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CHAPITRE I
LA SITUATION POLITIQUE
EN HAITI
5. Le
coup d'Etat militaire qui a renversé le Président Aristide le 29 septembre
1991 a provoqué la censure immédiate de l'Organisation des Etats Américains.
Le Conseil permanent s'est réuni de toute urgence le 30 septembre et
a condamné dans les termes les plus énergiques le coup d'Etat.
Il a en outre exigé le retour au pouvoir du Président démocratiquement
élu.[1]
6. Dans
ces circonstances aussi la Commission interaméricaine des droits de l'homme
a émis le 1er octobre 1991 un communiqué de presse dans lequel elle
jugeait très préoccupants les faits qui s'étaient produits en Haïti et
qui ont provoqué la perte d'un grand nombre de vies humaines.
Elle souligna que le coup d'Etat perpétré en Haïti constituait une
violation patente des droits politiques et d'autres libertés et droits
fondamentaux consacrés par la Convention américaine relative aux droits de
l'homme.
7. Devant
la gravité des faits qui s'étaient produits en Haïti, le Secrétaire général,
dans l'exercice des attributions qui lui avaient été accordées par
l'"Engagement de Santiago", convoqua une Réunion des Ministres
des relations extérieures qui se tint à Washington le 2 octobre 1991 et
adopta la résolution "Appui au Gouvernement démocratique de la République
d'Haïti" (MRE/RES.1/91), par laquelle elle décida: "De prier
instamment la Commission interaméricaine des droits de l'homme de prendre
immédiatement, comme l'a demandé le Président Jean-Bertrand Aristide,
toutes les mesures nécessaires pour protéger et défendre les droits de
l'homme en Haïti, et de soumettre un rapport au Conseil permanent de
l'Organisation". Six jours
plus tard, la Réunion des Ministres des relations extérieures invitait
instamment les Etats membres de l'OEA à bloquer les avoirs de l'Etat haïtien,
à appliquer un embargo commercial à l'encontre d'Haïti et à créer une
mission civile (OEA/DEMOC) pour le rétablissement et le renforcement des
institutions démocratiques (MRE.RES.2/91).
Le 10 décembre 1991, le Conseil permanent de l'OEA adopta la résolution
"Programme d'appui à l'encouragement de la démocratie".[2]
8. Donnant
suite à la résolution MRE/RES. 1/91 et alarmée par les nombreuses dénonciations
des violations des droits de l'homme, la Commission interaméricaine séjourna
en Haïti en visite exploratoire du 5 au 7 décembre 1991. Le Dr. Patrick Robinson, Président de la CIDH et le Dr.
Marco Tulio Bruni Celli, Vice-président, ont fait rapport au Conseil
permanent de l'OEA le 9 janvier 1992[3].
Ils ont attiré l'attention sur la gravité de la crise
institutionnelle, sur les conditions de vie déplorables d'une grande partie
de la population, sur la polarisation politique aiguë, sur le traditionnel
recours à la violence pour la solution des conflits sociaux et sur
l'absence d'une pratique démocratique éprouvée. Ils ont conclu qu'en raison de tous ces facteurs la situation
des droits de l'homme en Haïti était hautement imprévisible et exposée
à des dangers extrêmes. Enfin,
ils ont observé que des problèmes aussi graves ne pourraient être résolus
que par les Haïtiens eux-mêmes, avec la coopération de la communauté
internationale.
9. Pendant
la deuxième semaine de décembre 1991, la mission civile de l'OEA dirigée
par M. Augusto Ramírez Ocampo, ex-Ministre colombien des relations extérieures,
s'est rendue de nouveau en Haïti, pour reprendre le processus de négociations
suspendu depuis la réunion de Cartagena.
Pendant leur séjour, trois noms de candidats éventuels au poste de
premier ministre furent avancés: M.
