intime, continue à être refusé à la famille Bolaños.  La Commission continuera à demander des informations à ce propos jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite que les restes de Manuel Bolaños ont été retrouvés et remis.

            3.         Enfin, il faut indiquer que dans sa présentation du 21 août 1995, le gouvernement a assuré que le bureau du procureur prendrait les mesures nécessaires, par l’intermédiaire du procureur général d’Esmeraldas, pour savoir si les archives du tribunal de la troisième zone navale contenaient d’autres informations relatives à l’emplacement des restes de Manuel Bolaños.  Le rapport 6/95 demandait que ce genre d’informations soient immédiatement communiquées à la famille.  Le fait que le gouvernement puisse être en possession d’informations importantes et qu’il ne les ait pas encore communiquées à la famille est inexcusable et doit être immédiatement corrigé.

            4.         Sur la base des informations et des observations reçues, la Commission interaméricaine des droits de l’homme statue que l’Etat de l’Equateur a violé les articles 4, 7, 8 et 25 de la Convention américaine et n’a pas donné suite à l’obligation que prévoit son article 1.

           5.       La Commission recommande au Gouvernement de l’Equateur que:

a.       Il entreprenne rapidement une enquête impartiale et efficace à propos des faits dénoncés afin de pouvoir préciser les circonstances dans lesquelles ils se sont produits et d’identifier et de poursuivre les responsables.

b.       Il fasse immédiatement savoir à la famille de Manuel Bolaños où se trouvent les restes de ce dernier et lui permette ainsi de leur donner leur dernière sépulture.

c.       Il répare les conséquences de la situation qu’a créé la violation des droits précités et verse une juste indemnité aux parties lésées à la suite des violations précitées.

LA COMMISSION INTERAMERICAINE DES DROITS DE L’HOMME,

DECIDE:

            6.         De publier le présent rapport dans son rapport annuel à l’Assemblé générale de l’Organisation des Etats Américaines conformément à l’article 51 de la Convention américaine et à l’article 48 de son règlement, étant donné que le Gouvernement de l’Equateur n’a pas adopté dans le délai prévu les mesures stipulées pour redresser les violations dont il a été question.                         

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