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RAPPORT
No 53/96 AFFAIRE
8074 GUATEMALA 6
décembre 1996
1. Le
24 septembre 1982, la Commission interaméricaine des droits de
l’homme (la "Commission") a reçu une communication dénonçant
l’enlèvement présumé et la disparition du Dr Francisco José
Antonio Pratdesaba Barillas, acte perpétré par des agents de l’Etat guatémaltèque.
Le Dr Pratdesaba Barillas, de nationalité guatémaltèque, était
médecin chirurgien et directeur de l’Hôpital national de San Marcos
et d’un sanatorium dont il était propriétaire, dans lequel, selon la
plainte, il a été enlevé.
2. Conformément
aux faits allégués dans la dénonciation, le Dr Francisco José
Antonio Pratdesaba Barillas a été enlevé le 1er octobre 1981
à 13 heures par des membres de l’Armée nationale du Guatemala dans
les locaux du sanatorium privé qu’il dirige et emmené par ses ravisseurs
à bord de son propre véhicule de marque Ford Fairmont 1982, de
couleur jaune paille. La
plainte indique que le Dr Pratdesaba Barillas a été conduit en
premier lieu sur la base militaire de Quetzaltenango; qu’il a été transféré
par la suite à un détachement militaire situé à San Rafael Pie de la
Cuesta, Département de San Marcos; qu’il a été ensuite détenu dans une
caserne de la police militaire mobile située dans la propriété Berlín de
Coatepeque, Département de Quetzaltenango; que le dernier endroit connu des
requérants où se trouvait la victime était la base militaire Rafael
Carrera située à Zacapa, Département de Zacapa; que la victime a été
vue par la suite, en décembre 1981, dans la capitale du pays, à bord
d’un véhicule privé, sous la garde d’hommes armés. Les requérants déclarent que des témoins oculaires ont vu
le véhicule du Dr Pratdesaba Barillas en possession de membres de la
Cinquième zone militaire.
3. La
plainte soutient que le Dr Francisco José Antonio Pratdesaba Barillas
est toujours porté disparu, sans que l’Etat guatémaltèque ait ouvert
une enquête et éclairci l’affaire.
Qu’une plainte pour acte criminel d’enlèvement déposée par la
famille du Dr Pratdesaba Barillas le 5 octobre 1981, dans le
but de déterminer l’endroit où il se trouvait, a fait l’objet d’une
instruction inefficace et sans effet.
4. La
Commission a commencé la procédure d’instruction de la plainte le 7 octobre 1982
et a enregistré l’affaire sous le numéro 8074.
5. A
la même date, en accord avec les dispositions de l’article 48.1.a de
la Convention américaine, la Commission a transmis au Gouvernement du
Guatemala les passages pertinents de la plainte et lui a demandé de fournir
des informations sur les faits qui font l’objet de ladite communication
aux termes de l’article 34 de son Règlement (l’article 31
d’alors).
6. N’ayant
pas reçu de réponse du Gouvernement du Guatemala, la Commission a renouvelé
sa demande de renseignement le 17 mai 1984 et a accordé à cette
occasion un délai supplémentaire de 30 jours pour la réponse, en
appelant l’attention sur l’application éventuelle de l’article 42
(l’article 39 d’alors) du Règlement de la Commission, sur la présomption
de véracité des faits dénoncés.
7. Le
19 février 1985, n’ayant toujours pas reçu d’information du
Gouvernement du Guatemala, la Commission en a fait une fois de plus la
demande, en accordant un délai de 30 jours pour ce faire, et en
faisant encore état de l’application éventuelle de l’article 42
du Règlement. La Commission
est à nouveau restée sans réponse du Gouvernement guatémaltèque sur
cette affaire.
8. À
cette date, le Gouvernement du Guatemala n’a communiqué aucune des
informations demandées par la Commission.
a. Recevabilité
9. Il
ressort de l’analyse des antécédents que la Commission est compétente
pour connaître de la présente affaire, du fait que la dénonciation porte
sur des faits qui caractérisent des violations présumées des droits du Dr Francisco
José Antonio Pratdesaba Barillas que reconnaît la Convention américaine
relative aux droits de l’homme dans ses articles 1, 3, 4, 5, 7, 8 et
25.