Victor Benoit, Secrétaire général du Comité national du Congrès des
mouvements démocratiques (KONAKOM), qui bénéficiait de l'appui du Président
Aristide; M. Marc Bazin, ex-candidat à la présidence et dirigeant du
Mouvement d'instauration de la Démocratie haïtienne (MIDH), et M. René Théodore,
Secrétaire général du Parti Communiste (PUCH), dénommé actuellement
Mouvement pour la reconstruction nationale (MRN).
Pendant les derniers jours du mois de décembre, M. Théodore accepta
d'être un candidat par consensus et à la mi-février, la Chambre des Députés
déclara publiquement son appui à la désignation de M. René Théodore
comme Premier Ministre.
10.
Estimant que le climat était propice à la reprise des négociations,
l'Organisation des Etats Américains parraina l'ouverture d'une réunion à
Washington pendant la deuxième semaine de janvier 1992.
Cette réunion ne se tint jamais à cause du désaccord des négociateurs.
Dans la suite, l'OEA patronna une réunion prévue du 23 au 25 février
1992, pour que les parties arrivent à un compromis qui permettrait l'apport
d'une solution politique à la crise en Haïti.
A cette réunion participèrent le Président déposé Jean-Bertrand
Aristide, qui était accompagné de M. Evans Paul, ex-Maire de
Port-au-Prince, M. René Théodore et une délégation parlementaire dirigée
par les Présidents des deux Chambres, le Sénateur Déjean Bélizaire et le
Député Alexandre Médard.
11. A la fin de cette réunion,
les négociateurs signèrent le Protocole d'Accord de Washington, par lequel
ils s'engagèrent à garantir les libertés civiles, à faciliter le
fonctionnement libre des partis politiques et des organisations civiles en
Haïti, dans le cadre du respect de la Constitution haïtienne.
12.
Les parties reconnurent qu'il était nécessaire d'assurer la réintégration
du Président Jean-Bertrand Aristide à ses fonctions de chef d'Etat;
d'élaborer et d'adopter des lois mettant en place les institutions
prévues par la Constitution, telles que la loi sur les collectivités
territoriales, la loi sur la séparation de la police et des Forces armées
et la loi de fonctionnement du bureau de protection du citoyen.
Elles convinrent également de favoriser au moyen de lois et de règlements
la conduite d'une politique de paix sociale et de reprise économique.
13.
D'autre part, il fut ensuite convenu que le Président Aristide
s'engagerait à respecter les dispositions prises ou ratifiées par le
Parlement d'Haïti et qu'en cas de désaccord entre le pouvoir exécutif et
le pouvoir législatif, l'une des parties pourrait recourir à la Commission
de conciliation en application de l'article 111.5 de la Constitution.
En outre, le Président Aristide accepterait qu'en son absence le
Premier Ministre assume la direction des affaires de l'Etat selon le
prescrit de l'article 148 de la Constitution.
14. Les parties décidèrent
également qu'il était nécessaire de proclamer une amnistie générale,
hormis les criminels de droit commun, et de demander à l'OEA et à la
communauté internationale d'apporter une aide urgente et substantielle au
Gouvernement de consensus national pour la reprise de l'économie haïtienne,
la promotion du bien-être social, la professionnalisation des Forces armées
et de la police et le renforcement des institutions démocratiques.
15.
Au cours de cette réunion également fut signé un Protocole
d'Accord entre le Président Jean-Bertrand Aristide et le Premier Ministre désigné,
M. René Théodore, qui s'engageait à créer les
conditions nécessaires au retour du Président Aristide.
16.
Bien que la communauté internationale eût favorablement accueilli
les Protocoles de Washington, les parties ne marquèrent aucune volonté de
les exécuter. Quelques jours
plus tard, le Président Aristide a réiteré à une chaîne de télévision,
qu'il s'opposait à l'amnistie pour les militaires impliqués dans le coup
d'Etat et observait que les Accords ne prévoyaient pas une date exacte pour
son retour.
