COMMUNIQUÉS DE PRESSE

 

N° 10/94

 

COMMUNIQUE DE PRESSE

 

          La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) de l'Organisation des Etats américains a considéré lors de sa 85ème période de sessions (du 31 janvier au 11 février 1994), la situation des droits de l'homme en Haïti et a décidé d'effectuer une visite in loco dans ce pays.

 

          Le but de la visite est de continuer à observer la situation des droits de l'homme en Haïti et évaluer l'exercice et le respect de ces droits en accord avec la Convention américaine relative aux droits de l'homme dont Haïti est partie, et formuler les recommandations que la Commission considère nécessaires.

 

          La Commission réalisera ladite visite entre le 16 et le 20 mai 1994.  La Délégation spéciale de la CIDH sera composée des personnes suivantes : Dr. Patrick Robinson, Prof. Claudio Grossman et Amb. John Donaldson, membres de la Commission.  La Délégation sera assistée du Dr. Edith Márquez, Secrétaire Exécutive de la CIDH, Dr. Bertha Santoscoy-Noro, Spécialiste des droits de l'homme, (déjà en Haïti), les Drs. Relinda Eddie et Isabel Ricupero.  M. Serge Bellegarde du Service de traduction et Mme Ana Cecilia Adriazola, secrétaire de la CIDH.

 

          Durant le déroulement de sa mission, la Délégation espère avoir des entrevues et obtenir des informations des représentants de tous les secteurs de la société haïtienne, pour avoir une meilleure compréhension de la réalité des droits de l'homme en Haïti.

 

          La Commission logera à l'Hôtel Villa Créole et sera à la disposition de toutes les personnes qui désirent présenter des dénonciations individuelles de violations des droits de l'homme, le mercredi 18 mai, de 14h à 16h.

 

          A la fin de la visite, la Commission tiendra une Conférence de Presse à l'Hôtel Holiday Inn le 20 mai à 10:30.

 

          Port-au-Prince, le 11 mai 1994.

 


No. 11-94

 

 

COMMUNIQUE DE PRESSE

 

          La Commission interaméricaine des droits de l'homme a décidé, lors de sa 84e Session tenue en février 1994, d'effectuer une visite in loco en Haïti, face à l'aggravation de la situation des droits de l'homme dans ce pays.  La visite d'observation s'est déroulée du 16 au 20 mai 1994.

 

          La délégation était composée du Dr. Patrick Robinson, de l'Ambassadeur John Donaldson et du Professeur Claudio Grossman, membres de la Commission.  Elle était assistée des Dr. Edith Márquez Rodriguez, secrétaire exécutive de la CIDH; du Dr. Bertha Santoscoy, Relinda Eddie et Isabel Ricupero, avocates de la Commission; de Serge Bellegarde, interprète de l'OEA et de Mme Ana Cecilia Adriazola, secrétaire de la délégation.

 

          C'est aujourd'hui que prend fin la visite de la Délégation spéciale de la CIDH qui s'est déroulée dans le cadre de sa compétence prévue par la Convention américaine relative aux droits de l'homme à laquelle Haïti est partie.

 

          Durant son séjour en Haïti, la délégation s'est réunie avec les personnalités suivantes:  le Premier Ministre Robert Malval accompagné des Ministres Victor Benoit, Rosemont Pradel, Louis Déjoie II, Berthony Berry; l'Ambassadeur Colin Granderson, directeur de la Mission civile OEA-ONU et M. Tiebilé Dramé, membre de la Mission; le Nonce apostolique, Monseigneur Lorenzo Baldisseri; le Président de la Chambre des Députés, M. Frantz Robert Mondé et le Président du Sénat, M. Firmin Jean-Louis.  La Délégation a sollicité également une réunion avec le Chef des Forces Armées d'Haïti, le Général Raoul Cédras et les membres de l'Etat-major, ainsi qu'avec le Chef de la Police, le Lieutenant Colonel Michel François.  Elle n'a reçu aucune réponse à sa requête.