10. La
Commission estime qu’il n’existe pas de raisons qui permettent
d’affirmer que la plainte se trouve ostensiblement dénuée de fondement
ou manifestement non conforme aux normes, pas plus qu’elle fasse
substantiellement double emploi avec une pétition déjà examinée ou
qu’elle se trouve en cours d’examen devant une autre instance
internationale. (Articles 46.1.c et 47.c,d).
11. En ce qui
concerne l’épuisement des voies de recours internes, le Gouvernement du
Guatemala n’a répondu à aucune des demandes de la Commission tendant à
obtenir des éléments d’information à cet égard.
Cette règle de l’épuisement part de la nécessité de donner à
l’Etat la possibilité de résoudre le problème selon les principes de
son droit interne avant de se voir confronté à une procédure
internationale[1]/. Vu le silence du
Gouvernement, la Commission présume donc une renonciation tacite à se prévaloir
de la règle de l’épuisement[2]/.
12. Au delà
de cette renonciation à l’application de la condition de l’article 46.1.a,
la Commission estime que dans l’affaire du Dr Francisco José Antonio
Pratdesaba Barillas, les voies de recours à la juridiction interne n’ont
pas été effectivement ouvertes et n’ont pas présenté les garanties
judiciaires. Elles ont également
failli de manière injustifiée à rendre une décision à l’endroit de
l’intéressé. Qui plus est,
les requérants se sont vus empêchés d’accéder à ces voies de recours.
Ces situations de fait en matière d’exception envisagées à
l’article 46.2 de la Convention conditionnent également valablement
l’application de la condition d’épuisement des voies de recours
internes prévue à l’article 46.1.a.
13. Il ressort
des notes adressées à la Commission par les requérants que les voies de
recours internes du Guatemala se sont révélées infructueuses pour faire
la lumière sur la disparition du Dr Francisco José Antonio Pratdesaba
Barillas. Le 5 octobre 1981,
les membres de la famille du Dr Pratdesaba Barillas ont déposé une
plainte en dénonciation d’un acte délictueux pour qu’une enquête soit
ouverte au sujet de l’enlèvement et pour savoir où se trouve la victime. Selon l’attestation du juge intervenant dans l’affaire,
la procédure se trouvait encore au stade de l’instruction judiciaire le
28 octobre 1982. Les
requérants soutiennent que la plainte n’a jamais donné lieu à
l’ouverture d’une instruction de manière à pouvoir mener une enquête
efficace pour faire la lumière sur les faits dénoncés.
14. Une requête
spéciale a été adressée au Ministre de l’intérieur, lequel a ordonné
le 13 mai 1982 à la Direction générale de la police nationale
de procéder dans les plus brefs délais, par l’intermédiaire du Département
des enquêtes techniques, aux formalités visant à établir l’exactitude
des faits allégués. Cet ordre
n’a jamais été exécuté.
15. Le 23 mars 1982,
les membres de la famille du Dr Pratdesaba Barillas ont demandé par écrit
à être reçus en audience par le Président de la République d’alors,
M. Efraín Ríos Montt, qui leur a fait savoir que l’audience ne
pouvait leur être accordée.
16. C’est à
partir de cette époque que les membres de la famille du Dr Pratdesaba
Barillas ont commencé à recevoir des menaces pour qu’ils mettent un
terme aux procédures de recherche. Cette
circonstance a empêché les membres de la famille d’introduire d’autres
recours judiciaires visant à faire la lumière sur l’affaire.
17. Aucune des
plaintes déposées et des actions intentées par les membres de la famille
du Dr Pratdesaba Barillas pour la défense des droits lésés de la
victime n’ont abouti. L’Etat
guatémaltèque s’est révélé incapable d’instruire la dénonciation
de l’acte délictueux qui permette de mener une enquête efficace et
appropriée, offrant des garanties judiciaires, et susceptibles de révéler
l’endroit où se trouve le Dr Pratdesaba Barillas et d’établir
l’identité des responsables de sa disparition.