17.
Sans doute les Protocoles représentaient-ils un effort énergique
pour l'apport d'une solution politique à la situation haïtienne, mais leur
exécution dans la pratique achoppa sur de nombreuses difficultés. Premièrement, le fait que les militaires et le Gouvernement de
facto n'avaient pas participé à la conclusion de ces Accords, laissait
prévoir dès le début qu'ils ne seraient pas acceptés et que l'armée
s'opposerait à tout type d'enquête sur les violations de droits de
l'homme, perpétrées pendant et après le coup d'Etat.
Ensuite, le Parlement ne put ratifier les Accords faute de quorum
dans les deux Chambres. Ultérieurement,
le Gouvernement de facto soumit les Accords de Washington à la Cour
de Cassation pour qu'elle se prononce sur leur légalité. Le Tribunal suprême les déclara inconstitutionnels et sans
aucune valeur juridique, et conclut que la signature de ce document par les
parlementaires constituait une violation du principe de la séparation des
pouvoirs de l'Etat, consacré par la Constitution haïtienne. En outre, la
Cour de Cassation estima que selon le prescrit des alinéas 2 et 3 de
l'article 98 de la Constitution, ces Accords ne pouvaient être soumis à la
sanction de l'Assemblée nationale.
3.
Accord de la Villa d'Accueil
18.
Le Gouvernement de facto ne tint aucun compte des Accords de
Washington et décida la création d'une Commission tripartie composée du
Gouvernement de facto représenté par le Premier Ministre de
facto, M. Jean-Jacques Honorat, de M. Déjean Bélizaire, Président du
Sénat et de M. Alexandre Médard, Président de la Chambre des Députés,
représentant le Parlement. Pour
la première fois, les Forces armées en faisaient partie et étaient représentées
par le Général Raoul Cédras, chef d'Etat major des Forces armées.
Le Président Aristide et ses partisans étaient exclus.
19.
Les négociations aboutirent le 8 mai 1992 à l'Accord triparti de la
Villa d'Accueil et, comme il fallait le prévoir, ne reconnaissaient pas M.
Aristide comme Président constitutionnel et décidaient la création d'un
"Gouvernement de consensus" qui avait pour mission de négocier la
levée de l'embargo et de reprendre les négociations avec l'Organisation
des Etats Américains. Dans la
suite, M. Nérette, Président du Gouvernement de facto, se démit de
ses fonctions et M. Marc Bazin fut nommé Premier Ministre, avec
l'approbation des militaires et d'une majorité sénatoriale douteuse.
Il fout souligner ici que tant les négociations que la désignation
du Premier Ministre allaient à l'encontre des résolutions adoptées par la
Réunion ad hoc des Ministres des relations extérieures (MRE/RES.
2/91 et 3/92).
20.
Confronté au rejet des Accords de Washington et à l'évolution du
climat politique en Haïti, le Président Aristide ouvrit un nouveau
processus de négociations et convoqua une réunion qui se tint à Miami du
26 au 29 juin 1992, et à laquelle participaient de nombreux dirigeants
politiques qui appuyaient le rétablissement de la démocratie en Haïti.
A l'issue de cette réunion fut adopté le document "Pour la
concorde nationale", connu également sous le nom "Déclaration de
la Floride", qui réaffirmait la nécessité d'une solution politique négociée,
et sollicitait à cet effet l'appui du Secrétaire général de
l'Organisation des Etats Américains et du Secrétaire général de
l'Organisation des Nations Unies. Cette
Déclaration demandait également à
l'OEA d'envoyer une mission civile pour réactiver le dialogue politique en
Haïti.
5.
Les élections parlementaires
21.
Le 28 décembre 1992, le Conseil électoral d'Haïti annonçait que
des élections des nouveaux membres du Parlement (au cours desquelles un
tiers du Sénat serait renouvelé et quelques vacances à la Chambre des Députés
seraient comblées) avaient été fixés au 18 janvier 1993.
