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RAPPORT Nº 13/96 AFFAIRE 10.948 EL SALVADOR 1er mars 1996
I. FAITS ALLEGUES DANS LA
PLAINTE
1. Les requérants alléguent la
violation des droits de l’homme par l’Etat d’El Salvador à propos de
diverses personnes liées à COMADRES[1]
sur la base de divers faits qui se sont déroulés de 1980 à 1989.
2. Les requérants ont fondé leurs
affirmations sur les faits suivants:
1. En
1980, des agents du Gouvernement salvadorien ont assassiné Ana Delmi González,
fille de Sofía Escamilla, membre de COMADRES.
Le corps portant des signes de torture et de viol fut trouvé à
Puerto del Diablo dans un cimetière clandestin qui est généralement
utilisé par les forces de sécurité du Salvador pour
y abandonner des cadavres.
2. En
juillet 1980, une bombe a endommagé des fenêtres et des portes du siège
de l’institution.
3. Le
12 juin 1985, des forces de sécurité de l’Etat ont pénétré dans le siège
de COMADRES et ont prélevé sélectivement des informations au sujet de cas
de violations des droits de l’homme, y compris des photographies et les
noms de personnes liées à ces affaires.
4. Le
9 juillet 1985, María Ester Grande a été arrêtée par des membres de la
police nationale vêtus en civil dans la Colonia Morán - Santo Tomás; ces
agents se déplaçaient dans une jeep Cherokee portant les plaques minéralogiques
4031; la personne arrêtée fut obligée de regarder son fil Héctor Javier
Grande Arbel, soldat de l’armée salvadorienne (quartier San Carlos) être
frappé et maltraité.
5. En
1986 la police fiscale a arrêté et torturé Gloria Alicia Galán.
6. Le
6 mai 1986, des agents de police en civil ont séquestré María Teresa
Tula, qui était alors enceinte de sept mois et l’ont amenée dans un
endroit inconnu où elle fut torturée pendant trois jours, frappée avec
une arme contondante, bourrée de coups et violée par trois hommes qui
l’ont interrogée à propos de ses activités à COMADRES.
Le 8 mai suivant, elle fut libérée dans le Parc Cucatlán.
7. Le
28 mai 1986, María Teresa Tula fut arrêtée par la police fiscale après
avoir été dénoncée par Luz Janet Alfaro comme membre du groupe de guérilla
Résistance Nacional. Durant sa
détention, elle fut frappée, privée de sommeil et, à condition qu’elle
“coopère”, s’est vue offrir de l’argent et la protection de la
police fiscale; elle fut gardée dans les locaux de cette police pendant 12
jours avant d’être mise en prison.
8. Le
28 mai 1987, une bombe a éclaté à l’intérieur du siège de COMADRES,
blessant Angela López, membre de cette institution, et sa fille Margarita López
et en endommageant sérieusement l’immeuble.
9. Le
3 septembre 1987, à une heure de l’après-midi, Gloria Alicia Galán et
Lucía Vázquez, cette dernière également membre de COMADRES, furent séquestrées
par des hommes en civil qui étaient fortement armés. Gloria Alicia est restée cinq jours entre les mains de la
police fiscale, qui l’a torturée et lui a fractué le crâne. Lucía Vázquez fut torturée psychologiquement: on l’a
menacée de tuer ses fils si elle ne signait pas une confession
extrajudiciaire. 10.
Le 7 décembre 1988, Marta Salmeron, membre de COMADRES, fut arrêtée
par des membres de la première brigade d’infanterie. 11.
A sept heures du matin, le 19 avril 1989, Gloria Alicia Galán,
membre de COMADRES, fut arrêtée par des hommes fortement armés vêtus en
civil; à neuf heures trente du matin, le même jour, sa soeur, Martha
Ofelia Galán, qui n’est pas membre de COMADRES, fut également arrêtée
par la garde nationale.
12. Le
31 octobre 1989, une grande partie des bureaux de COMADRES furent détruits
ainsi que les archives de l’institution, par un autre attentat à
l’explosif, qui blessa trois membres de COMADRES.
L’attentat fut attribué aux forces militaires salvadoriennes par
Brenda Hubbard, citoyenne des Etats-Unis, qui compte parmi les blessées.