Cet état de choses coïncide avec une tendance systématique à
l’inapplicabilité des voies de recours à la justice dont la Commission a
constaté l’existence au Guatemala à l’époque où se sont produits les
faits incriminés[3]/.
b. Questions
de fond
18. Le
Gouvernement du Guatemala n’a jamais posé la question de l’enlèvement
et de la disparition du Dr Pratdesaba Barillas, ni le fait que ces
actes ont été perpétrés par des agents de l’Etat.
À proprement parler, depuis l’époque où lui ont été transmis
les passages pertinents de la plainte, et après des demandes successives,
le Gouvernement n’a fourni aucune information concernant l’affaire,
manquant ainsi à l’obligation internationale prévue en la matière à
l’article 48 de la Convention. La
Commission estime applicable en l’occurrence le cas de présomption énoncé
à l’article 42 de son Règlement.
Il y est stipulé que sont présumés vrais les faits exposés dans
la requête dont les passages pertinents ont été transmis au Gouvernement
concerné si, dans le délai maximum imparti par la Commission, le
Gouvernement concerné n’a pas fourni les renseignements appropriés,
pourvu qu’une conclusion opposée ne ressorte de l’examen d’autres éléments
d’appréciation[4]/. Dans cette affaire,
l’information que l’on possède ne débouche pas sur une version des
faits différente de celle de la plainte, mais plutôt la confirme.
19. En effet,
le fait que, à la suite de l’enlèvement, des témoins oculaires aient vu
le véhicule privé du Dr Pratdesaba Barillas en possession de membres
appartenant à la Cinquième zone militaire, et la description précise des
diverses installations militaires où la victime a été détenue,
constituent d’importants éléments de présomption qui permettent de
confirmer que le Dr Pratdesaba Barillas a été enlevé par des agents
de l’Etat. Par ailleurs, la
forme et les caractéristiques de l’enlèvement du Dr Francisco José
Antonio Pratdesaba Barillas permettent également à la Commission
d’affirmer que cet acte a été commis par des agents de l’Etat guatémaltèque
et que ces procédés sont conformes à ceux employés dans d’autres enlèvements
et détentions illégales auxquels ont participé des agents de la sûreté
de l’Etat. À l’époque où
se sont produits les faits dénoncés, la Commission a constaté
l’existence d’un "nombre extraordinaire" de faits du genre
dont a été victime le Dr Pratdesaba Barillas.
Ces actes avaient pour auteurs des agents de la sûreté[5]/. Les enlèvements et
les détentions irrégulières sont généralement le fait de groupes
d’individus fortement armés qui saisissent leurs victimes sur les lieux
de leur travail ou dans leur foyer et qui n’informent personne des motifs
de la détention présumée, ni des endroits où est transférée la
victime. Les ravisseurs
agissent au grand jour et se déplacent généralement à bord de véhicules
privés[6]/. C’est de cette façon
qu’a été enlevé le Dr Francisco José Antonio Pratdesaba Barillas.
20. Au vu de
ce qui précède, la Commission estime qu’il s’avère que le Dr Francisco
José Antonio Pratdesaba Barillas a été enlevé par des éléments de
l’Armée nationale guatémaltèque et qu’il a été retenu irrégulièrement
en captivité dans différents centres de détention militaires et de la
police sans que l’on sache jusqu’à ce jour où il se trouve.
c. Conséquences
juridiques de l’état de fait allégué
21. Les faits
dont a été victime le Dr Francisco José Antonio Pratdesaba Barillas
le 1er octobre 1981 et qui motivent la présente
plainte, s’apparentent dans leurs détails descriptifs au concept de
"disparition forcée" qui a été développé dans la
jurisprudence de la Commission et de la Cour interaméricaine des droits de
l’homme, notion qui figure dans les dispositions de l’article II de
la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes[7]/.
22. La Cour
interaméricaine des droits de l’homme (la "Cour" ou la
"Cour interaméricaine") a déclaré que "la disparition forcée
des êtres humains constitue une violation multiple et persistante des
nombreux droits reconnus dans la Convention et que les Etats parties sont
tenus de respecter et de garantir"[8]/. La Convention interaméricaine
sur la disparition forcée des personnes réaffirme, dans son préambule,
que la disparition forcée des personnes "viole de multiples droits
fondamentaux de la personne humaine de nature inabrogeable, tels qu’ils
sont consacrés dans la Convention américaine relative aux droits de
l’homme, dans la Déclaration américaine des droits et devoirs de
l’homme et dans la Déclaration universelle des droits de l’homme[9]/.
