RAPPORT No 28/96

AFFAIRE 11.297

GUATEMALA

16 octobre 1996

 

 

I.       ANTECEDENTS

 

         A.     Faits dénoncés liés à l'incarcération et à la mort de Juan Hernández Lima

 

         1.      Selon les demandeurs (Bureau des droits de l'homme de l'Archevêché de Guatemala et Groupe juridique international des droits de l'homme), M. Juan Hernández Lima, agriculteur âgé de 38 ans, a été arrêté par la police dans la ville de Guatemala le 26 avril 1993, en compagnie de quatre autres personnes, pour avoir "troublé l'ordre public".  Le prévenu, avec les quatre autres personnes, a été conduit devant le Juge de paix (section pénale).

 

         2.      Les détenus ont confessé avoir "causé un scandale public sous l'effet de l'alcool,"  et ils ont été condamnés chacun à une peine de trente (30) jours de prison commuable en amende. Au cours de la procédure pénale, M. Hernández n'a pas bénéficié de l'assistance d'un avocat à la défense.  L'amende a été fixée à 20 quetzals (environ 3 dollars E.U. au moment des faits), plus 2 quetzals par jour pour annuler les 30 jours de prison.

 

         3.      Trois des condamnés ont payé l'amende et sont sortis de prison, mais M. Hernández et l'autre détenu sont demeurés incarcérés car ils n'ont pas pu payer la somme fixée.

 

         4.      Alors qu'il était incarcéré au Centre de détention provisoire de la Zone 8, M. Hernández est décédé le 2 mai 1993, apparemment des suites d'un oedème cérébral et d'une crise de choléra.  Selon les demandeurs, les employés chargés des soins médicaux au centre de détention ont administré un traitement médical insuffisant.  Le Directeur en fonctions avait autorisé le transfert de M. Hernández à un hôpital mais ce transfert n'a pas eu lieu.

 

         5.      La mère de M. Hernández n'a été informée de l'incarcération de son fils que le 6 mai 1993, par des voisins, et elle a été informée de son décès et de son inhumation lorsqu'elle s'est présentée, ce jour-là, au centre de détention provisoire.

 

 

         B.      Faits allégués relatifs à l'instruction du décès de Juan Hernández Lima

 

         6.      Les demandeurs indiquent que le 2 mai 1993, le Juge de Paix qui siégeait ce jour-là (section pénale) a démarré la procédure pénale relative au décès de Juan Hernández Lima.  Le 5 mai 1993, cette procédure a été confiée à la première chambre du Tribunal de première instance, section pénale (affaire 1346-93 de 7o).

 

         7.      Gabriela de María Lima Morataya, mère de la victime, s'est portée officiellement partie civile le 9 juillet 1993, et a demandé que soient effectuées les démarches suivantes: 1) publication du rapport du médecin légiste pour établir les causes de l'oedème cérébral de M. Hernández Lima, et savoir si des armes ou instruments contondants avaient été utilisés qui auraient pu occasionner ledit oedème cérébral; 2) chercher à savoir s'il existe un traitement médical pour éviter la mort d'une personne atteinte du choléra; 3) établir la négligence ou l'impéritie du traitement administré à M. Hernández; 4) veiller à ce que le juge a) demande le rapport du centre de détention provisoire de la Zone 18 pour connaître le nom du Directeur dudit centre et savoir s'il existe une fiche quelconque sur la victime; b) établisse les motifs pour lesquels les parents de la victime n'ont pas été informés de son décès; c) demande qui avait dispensé les soins médicaux à la victime, quel avait été le traitement administré et pourquoi la victime n'avait pas été transférée dans un centre hospitalier.

 

         8.      Les demandeurs allèguent que la procédure pénale n'a pas progressé depuis lors.  Aucune des démarches demandées par Mme Lima en tant que partie civile n'a été effectuée, et on ne lui a pas permis non plus d'avoir accès au dossier judiciaire.

 

 

II.      INSTRUCTION DEVANT LA COMMISSION

 

         9.      La Commission a reçu une plainte le 1er avril 1994 et des informations complémentaires le 15 avril 1994.  Le 2 juin 1994, la Commission a commencé l'instruction de cette affaire sous le numéro 11.297, en communiquant les parties pertinentes de la plainte au Gouvernement guatémaltèque et en demandant des informations complémentaires sur les faits énoncés et sur tout autre élément du jugement qui permettraient à la Commission d'apprécier si, dans cette affaire, tous les recours de la juridiction interne avaient été épuisés. 

 

         10.    Le Gouvernement a répondu à la demande de la Commission le 5 octobre 1994.  Pour leur part, les demandeurs ont présenté leurs conclusions à la Commission le 10 février 1995.  Les parties pertinentes de ladite information ont été remises au Gouvernement le 13 février 1995.

 

         11.    Le 27 mars 1995, le Gouvernement a adressé à la Commission la réponse à la dernière information fournie par les demandeurs dans l'affaire.  La Commission a envoyé aux demandeurs les parties pertinentes de cette communication le 30 mars 1995, en leur demandant de faire parvenir leurs observations sur la réponse du Gouvernement.  La Commission a réitéré cette demande le 6 octobre 1995.

 

         12.    Le 11 décembre 1995, la Commission a reçu une communication des demandeurs sollicitant une prorogation pour répondre à la communication du Gouvernement, et expliquant que les demandeurs avaient eu des difficultés à obtenir les informations et preuves nécessaires car les tribunaux du Guatemala s'étaient montrés peu coopératifs pour fournir les renseignements pertinents.  Par une lettre en date du 14 décembre 1995, la Commission a accordé une prorogation de 30 jours.

 

         13.    La Commission s'est adressée au Gouvernement guatémaltèque le 15 décembre 1995 pour lui demander des renseignements spécifiques sur le processus interne qui avait été engagé concernant le décès de Juan Hernández Lima, en accordant un délai de réponse de 30 jours.  Le Gouvernement n'a jamais répondu à cette communication de la Commission.