13. Le
15 novembre 1989, des forces de sécurité salvadoriennes ont pénétrées
de force dans les bureaux de COMADRES.
Neuf membres de COMADRES furent arrêtées et forcées de poser pour
une photographie avec le drapeau du groupe de guérilleros FMLN.
Toutes les femmes eurent les yeux bandés et furent emmenées les
menottes aux mains à la police fiscale.
Brenda Hubbard et Eugenie Terrill, citoyennes des Etats-Unis et les
autres salvadoriennes qui avaient été arrêtées furent battues.
Les citoyennes nord-américaines furent libérées au bout de 53
heures, mais les salvadoriennes ont passé quatre mois en détention illégale.
3. Durant l’audience devant la
Commission, le 31 janvier 1992, se sont présentées América Sosa et María
Teresa Tula, membres de COMADRES et victimes dans la présente affaire.
Durant cette audience, la Commission a pu entendre directement leur
version des faits allégués et compléter ainsi les informations écrites
qu’elle avait reçues auparavant. Les
requérants ont redit que: Cette ONG
[COMADRES] est l’objet de diverses attaques et de harcèlement de la part
du gouvernement en raison des activités qu’elle effectue.
De même, ses membres sont l’objet d’une persécution constante
de la part des forces armées.
II.
LES REQUERANTS ALLEGUENT LA VIOLATION DE:
4. En particulier, se fondant sur la
Convention américaine relative aux droits de l’homme, les requérants allèguent
la violation du droit à la vie (article 4), du droit à l’intégrité de
la personne (article 5), du droit à la liberté personnelle (article 7), à
la protection de l’honneur et de la dignité (article 11), à la liberté
de pensée et d’expression (article 13), du droit à la propriété privée
(article 21) et aux garanties judiciaires (article 25).
III. DEMARCHES
DEVANT LA COMMISSION
5. Le 1er juin 1991, la requête a
été présentée à la Commission interaméricaine des droits de l’homme.
Le 19 septembre 1991, les éléments pertinents de la requête ont été
transmis au Gouvernement du Salvador en lui demandant de fournir des
informations dans un délai de 90 jours.
6. Le 31 janvier 1992, la Commission
a reçu en audience América Sosa et María Teresa Tula en qualité de
membres de COMADRES et de victimes des faits dénoncés.
Le 1er décembre suivant, les requérants ont demandé à la
Commission de prendre une décision en l’affaire.
Le 21 décembre 1992, la Commission a demandé de nouveau des
informations au Gouvernement du Salvador dans un délai de 30 jours en
l’avertissant de l’application éventuelle de l’article 42 de son règlement.
L’Etat salvadorien n’a pas donné la moindre réponse.
7. Le 13 mai 1994, les requérants
ont demandé de nouveau à la Commission de prendre une décision en
l’affaire, vu le manque de réponse du gouvernement.
8. Le 16 février 1995, la
Commission s’est mise à la disposition des parties pour rechercher un règlement
de l’affaire à l’amiable, conformément à l’article 48 de la
Convention américaine. Cette
étape est arrivée à son terme sans que les parties aient abouti à un
accord.
IV. ELEMENTS
AVANCES A PROPOS DE L’ADMISSIBILITE
EPUISEMENT DES RECOURS INTERNES
9. Les requérants affirment qu’il
n’est pas nécessaire d’épuiser les recours internes étant donné que,
durant la période pendant laquelle les faits ont eu lieu,
l’administration de la justice n’offrait pas les garanties nécessaires
pour pouvoir remplir les conditions prévues par la Convention américaine
et que, les exceptions prévues par l’article 46 (2) a et b de la
Convention américaine sont donc applicables.
10. La Commission observe qu’il n’y a pas
dans le dossier des éléments qui contredisent les affirmations des requérants
et que, bien au contraire, il existe des raisons suffisantes pour les
accepter. La Commission s’est prononcée à plusieurs reprises au
sujet des graves problèmes que présentait l’administration de la justice
au Salvador durant la période en question.[2]
11. De même, la Commission a recueilli des
informations contenues dans le rapport de la Commission de la vérité pour
le Salvador où il est établi que “le Gouvernement du Salvador n’a pas
accompli son devoir de garantir les droits de l’homme dont les membres
....[de COMADRES] ... jouissent en tant qu’individus et en tant que
membres” de cet organisme[3].
