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LA
SITUATION DES DROITS DE L'HOMME EN HAITI
CONCLUSIONS
ET RECOMMANDATIONS 300.
L'exposé de l'évolution de la situation politique et des droits de
l'homme en Haïti durant l'année 1994 permet à la Commission interaméricaine
des droits de l'homme de conclure et de formuler les recommandations
suivantes: 301.
En premier lieu, elle souhaite indiquer que l'aggravation de la
situation des droits de l'homme durant les huit premiers mois dont traite le
présent rapport (janvier-août) a exercé un effet dévastateur sur la
population haïtienne en raison de la violence exercée par la dictature
militaire. 302.
Plus tard, avec le changement de la situation politique à la suite
de l'occupation militaire du pays par la Force multinationale, en vertu de
la Résolution 940 du Conseil de sécurité de l'ONU qui a permis la
reprise du pouvoir par le Président constitutionnel, Jean-Bertrand
Aristide, la Commission a observé le début de modifications fondamentales,
notamment à propos de la situation des droits de l'homme.
La fin du régime dictatorial a mis un terme au climat général de
terreur et de violation qui régnait en Haïti, a permis la reprise des
activités politiques dans de nombreuses régions du pays, tandis que la
presse jouissait d'une grande liberté.
Néanmoins, la Commission est consciente du fait que persistent de
graves problèmes hérités du régime militaire, problèmes que le
Gouvernement constitutionnel devra résoudre le plus rapidement possible,
pour qu'ils ne mettent pas en danger la jeune démocratie. 303.
La répression exercée de façon systématique par le régime des
militaires a essayé de supprimer tout genre d'activités organisées, le
droit d'expression et de réunions et toute activité de soutien au régime
démocratique. Les cas
d'arrestations arbitraires, de sévices, de violations de domicile, de
confiscation de biens et d'incendies, de disparitions forcées et de
tortures se sont multipliés durant l'année dont traite le présent
rapport, obligeant les victimes et leurs familles à abandonner leur foyer
pour vivre dans la clandestinité et compromettant en outre, de cette façon,
les droits des enfants. La
fuite constante de la population a ébranlé sa capacité d'organisation,
affaiblissant ainsi les structures politiques, sociales et économiques qui
pouvaient constituer une menace contre le régime illégal de facto. A la suite de la répression, on a violé les garanties que
consacrent les Articles 4, 5, 7, 8, 13, 15, 21 et 25 de la Convention
américaine relative aux droits de l'homme à laquelle la République d'Haïti
est partie depuis 1977. 304.
Au début du mois de janvier 1994, le régime militaire a employé
de nouvelles méthodes de répression qui étaient particulièrement
efficaces pour semer la terreur parmi la population, y compris les viols des
femmes haïtiennes en raison de leur militance ou de leur association
familiale avec des militants qui oeuvraient pour le retour du Président
Aristide. En Haïti, les viols
furent le résultat d'une répression à fins politiques; les responsables
avaient l'intention de détruire tout mouvement démocratique par la terreur
que suscitait cette série de crimes sexuels.
La Commission estime que ce genre de viols constitue une forme de
torture aux termes de l'Article 5 (2) de la Convention américaine
relative aux droits de l'homme. 305.
Les massacres commis contre les populations rurales sous prétexte d'étouffer
la rebellion et l'apparition dans les rues de Port-au-Prince de cadavres
mutilés et complètement défigurés furent également utilisés comme
instruments de répression et d'intimidation politique.
La Commission a observé que le droit à la vie prévu par l'Article 4
de la Convention américaine fut l'un des droits le plus souvent violé,
conduisant à un degré de cruauté extrême:
des populations entières étaient entourées par les militaires qui
procédaient sans discrimination à des assassinats. 306.