 

         14.    Les demandeurs ont présenté leurs conclusions le 18 décembre 1995, et les parties pertinentes de ladite communication ont été remises au Gouvernement le 20 décembre 1995.

 

         15.    Le 24 janvier 1996, la Commission a reçu du Gouvernement une demande de prorogation pour répondre sur la présente affaire, prorogation qui a été accordée le même jour, en octroyant un délai additionnel de 30 jours.  Le Gouvernement a envoyé une communication à la Commission le 27 février 1996 en réponse à la communication des demandeurs en date du 18 décembre 1995.

 

 

III.     POSITION DES PARTIES

 

         A.     Position des demandeurs

 

         16.    Les demandeurs ont allégué que M. Juan Hernández Lima "était décédé dans une prison guatémaltèque, d'une maladie commune (choléra) qui aurait pu être guérie très facilement".  Ils ont ajouté que "l'absence de conditions propres à la dignité humaine dans le traitement des prisonniers et des inculpés avaient provoqué sa mort".

 

         17.    Ils ont signalé que dans le traitement de M. Hernández Lima, il y avait eu négligence de la part des autorités pénitentiaires, indiquant qu'entre autres irrégularités, le personnel du centre de détention n'avait pas administré le médicament de réhydratation en quantités suffisantes et n'avait pas transféré le malade dans un centre hospitalier comme le demandait la gravité de son état de santé.

         18.    Ils ont allégué en outre que:

 

         dans tous les cas, aussi bien les autorités pénitentiaires que les agents sanitaires de la prison, sont directement responsables de l'intégrité physique des détenus et du respect de leur dignité humaine.

 

         19.    Par ailleurs, se référant à la détention arbitraire dont la victime avait fait l'objet, les demandeurs ont allégué que M. Hernández Lima avait été incarcéré en violation de la Constitution du Guatemala, dont l'article 11 défend d'emprisonner les personnes ayant commis des fautes ou des infractions lorsqu'elles sont munies de pièces d'identité. Ils ont fait valoir que:

 

         Juan Hernández Lima avait sur lui ses papiers personnels, c'est à dire sa carte d'identité avec laquelle, comme il découle du texte constitutionnel, il n'était pas possible de l'incarcérer pour infraction; sa détention a été totalement arbitraire.

 

         20.    Les demandeurs ont ajouté qu'à aucun moment, M. Hernández n'avait bénéficié  des services d'un avocat à la défense et que sa famille n'avait pas non plus été informée de son incarcération.  Les réclamants ont également indiqué  que, "faute d'argent, il n'a pu commuer sa peine".  Ils ont allégué que si M. Hernández avait pu entrer en contact avec sa famille, il aurait pu obtenir l'argent nécessaire à l'annulation de sa peine d'emprisonnement.

 

         21.    Dans une communication du 10 février 1995, les demandeurs ont fait référence à la procédure judiciaire instaurée pour enquêter sur la mort de M. Hernández Lima en indiquant que:

 

         Depuis le 5 mai 1993 ... la procédure se situe au niveau de la première chambre du Tribunal de première instance, section pénale, (cause 1346-93 of.7).  Bien que la mère de Juan Hernández Lima se soit officiellement portée partie civile depuis le mois de juillet 1993, cette procédure n'a absolument pas avancé depuis cette date, bien que le Juge ait été prié de procéder à de multiples démarches.

 

         22.    De même, les demandeurs ont allégué qu'il appartient au Procureur général de la République d'enquêter sur les faits constituant le délit, et selon les renseignements fournis par le Gouvernement, la Commission présidentielle de coordination de la politique du Pouvoir exécutif relative aux droits de l'homme (COPREDEH) a demandé l'intervention de ce procureur pour que soient effectuées les enquêtes pertinentes.  Mais ces enquêtes n'ont donné aucun résultat.

 

         23.    Enfin, les demandeurs ont fait valoir qu'il existait une exception à la nécessité d'épuiser tous les recours internes conformément aux dispositions de l'article 46.2.c de la Convention américaine relative aux droits de l'homme (ci-après dénommée "la Convention"), laquelle établit une exception à l'épuisement des recours de la juridiction interne "lorsqu'il y a un retard injustifié dans la décision des instances saisies".  Pour appuyer cet argument, les demandeurs ont indiqué:

 

         il y a exactement 21 mois qu'est décédé M. Hernández Lima et à ce jour, l'affaire n'a absolument pas progressé  La dernière démarche effectuée dans le cadre de la procédure date du 14 juillet 1993; rien ne peut justifier le retard de l'administration de la justice dans la mort de Juan Hernández Lima, ... la requête présentée est donc recevable.

 

         24.    Dans une communication en date du 18 décembre 1995, les demandeurs ont fait référence à la position adoptée par le Gouvernement guatémaltèque quant à l'impossibilité d'informer la Commission des démarches et enquêtes menées à bien dans le cadre de la procédure pénale, car "aucun des actes de l'enquête ne peut être communiqué à des tiers".  Les demandeurs estiment qu'une telle attitude est en violation des obligations assumées par le Guatemala en vertu de la Convention américaine et ils indiquent en outre que:

 

         Le retard flagrant dans les démarches judiciaires et la négligence inexcusable dans l'obtention des preuves, entre autres, expliquent peut-être le fait que le Guatemala se retranche derrière la supposée confidentialité face à la Commission interaméricaine des droits de l'homme et face à la mère de la victime, violant ainsi ses propres dispositions constitutionnelles et, plus grave encore, les normes de la législation internationale des droits de l'homme lesquelles, selon l'article 46 de la Constitution du Guatemala, ont la prééminence sur le droit interne.

 

         25.    Les demandeurs ont réitéré qu'ils considèrent que l'exception visée à l'article 46 est applicable à la règle de l'épuisement des recours internes.