 

          La Délégation a aussi rencontré le coordinateur de l'ancienne Commission présidentielle, le Père Antoine Adrien, ainsi que les représentants d'organismes non gouvernementaux : organisations populaires de base, groupes des droits de l'homme et dirigeants de plusieurs partis politiques, en vue de recueillir des renseignements sur la situation des droits de l'homme dans le pays.  Elle s'est entretenue avec des représentants de la presse écrite et orale qui lui ont fourni des témoignages sur la situation de la liberté d'expression en Haïti.  La Délégation de la CIDH s'est également réunie avec des représentants du secteur industriel et des différentes églises.

 

          Faute d'autorisation, la Délégation n'a pas pu visiter le Pénitencier de Port-au-Prince, ce qui l'a empêché de s'informer directement de la situation des prisons et de la situation de l'instruction judiciaire des prisonniers.

 

          Durant son séjour, la Délégation de la CIDH a reçu d'abondants renseignements et elle a entendu en plusieurs occasions les témoignages de victimes de violations des droits de l'homme.

 

          La Délégation a pu vérifier la grave détérioration de la situation des droits de l'homme en Haïti depuis sa dernière visite en août 1993.  La Délégation dispose d'informations détaillées et crédibles sur les nombreuses violations du droit à la vie, les exécutions et les disparitions enregistrées durant ces quatre derniers mois.  La Délégation détient une documentation identifiant les noms et les circonstances concernant 133 cas d'exécutions extrajudiciaires entre février et mai de cette année et plus de 210 dénonciations de crimes de ce genre.

 

          La Délégation a aussi reçu des informations sur l'existence de cadavres sévèrement mutilés dans les rues de Port-au-Prince et a pu elle-même vérifier directement un cas de ce genre.  Les informations reçues par la Délégation indiquent que la perpétration de ces actes vise à terroriser la population.

 

          Devant ce tableau dramatique de corps humains dévorés par des animaux, la Délégation souligne l'importance de l'initiative du Premier Ministre Malval de solliciter l'appui d'organisations internationales pour enlever les cadavres, face à l'inaction des autorités de facto.

 

          En outre, la Délégation a été saisie de nombreuses dénonciations de détentions arbitraires, généralement accompagnées de tortures et de sévères bastonnades, perpétrées par des agents des Forces armées d'Haïti et par des groupes paramilitaires qui les aident, en particulier, les membres du Front révolutionnaire pour l'avancement et le progrès en Haïti (FRAPH), qui agissent en coordination avec les Forces armées et la Police.  La Délégation a vu directement des victimes de torture et a enregistré les circonstances dans lesquelles se sont passés ces faits.  La Délégation a reçu des informations relatives à 55 cas d'enlèvement et de disparitions pour des raisons politiques entre février et mars.  Depuis lors, 20 individus ont été relâchés et 11 ont été retrouvés morts.  A cette date, aucune information n'a pu être recueillie sur le sort des 24 autres personnes disparues.

 

          La Délégation a reçu de fermes preuves établissant qu'à Port-au-Prince, surtout dans les quartiers de Cité Soleil, Sarthe, Carrefour, Fonds Tamara et autres, des groupes paramilitaires armés, ont réalisé des incursions durant des heures avancées de la nuit, assassinant et dévalisant les habitants.  Dans ces quartiers, la majorité des habitants appuie le retour du Président Jean Bertrand Aristide.

 

          La Délégation a reçu des dénonciations révélant une augmentation du nombre et une brutalité accrue des violations des droits de l'homme à l'intérieur du pays, perpétrées par l'Armée, FRAPH et autres groupes paramilitaires qui aident les militaires (attachés).  La Délégation a obtenu des témoignages qui déterminent clairement la responsabilité de l'armée dans les massacres perpétrés contre des populations sans défense à Raboteau, Gonaïves, Département de l'Artibonite, le 22 mars dernier.  Dans cette zone, entre 15 à 20 habitants ont été exécutés, sans justification aucune.  La Délégation a reçu aussi des informations qui lui permettent de conclure que l'armée a attaqué des populations sans défense dans les Départements du Centre (Saut d'Eau), et du Nord (Borgne).