23. À partir
de ces notions, la Commission analyse les droits de l’homme du Dr Francisco
José Antonio Pratdesaba Barillas qui se trouvent violés par suite de sa
disparition forcée.
Droit à la reconnaissance de la personnalité juridique
24. La
disparition du Dr Francisco José Antonio Pratdesaba Barillas implique
une violation du droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique
consacré à l’article 3 de la Convention.
Lorsque le Dr Pratdesaba est disparu du fait de l’action
d’agents du Gouvernement, il a été nécessairement exclu de l’ordre
juridique et institutionnel de l’Etat, ce qui signifie une négation de
son existence propre en temps qu’être humain doté de la personnalité
juridique[10]/.
Droit à la vie
25. Le Dr Francisco
José Antonio Pratdesaba Barillas continue d’être qualifié de disparu.
La Cour interaméricaine s’est ainsi exprimée sur ce point:
"La pratique des disparitions, en somme, a comporté fréquemment
l’exécution des séquestrés, en secret et sans autre forme de procès,
suivie de la dissimulation du cadavre afin d’effacer toute trace matérielle
du crime et de procurer l’impunité à ceux qui l’ont commis, ce qui
signifie une violation brutale du droit à la vie"[11]/. D’autre part, le
contexte dans lequel s’est produit la disparition et le fait que 14 ans
après, la victime est toujours portée disparue, permettent de conclure
raisonnablement que M. Pratdesaba Barillas a été privé de sa vie[12]/.
26. La
Commission conclut, pour les raisons exposées, que les faits dénoncés ont
violé le droit à la vie du Dr Francisco José Antonio Pratdesaba
Barillas, qui est reconnu à l’article 4 de la Convention américaine
relative aux droits de l’homme.
Droit à l’intégrité de la personne
27. L’article 5
de la Convention américaine établit le droit qu’a toute personne au
respect de son intégrité physique, psychique et morale.
Les faits dénoncés dans la présente affaire constituent une
violation des droits du Dr Francisco José Antonio Pratdesaba Barillas
à l’intégrité de sa personne.
28. La Cour
interaméricaine a affirmé que:"l’isolement prolongé et la
privation de communication sous la contrainte auxquels se trouve soumise la
victime [de la disparition] représentent en eux-mêmes des formes de
traitement cruel et inhumain préjudiciables à l’intégrité psychique et
morale de la personne et au droit de tout détenu au respect dû à la
dignité inhérente à la personne humaine, ce qui constitue, pour sa part,
la violation des dispositions de l’article 5 de la Convention qui
reconnaît le droit à l’intégrité de la personne"[13]/.
Droit à la liberté de la personne
29. En ce qui
concerne la violation de ce droit, la Cour interaméricaine a affirmé que:
"L’enlèvement de la personne est un cas de privation arbitraire de
liberté qui, de plus, empiète sur le droit de la personne détenue à être
traduite dans le plus court délai devant un juge et à introduire les
recours appropriés afin qu’il soit statué sans délai sur la légalité
de son arrestation, et qui viole l’article 7 de la Convention qui
reconnaît le droit à la liberté de la personne"[14]/.
30. L’enlèvement
et la disparition du Dr Francisco José Antonio Pratdesaba Barillas,
que la Commission a constaté, constitue une violation du droit à la liberté
de la personne, reconnu à l’article 7 de la Convention américaine.
Droit aux garanties judiciaires et à la protection judiciaire
31. Les
articles 8 et 25 de la Convention américaine établissent le droit de
tout individu à accéder aux tribunaux compétents, afin qu’il soit protégé
contre tous actes qui violent ses droits, et stipule également
l’obligation faite à l’Etat d’accorder les garanties minimales pour
la détermination de ses droits. Les
voies de recours internes de l’Etat guatémaltèque n’ont pas fourni les
moyens nécessaires pour assurer le respect de ces droits et, de ce fait,
ont violé la Convention américaine.