 

 

         B.      Position du Gouvernement

 

         26.    Dans sa communication du 5 octobre 1994, le Gouvernement a indiqué que Juan Hernández Lima était décédé le 2 mai 1994 dans le Centre de détention provisoire de la Zone 18, à Guatemala, "à la suite d'une déshydratation sévère, de douleurs abdominales et de diarrhée".  Le Gouvernement a donné des informations sur les progrès de l'enquête relative au décès de M. Hernández, en indiquant que le Juge de paix de la section pénale s'était présenté au Centre de détention provisoire le jour même du décès de M. Hernández, pour commencer les premières démarches de l'instruction.  Ainsi a démarré d'office la procédure pénale tendant à établir s'il y avait eu négligence de la part des autorités dans le décès de M. Hernández et dans l'affirmative, appliquer les sanctions appropriées. 

 

         27.    De même, le Gouvernement a indiqué que par la suite, la procédure judiciaire avait été confiée au Juge du Tribunal de première instance, section pénale.  Le 5 mai 1993, l'affaire a été confiée à la première chambre du Tribunal de première instance (section pénale) où on lui a attribué le numéro 1346-93, of 7.  Le Gouvernement a ajouté que la mère de M. Hernándes Lima s'était constituée officiellement partie civile et que "Personne n'avait été accusé du décès de M. Juan Hernández Lima".

 

         28.    Le Gouvernement a également indiqué que la COPREDEH avait demandé l'intervention du Procureur général de la République pour que soient effectuées les enquêtes pertinentes et que soient traduites devant la justice les personnes responsables.

 

         29.    En ce qui a trait à l'admissibilité de la demande, le Gouvernement a indiqué que dans la mesure où il existait une procédure pénale au Guatemala, le cas présent devait être déclaré inadmissible par la Commission.

 

         30.    Dans les observations qu'il a faites le 25 mars 1995, le Gouvernement a allégué une fois encore qu'il n'y avait pas eu épuisement des recours internes et a indiqué ce qui suit:

 

         L'Etat du Guatemala, rejette catégoriquement les assignations faites par le réclamant, et réitère son souhait et sa volonté politique de voir le cas présent résolu rapidement et de manière satisfaisante, par une décision  judiciaire conforme aux lois nationales.

 

         31.    Le Gouvernement a également indiqué ce qui suit:

 

         [Le] Gouvernement du Guatemala ne peut accepter de communiquer les enquêtes et/ou démarches effectuées conformément à l'Article 314 du Code de procédure pénale en vigueur (Décret 51-92) qui dispose que "...aucun des actes de l'enquête ne pourra être communiqué à des tiers...".

 

         32.    Dans sa réponse du 27 février 1996, le Gouvernement s'est contenté d'indiquer que le dossier de l'affaire pénale n'avait pas été transféré au Ministère public aux fins d'enquête comme le requiert le nouveau Code de procédure pénale du Guatemala.  Le Gouvernement a indiqué que le Ministère public avait fait les démarches pertinentes pour transférer le dossier et rouvrir l'instruction. 


IV.     ADMISSIBILITE

 

         33.    La Cour a déclaré que lorsque les recours internes "ne sont pas efficaces", les exceptions relatives à l'épuisement desdits recours sont appliquées.[1]/ La Commission a pu établir que les recours internes ont été et sont totalement inefficaces pour la protection des droits fondamentaux en cause dans la présente affaire.  Trente-trois mois se sont écoulés depuis que M. Hernández Lima est décédé en prison et la procédure pénale n'a pas progressé le moins du monde, bien que la mère de la victime ait demandé que soient effectuées une série de démarches judiciaires.  Le Gouvernement du Guatemala n'a pas allégué ou prouvé le contraire. 

 

         34.    Dans d'autres affaires, la Commission a noté que "l'Etat guatémaltèque a fait preuve de négligence et s'est montré incapable de mener à bien l'enquête et l'action judiciaire voulue pour trouver les responsables de l'acte délictueux."[2]/

 

         35.    La Commission considère que dans le cas présent est applicable l'exception relative à l'épuisement des recours internes visée à l'article 46.2.c de la Convention américaine qui stipule que ladite règle ne sera pas appliquée lorsque "il y a un retard injustifié dans la décision des instances saisies".  La Commission ne trouve aucune justification au retard de 33 mois survenu dans la procédure pénale, période au cours de laquelle les démarches judiciaires susceptibles de faire progresser l'enquête n'ont pas été menées à bien.  Ce retard n'a pas permis d'épuiser les recours internes, ce qui justifie également l'application de l'exception visée à l'article 46.2.b.

 

         36.    La demande remplit les autres conditions d'admission et d'admissibilité exposées dans les articles 44, 46 et 47 de la Convention américaine et 31 et 32 du Règlement de la Commission.

 

         37.    La Commission a également observé que les demandeurs ont manifesté, par le biais d'une communication en date du 18 décembre 1995, qu'ils écartaient la possibilité de parvenir à une solution amiable dans cette affaire.  Dans la mesure où les demandeurs n'ont pas l'intention de parvenir à un règlement amiable, conformément aux articles 48 et 49 de la Convention américaine, la Commission estime que ce recours est épuisé.

 

 

V.      ANALYSE

 

         A.     Non accomplissement par le Guatemala de l'obligation de collaborer avec la Commission

 

         38.    La Commission considère que le Guatemala a violé son obligation de fournir l'information demandée dans la présente affaire.  Dans ses communications avec la Commission à ce sujet, le Gouvernement du Guatemala a indiqué qu'"il ne peut accepter de divulguer les enquêtes et/ou démarches effectuées conformément à l'article 314 du Code de procédure pénale en vigueur (Décret 51-92) qui dispose que "...aucun des actes de l'enquête ne sera communiqué à des tiers...".  En outre, même dans sa réponse la plus récente en date du 27 février 1996, le Gouvernement n'a pas fourni d'informations sur les démarches effectuées pendant la procédure pénale relative à cette affaire, et n'a pas répondu non plus aux demandes spécifiques faites par la Commission dans sa communication du 15 décembre 1995 concernant les progrès de l'action pénale et les démarches effectuées.