Cette convocation fut qualifiée par le Conseil permanent de l'OEA
"d'acte illégitime" tendant à "faire obstacle aux derniers
efforts déployés par cette Organisation ainsi que par l'Organisation des
Nations Unies en vue de rétablir les institutions démocratiques en Haïti"
(CP/DEC.8 927/93).
22.
Les élections entraînèrent la division du Sénat en deux groupes:
un groupe appelé Bloc constitutionnaliste et l'autre Alliance pour
la cohésion parlementaire, qui demandèrent la destitution du Premier
Ministre de facto, Marc Bazin.
23.
La réaction des milieux politiques fut immédiate.
Six partis politiques: Le
Parti agricole industriel national (PAIN), le Mouvement démocratique de la
libération d'Haïti et le Parti révolutionnaire démocrate haïtien
(MODELH-PRDH), le Parti de la mobilisation pour le développement national
(MDN), le Mouvement de reconstruction nationale (MRN), le Parti haïtien de
Dieu (PARADIS) et le Mouvement d'organisation du pays (MOP) publièrent la
"Déclaration de la politique commune", dans laquelle ils réclamaient
la caducité de l'Accord triparti de la Villa d'Accueil et l'annulation du
processus de formation du Conseil électoral d'exception.
Le Groupe "Rassemblement des démocrates nationaux progressistes
(RDNP)" apporta plus tard son appui à cette Déclaration. Le Parti national progressiste révolutionnaire haïtien
(PANPRA) déclara qu'il souhaitait d'abord s'assurer de la crédibilité des
élections sénatoriales avant de s'engager.
Le Mouvement nationaliste patriotique du 28 novembre (MNP-28) commença
sa campagne électorale le 3 janvier. M.
Grégoire Eugène, président du Parti social chrétien haïtien (PSCH), se
retira de la campagne électorale en invoquant de nombreuses irrégularités
dans le processus électoral.
24.
Les 64 candidats qui se présentèrent aux élections venaient dans
leur majorité des partis qui appuyaient le Gouvernement de facto:
entre autres, le Mouvement pour l'instauration de la démocratie en
Haïti (MIDH), le Parti démocrate chrétien haïtien (PDCH), le Mouvement
nationaliste patriotique (MNP-28), le Parti national progressiste révolutionnaire
haïtien (PANPRA) et quelques candidats indépendants.
Environ quinze partis politiques décidèrent de ne pas se présenter
aux élections. L'opposition,
qui comprenait aussi bien des partisans que des rivaux du Président
Aristide, appela à un boycott et à la célébration d'une journée
"portes fermées", parce qu'elle estimait qu'il s'agissait d'élections
"frauduleuses d'avance".
25.
Quelques jours avant les élections, le Conseil électoral haïtien dénonça
plusieurs attaques terroristes dirigées contre les bureaux d'inscription et
de vote (BIV) dans le Département du Sud, qui se soldèrent par de nombreux
blessés. Le jour prévu pour
les élections parlementaires, le commerce et les écoles fermèrent leurs
portes parce qu'ils craignaient que des actes de violence soient perprétrés
comme ce fut le cas lors des élections antérieures.
Pendant les mois précédents, plusieurs bombes avaient éclaté dans
la capitale et avaient causé la mort des deux individus qui les portaient.
Les attentats furent attribués par la police à des sympathisants du
Président Aristide, mais aucun de ces attentats ne fut revendiqué.
26.
Le taux de participation aux élections parlementaires fut très
faible. Selon les chiffres
officiels, 561 124 électeurs exercèrent leur droit de vote.
Le soir même des élections, en raison d'anomalies graves, le
Conseil électoral annula les comices du Département de l'Ouest, où se
trouve la capitale.