C’est pourquoi la Commission conclut qu’il faut appliquer
l’article 46 (2) a et b puisqu’il est inutile d’essayer d’épuiser
les recours internes.
12. La Commission estime que la requête remplit
les autres conditions d’admissibilité définies par les articles 46 et 47
de la Convention américaine.
V ANALYSE
CONSIDERATIONS AU FOND
13. La Commission estime d’importance capitale,
en premier lieu, de citer la jurisprudence de la Cour interaméricaine des
droits de l’homme au sujet de la responsabilité de l’Etat, qui subsiste
indépendamment des changements politiques qui interviennent à l’intérieur
des sociétés; cette jurisprudence est pleinement applicable à la
situation du Salvador: Selon le
principe de droit international concernant l’identité et la continuité
de l’Etat, la responsabilité subsiste en toute indépendance des
changements de gouvernement au cours du temps, et de façon concrète entre
le moment où est commis le fait illicite qui engendre la responsabilité et
celui où celle-ci est déclarée. Cette considération est également valable dans le domaine
des droits de l’homme bien que, du point de vue moral ou politique, le
nouveau gouvernement soit beaucoup plus respectueux de ces droits que le
gouvernement qui existait à l’époque où se sont produites les
violations[4].
14. Il est important de rappeler également que
l’article 1.1 de la Convention américaine relative aux droits de
l’homme déclare que “les Etats parties s’engagent à respecter les
droits et libertés reconnus par la Convention et à en garantir le libre et
plein exercice à toute personne relevant de leur compétence, sans aucune
distinction fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la
religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou
sociale, la situation économique, la naissance ou toute autre condition
sociale”.
15. C’est pourquoi, la Commission a tenu compte
de ce que la Cour interaméricaine des droits de l’homme, à propos des
devoirs incombant aux Etats qui comme le Salvador, ont ratifié la
Convention américaine relative aux droits de l’homme, a indiqué: L’article 1.1
est fondamental pour déterminer si une violation des droits de l’homme
reconnus par la Convention peut être attribuée à un Etat partie.
En effet, cet article donne aux Etats parties les devoirs
fondamentaux de respect et de garantie si bien que toute atteinte aux droits
de l’homme reconnus par la Convention qui peut être attribué, selon les
règles du droit international, à l’action ou à l’omission d’une
autorité publique, constitue un fait imputable à l’Etat qui engage sa
responsabilité dans les termes prévus dans ladite Convention.[5]
16. Pour la Commission, outre l’obligation de
garantir les droits essentiels définis par la Convention américaine
relative aux droits de l’homme, l’Etat a, parmi les autres obligations découlant
de l’article 1.1 de la Convention, l’obligation particulière d’établir
la vérité dans les cas où une personne allègue que ses droits
fondamentaux ont été lésés. Cette
obligation a été mise en relief à diverses reprises par la Commission[6]
et acquiert une importance particulière en l’occurrence.
17. Vu cette situation, la Commission interaméricaine
des droits de l’homme, qui a le devoir de mettre un terme aux procédures
relatives aux situations dont elle est avisée, situations qui peuvent entraîner
une violation des droits fondamentaux des personnes, a averti le
Gouvernement salvadorien au sujet de l’application éventuelle de la présomption
de véracité que prévoit l’article 42 de son règlement, selon lequel: Sont présumés
vrais les faits exposés dans la requête dont les passages pertinents ont
été transmis au gouvernement concerné si dans le délai maximum imparti
par la Commission interaméricaine des droits de l’homme aux termes de
l’article 34, paragraphe 5, ce gouvernement concerné n’a pas fourni les
renseignements appropriés dans la mesure ou une conclusion opposée ne
ressorte de l’examen d’autres éléments d’appréciation.
18. Dans l’analyse de la requête qui lui a été
présentée, la Commission donne une importance particulière à la
jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, selon
laquelle “le silence du défendeur ou sa réponse vague ou ambiguë
peuvent être interprétés comme l’acceptation des faits de la requête,
tout au moins tant que le contraire ne ressort pas des éléments du dossier
ou ne résulte pas de la conviction judiciaire”,[7]
ce qui réaffirme les dispositions de l’article 42 du règlement de la
Commission.