 

          Ces attaques comportent des caractéristiques similaires : de veritables campagnes militaires, au cours desquelles des unités de l'armée, assistées par le FRAPH et d'autres groupes paramilitaires, entourent les populations et font irruption dans les foyers sous prétexte de lutter contre des groupes subversifs.  Ils infligent des bastonnades sans discrimination aux habitants, allument des incendies, commettent des actes de destruction et de vol, suivis de détentions arbitraires.

 

          La Délégation a observé que la majorité des violations dénoncées suivent un modèle systématique de répression révélant un plan politique d'intimidation et de terreur contre la population haïtienne, particulièrement les secteurs qui appuient le Président Aristide ou qui se sont manifestés en faveur de la démocratie en Haïti.  Selon les informations reçues, les victimes sont enlevées et elles sont obligées de monter à bord de véhicules où elles sont menées, les yeux bandés, dans des centres de détention clandestins, où elles sont interrogées et torturées.  Quelques victimes ont été libérées, d'autres ont succombé aux sévères bastonnades qu'elles avaient reçues.

 

          La Délégation a reçu des dénonciations de viols et d'abus sexuels commis contre les épouses et les parents des partisans du régime démocratique.  Lorsque ces derniers ne peuvent pas être localisés par les militaires, des « attachés », ou membres du FRAPH, abusent des femmes et des jeunes filles qui sont présentes.  Ainsi, les abus sexuels sont utilisés comme un instrument de répression et de persécution politique.  Malgré la réticence des victimes à dénoncer ces crimes, la Délégation a reçu de fermes preuves relatives à 21 incidents de viols qui ont eu lieu de janvier à cette date.  Durant sa visite, la Délégation s'est entretenue directement avec 20 victimes de cette pratique horrible.  La communauté internationale a maintes fois reconnu le caractère universel des droits de la femme ainsi que le fait que les viol constitue l'un des crimes les plus importants contre de la femme.

 

          Compte tenu de la gravité de ces violations, la Commission accordera une importnce particulière à celles-ci dans le rapport qu'elle soumettra à la prochaine Session ordinaire de l'Assemblée générale de l'Organisation des Etats américains.

 

          Dans l'exercice des fonctions qui lui incombent aux termes de la Charte de l'OEA et de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, la Délégation a observé la situation des droits autres que ceux discutés antérieurement.

 

          En ce qui concerne le droit de réunion, la Délégation a conclu que l'exercice de ce droit est inexistant pour ceux qui appuient le rétablissement de la démocratie.  Lorsque des groupes d'individus essaient de l'exercer, ils sont détenus et brutalement frappés par les militaires et les agents de police.  Ils sont accusés d'organiser des réunions en faveur du Président Jean-Bertrand Aristide.  Un cas récent a été la détention arbitraire de 20 participants à une réunion consacrée à un cours de formation juridique organisé par le diocèse de Hinche, Département du Centre, le 29 avril; ils furent accusés d'être des terroristes.

 

          La Délégation souhaite faire part de la préoccupation que lui cause l'exercice du droit à la liberté d'expression.  L'information reçue permet de confirmer les restrictions auxquelles sont sujets les représentants de la presse et de la radio haïtiennes.  Ces restrictions les ont porté à pratiquer l'autocensure, au détriment de l'accomplissement de leurs fonctions qui consistent à maintenir le peuple haîtien informé.  La Délégation a écouté des témoignages concernant des actes d'intimidation et de répression exercés contre des professionnels qui exercent la profession de journaliste.

 

          En ce qui a trait aux problèmes des personnes déplacées (marron), la Délégation a pu constater que les activistes politiques, les dirigeants communautaires et de nombreux opposants des autorités de facto, ont dû opter pour une vie de fugitif dans leur propre pays, abandonnant leurs foyers et leurs familles.  La Délégation a reçu des renseignements convaincants indiquant que le nombre des personnes déplacées continue de s'accroître dans des proportions alarmantes; par conséquent, la communauté internationale doit donc s'intéresser directement à cette situation.

 

          La Délégation a été saisie de plaintes déposées par des citoyens haïtiens rapatriés ayant subi des persécutions et des violations de leur droit à l'intégrité physique et morale.  La Commission ouvrira des dossiers sur ces plaintes.