27. A la suite du suffrage
du 18 janvier 1993, le Parlement haïtien a été composé des nouveaux sénateurs
et députés suivants: Gabriel
Ancion (indépendant), Département du Sud-Est Rommel
Manigat (MIDH) Département du Nord Amos
André (sénateur sortant du PANPRA) Département du Sud-Est Margaret
Martin (MIDH) Département du Sud-Est Déjean
Bélizaire (sénateur sortant du MNP-28) Serge
Gilles (sénateur sortant du PANPRA) Département du Centre Yves
Rousseau (indépendant) Département du Sud Luis
Ney Gilles (MIDH) Département de la Grand'Anse Osni
Eugène (MIDH) Département du Nord-Ouest Guillaume
Saint Jean (MIDH) Département du Nord Diomede
Théodore (MIDH) Département du Nord Arincks
Jean-Pierre (MIDH) Département du Nord-Est Brignole
Mondésir (PANPRA) Département de la Grand'Anse
28.
Par un communiqué de presse, le Conseil électoral d'Haïti annonça
qu'en raison des résultats définitifs du premier tour des élections législatives
du 18 janvier 1993, il n'était pas nécessaire d'organiser le second tour
prévu pour le 25 janvier.
6.
Résolutions adoptées et démarches menées par l'OEA pour
faciliter le dialogue politique
29.
Pendant l'Assemblée générale de l'OEA, tenue à Nassau (Bahamas),
du 18 au 22 mai 1992, la Réunion ad hoc des Ministres des relations
extérieures a adopté la résolution sur "Le rétablissement de la démocratie
en Haïti" (MRE/RES.3/92), par laquelle elle confirmait les résolutions
précédentes et invitait instamment les Etats membres à adopter de
nouvelles mesures pour élargir
et resserrer la vérification de l'embargo commercial à l'encontre d'Haïti.
La résolution préconisait aussi l'augmentation de l'aide
humanitaire aux secteurs les plus pauvres de la population haïtienne.
La résolution exhortait également les Etats membres à ne pas
accorder ou à révoquer, selon le cas, les visas d'entrée en faveur des
auteurs et partisans du coup d'Etat et à bloquer leurs avoirs.
Elle a demandé une nouvelle fois à la Commission interaméricaine
des droits de l'homme de continuer à suivre constamment et de près la
situation en Haïti, et de faire rapport à la Réunion ad hoc, par
l'entremise du Conseil permanent.
30.
Pour trouver de nouveaux moyens et créer des conditions propres à
la reprise des négociations politiques, l'Organisation des Etats Américains
envoya en Haïti du 18 au 21 août 1992 une mission dirigée par le Secrétaire
général, M. João Clemente Baena Soares, et composée de plusieurs
Ambassadeurs, du Président de la Commission interaméricaine des droits de
l'homme, le Dr Marco Tulio Bruni Celli et de représentants de la Communauté
des Caraïbes (CARICOM), de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et de la
Communauté économique européenne (CEE).
31.
Les démarches menées par cette mission permirent à l'OEA de
parrainer, le 1er septembre, une nouvelle série de conversations entre le Père
Antoine Adrien, délégué du Président Aristide et le Ministre des
relations extérieures François Benoît, délégué du Premier Ministre de
facto, M. Marc Bazin. Les
participants acceptèrent l'envoi d'une mission composée de 18 personnes,
chargée de contribuer à la réduction de la violence en général et au
respect des droits de l'homme, de coopérer à la distribution de l'aide
humanitaire et d'évaluer les progrès accomplis dans la voie d'une solution
politique de la crise en Haïti. La Mission civile, aux travaux de laquelle a collaboré M.
Michael Manley, ex-Premier Ministre de la Jamaïque, entreprit ses activités
à la mi-septembre 1992.
32.
Bien que le Ministre des relations extérieures du Gouvernement de
facto, M. François Benoît, eût autorisé l'arrivée des 18
observateurs de l'OEA, qui seraient répartis par départements géographiques,
les autorités de Port-au-Prince firent savoir à la délégation civile,
trois mois plus tard, que sa présence "n'avait pas de base légale"
et qu'elles "se voyaient dans l'impossibilité de garantir leur sécurité
et leur liberté de mouvement à l'intérieur du pays".