19. La Commission estime que le requérant doit
fournir suffisamment d’informations pour qu’elle puisse effectuer
l’analyse prévue par les articles 46 et 47 de la Convention américaine
et par l’article 32 de son règlement, c’est-à-dire vérifier si le
requérant a rempli les conditions d’admission et d’admissibilité.
De même, la Commission doit évaluer la version des faits présentée
par le requérant conformément aux prescriptions de la Convention américaine
et de son règlement.
20. La Cour interaméricaine a défini de façon
implicite les critères qui doivent être employés pour apprécier la
version présentée par le requérant afin de voir s’il ”existe
effectivement d’autres éléments de conviction” susceptibles de
conduire à “une conclusion différente”.
Pour que la Commission puisse faire cet exercice, les critères de compatibilité[8]
et de crédibilité[9]
sont particulièrement pertinents. Une
troisième condition qui est absolument indispensable et qui se situe avant
l’analyse de la compatibilité et de la crédibilité est celle de spécificité
qui se déduit à titre de corollaire des deux premières conditions.
21. Pour voir si les faits conduisent à une
“conclusion différente”, la non-comparution de l’Etat ne peut obliger
les requérants à satisfaire une norme probatoire équivalente ou analogue
à celle à laquelle ils auraient due se soumettre au début si le
gouvernement avait apporté sa contribution.
Si l’Etat du Salvador avait comparu ou avait contesté la plainte,
les requérants auraient eu d’autres possibilités pour apporter des
preuves supplémentaires et/ou réfuter la réponse du gouvernement[10]
tandis que la Commission aurait eu la possibilité de participer au débat
litigieux et d’enrichir son appréciation des faits. Pour prendre une décision en la matière, la Commission ne
peut donc exiger un ensemble de preuves égal ou analogue à celui qui
serait exigé des requérants si le gouvernement avait comparu pour apporter
des preuves ou réfuter celles du requérant.
La Commission doit nécessairement se limiter aux éléments de
jugement qu’apporte le requérant ainsi qu’à d’autres éléments dont
elle dispose pour pouvoir élucider la question[11].
22. La Commission estime donc que les faits ne
sont pas présumés être certains par le seul fait de la non-comparution de
l’Etat, mais qu’il faut soumettre les faits allégués à une analyse en
fonction des critères qui sont établis ici[12].
Les requérants doivent donc remplir les conditions d’admissibilité
et les éléments minimums de compatibilité, de spécificité et de crédibilité
dans la version des faits qu’ils présentent pour qu’on puisse présumer
ces derniers comme étant certains.
VI. CONCLUSIONS
23. Les faits particuliers allégués par les
requérants acquièrent une importance particulière puisque, comme on l’a
dit, ils constituent la principale référence permettant de déterminer en
l’instance s’il existe “d’autres éléments de conviction”.
A cet effet, les critères de compatibilité, de spécificité et de
crédibilité prévus par la Commission et étayés et développés par
d’autres normes de droit international sont appliqués comme suit à
l’analyse des faits:
24. Sur la base des critères indiqués, la
Commission conclut: 24.1
Au sujet de la mort d’Ana Delmi González qui a eu lieu en 1980
(fait # 1), la version fournie par les requérants n’est pas suffisamment
spécifique. Elle ne mentionne ni le jour ni le mois où les faits se sont
produits. Pour pouvoir présumer
la véracité des faits et, par conséquent, la responsabilité
internationale de l’Etat, il est indispensable d’avoir une version détaillée
qui permette à la Commission d’effectuer une analyse des “autres éléments”,
en l’occurrence, des éléments chronologiques. 24.2
En ce qui concerne la bombe de juillet 1980 (fait # 2), on trouve des
versions divergentes dans les documents que le requérant a fournis à la
Commission. Alors que la
version d’América Sosa parle d’une bombe au mois de juillet 1980, une
autre version, celle de María Teresa Tula, parle de deux attentats en 1980:
le 13 mars et en septembre. Sur
la base de cette divergence de dates, il est impossible à la Commission de
présumer comme étant avérés
les faits pour lesquels il existe des incompatibilités importantes sur le
plan des dates où ils se sont produits. 24.3
En ce qui concerne la pénétration et le pillage des bureaux de
COMADRES le 12 juin 1985 (fait # 3), la Commission les considère comme
certains et estime qu’on a violé le droit à la propriété privée
(article 21) et à être libre d'ingérences arbitraires et abusive (article
11). La version des faits est
suffisamment détaillée pour permettre une analyse de la compatibilité et
de la crédibilité de la version. Il n’existe aucun élément que puisse utiliser la
Commission qui permette d’aboutir à une conclusion différente. 24.4
En ce qui concerne la capture de María Ester Grande et la torture à
laquelle elle fut soumise, ainsi que son fils (fait # 4), la Commission présume
comme certains les faits allégués et estime qu’on a violé le droit à
l’intégrité personnelle, physique et morale (article 5) de ces deux
victimes. Il existe une preuve documentaire suffisamment détaillée et
concordante qui lui donne la crédibilité.