 

          Un élément commun mérite d'être retenu dans les violations dénoncées auprès de la Délégation : il s'agit de la faillite totale du pouvoir judiciaire ou d'autres mécanismes mis en place pour empêcher ou sanctionner les violations des droits de l'homme en Haïti.  Cette situation se traduit par l'impunité complète des auteurs de ces violations.

 

          La Délégation tient à souligner qu'en sa qualité d'organe chargé d'observer le respect des droits de l'homme contenus dans la Convention américaine relative aux droits de l'homme, elle ne saurait manquer de faire état des droits à la participation politique prévus à l'article 23.  La tentative d'installer un « gouvernement » en l'absence d'un suffrage populaire et à l'encontre de la Constitution haïtienne, constitue une violation flagrante des droits politiques du peuple haïtien.

 

          La Délégation veut consigner l'importance, le sérieux et l'objectivité avec lesquels la Mission civile OEA-ONU a exécuté ses travaux et établi ses rapports.  La Délégation déclare sa profonde préoccupation au sujet des actes d'intimidation et d'agression dont ont été l'objet, le 23 mars dernier, des membres de la Mission civile dans la région de Hinche (Plateau central), de la part de nombreux manifestants dirigés par des membres du FRAPH.  La Délégation condamne la passivité des autorités militaires de la zone qui n'ont pas mis fin à ces actes, ce qui souligne de nouveau la complicité ouverte avec les membres du FRAPH.

 

          La Délegation estime que, vu la gravité de la situation qui prévaut en Haïti, il est indispensable que le nombre des observateurs de la Mission civile OEA-ONU soit augmenté, de sorte qu'ils puissent continuer à couvrir le territoire national de manière plus adéquate.

 

          A titre de conclusion, la Délégation constate que le tableau général de la situation des droits de l'homme qui émane de ses observations révèle une très grave détérioration des droits de l'homme les plus essentiels dans le pays, dans le cadre d'un plan d'intimidation et de terreur contre un peuple sans défense.  La Délégation attribue la responsabilité de ces violations aux autorités de facto en Haïti.  Celles-ci ont un comportement permettant de porter à leur encontre des accusations de perpétration de crimes internationaux qui engendrent des responsabilités individuelles.

 

            La Délégation soumettra un rapport sur les résultats de cette visite à la Vingt‑quatrième session ordinaire de l'Assemblée générale qui aura lieu à Belem do Para (Brésil) au mois de juin prochain.

 

          La Délégation exprime sa gratitude aux differents secteurs et individus en Haïti qui ont appuyé sa visite.

 

          La Commission interaméricaine des droits de l'homme continuera d'observer la situation des droits de l'homme en Haïti, réalisera les visites qu'elle juge nécessaires dans l'exercice de ses attributions et tiendra l'Organisation des états américains et la communauté internationale informées de ses activités.

 

 

Port-au-Prince, le 20 mai 1994.

 


No. 17/94

 

COMMUNIQUE DE PRESSE

 

          La Commission interaméricaine des droits de l'homme réafirme les profondes inquiétudes que lui causent les violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme qui se produisent en Haïti à la suite de l'intensification de la répression exercée par les autorités qui détiennent illégalement le pouvoir dans ce pays.

 

          La Commission a effectué deux visites sur place et a présenté à l'Assemblée générale de l'OEA trois rapports spéciaux sur la situation des droits de l'homme en Haïti depuis le renversement du gouvernement constitutionnel du Président Jean-Bertrand Aristide, qui a été élu lors d'élections placées sous contrôle international et confirmées comme étant libres et justes.  Sur la base de son examen incessant de la situation haïtienne, la Commission a constaté récemment, entre le 16 et le 20 mai 1994, un nombre alarmant de violations des droits de l'homme qui sont directement liées à l'exercice illégal du pouvoir par les militaires haïtiens et par les fonctionnaires qu'ils ont nommés.  Pendant sa dernière visite, la Commission a confirmé que la situation des droits de l'homme en Haïti s'était sérieusement dégradée depuis sa dernière visite, qui avait eu lieu en août 1993, tandis que s'intensifiaient la brutalité et le nombre de violations des droits de l'homme commises par les militaires, les groupements paramilitaires et la police.  La Commission a également confirmé le manque total d'efficacité du pouvoir judiciaire et des autres mécanismes pour empêcher ou punir les violations des droits de l'homme en Haïti.  En consequence, les auteurs des violations agissent dans l'impunité absolue.