33.
Le Conseil permanent de l'OEA décida, par sa résolution du 10
novembre 1992 (CP/RES. 594 923/92),
d'inviter instamment les Etats membres des Nations Unies à renouveler leur
appui, en adoptant des mesures conformes aux résolutions antérieures de
l'OEA. Il exhorta également
les Etats membres de l'OEA et de l'ONU à augmenter leur aide humanitaire au
peuple haïtien et demanda aux Nations Unies de participer à la Mission
civile de l'OEA pour faciliter une solution pacifique de la crise.
34.
Confrontée à la persistance de graves violations et à la dégradation
de la situation des droits de l'homme en Haïti ainsi qu'aux répercussions
de l'augmentation du nombre d'Haïtiens cherchant refuge dans les Etats
membres voisins, la Réunion ad hoc des Ministres des relations extérieures
décida, par sa résolution du 13 décembre 1992, (MRE/RES.4/92), de
confirmer ses résolutions précédentes, de charger le Président de la Réunion
et le Secrétaire général de l'OEA d'accomplir, en collaboration étroite
avec le Secrétaire général des Nations Unies, des efforts supplémentaires
avec tous les secteurs haïtiens afin de faciliter le dialogue politique
entre eux, pour le rétablissement de l'institutionnalité démocratique en
Haïti. Ces efforts auraient
pour objet initial une augmentation substantielle de la présence civile de
l'OEA. Elle donna également
mandat au Secrétaire général de l'OEA d'envisager, en contact avec le
Secrétaire général de l'ONU, la possibilité et l'opportunité de saisir
le Conseil de sécurité de la
situation haïtienne en vue d'une application universelle de l'embargo
commercial recommandé par l'OEA. Cette
résolution également chargea le Président de la Réunion et le Secrétaire
général de l'OEA de "coopérer aux démarches du Président de la
Commission interaméricaine des droits de l'homme, compte tenu des graves et
persistantes violations des droits de l'homme en Haïti et face au refus des
présentes autorités de facto de permettre à la Commission
d'effectuer une visite in loco dans les plus brefs délais".
35.
Quelques jours avant la Réunion ad hoc des Ministres des
relations extérieures américains, le Secrétaire général des Nations
Unies désigna en tant que son représentant personnel l'ex-Ministre
argentin des relations extérieures, M. Dante Caputo, qui se rendit en
visite exploratoire en Haïti pour essayer de trouver une solution à la
crise de ce pays. A l'issue de
l'entrevue que le Secrétaire général de l'OEA a eue avec M. Caputo, il a
annoncé au Conseil permanent, le 13 janvier 1993, la désignation de M.
Caputo comme son représentant personnel.
36. A la fin de janvier,
les efforts réalisés par le représentant de l'ONU/OEA pour arriver à un
accord sur l'acceptation de la Mission civile (400 observateurs) se compliquèrent
par suite du rejet par le Premier Ministre de facto, Marc Bazin, des
modalités de fonctionnement de la mission.
M. Bazin déclara que son Gouvernement, l'Armée et le Parlement
avaient accepté l'envoi de la mission et la recherche d'une solution négociée
à la crise haïtienne, mais qu'à son avis l'envoi de la mission présentait
"le risque d'une tutelle internationale".
37. A la suite de cette évolution,
M. Caputo se rendit à Port-au-Prince pour y avoir des entretiens avec les
autorités de facto. A son arrivée des centaines de personnes se réunirent pour
protester contre le projet d'envoi de la Mission civile internationale.
38.