 

         39.    La Commission rejette catégoriquement la position du Gouvernement lorsqu'il avance qu'il ne peut fournir d'informations car la législation interne ne permet pas de les divulguer.  En premier lieu, la Commission considère que la clause du Code de procédure pénale visée ne défend pas au Gouvernement de fournir l'information requise à cette instance.  Le Gouvernement, à qui il appartient de fournir l'information à cette Commission, n'est pas "étranger" à la procédure pénale qu'il a engagée par le biais de son organe juridictionnel, non plus que la Commission.

 

         40.    En deuxième lieu, la Commission rappelle au Gouvernement que selon un principe de droit international bien établi, les obligations internationales contractées par les Etats ne peuvent être subordonnées ou conditionnées aux dispositions légales nationales.[3]/  Le Guatemala a contracté plusieurs obligations internationales en vertu de la Convention américain relative aux droits de l'homme.  Parmi ces obligations figure celle exposée à l'article 48.1.a de la Convention qui stipule que:

 

         Saisie d'une pétition ou communication, la Commission...a)...demandera des informations au Gouvernement de l'Etat dont relève l'autorité à qui la violation est imputée...Ces informations devront être présentées dans un délai raisonnable...e) elle pourra demander aux Etats intéressés toutes informations pertinentes.

 

         La Convention oblige donc les Etats à fournir les informations que demande la Commission lors de l'instruction d'une affaire individuelle.

 

         41.    Il est également nécessaire d'indiquer que l'information requise par la Commission est celle qui lui permet de prendre des décisions sur une affaire portée à sa connaissance.  Il convient de mentionner, comme exemple pertinent de ce type de décision, l'article 8.1 de la Convention concernant la nécessité d'établir si une personne a été entendue par un juge dans un délai raisonnable, ou l'article 46.2.c d'après lequel la Commission doit déterminer s'il existe un retard injustifié dans l'instruction en utilisant les recours internes.  Dans le cadre de la Convention américaine, il serait illogique de penser qu'une procédure pénale puisse demeurer indéfiniment à une "étape confidentielle" et que de ce fait, la Commission ne puisse déterminer si le délai est raisonnable ou justifié. 

 

         42.    Les autorités publiques d'un Etat — appartenant à l'une des trois branches du pouvoir public — doivent interpréter les lois internes de manière qu'elles soient cohérentes avec les obligations internationales; sinon, par leurs actions ou omissions comme agents de l'Etat, elles peuvent rendre celui-ci responsable au plan international de la violation des normes internationales.  Quelle que soit l'interprétation des lois nationales du Guatemala, l'Etat doit remplir son obligation de fournir des informations à la Commission en ce qui concerne l'affaire individuelle en cours d'instruction.  Faute de quoi, le Gouvernement guatémaltèque serait en train d'enfreindre la Convention et porterait préjudice à sa défense dans l'affaire.

 

         43.    La Cour a indiqué que la coopération des Etats est une obligation fondamentale dans la procédure internationale du système interaméricain, dans les termes suivants:

 

         A la différence du droit pénal interne, en ce qui concerne les procédures relatives aux violations des droits de l'homme, la défense de l'Etat ne peut reposer sur l'impossibilité du demandeur d'alléguer des preuves qu'en de nombreux cas, il ne peut obtenir sans la coopération de l'Etat.

 

         L'Etat contrôle les moyens d'éclaircir les faits survenus dans son territoire.  Bien que la Commission ait la possibilité d'effectuer des enquêtes, dans la pratique, pour pouvoir effectuer ses enquêtes dans la juridiction de l'Etat, elle dépend de la coopération et des moyens que lui fournit le Gouvernement de cet Etat.[4]/

 

         44.    Dans le cas présent, le Gouvernement n'a pas répondu en ce qui concerne les faits dénoncés et a refusé de fournir l'information liée aux démarches effectuées dans la procédure pénale menée à bien au Guatemala.  D'après la Cour, nous devons conclure que le Gouvernement du Guatemala ne peut se défendre en se refusant à fournir les preuves nécessaires pour que la Commission procède à une analyse appropriée de l'affaire.  La Commission considère donc que le Guatemala renonce à fournir l'information additionnelle et à contester les faits allégués par le demandeur.

 

         45.    Etant donné cette situation, la Commission estime nécessaire de recourir à la jurisprudence de la Cour, selon laquelle "le silence du défendeur ou ses réponses évasives ou ambiguës peuvent être interprétés comme une acceptation des faits allégués, du moins tant que le contraire n'apparaît pas dans la procédure ou ne résulte pas de la conviction du juge."[5]/

 

         46.    La Commission estime que les faits ne peuvent être considérés comme vrais simplement parce que le Gouvernement guatémaltèque a répondu de manière ambiguë ou évasive dans l'instruction de la présente affaire, mais qu'il faut plutôt analyser les faits allégués à la lumière des critères établis ici.[6]/  Les demandeurs doivent donc satisfaire aux conditions d'admissibilité (qui sont déjà remplies, selon l'analyse qui a déjà été effectuée), et aux éléments  minimum de cohérence, de spécificité et de crédibilité dans la version des faits présentés, pour qu'ils puissent être présumés  vrais.

 

         47.    La Commission considère que l'information fournie permet d'évaluer la version des faits présentés par le demandeur, conformément à ce qui est prescrit par la Convention américaine et le Règlement de la Commission.  Le demandeur a présenté une version détaillée et cohérente des faits, étayée par des documents auxquels il a pu avoir accès.  Par exemple, le dossier soumis à la Commission comprend le mandat d'arrêt à l'encontre de M. Hernández et son certificat de décès.  Lorsque le Gouvernement a fourni des informations relatives à cette affaire, il n'a ni contesté les faits allégués par les demandeurs ni fourni d'informations ou de preuves jetant un doute sur la crédibilité de ceux-ci.