 

          La Commission se préoccupe aussi tout particulièrement du fait que la Mission civile internationale de l'OEA/ONU a été expulsée de Haïti le 11 juillet 1994.  En raison de la situation extrêmement grave des droits de l'homme en Haïti, la Commission souligne que le sérieux et l'objectivité des travaux et des rapports de la Mission ont permis de protéger quelques personnes et que les informations concernant les violations des droits de l'homme qu'elle a pu recueillir et diffuser ont été importantes pour les travaux de la CIDH.  L'expulsion de cette Mission prive le peuple haïtien d'un témoin des violations, et les institutions des droits de l'homme d'une source de données qui est indispensable pour leurs travaux.

 

          A la suite des récents événements, la Commission interaméricaine des droits de l'homme estime bon d'effectuer le plus rapidement possible une visite en Haïti, afin d'observer la situation des droits de l'homme, conformément à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, d'envisager les méthodes permettant de mettre un terme à ces violations et de trouver d'autres moyens d'obtenir des informations.

 

Washington, D.C., le 27 juillet 1994.

 


No 19/94

 

 

COMMUNIQUE DE PRESSE

 

 

          La Commission interaméricaine des droits de l'homme a suivi avec un souci croissant la dégradation continue de la situation des droits de l'homme en Haïti.  Les forces armées qui contrôlent le pays continuent de commettre des assassinats, de recourir à des disparitions forcées, à des tortures, à des viols, à des détentions illégales et à toute sorte d'actes violents contre la population sans défense.

 

          La situation s'est aggravée davantage encore à la suite de l'expulsion de la Mission civile OEA/ONU, qui fournissait constamment des informations à la communauté internationale et dont la présence à elle seule a opposé en certaines circonstances un frein à la violence des militaires.  L'assassinat récemment perpétré à froid du Père Jean-Marie Vincent est la dernière d'une série de violations graves qui ont été commises impunément.

 

          La Commission a l'intention de consacrer une partie de sa prochaine session, prévue en septembre 1994, à l'analyse approfondie de la situation en Haïti et aux mesures qu'elle pourrait prendre pour contribuer à restreindre les violations systématiques des droits de l'homme dans ce pays.

 

 

 

Washington, D.C., le 31 août 1994.


 

Nº 21/94

COMMUNIQUE DE PRESSE

 

          La Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) de l'Organisation des Etats Américains a considéré pendant sa 87ème période de sessions (du 19 au 30 septembre 1994), la situation des droits de l'homme en Haïti et a décidé d'accepter l'invitation du Gouvernement afin d'effectuer une visite dans ce pays.

 

          La Commission réalisera ladite visite entre le 24 et le 27 octobre 1994.  La Délégation spéciale de la CIDH sera composée des personnes suivantes:  Prof. Michael Reisman, Président de la CIDH; Dr. Patrick Robinson et Prof. Claudio Grossman, Membres de la Commission; Dr. Bertha Santoscoy-Noro, Spécialiste chargée des questions haitiennes, les Drs. Relinda Eddie, Isabel Ricupero et Meredith Caplan (déjà en Haïti).

 

          Le but de la visite est de continuer à observer la situation des droits de l'homme en Haïti et évaluer l'exercice et le respect de ces droits d'après la Convention Américaine relative aux Droits de l'Homme dont fait partie Haïti, et formuler les recommandations que la Commission considère nécessaires.

 

          Durant le déroulement de sa mission, la Délégation espère avoir des entrevues avec les représentants de tous les secteurs de la société haïtienne, pour avoir une meilleure compréhension de l'évolution de la situation des droits de l'homme en Haïti.

 

          La Commission sera à la disposition de toutes les personnes qui désirent présenter des dénonciations individuelles de violations des droits de l'homme, le mardi 25 octobre, de 10 a.m. à 12 hres à l'Hotel Villa Créole.           

 

          A la fin de la visite, la Commission tiendra une Conférence de Presse à l'Hotel Holiday Inn le 27 octobre à 9:00 a.m.