Au moment où nous fermons le présent rapport, un accord est
intervenu entre les autorités de facto et l'envoyé spécial du Secrétaire
général de l'OEA, prévoyant le déploiement de
la Mission civile de l'OEA/ONU en Haïti, dont la première tâche
sera d'aider à garantir le respect des droits de l'homme, en créant ainsi
un climat propice à une solution politique en vue du rétablissement de la
constitutionnalité démocratique dans ce pays.
Selon la tournure des événements, la mission civile cherchera également
à collaborer au renforcement et à la modernisation institutionnelle,
notamment en ce qui concerne la réforme du système judiciaire, la
professionnalisation des Forces armées, la création d'une force de police
spécialisée, la reprise de la coopération technique internationale et
l'exécution des résolutions adoptées par les Réunions ad hoc des
Ministres des relations extérieures.
39.
Durant sa quatre-vingt-troisième Session (1-12 mars 1993), la
Commission interaméricaine des droits de l'homme a reçu en audience spéciale
M. le Président Bertrand Aristide, qui était accompagné de M. René Préval
et de Mmes Anne Edeline François et Mildred Trouillot.
M. Aristide a évoqué la situation des droits de l'homme en Haïti
et a souligné que ces droits étaient violés impunément par les
militaires. Il a fait valoir
que la présence de CIDH était nécessaire et lui a demandé d'entreprendre
les démarches pertinentes pour obtenir l'appui des Etats membres, en vue
d'obliger le régime militaire à accepter la présence de la Commission
dans le pays.
40.
Le Président Aristide a souligné également que la présence
permanente de la CIDH permettra la définition des stratégies d'élaboration
de projets et de programmes visant à assurer la protection des droits de
l'homme. De cette façon,
a-t-il ajouté, il sera possible de professionnaliser l'Armée et la police
et de renforcer les institutions de la justice.
A son avis, dans le même temps, une campagne de formation civique à
l'intention de toute la population haïtienne pourrait être lancée.
41.
Avant de conclure sa réunion, la Commission a reçu une
communication de la Mission permanente d'Haïti près l'Organisation des
Etats Américains, sous couvert de laquelle elle transmettait officiellement
les points de vue du Président Jean-Bertrand Aristide sur les problèmes de
droits de l'homme. Etant donné
l'importance de cette communication, la Commission a décidé de la
reproduire intégralement: MISSION PERMANENTE
D'HAITI PRES L'ORGANISATION DES ETATS AMERICAINS
La Mission Permanente d'Haiti près l'Organisation des Etats Américains
présente ses compliments à la Commission Interaméricaine des Droits de
l'Homme et a l'avantage de lui soumettre en appui à l'intervention du Président
Jean-Bertrand Aristide les points du Gouvernement de la République sur le
problème des droits de l'homme en Haïti et sur sa prévention.
La Mission voudrait tout d'abord rappeler la première résolution
traitant du rôle de la Commission dans la crise actuelle en Haïti.
En effet, la première Résolution de la Réunion ad hoc des
Ministres des Affaires Etrangères de l'OEA (MRE/RE/1-91) dans son
paragraphe 4, reprend la demande du Président de la République relative à
la présence de la Commission Interaméricaine de Droits de l'Homme en Haïti.
La Mission civile internationale est sollicitée
par la deuxième résolution (MRE/RES/2-91); toutefois, elle se déploie
déja en Haïti, tandis que la Commission Interaméricaine des Droits de
l'Homme n'arrive pas à s'y faire accepter.
Seule l'expression de la volonté politique des Etats membres
explique la présence de la Mission civile en Haïti.
Et seule cette volonté politique peut permettre à la Commission
Interaméricaine des Droits de l'Homme de faire respecter ses mandats par la
dictature militaire en Haïti.