 

 

         B.      Analyse des violations des droits des victimes

 

                 a.      Considérations générales

 

         48.    La Commission estime qu'en premier lieu, il est de la plus haute importance de rappeler que l'article 1.1. de la Convention américaine relative aux droits de l'homme dispose que "Les Etats parties [à la présente Convention] s'engagent à respecter les droits et libertés reconnus dans la présente Convention et à en garantir le libre et plein exercice à toute personne relevant de leur compétence, sans aucune distinction fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l'origine nationale ou sociale, la situation économique, la naissance ou toute autre condition sociale".

 

         49.    La Commission a tenu compte des opinions de la Cour interaméricaine des droits de l'homme qui, en se référant aux devoirs incombant aux Etats qui comme le Guatemala, ont ratifié la Convention américaine sur les droits de l'homme, a indiqué que:

 

         L'article 1.1. est essentiel pour déterminer si une violation des droits de l'homme reconnus par la Convention peut être attribuée à un Etat partie.  En effet, ledit article confie aux Etats parties les devoirs fondamentaux de respect et de garantie, de sorte que tout manquement aux droits de l'homme reconnus par la Convention, pouvant être attribué selon les règles du Droit international à l'action ou omission de l'une quelconque des autorités publiques, constitue un fait imputable à l'Etat qui en assume la responsabilité selon les termes prévus par cette même Convention.[7]/

 

         50.    Outre l'obligation qui consiste à respecter les droits fondamentaux et spécifiques établis par la Convention, une autre obligation qui émane de l'article 1.1 de la Convention, est celle qui consiste à garantir les droits fondamentaux.  Cette obligation englobe le devoir de prévenir et de faire une enquête sur toute violation des droits de l'homme, le devoir de sanctionner les responsables et le devoir d'indemniser la victime et/ou sa famille pour les actions ou omissions des agents de l'Etat ayant violé les droits reconnus par la Convention.[8]/

 

 

         b.      Violation du droit à la liberté de la personne

 

         51.    Le droit à la liberté de la personne est consacré dans l'article 7 de la Convention américaine. Cet article garantit un droit humain fondamental qui est la protection de l'individu contre les ingérences arbitraires de l'Etat dans l'exercice de son droit à la liberté de la personne.[9]/

 

         52.    L'article 7, paragraphes 1, 2 et 3 dispose que:

 

                 1.      Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne.

 

                 2.      Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs et dans des conditions déterminées à l'avance par les constitutions des Etats parties ou par les lois promulguées conformément à celles-ci.

 

                 3.      Nul ne peut faire l'objet d'une détention ou d'une arrestation arbitraires.

 

         53.    La Constitution guatémaltèque, à laquelle se rapporte l'article 7 de la Convention, stipule que certaines conditions doivent exister pour pouvoir procéder à une incarcération dans le cas de fautes comme celle commise par M. Hernández dans le cas présent.  L'article 11 de la Constitution Guatémaltèque dispose que:

 

         Incarcération pour fautes ou infractions.  Les personnes ayant commis des fautes ou des infractions, et dont l'identité peut être établie par des documents, par le témoignage d'un notable ou par les autorités elles-mêmes ne doivent pas demeurer incarcérées. 

 

         Dans de pareils cas, sous peine de se voir appliquer la sanction appropriée, le représentant de l'autorité  se contentera de rapporter les faits au juge compétent et de prévenir la personne en infraction qu'elle doit comparaître devant le juge dans les quarante-huit heures ouvrables.

 

         54.    Selon les allégations des demandeurs, M. Hernández Lima portait sur lui une pièce d'identité au moment de son incarcération.  Cependant, il a été arrêté par les agents de police, en contravention de ce qui est établi par la Constitution guatémaltèque.  Ce fait, en lui-même, constitue une violation expresse et flagrante du droit à la liberté de la personne reconnu par la Convention.  L'incarcération de M. Hernández Lima est une incarcération arbitraire évidente selon les termes de la Convention.

 

         55.    Par ailleurs, la Constitution du Guatemala dispose que:

 

         Article 7.  Notification de la cause au détenu.  Toute personne doit être notifiée... de la cause motivant sa détention... Cette notification doit être effectuée par le moyen le plus rapide à la personne désignée par le détenu.  Il incombe au représentant de l'autorité de veiller à ce que cette notification soit faite.

 

         L'article 19.c de la Constitution dispose également que les détenus "Ont le droit de communiquer, s'ils le demandent, avec leurs parents, un avocat à la défense, un assistant, un religieux ou un médecin".

 

         56.    Selon les demandeurs, M. Hernández Lima avait demandé aux autorités qui le gardaient de prévenir sa mère.  Le dossier de la prison comportait l'adresse du domicile de Mme Lima.  Cependant, celle-ci n'a jamais été notifiée. Elle n'a été informée de la détention et du décès de son fils que lorsque celui-ci avait déjà été inhumé par les autorités du centre de détention.

 

         57.    Il est également évident que l'omission d'une telle notification de la part des autorités du Guatemala constitue une violation de l'article 7 de la Convention, puisqu'il s'agit de l'une des conditions établies par la Constitution du Guatemala en cas d'incarcération.

 

 

         c.      Violation du droit à la vie (article 4) et à l'intégrité de la personne (article 5)

 

         58.    Selon les dispositions des articles 4 et 5 de la Convention, toute personne privée de liberté a droit à ce que l'Etat lui garantisse le droit à la vie et à l'intégrité de sa personne.  En conséquence l'Etat, dans la mesure où il est responsable des établissements de détention, est le garant de ces droits des détenus.[10]/  Il est également nécessaire de rappeler que la Cour a indiqué que, conformément aux dispositions de l'article 1.1, l'Etat guatémaltèque "a le devoir juridique de prévenir, raisonnablement, les violations des droits de l'homme".[11]/

 

         59.    L'Etat guatémaltèque, comme garant spécial de ces droits des détenus, aurait dû faire valoir et étayer de manière adéquate qu'il avait pris les mesures nécessaires pour garantir la vie et la santé de M. Hernández Lima.  L'Etat n'a ni contesté ce qui a été allégué par les demandeurs ni présenté de  preuves démontrant qu'il avait pris des mesures raisonnables pour empêcher la mort de M. Hernández.