32. L’article
25.1 incorpore le principe reconnu en droit international des droits de
l’homme du caractère effectif des instruments ou moyens judiciaires
destinés à garantir ces droits. Il
ne suffit pas que l’ordre juridique de l’Etat reconnaisse formellement
le recours en question, mais il est nécessaire qu’il offre les possibilités
d’un recours effectif et que celui-ci soit instruit conformément aux règles
applicables aux formes et garanties de procédure[15]/.
33. Les voies
de recours internes de l’Etat guatémaltèque n’ont pas fourni un
recours satisfaisant et efficace qui respecte les garanties minimales et qui
débouche sur une décision au sujet des droits du Dr Francisco José
Antonio Pratdesaba Barillas, qui établissent l’endroit où il se trouve
actuellement et qui détermine l’identité et la responsabilité des
auteurs de l’enlèvement.
34. Ces
insuffisances que présentent en l’espèce les voies de recours de la
juridiction interne, justifient non seulement l’affirmation selon laquelle
les requérants ne sont pas obligés d’utiliser et d’épuiser ces voies
de recours, mais impliquent également l’Etat guatémaltèque dans une
violation des droits à la protection judiciaire et aux garanties
judiciaires reconnus aux articles 25 et 8 de la Convention américaine[16]/.
Obligation de garantir et de respecter les droits
35. L’Etat
guatémaltèque ne s’est pas acquitté de l’obligation émanant de
l’article 1.1 de la Convention américaine, spécifiant que les Etats
parties s’engagent à "respecter les droits et libertés reconnus
dans la présente Convention et à en garantir le libre et plein exercice à
toute personne relevant de leur compétence".
Les violations des droits reconnus aux articles 3, 4, 5, 7, 8 et 25
lui sont de ce fait imputables.
36. Aux termes
de l’article 1.1, les Etats parties à la Convention américaine ont
au premier chef l’obligation de respecter les droits et libertés reconnus
dans ladite Convention.
37. Afin de déterminer
quelles sont les formes de l’exercice du pouvoir public qui viole
l’obligation de respecter les droits établie à l’article 1.1, la
Cour interaméricaine a affirmé que: c’est
un principe du droit international que l’Etat réponde des actes de ses
agents revêtus d’un caractère officiel et des omissions desdits agents même
s’ils outrepassent les limites de leur compétence ou agissent en
violation du droit interne". De
même, "est imputable à l’Etat toute violation des droits reconnus
par la Convention du fait d’un acte du pouvoir public ou de l’action de
personnes qui se prévalent des pouvoirs qu’ils détiennent à titre
officiel"[17]/.
38. La
Commission a conclu que l’enlèvement du Dr Francisco José Antonio
Pratdesaba Barillas survenu le 1er octobre 1981, sa
disparition et le déni de justice qui s’est ensuivi, constituant des
violations des droits reconnus aux articles 3, 4, 5, 7, 8 et 25 de la
Convention, ont été perpétrés par des agents qui exerçaient des
fonctions publiques. C’est
pourquoi, conformément aux éléments précités, l’Etat guatémaltèque
a violé l’obligation stipulée à l’article 1.1 de respecter les
droits de Francisco José Antonio Pratdesaba Barillas prévus dans la
Convention américaine.
39. La seconde
obligation découlant de l’article 1.1 a pour objet de garantir le
libre et plein exercice des droits et libertés reconnus dans la Convention.
"Cette obligation implique le devoir qu’ont les Etats parties
d’organiser l’appareil gouvernemental et, d’une manière générale,
toutes les structures par le biais desquelles s’exerce le pouvoir public,
de telle sorte qu’elles puissent assurer juridiquement le libre et plein
exercice des droits de l’homme. Comme
suite à cette obligation, les Etats doivent prévenir, instruire et
sanctionner toute violation des droits reconnus par la Convention[18]/.
40. La
Commission a conclu que les voies de recours internes de l’Etat guatémaltèque
n’ont pas permis d’enquêter sur la violation des droits dont a été
victime le Dr Pratdesaba Barillas, de sanctionner les responsables et
de réparer les conséquences de ces violations.
La Commission conclut de fait, que l’Etat guatémaltèque, faute
d’avoir garanti l’exercice des droits du Dr Francisco José Antonio
Pratdesaba Barillas et de sa famille, a également violé l’article 1.1
de la Convention.