Actuellement, le désarmement est l'un des problèmes les plus graves
qui confrontent le Gouvernement constitutionnel d'Haïti; il met en danger
la stabilité du nouveau régime et empêche l'établissement d'un état de
droit. A ce propos, la Commission estime qu'il faut prendre immédiatement
des mesures concrètes qui permettent d'obtenir un désarmement total.
Bien que la Force multilatérale ait acheté et confisqué près de
19.000 armes, il y a des zones du pays où les armes et l'appareil de
la dictature n'ont pas pu être complètement remplacés et restent la cause
d'insécurité et de crainte parmi la population, surtout dans les zones où
n'a pu pénétrer la Force multinationale. 307.
La Commission a conscience des difficultés que pose un désarmement
complet, mais estime que, joint à la Force multinationale, le Gouvernement
haïtien doit redoubler d'efforts et poursuivre la recherche des armes cachées
qui restent entre les mains des chefs de section, «attachés», «macoutes»
ou membres du FRAPH et leur permettent de continuer à effectuer des actes
de violence. Par ailleurs, le
Gouvernement constitutionnel pourrait mettre en place un programme rigoureux
de contrôle des armes dont la Constitution permet le port, mais dont la
possession doit être déclarée à la police.
Avec un nouveau registre, on annulerait les permis existants et
n'accepterait que ceux délivrés par la nouvelle police. 308.
La collaboration entre les Forces armées haïtiennes et la Force
multinationale a créé au sein de la population, dans certains cas, un
climat de manque de confiance et de méfiance.
Par exemple, le fait que les dénonciations et les informations
remises à la Force multinationale concernant la possession ou le cache
d'armes soient vérifiées par
les militaires haïtiens met en doute l'efficacité du processus de désarmement.
De même, les «attachés» ou «macoutes» connus qui sont arrêtés
par la Force multinationale sont remis plus tard à la police qui les met en
liberté, ce qui crée un état d'insécurité et fait persister le phénomène
du «marronage». 309.
La Commission observe avec satisfaction qu'on est en train de prendre
les mesures nécessaires pour constituer une nouvelle police qui relève du
pouvoir civil du Ministère de la justice et qu'on envisage de créer une
Académie qui forme les membres d'une police indépendante et efficace.
Néanmoins, il est indispensable que le Gouvernement applique à la sélection
du personnel policier des critères qui assure que les individus qui ont des
dossiers de violation des droits de l'homme ne sont pas retenus.
Il serait aussi important que cette sélection puisse compter sur
l'aide de la Mission civile de l'OEA/ONU qui est en possession de vastes
informations concernant les violations des droits de l'homme qui ont eu lieu
durant le régime dictatorial. 310.
La Commission est convaincue que, pour obtenir une véritable
protection des droits de l'homme de la population haïtienne, il est nécessaire
de procéder le plus rapidement possible à une réforme importante du système
judiciaire assurant que les auteurs d'actes criminels soient effectivement
soumis à la justice. S'il est
vrai qu'on a commencé à mettre en place des plans et programmes visant à
restructurer le pouvoir judiciaire, il est néanmoins urgent de pouvoir
compter sur des programmes de formation qui mettent en place un système
judiciaire provisoire possédant la légitimité et capable de faire face
aux problèmes actuels de la population. 311.
Le problème de l'absence d'un système judiciaire efficace est étroitement
lié à l'absence d'une institution policière qui puisse inspirer confiance
à la population, qui fasse respecter la loi et maintienne l'ordre.
A partir du coup d'état de 1991, le système judiciaire a été
dominé par les militaires, qui ont installé la majorité des juges de paix
et des fonctionnaires de la justice, ainsi que le personnel administratif et
quasi judiciaire en la personne des chefs de section. Beaucoup d'entre eux continuent à fonctionner alors qu'ils
ont participé à des violations des droits de l'homme. Ce fait a fortement influé sur la population, qui ne se
risque pas à dénoncer des faits criminels ou à porter témoignage par
crainte de se trouver en présence de fonctionnaires qui ont appuyé la
dictature militaire. 312.