 

Port-au-Prince, le 19 octobre 1994


No.22-94

 

COMMUNIQUE DE PRESSE

 

          Lors de sa 87ème Session qui s'est tenue du 19 au 30 septembre 1994), la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) a accepté l'invitation du Gouvernement constitutionnel d'Haïti d'effectuer une visite in loco d'observation de la situation des droits de l'homme dans ce pays. Cette visite s'est déroulée du 24 au 27 octobre 1994.

         

          La Commission était composée du Professeur Michael Reisman, Président de la CIDH, de M. Patrick Robinson, du Professeur Claudio Grossman, membres de la Commission, du Dr. Bertha Santoscoy-Noro, spécialiste principale des droits de l'homme chargée des questions haïtiennes, des Drs. Relinda Eddie, Meredith Caplan et Isabel Ricupero, avocats au Secrétariat de la Commission. Serge Bellegarde a rempli le rôle de traducteur. Gloria Hansen et Cecilia Adriazola ont assuré les services de secrétariat et d'appui administratif.

 

          La visite de la Commission qui prend fin aujourd'hui, fait suite au mandat confié par la Convention américaine relative aux droits de l'homme à laquelle Haïti est partie.

 

          Durant sa visite, la Commission a rencontré le Président de la République, Jean-Bertrand Aristide, à qui elle a exprimé la profonde satisfaction que lui cause le rétablissement du régime démocratique dans le pays. La Commission a renouvelé son intérêt à maintenir sa collaboration à l'étude de toutes les questions qui relèvent de son mandat.

 

          La Commission a eu une entrevue avec le Chef des Forces armées, le Général Jean-Claude Duperval, en vue de s'informer des changements qui vont être opérés au sein de L'Armée et de la Police, conformément aux décisions qui ont été prises aux échelons international et national.

 

          La Commission a ensuite rencontré l'Ambassadeur Colin Granderson, chef de la Mission civile OEA-ONU, et M. Tiébilé Dromé, ainsi que les représentants diplomatiques des cinq amis d'Haïti: Argentine, Canada, Etats-Unis, France et Venezuela. De surcroît, la Commission s'est réunie avec des membres du Parlement, le coordinateur de l'ancienne Commission présidentielle, Père Antoine Adrien et le Maire de Port-au-Prince, M. Evans Paul.

 

          La Commission a aussi rencontré des représentants de groupes de droits de l'homme, d'organisations  de base ainsi que des dirigeants de partis politiques pour recueillir des renseignements sur la situation des droits de l'homme dans le pays. Par la suite, la Commission s'est entretenue avec des représentants de la presse parlée et écrite qui ont exprimé leurs points de vue sur la situation de la liberté d'expression en Haïti. La Commission s'est également réunie avec les représentants du Comité international de la Croix-Rouge, des syndicats, de la Chambre de commerce, du secteur industriel et de différentes dénominations religieuses.

 

          La Commission a visité le Pénitencier national à Port-au-Prince et s'est rendue dans les villes de Saint-Marc et Gonaives où elle a rencontré des victimes de violations de droits de l'homme qui ont été commises  durant la période de la dictature militaire. La Commission a visité les prisons des deux villes susmentionnées afin de recueillir directement des informations sur la situation légale, les conditions d'hygiène et d'alimentation des prisonniers, et sur les conditions des prisons en général.

 

          Durant son séjour en Haïti, la Commission a été saisie d'un fort volume de renseignements et a reçu de nombreuses plaintes de victimes de violations de droits de l'homme commises par le régime dictatorial.

 

          Depuis le 19 septembre 1994, date de l'arrivée de la Force multinationale (FM), il s'est opéré un processus de changement fondamental en Haïti. Ce changement revêt un caractère particulièrement dramatique comparativement à la situation observée par la Commission lors de la visite qu'elle avait effectuée au mois de mai dernier. La fin du régime dictatorial et le retour du Président constitutionnel Jean-Bertrand Aristide constituent des éléments essentiels du processus visant à mettre un terme au climat généralisé de terreur et de violations des droits de l'homme qui prévalait en Haïti.