 

         60.    Par conséquent, l'Etat guatémaltèque a violé par omission son devoir de garantir la santé et la vie de M. Hernández Lima, puisque la victime était sous sa garde, et n'avait pas la possibilité de recourir à ses proches, à un avocat ou à un médecin privé; en conséquence, l'Etat exerçait un contrôle complet sur sa vie et sur l'intégrité de sa personne.

 

         61.    La Commission estime que le demandeur a démontré de manière constante et spécifique, et avec les moyens qui étaient à sa disposition, que l'Etat du Guatemala n'a pas garanti à M. Hernández Lima l'intégrité de sa personne et le droit à la vie. Plus important encore, la Commission a établi que l'Etat n'a pas fait preuve de la diligence voulue pour protéger la vie et la santé de la victime et que, au contraire, il s'est refusé à communiquer les informations pertinentes dans le cas présent.

 

 

         d.      Violation de l'article 8.2 de la Convention américaine

 

         62.    L'article 8.2 de la Convention américaine stipule que toute personne accusée d'un délit a droit à certaines garanties, y compris le:

 

                 e.      droit irrévocable d'être assisté d'un défenseur procuré par l'Etat rémunéré ou non selon la législation interne, si l'inculpé ne se défend pas par lui-même ou ne nomme pas un défenseur dans le délai prévu par la loi.

 

         63.    La définition du comportement ayant motivé l'incarcération d'un individu, qu'il s'agisse d'une contravention, d'une faute, ou d'une infraction, est sans rapport avec les garanties établies par la Convention.  Etant donné la grande importance que revêt le droit à la liberté de la personne dans le cadre de la Convention, la Commission estime que les garanties de procédure à l'intention des personnes privées de liberté parce qu'elles ont commis un délit, s'appliquent également aux personnes détenues pour fautes, contraventions ou infractions.

 

         64.    M. Hernández Lima jouissait des garanties établies dans l'article 8.2 de la Convention.  La faute pour laquelle il a été jugé est prévue dans le Code pénal et dans la mesure où, dans certaines circonstances, elle justifie l'incarcération du prévenu, elle est assimilable à un délit.[12]/

 

         65.    En fait, selon les allégations des demandeurs et selon le mandat d'arrêt, dans le cas présent, M. Hernández Lima n'a pas bénéficié de l'assistance d'un avocat à la défense.  Le Gouvernement du Guatemala n'a pas contesté  les faits exposés par les demandeurs.  En conséquence, la Commission considère que le Guatemala a violé les garanties judiciaires exposées à l'article 8.2 de la Convention.

 

 

         f.      Violation des articles 8.1 et 25 de la Convention américaine

 

         66.    Dans le cadre des articles 1.1 et 25 de la Convention américaine, et en se fondant sur les opinions de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, l'Etat guatémaltèque "a le devoir juridique de prévenir, raisonnablement, les violations des droits de l'homme, de procéder à des enquêtes sérieuses avec les moyens à sa portée sur les violations qui ont été commises dans le cadre de sa juridiction afin d'identifier les responsables, de leur appliquer les sanctions pertinente et d'assurer à la victime une réparation adéquate".[13]/  L'Etat guatémaltèque a le devoir de procéder à une enquête "avec sérieux et non comme s'il s'agissait d'une simple formalité condamnée d'avance à être infructueuse".[14]/  L'obligation d'ouvrir une enquête est, par conséquent, une obligation de moyens, qui exige que les Etats fassent preuve d'un degré de diligence raisonnable pour déterminer les faits.

 

         67.    L'article 25 de la Convention stipule que:

 

         1.      Toute personne a droit à un recours simple et rapide, ou à tout autre recours effectif devant les juges et tribunaux compétents, destiné à la protéger contre tous actes violant ses droits fondamentaux reconnus par la Constitution, la loi ou la présente Convention...

 

         2.      Les Etats parties s'engagent:

 

                 a.      à garantir que l'autorité compétente prévue par le système juridique de l'Etat statuera sur les droits de toute personne qui introduit un tel recours.

 

         68.    L'article 8.1 de la Convention américaine stipule que:

 

         Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue, avec les garanties voulues, dans un délai raisonnable, par un juge ou un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi antérieurement par la loi, qui décidera du bien-fondé de toute accusation dirigée contre elle en matière pénale, ou déterminera ses droits et obligations en matière civile ainsi que dans les domaines du travail, de la fiscalité, ou dans tout autre domaine.

 

         69.    L'obligation de comportement consacrée dans l'article 1.1 est un corollaire nécessaire au droit de tout individu d'avoir recours à un tribunal pour obtenir une protection judiciaire lorsqu'il est victime de la violation de n'importe lequel de ses droits de l'homme.  S'il n'en était pas ainsi, le droit d'obtenir un recours effectif consacré dans l'article 25 serait absolument vide de sens.[15]/

 

         70.    La Commission considère que le droit à un recours consacré dans l'article 25, interprété conjointement avec l'obligation visée à l'article 1.1 et les dispositions prévues à l'article 8.1, doit être interprété comme le droit de tout individu d'avoir accès à un tribunal lorsque l'un de ses droits a été violé — qu'il s'agisse d'un droit protégé par la Convention, la Constitution ou la législation interne de l'Etat, — d'obtenir une enquête judiciaire près d'un tribunal compétent, impartial et indépendant, au cours de laquelle il sera établi s'il y a eu ou non violation et qui fixera, le cas échéant, un dédommagement approprié.