La Commission estime que, pour réaliser une véritable réforme du
système judiciaire, il est indispensable d'insister que les membres de
l'administration de la justice possèdent la compétence voulue, le caractère
moral et l'impartialité. Il
est absolument essentiel que la communauté internationale apporte un
puissant soutien aux autorités constitutionnelles et fournisse toute l'aide
nécessaire en ressources humaines et en matériel pour réaliser cette
importante tâche. La Commission se félicite que des pays comme les Etats-Unis,
la France et le Canada, tout comme l'ONU et l'OEA se soient déclarés prêts
à aider la reconstruction des institutions juridiques d'Haïti. 313.
A propos de la situation des centres de détention, la Commission a
constaté que le système carcéral hérité par le Gouvernement
constitutionnel se trouve en pleine crise.
Il faudrait fermer le pénitencier national, qui se trouve bien
au-dessous des niveaux minimums internationaux.
Le Gouvernement pourrait inviter des experts internationaux en matière
de système carcéral pour transformer l'une des casernes en prison
nationale modèle; en effet, ces casernes ne seront plus nécessaires étant
donné la réduction envisagée des Forces armées. 314.
La Commission se félicite du fait que le Gouvernement démocratique
ait l'intention de transférer la juridiction des prisons de
l'administration militaire à l'administration civile.
Néanmoins, elle souhaite indiquer que les problèmes les plus
urgents du système carcéral qui doivent être attaqués immédiatement
sont l'insuffisance d'alimentation, l'absence de soins médicaux et le
manque de procédures judiciaires offertes aux prisonniers.
La Commission estime indispensable de créer une commission spéciale
relevant du Ministère de la justice pour examiner immédiatement la
situation des détenus. On aura
besoin d'une aide internationale et la Commission exhorte la communauté
internationale à apporter également une aide à ces activités. 315.
La pratique institutionnalisée d'une violence impunie, à la suite
de la domination par les militaires de l'administration de la justice, a empêché
les victimes de violations des droits de l'homme de revendiquer leurs
garanties judiciaires. La
Commission estime que le Gouvernement constitutionnel a pour devoir inéluctable
de procéder à des enquêtes et d'établir les responsabilités des
violations des droits de l'homme dont la population a pâti durant les trois
années de dictature militaire. La
Commission voit avec satisfaction la création récente de la Commission de
la vérité et de la justice par le Gouvernement haïtien et exprime sa
confiance à l'égard du travail rapide et efficace que cette institution va
exécuter. 316.
Le rétablissement du Gouvernement constitutionnel en Haïti et les
programmes d'aide économique mis en place par la communauté internationale
ont créé un climat prometteur aussi bien dans le pays qu'à l'étranger.
En particulier, la population haïtienne, qui a subi des souffrances
de toutes sortes, est maintenant pleine d'espoir.
La situation économique et sociale d'Haïti est caractérisée par
le marasme économique et par un chômage sur grande échelle; l'absence de
services publics fondamentaux, tels que l'eau et l'électricité, jointe à
l'insalubrité et à la malnutrition dont souffrent la majorité des Haïtiens,
souligne le caractère urgent de la réalisation de programmes d'aide
financière et de coopération technique pour le développement du pays. Malheureusement, le retard de l'aide financière n'a pas
permis de répondre aux besoins et d'améliorer l'existence quotidienne des
secteurs les plus pauvres du pays et a suscité des sentiments de
frustration. Il est donc
absolument indispensable que l'aide internationale renforce le plus
rapidement la capacité économique du pays. 317.
Conformément aux fonctions que lui confient la Charte de l'OEA et la
Convention américaine relative aux droits de l'homme, la Commission
poursuivra ses activités de protection et de promotion des droits de
l'homme en Haïti et renouvelle son offre de collaboration au Gouvernement
constitutionnel de la République d'Haïti.
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