Il n’existe aucun élément qui permette d’aboutir à une
conclusion différente. 24.5
A propos de la détention alléguée et de la torture de Gloria
Alicia Galán (fait # 5), la Commission ne peut les présumer comme
certaines, étant donné que la version présentée n’a pas suffisamment
de spécificité pour permettre le minimum d’analyse dont il a été
question plus haut. Elle
n’indique pas en particulier le jour ou le mois ou ont eu lieu les faits
allégués. 24.6
En ce qui concerne la séquestration et la torture en date du 6 mai
1986, dont il est question dans la requête (fait # 6), la Commission présume
ces faits comme étant véritables et estime qu’on a violé le droit à
l’intégrité de la personne (article 5) et le droit à la liberté de la
personne (article 7). Dans le mémoire
principal et les diverses communications publiés par COMADRES et par la
Commission non gouvernementale des droits de l’homme du Salvador (CDHES),
on trouve le nom de María Teresa Tula parmi les victimes des faits allégués;
Ceci est confirmé dans un troisième document détaillé appelé
“affidavit” qui porte la signature de la victime et qui donne un récit
détaillé des faits. 24.7
En ce qui concerne les événements du 28 mai 1986 qui ont été dénoncés
(fait # 7), la Commission présume comme certains les faits présentés et
estime qu’on a violé le droit à l’intégrité de la personne (article
5). La version des requérants est confirmée par une coupure du
journal “Los Angeles Times” du 24 septembre 1986, selon laquelle José
Napoleón Duarte, qui était alors Président du Salvador, a déclaré
qu’il procéderait à une enquête sur les événements, ce qui représente
un fait notoire et public qui corrobore la crédibilité de ces faits.
A la connaissance de la Commission il n’y a pas eu la moindre enquête. 24.8
En ce qui concerne l’attentat aux explosifs du 28 mai 1986, la
Commission présume comme certains les faits qui sont rapportés et estime
qu’on a violé le droit à la propriété privée (article 21) et le droit
à l’intégrité de la personne (article 5).
Pour la Commission, s’il est vrai que les requérants ne désignent
pas des agents de l’Etat comme ayant la responsabilité de cet attentat,
rien dans le dossier n’indique que l’Etat salvadorien ait effectué une
enquête à son propos. 24.9
A propos des faits présentés par les requérants comme ayant eu
lieu le 3 septembre 1987 (fait # 9), la Commission estime que la version
fournie dans le cas de Gloria Alicia Galán n’a pas les éléments
minimums de spécificité qui lui permettraient d’évaluer sa compatibilité
et sa crédibilité. Elle
mentionne qu’une des victimes présumées a eu le crâne fracturé durant
sa captivité mais ne fournit
aucune information supplémentaire, même minime, indiquant si elle a été
libérée où à quel genre de torture elle a été soumise ni des documents
de base tels que des certificats médicaux, par exemple, qui existent
normalement en pareil cas. 24.10 A propos
des faits qui se déroulés le 7 décembre 1988 (fait # 10), la Commission
estime que les informations fournies ne sont pas détaillées, ce qui
l’empêche d’effectuer une analyse de la compatibilité et de la crédibilité
de la version et d’établir l’existence et le type de violation qui est
alléguée. La Commission ne présume
donc pas ces faits comme certains. 24.11 A propos
des faits du 19 avril 1989 (faits # 11), la Commission estime que les
informations ne sont pas suffisamment détaillées pour pouvoir effectuer
l’analyse de la concordance et de la crédibilité de la version ou déterminer
l’existence et la catégorie de violation des droits de l’homme.