 

         71.    De cette façon, la victime a le droit d'obtenir que l'Etat ouvre une enquête judiciaire qui sera effectuée "sérieusement avec les moyens à sa portée ... afin d'identifier les responsables, [et] de leur appliquer les sanctions appropriées".[16]/

 

         72.    La Convention requiert que tous les Etats offrent des recours effectifs aux victimes de violations des droits de l'homme.  La Commission comprend que dans les cas où il se produit une violation du droit à la vie, le fait que l'Etat omette de fournir les recours effectifs affecte les parents de la personne décédée, et en fasse des "victimes" indirectes, ayant droit à la protection judiciaire; définie au sens large, celle-ci inclut le droit de connaître le sort de l'être cher et le droit d'obtenir un dédommagement.

 

         73.    Dans le cas présent, Mme Lima s'est "constituée officiellement partie civile" dans la procédure pénale, cherchant ainsi à faire avancer l'action judiciaire pour qu'une enquête soit ouverte sur la mort de son fils et que les coupables soient punis.  La Commission a déjà indiqué que, lorsque la victime et/ou ses parents peuvent avoir accès à la juridiction pénale, cet accès se convertit en "un droit fondamental du citoyen d'ester en justice."[17]/  Mme Lima n'a pas bénéficié de la protection de ce droit prévue aux articles 1.8 et 25 de la Convention, car il n'y a eu ni enquête ni jugement effectif.  Il en est résulté que Mme Lima n'a reçu aucune réparation et n'a pas pu connaître les circonstances de la mort de son fils, ni qui en est responsable.

 

         74.    La partie civile, mère de Juan Hernández Lima, n'a pas été autorisée à avoir accès à l'information relative à la procédure judiciaire concernant la mort de son fils, bien que l'article 314 du Code de procédure pénale du Guatemala permette à toute partie à l'instruction d'examiner les dossiers.  Elle a donc été effectivement empêchée d'exercer le droit inscrit dans l'article 8.1 de la Convention.

 

         75.    La législation internationale relative aux droits de l'homme dispose que pour déterminer si une procédure judiciaire a été menée "dans des délais raisonnables", conformément à l'article 8.1 de la Convention, il est nécessaire d'analyser les circonstances spécifiques de l'affaire en question en prenant en compte trois critères de base: 1) le comportement de la victime, 2) le comportement du tribunal, et 3) la complexité de l'affaire en question.[18]/  Ces principes peuvent également être appliqués pour analyser s'il y a eu recours "rapide", comme le requiert l'article 25.1 de la Convention.

 

         76.    En ce qui concerne le comportement de la victime, dans le cas présent Mme Lima s'est constituée partie civile dans la procédure pénale relative au décès de son fils survenu le 1er juillet 1993.  Mme Lima a demandé qu'il soit procédé à de nombreuses démarches manifestement destinées à obtenir des autorités guatémaltèques des informations auxquelles elle n'avait pas accès.

 

         77.    En ce qui concerne le comportement du tribunal, bien que Mme Lima ait demandé qu'il soit procédé à de nombreuses démarches quand elle s'est portée partie civile, les demandeurs allèguent que celles-ci n'ont jamais été effectuées et qu'en fait, le tribunal n'a entrepris aucune démarche après cette date.  Le Gouvernement n'a pas indiqué que ces démarches ont été effectuées ou que le tribunal ait ouvert une quelconque action judiciaire après le mois de juillet 1993.  Au contraire, le Gouvernement a refusé de fournir des informations sur cette question.  Il ressort toutefois de la réponse du Gouvernement en date du 27 février 1996, dans laquelle il est indiqué que les enquêtes seront rouvertes et l'affaire confiée au Ministère public, que le dossier n'a même pas été instruit par l'organe judiciaire approprié selon le nouveau Code de procédure pénale et que les démarches pertinentes n'ont pas été effectuées.

 

         78.    Il est évident pour la Commission que les agents judiciaires du Gouvernement ont eu un comportement négligent. Trente-trois mois se sont écoulés depuis lors sans que la procédure ait avancé le moins du monde.  C'est pourquoi la Commission considère qu'il n'est pas nécessaire d'évaluer la complexité de l'affaire, puisque l'inactivité totale d'une action pendant une période de 33 mois est suffisante pour considérer que les délais ne sont pas raisonnables et que Mme Lima n'a pas eu accès à un recours rapide.

 

         79.    La Commission conclut que la procédure judiciaire visant à déterminer les droits de Mme Lima ne s'est pas déroulée conformément aux dispositions des articles 8 et 25 de la Convention.

 

 

VI.     REPONSE AU RAPPORT SUR L'ARTICLE 50 DE LA COMMISSION

 

         80.    Conformément à l'article 50 de la Convention, la Commission a approuvé lors de sa 92e Session extraordinaire, le Rapport 22/96 relatif au cas présent. Par note du 31 mai 1996, elle l'a transmis au Gouvernement du Guatemala accompagné des recommandations de la Commission, en demandant au Gouvernement qu'il l'informe des mesures qu'il aurait adoptées pour respecter les recommandations et remédier à la situation dans un délai de 60 jours.  Par note du 6 août 1996, le Gouvernement du Guatemala a fait tenir à la Commission sa réponse au Rapport 22/96.

 

         81.    La Commission note avec satisfaction que le Gouvernement a accepté la recommandation que le Gouvernement respecte les normes de la Convention dans l'instruction des affaires portées devant la Commission, et l'assurance du Gouvernement de coopérer lorsque des demandes lui seront adressées.  La Commission a également pris note des travaux significatifs entrepris par le Gouvernement du Guatemala pour faire avancer les droits de l'homme, comme indiqué dans la réponse du Gouvernement.

 

         82.    La Commission estime toutefois que l'Etat n'a pas prouvé dans sa réponse au rapport sur l'article 50, qu'il a respecté à la lettre les recommandations les plus importantes faites par la Commission pour mettre un terme à la situation examinée.  La Commission note que la réponse du Gouvernement indique clairement que le Ministère public a entrepris des enquêtes importantes liées à l'affaire.  Toutefois, comme le reconnaît le Gouvernement lui-même, les enquêtes ne sont pas terminées et on n'en connaît pas les résultats.  L'Etat guatémaltèque n'a identifié personne et n'a accusé personne des violations, et personne n'a été sanctionné.  Aucune indemnisation n'a non plus été prévue.