 

          Le retour du Président a donné lieu à nombre de changements de portée considérable. A Port-au-Prince et dans les centres urbains les plus importants, la population est maintenant libre d'exprimer sous diverses formes son appui au régime constitutionnel. La liberté de parole, la liberté de la presse et d'association ont été ravivées après leur répression systématique durant la dictature. La CIDH a observé une reprise des activités politiques dans plusieurs régions du pays.

 

          En dépit des progrès significatifs enregistrés dans le pays, il subsiste encore de graves problèmes hérités de la dictature militaire.

 

          La  transition vers une société civile dotée d'une culture constitutionnelle pose un enjeu critique:  il s'agit du désarmement des groupes paramilitaires. Durant la dictature militaire, les groupes paramilitaires étaient armés et étaient responsables de plusieurs violations de droits de l'homme. Durant les semaines qui ont précédé l'arrivée de la force multinationale, la dictature militaire avait déclaré publiquement son intention de distribuer des armes à des forces irrégulières. A ce jour, la force multinationale a recouvré ce qui semble être un volume relativement réduit d'armes à travers le pays et des rapports ont été publiés indiquant l'existence de dépôts d'armes qui n'ont pas encore été identifiés. 

 

          La force multinationale a détruit les armes lourdes de l'Armée haïtienne qui avaient été utilisées dans le coup d'état. Cependant, les armes et l'appareil répressif de la dictature continue de jouer un rôle capital dans certaines régions du pays où la force multinationale n'a pas encore établi sa présence. La Commission a reçu des preuves qu'un état d'insécurité règne encore dans certaines zones de l'Artibonite, à Jacmel, à Petit-Goâve et à Desdunes, pour ne citer que ces quelques cas. Cette insécurité se manifeste par le "marronage" ainsi que le déplacement interne de personnes. Dans certains départements, les chefs de section poursuivent leurs activités en dépit du fait qu'ils aient commis des violations des droits de l'homme durant la dictature.

 

          Des témoins qui ont comparu devant la Commission et représentent un vaste éventail de positions et de perspectives ont admis que le désarmement des groupes paramilitaires doit constituer une étape essentielle et une condition préalable à l'édification d'une société civile axée sur la primauté du droit. La Commission évalue à leur juste mesure les difficultés que pose toute tentative de découvrir des dépôts d'armes, mais elle exhorte à un redoublement d'efforts à ces fins et une continuation énergique du processus de désarmement. La Commission note que la possession d'armes à feu est régie par la Constitution haïtienne, ce qui exige que les détenteurs de ces armes les déclare à la police.

 

          Il n'existe pas de force légitime de police en Haïti, ni un système judiciaire adéquat et efficient. L'ordre public repose sur la présence de la force multinationale. Bien que la modération et la retenue démontrées par le peuple haïtien à ce jour ont été extraordinaires, la force multinationale a dû en certaines occasions, exercé des fonctions de police lorsque se présentent des situations sérieuses et urgentes. Il s'est aussi posé une situation anormale où des Attachés et des Macoutes bien connus ont été appréhendés par la force multinationale et remis à la police haïtienne qui à son tour, les a mis en liberté. Suite à cet état de choses, le système n'a pas encore été en mesure de commencer à examiner les cas de ceux qui peuvent avoir pris part à des crimes internationaux et à des crimes contre l'humanité.

 

          Il a été généralement reconnu que l'établissement d'une force de police neutre, professionnelle et efficiente est une étape indispensable à franchir. La Commission a pris note avec satisfaction des plans élaborés pour la création d'une académie de police comme moyen de formation d'un corps professionnel. Mais il s'impose un besoin immédiat de l'établissement d'une force de police et d'un système judiciaire indépendants et efficaces. Il s'avère donc essentiel, en sus des efforts déployés pour mettre en place des institutions permanentes, qu'une force soit déployée immédiatement sur une base provisoire. Cette force doit bénéficier d'une légitimité et satisfaire les aspirations de la population pour l'instauration de l'ordre. Les critères les plus stricts devraient être appliquées par le Gouvernement haïtien dans le choix du personnel de police. Il n'est point besoin d'ajouter que la police dans un régime constitutionnel doit être assujetti à l'autorité civile.