La Commission ne peut présumer que ces faits soient certains. 24.12 A propos
de l’attentat aux explosifs contre le siège de COMADRES, le 31 octobre
1989, la Commission présume comme étant certains les faits qui sont allégués
(fait # 12) et estime qu’on a violé les droits à l’intégrité de la
personne (article 5) et à la propriété privée (article 21).
Les faits allégués prennent pour base un compte rendu détaillé
d’América Sosa; ils sont confirmés par des coupures de journaux
concernant l’attentat. En
outre, la Commission se range aux conclusions de la Commission de la vérité
pour le Salvador qui, dans son rapport[13],
a établi l’existence d’une “preuve irréfutable que le Gouvernement
du Salvador n’a pas accompli son devoir de garantir les droits de
l’homme” des membres de COMADRES, et qu’il existe “une preuve
substantielle que les autorités compétentes du Salvador n’ont pas
effectué une enquête complète et impartiale” au sujet de l’attentat
contre le siège de COMADRES. 24.13 A propos
des faits qui ont eu lieu le 15 novembre 1989 (faits # 13), la Commission
les présume certains et estime qu’on a violé le droit à être traité
de façon digne (article 5.2) et à ne pas être soumis à des traitements
cruels, inhumains ou dégradants (article 5.1).
La version fournie par les requérants est suffisamment détaillée
pour établir qu’elle est concordante et cohérente.
25. La Commission rappelle en outre la conclusion
de la Commission de la vérité pour le Salvador selon laquelle il existe
“une preuve suffisante” d’une “pratique systématique et répétée
d’attentats contre la vie, l’intégrité physique et la liberté” des
membres de COMADRES.[14]
Ces conclusions ont été prises en compte par la Commission lorsqu’elle a
effectué l’analyse dont il vient d’être question; ces conclusions
servent de référence pour évaluer la crédibilité de la version des requérants
et établir en outre que la liberté d’association (article 16) a été
effectivement violée par l’Etat salvadorien.
26. On peut donc conclure, d’après la teneur
des éléments de jugement présentés dans les faits #3, 4, 6, 7, 8, 12 et
13 par les requérants, qu’il n’y a pas “d’autres éléments de
conviction” qui conduisent la Commission à une “conclusion différente”;
il convient de rappeler ce qu’a dit la Cour: Il est donc
clair qu’en principe on peut imputer à l’Etat toute violation des
droits reconnus par la Convention causée par un acte du pouvoir public ou
de personnes qui agissent en se prévalant des pouvoirs dont elles sont
imbues de par leur caractère officiel. Néanmoins, on n’épuise pas ici les situations dans
lesquelles un Etat est obligé d’empêcher les violations des droits de
l’homme, de procéder à une enquête et de les punir ni les hypothèses où
sa responsabilité peut être engagée du fait d’une atteinte à ces
droits. En effet, un fait
illicite qui viole les droits de l’homme et n’est pas directement
imputable, à priori, à un Etat, par exemple, parce qu’il s’agit de
l’acte d’un particulier ou parce qu’on n’a pas identifié l’auteur
de la transgression peut entraîner la responsabilité internationale de
l’Etat, non pas à cause de ce fait en soi mais parce qu’il y a eu
manque de diligence voulue pour empêcher la violation ou pour la traiter
dans les termes requis par la Convention[15].
27. Sur cette base, la Commission estime que la
garantie de la protection judiciaire (article 25) a été violée par
l’Etat salvadorien dans la présente affaire.
28. Par conséquent, étant donné que le
gouvernement n’a pas fourni à la Commission interaméricaine des droits
de l’homme des informations qui contredisent les faits dénoncés et
compte tenu de la dénonciation présentée à la Commission ainsi que de
l’absence de nouveaux éléments de jugement, la Commission a décidé de
considérer les faits comme étant certains et, par conséquent, a déclaré
la responsabilité de l’Etat salvadorien pour les violations dont il a été
question plus haut.