 

 

              LA COMMISSION INTERAMERICAINE DES DROITS DE L'HOMME

 

DECIDE:

 

         83.    En se fondant sur ce qui a été exposé dans le présent rapport et considérant les observations du Gouvernement du Guatemala fournies en relation avec le rapport 22/96, la Commission a conclu ce qui suit:

 

         a.      Que l'Etat du Guatemala est responsable de la violation de l'obligation de respecter le droit à la liberté de la personne (article 7, paragraphes 1, 2 et 3) et la violation de l'obligation de respecter les garanties judiciaires (article 8.2), de M. Juan Hernández Lima, conformément à l'article 1.1 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

 

         b.      Que l'Etat du Guatemala est responsable, par omission, d'avoir violé son obligation de garantir le droit à la vie (article 4) et le droit à l'intégrité de la personne (article 5, paragraphes 1 et 2) de M. Juan Hernández Lima, conformément à l'article 1.1 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

 

         c.      Que l'Etat du Guatemala est responsable de la violation de l'obligation de respecter les garanties judiciaires (article 8.1) et de fournir un recours effectif (article 25) à Mme Gabriela de María Lima Morataya, mère de M. Juan Hernández Lima, conformément à l'obligation générale établie à l'article 1.1 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

 

 

 

 

 

 

RECOMMANDE:

 

         84.    La Commission recommande que l'Etat du Guatemala:

 

         a.      Procède à une enquête et sanctionne les responsables de la violation des droits de M. Hernández et de sa mère;

 

         b.      Propose une procédure rapide et effective visant à dédommager la famille de M. Hernández Lima des dommages subis à la suite des violations des droits de l'homme susmentionnées dans les temps impartis au paragraphe ci-après, procédure qui devra satisfaire pleinement les normes du système interaméricain des droits de l'homme en la matière;

 

         c.      Garantisse le droit à la défense et l'exercice des garanties indispensables consacrées dans l'article 8.2 de la Convention en cas de fautes et infractions pouvant aboutir à l'incarcération de l'accusé.

 

         85.    La Commission décide de publier le présent rapport dans le Rapport annuel présenté à l'Assemblée générale de l'OEA, en vertu des articles 48 du Règlement de la Commission et 51.3 de la Convention, étant donné que le Gouvernement du Guatemala n'a pas adopté les mesures permettant de mettre fin à la situation dénoncée, dans les délais impartis.

 



     [1].   Cour I.D.H., Affaire Velásquez Rodríguez, Objections préliminaires, Décision du 26 juin 1987, paragraphe 93.

     [2].   Rapport annuel de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, 1994, Rapport No 25/94, Affaire 10.508, Guatemala, 22 septembre 1994, page 52.

     [3].   Voir article 27 de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités.

     [4].   Affaire Velásquez Rodríguez, Décision du 29 juillet 1988, paragraphes 135 et 136.

     [5].   Idem, par. 138.

     [6].   Rapport annuel de la Commission interaméricaine des droits de l'homme 1995, Rapport No. 13/96, Affaire 10.948, El Salvador, 1er mars 1996, Paragraphes 19-21; Rapport annuel de la Commission interaméricaine des droits de l'home 1995, Rapport No. 5/96, Affaire 10.970, Pérou, 1er mars 1996, pp. 185-86.

     [7].   Affaire Velásquez Rodríguez, Décision du 29 juillet 1988, par. 164.

     [8].   Idem, par. 166.

     [9].   Voir à ce sujet la Cour européenne des droits de l'homme, Affaire Brogan et autres c. Royaume-Uni, Décision du 29 novembre 1988, Série A No. 145-B, par. 58.

     [10].  Cour interaméricaine des droits de l'homme, Affaire Neira Alegría et autres, Décision du 19 janvier 1995, par. 60.

     [11].  Affaire Velásquez Rodríguez, Décision du 29 juillet 1988, par. 174.

     [12].  Voir la Cour européenne des droits de l'homme, Affaire DeWilde, Ooms et Versyp c. Belgique, Série A, No. 12.

     [13].  Affaire Velásquez Rodríguez, Décision du 29 juillet 1988, par. 174.

     [14].  Idem, par. 178.

     [15].  La Cour interaméricaine a observé ce qui suit en ce qui concerne les Objections  préliminaires dans l'affaire Velásquez Rodríguez, Décision  du 26 juin 1987, par. 91:

 

                      [Selon la Convention] les Etats parties ont l'obligation de fournir des recours judiciaires effectifs aux victimes des violations des droits de l'homme (Article 25), recours qui doivent être prouvés, conformément aux règles de la procédure judiciaire dûment établie (article 8.1), en respectant les obligations générales de ces Etats de garantir à toute personne relevant de leur juridiction le libre et plein exercice des droits reconnus par la Convention (article 1.1). 

     [16].  Affaire Velásquez Rodríguez, Décision du 29 juillet 1988, par. 174.

     [17].  Rapport annuel de la Commission interaméricaine des droits de l'homme 1992-1993, Rapport No. 28/92, Affaires 10.147, 10.181, 10.240, 10.262, 10.309 et 10.311, Argentine, 2 octobre 1992, par. 34; Rapport annuel de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, 1992-1993, Rapport No. 29/92, Affaires 10.029, 10.036, 10.145, 10.372, 10.373, 10.374 et 10.375, Uruguay, 2 octobre 1992, par. 41.

     [18].  Voir la Cour européenne des droits de l'homme, Affaire Foti c. Italie, Décision du 10 décembre 1982, Série A, No. 56, par. 56; et Affaire Coriglinao c. Italie, Décision du 10 décembre 1982, Série A, No. 57, par. 37.