41. Le Rapport
confidentiel 17/96 a été adopté par la Commission le 30 avril 1996
au cours de sa 92e Session ordinaire, et a été transmis au
Gouvernement du Guatemala le 13 mai de la même année.
La Commission a demandé au Gouvernement de lui faire connaître dans
un délai de 60 jours les mesures adoptées pour résoudre la
situation. Dans le même temps,
la Commission a fait savoir qu’elle se tenait à la disposition des
parties intéressées en vue de soumettre l’affaire à une procédure de règlement
amiable fondé sur le respect des droits de l’homme reconnus dans la
Convention américaine, et a accordé un délai de 30 jours pour que
les parties indiquent si elles sont disposées à soumettre l’affaire à
une telle procédure. À la
date du présent rapport, la Commission n’a reçu aucune réponse à sa
proposition de soumettre l’affaire à un règlement amiable et estime donc
que cette proposition n’a pas été acceptée.
42. La réponse
du Gouvernement, datée du 21 mai 1996, a pris acte de ce que les
faits mentionnés ont eu lieu il y a plus d’une décennie, a fait savoir
par ailleurs que le Gouvernement actuel ne dispose pas de l’information
sollicitée et a demandé à la Commission de fournir une information plus
ample sur l’affaire pour pouvoir lancer une enquête.
Le Gouvernement a également demandé que la procédure
d’instruction de l’affaire soit suspendue jusqu’à plus ample informé.
43. Le 18
juin, la Commission a envoyé au Gouvernement une copie de l’information
pertinente contenue dans le dossier de l’affaire, et a accordé un délai
supplémentaire de 70 jours pour que lui soient communiqués les
renseignements sur les mesures adoptées pour résoudre la situation exposée
dans le Rapport 7/96. Le
Gouvernement du Guatemala n’a pas fourni le complément d’information
relatif à cette affaire.
44. Se fondant
sur l’information et les observations présentées, la Commission conclut
que l’Etat guatémaltèque a violé les droits du Dr Francisco José
Antonio Pratdesaba Barillas à la reconnaissance de la personnalité
juridique, à la vie, à l’intégrité de la personne, à la liberté, aux
garanties judiciaires et à la protection judiciaire, lesquels sont tous
reconnus respectivement aux articles 3, 4, 5, 7, 8 et 25 de la
Convention américaine relative aux droits de l’homme, en liaison avec
l’article 1.1 de ce même document.
45. L’article 1
de la Convention américaine établit l’obligation qu’ont les Etats
parties, premièrement, de respecter les droits et libertés reconnus, et
deuxièmement, de garantir le libre et plein exercice de ces droits. Cette dernière obligation se réfère au devoir qu’ont les
Etats de prévenir, d’instruire et de sanctionner les violations des
droits de l’homme. De ce devoir découle la responsabilité permanente
qu’a l’Etat de "tâcher de restaurer le droit violé et de fournir
la compensation à laquelle donnent lieu les dommages provenant de la
violation des droits de l’homme". (Affaire Velásquez Rodríguez, arrêt
du 29 juillet 1988, paragraphe 166).
46. Au vu de
l’analyse ci-dessus, la Commission interaméricaine des droits de
l’homme recommande à l’Etat guatémaltèque de:
a. Procéder
à une enquête impartiale et efficace des faits dénoncés afin de déterminer
le sort du Dr Francisco José Antonio Pratdesaba Barillas, d’établir
l’identité des auteurs de sa disparition et de traduire les responsables
en justice.
b. Adopter
des mesures de réparation totale pour les violations constatées, et
notamment: des mesures destinées à localiser les restes du Dr Francisco
José Antonio Pratdesaba Barillas; les arrangements nécessaires pour répondre
aux voeux de sa famille en ce qui concerne la dernière demeure de la dépouille
mortelle; et l’octroi d’une indemnité aux membres de la famille.
47. La
Commission décide de publier le présent rapport dans le Rapport annuel à
l’Assemblée générale de l’OEA, en application des articles 48 du
Règlement de la Commission et 51.3 de la Convention, étant donné que le
Gouvernement du Guatemala n’a pas adopté les mesures nécessaires pour régler
l’affaire liée à la situation dénoncée, dans les délais accordés.