VII. RECOMMANDATIONS
29. La Commission formule donc les
recommandations pertinentes, confiante qu’elles seront mises en oeuvre de
façon satisfaisante par le Gouvernement du Salvador, sur la base de
l’article 50.3 de la Convention et de l’article 47 de son règlement: 1.
Effectuer une enquête rapide, impartiale et exhaustive à propos des
faits dénoncés, afin de préciser clairement les circonstances dans
lesquelles ils se sont produits, identifier les coupables et les soumettre
à la justice, pour qu’ils reçoivent les châtiments qu’exigent des
conduites aussi graves. 2.
Effectuer les réparations indispensables pour l’atteinte aux
droits mentionnés auparavant et verser une juste indemnité aux personnes
affectées ainsi qu’à leurs familles, selon le cas. 3.
Adopter des mesures nécessaires pour éviter que les faits ne se
reproduisent, en tenant compte en particulier des recommandations
que contient le rapport de la Commission de la vérité pour le
Salvador au sujet de l’administration de la justice et de celles
formulées par la Commission dans son rapport sur la situation des droits
de l'homme au Salvador. 4.
Demander au Gouvernement du Salvador qu’il fasse connaître dans un
délai de 90 jours les mesures adoptées conformément aux recommandations
contenues dans les paragraphes 1, 2 et 3.
VIII. TRANSMISSION
AU GOUVERNEMENT ET DECISION DE PUBLIER 30. Le rapport précédent a été dûment communiqué au Gouvernement du Salvador le 21 avril 1995, en lui donnant un délai de 90 jours pour donner suite aux recommandations. Comme ce délai s’est écoulé sans qu’on ait reçu de réponse du gouvernement, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a estimé durant sa 91e Session ordinaire que le Gouvernement du Salvador n’a pas pris les mesures suffisantes en fonction des recommandations précédentes et décide d’adopter ce rapport et de le publier dans son rapport annuel, conformément aux dispositions de l’article 51 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.
[1]
Le Comité des Mères "Monseñor Oscar Arnulfo Romero"
(COMADRES) est une organisation non gouvernementale constituée en 1977
pour aider les mères et les parents des victimes de disparition ou de
mort pour des raisons politiques.
[2]
Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport
sur la situation des droits de l’homme au Salvador,
OEA/Ser.L/V/II.85, doc. 28 rev., du 11 février 1994, pages 2, 3, 4, 5
et 6.
[3]
Nations Unies, Rapport de la Commission de la vérité pour le
Salvador, San Salvador - New York, 1993, page 99.
[6]
Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport
sur la situation des droits de l’homme au Salvador,
OEA/Ser.L/V/II.95, doc. 28 rev., du 11 février 1994, pages 80 et 81.
[8]
Affaire Velásquez Rodríguez, décision du 29 juillet
1998 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, paragraphe
143. L’examen de la
compatibilité est un exercice logique et rationnel qui compare les
informations fondamentales fournies par le requérant afin d’établir
qu’il n’y a pas de contradiction entre les faits et/ou les preuves
présentées.
[9]
Affaire Velásquez Rodríguez, (décision du 29 juillet
1988) dans laquelle au paragraphe 146, la crédibilité des faits est établie
sur la base de l’appréciation de la version présentée y compris sa
compatibilité et sa spécificité pour évaluer les preuves apportées
et en tenant compte des faits publics ou notoires et d’autres
informations que la Commission juge pertinentes.
[11]
Il est important de mentionner que la Commission a rappelé à
plusieurs reprises l’existence d’une grave situation des droits de
l’homme au Salvador entre 1980 et 1989 (Commission interaméricaine
des droits de l’homme, Rapport sur la situation des droits de
l’homme au Salvador , OEA/Ser.L/V/II.85, doc. 28 rev., du 11 février
1994, pages 1 à 6). De même,
le Rapport de la Commission de la vérité pour le Salvador, en
1993, contient des informations pertinentes pour l’affaire actuelle,
mais uniquement à propos de l’un des faits (voir fait ci-dessus #12
bombe au siège de COMADRES le 31 octobre 1989).
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