Considérant l'importance de la participation de la Commission
Interaméricaine des Droits de l'Homme dans la solution de la crise
politique de notre pays et dans la mise en place d'un système démocratique
stable, le Gouvernement réitère sa demande d'une présence de la
Commission en Haïti et profite pour préciser le contenu de sa requête.
a) Le
Gouvernement de la République demande à la Commission de faire toutes les
démarches politiques nécessaires à l'obtention de l'appui des Etats
membres visant à obliger le régime militaire à accepter la présence de
la Commission en Haïti.
b) Le
Gouvernement demande à la Commission de dépecher en Haïti une présence
permanente, pour trois mois, chargée de préparer un ensemble de projets et
de programmes ayant trait à la gestion du respect des droits de l'homme en
Haïti.
c)
Le Gouvernement demande à la Commission de fixer les termes d'une étroite
collaboration avec la Mission civile internationale et tout particulièrement
avec les membres de la Mission dépendant de l'Organisation des Etats Américains.
Le Gouvernement rappelle le paragraphe 6 de la Résolution
MRE/RES-3/92 où les Ministres des Affaires Etrangères de l'Organisation
demande à la Commission de remplir ses mandats par rapport à Haïti.
Le Gouvernement demande à la Commission de tenir compte de toutes
les violations telles que reportées par les différentes organisations
internationales et nationales.
Le Gouvernement attire l'attention de la Commission sur la tenue d'élections
par le régime militaire à l'encontre des articles de la Constitution haïtienne
traitant de la formation des Assemblées territoriales, de la formation et
de la composition du Conseil électoral et des mesures garantissant
l'exercice des droits civils et politiques.
Le Gouvernement demande à la Commission non seulement de réaliser
ses travaux courants, mais de metre l'accent sur l'evaluation des conditions
d'emprisonnement, d'enquêtes et autres procédures judiciares, sur le déroulement
des procès et l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Le Gouvernement demande à la Commission de porter une attention spéciale
sur les violations des droits des femmes et des enfants.
Le Gouvernement demande à la Commission de considérer des moyens
pour remédier à la tradition d'impunité qui entoure les crimes commis par
les Forces Armées d'Haïti. Dans ce contexte, il voudrait insister sur le droit des
victimes et de leurs ayants droits à la réparation et aux dommages et intérêts.
La Commission doit aussi centrer son attention sur la gestion des
droits de l'homme et la prévention des violations et abus.
A ce propos, le Gouvernement de la République tient à remercier
la Commission et son Secrétariat Exécutif
de leur participation à l'atelier que sous son haut patronage et celui des
Nations Unies nous avons organisé à New York, du 18 au 20 Novembre 1992.
Le Gouvernement désire que la Commission mette sur pieds et
recherche le finacement nécessaire au lancement d'un commun accord avec les
Organisations non Gouvernementales nationales, d'un ample programme d'éducation
des adultes orienté vers des groupes cibles précis: les élites économiques
et politiques, les fonctionnaires publics, les militaires et la police, les
instituteurs et étudiants. Ce
programme devra utiliser tous les moyens audio-visuels disponibles et, éventuellement,
de développer les siens propres.
Le Gouvernement de la République demande à la Commission d'évaluer
les irrégularités que cause dans l'administratrion de la justice la
structure socio-linguistique propre au pays et de formuler un ensemble de
propositions visant à permettre une transparence croissante dans la gestion
des conflits sociaux par le pouvoir judiciaire.
La Mission Permanente d'Haïti près l'Organisation des Etats Américains
remercie la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme de l'attention
qui sera accordée à la présente et saisit cette occasion pour lui
renouveler les assurances de sa très haute considération.
Washington
D.C., le 10 mars 1993 Commission
Interaméricaine des Droits de l'Homme 2889
F Street, N.W. Washington
D.C.
[1]
Voir les résolutions 567(870/91),
AG/RES. 1080(XXI-O/91) et
1080
(XXI-O/91). [2]
Résolution OEA/Ser.G, CP/RES 572(882/91). [3]
Voir Rapport annuel de la CIDH pour 1991 OES/Ser.L.V-II.81, doc,
6 rev.1, du 14 février 1992 pages 225 à 247.
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