[1].
Voir Cour interaméricaine des droits de l’homme, Affaire Velásquez
Rodríguez, Arrêt du 29 juillet 1988, par. 61. [2].
Voir Cour interaméricaine des droits de l’homme, Affaires: Velásquez Rodríguez, Exceptions préliminaires, Arrêt du
26 juin 1987, paragraphe 88; Fairén Garbi et Solís
Corrales, Exceptions préliminaires, Arrêt du 26 juin 1987,
paragraphe 87; et Godínez Cruz, Exceptions préliminaires, Arrêt
du 26 juin 1987, paragraphe 90.
[3].
Voir Rapport annuel de la Commission interaméricaine des droits
de l’homme 1983-1984, OEA/Ser.L/V/II.63, doc. 10, 28 septembre 1984,
p. 105-106. [4].
La Cour interaméricaine des droits de l’homme a confirmé,
pour sa part, que « le silence du défendeur ou sa réponse élusive
ou ambiguë peuvent être interprétés comme une acceptation des faits
consignés dans la requête, à moins que la preuve du contraire ne
ressorte des actes ou ne résulte de l’appréciation judiciaire".
Affaire Velásquez Rodríguez, Arrêt du 29 juillet 1988,
paragraphe 138. [5].
Voir le Rapport sur la situation des droits de l’homme dans la
République du Guatemala, OEA/Ser.L/V/II/53, doc. 21, rev. 2,
13 octobre 1981, p. 34-35. [6].
Voir le Rapport sur la situation des droits de l’homme au
Guatemala, OEA/Ser.L/V/II/61, doc. 47, 5 octobre 1983, p. 84-85. [7].
Voir le Rapport annuel de la Commission interaméricaine des
droits de l’homme 1985-86, OEA/Ser.L/V/II/68, Doc. 8 rev. 1,
26 septembre 1986, p. 40-41 ; Rapport annuel de la
Commission interaméricaine des droits de l’homme 1982-83,
OEA/Ser.L/V/II/61, Doc. 22, rev. 1, 27 septembre 1983,
p. 48-50 ; Rapport annuel de la Commission interaméricaine
des droits de l’homme 1980-81, OEA/Ser.L/V/II/54, Doc. 9, rev. 1,
16 octobre 1981, p. 113-14 ; Affaire Velásquez Rodríguez,
Arrêt du 29 juillet 1988, par. 147; Convention interaméricaine
sur la disparition forcée des personnes, article II.
Cette Convention est entrée en vigueur le 28 mars 1996
avec le dépôt de l’instrument de ratification par l’Argentine et
le Panama le 28 février 1996 auprès du Secrétariat général
de l’OEA. Le Guatemala a
signé cette Convention mais ne l’a toujours pas ratifiée. [8].
Voir Affaire Velásquez Rodríguez, Arrêt du 29 juillet 1988,
paragraphe 155. Le
prononcé de l’arrêt de la Cour à ce sujet s’appuie en outre sur
les déclarations d’autres organismes internationaux qui confirment
que la disparition forcée des personnes constitue une violation
multiple des droits internationalement reconnus.
Voir, par exemple, la Déclaration sur la protection de toutes
les personnes contre les disparitions forcées, Résolution de
l’Assemblée générale des Nations Unies 47/133, 18 décembre 1992,
article 1.1. [10].
Voir la Déclaration sur la protection de toutes les personnes
contre les disparitions forcées, article 1.2, caractérisant
la disparition forcée comme "une violation des règles du
droit international qui garantissent à tout être humain le droit à la
reconnaissance de sa personnalité juridique".
Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies
47/133, 18 décembre 1992. [15].
Voir Cour interaméricaine des droits de l’homme, affaires Velásquez
Rodríguez, Exceptions préliminaires, arrêt du 26 juin 1987,
paragraphe 91; Fairén Garbi et Solís Corrales, Exceptions préliminaires,
Arrêt du 26 juin 1987, paragraphe 90 et Godínez Cruz,
Exceptions préliminaires, Arrêt du 26 juin 1987, paragraphe 93. |