 

          De même, au moment où l'élaboration de plans de restructuration du système judiciaire est en cours, il est urgent de concevoir des programmes de formation propres à aboutir à la mise en place d'un système judiciaire intérimaire. L'accent doit être mis sur les droits de l'homme, l'intégrité personnelle et l'engagement envers un système de gouvernement constitutionnel et la justice.

 

          Les conditions des prisons dont a hérité le gouvernement constitutionnel est en pleine crise. Le Pénitencier national devrait être fermé parce qu'il ne satisfait pas aux normes minimales internationales. A sa place, le gouvernement pourrait vouloir inviter des experts internationaux à l'aider à transformer l'un des camps militaires en un modèle national de prison, étant donné que de tels camps deviendront inutiles, compte tenu de la réduction proposée des forces armées. Une assistance internationale sera requise et la Commission exhorte la communauté internationale à prêter sa coopération. La Commission accueille avec satisfaction les plans de transfert de la juridiction des prisons aux autorités civiles. Mais les problèmes les plus urgents du régime carcéral doivent faire l'objet d'un examen immédiat. Dans deux des trois prisons visitées par la Commission, les prisonniers ne sont pas nourris par les autorités. Dans l'autre, ils reçoivent une maigre ration par jour. L'Etat doit nourrir ceux qui sont emprisonnés.

 

          Le Gouvernement constitutionnel a hérité d'un régime carcéral dans lequel des centaines de personnes ont été détenues, dans certains cas, pendant près de vingt mois, sans avoir comparu devant un juge. Ce fait constitue une violation de la Convention américaine relative aux droits de l'homme et de la Constitution haïtienne. La Commission estime qu'il est urgent d'établir une commission dès que le Ministre de la justice aura été ratifié, en vue de procéder immédiatement à un examen de la condition des personnes détenues dans les prisons.

 

          Un bilan des faits qui se sont produits durant la dictature militaire et en particulier un examen détaillé des violations des droits de l'homme dont ont été victimes la population haïtienne s'avère nécessaire si Haïti veut être en mesure de reconstruire sa société et son gouvernement. La Commission et la Cour interaméricaine des droits de l'homme ont maintenu que là où des violations des droits de l'homme ont été enregistrées, le gouvernement a pour obligation de mener une enquête, de déterminer les responsabilités et de publier les résultats pertinents. L'absence de procédures légales facilitant la réalisation de ces objectifs non seulement constitue une violation de la Convention américaine, mais  pose aussi un obstacle sérieux à l'apaisement de la société grâce à l'établissement de la vérité et de la réconciliation. On peut s'inspirer de plusieurs modèles pour satisfaire à cette obligation, que ce soit aux échelons national ou international et la Commission ne suggère aucun modèle en particulier. La Commission voudrait réitérer cependant que les enquêtes sur les violations des droits de l'homme sont une obligation qui ne peut être mise de côté.

 

          La Commission souhaite que le Gouvernement haïtien agisse sans délais pour créer aux termes d'une loi, une commission nationale de compensation composée de juristes haïtiens de renom pour connaître des revendications  d'Haïtiens qui allèguent avoir souffert de violations de leurs droits humains. Certains individus mêlés ou étroitement liés aux militaires sont présumés avoir pris part à la confiscation et à la saisie illégale de biens privés, un droit reconnu par la Convention américaine. Les revendications issues de ces actions devraient être entendues et faire l'objet d'une compensation dans les plus brefs délais. Toute nouvelle commission ainsi qu'un système judiciaire remanié devrait faire du Créole la langue de travail.

 

          La Commission tient à remercier le Président Aristide de l'invitation qu'il lui a faite de visiter Haïti. La Commission aimerait aussi remercier les autorités, organisations et personnes  qui lui ont prêté leur coopération durant sa visite.

 

          Dans le cadre des attributions qui lui confèrent la Charte et la Convention américaine, la CIDH continuera de mener ses activités de protection et de promotion des droits de l'homme. A ces fins,  elle offre sa coopération la plus entière au Gouvernement constitutionnel de la République d'Haïti.

 

Port-au-Prince le 27 octobre 1994

 

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