RAPPORT Nº 31/96
AFFAIRE 10.526
GUATEMALA
16 octobre 1996

         1.      La requérante, Dianna Ortiz, citoyenne des Etats-Unis et religieuse de l’ordre catholique des Ursulines, allègue qu’en novembre 1989 elle a été enlevée, conduite dans un centre de détention clandestin et torturée au Guatemala par des agents du Gouvernement.  Elle prétend que plusieurs articles de la Convention américaine relative aux droits de l’homme ("la Convention") ont été violés.  La Commission interaméricaine des droits de l’homme (la "Commission"), se fondant sur l’information présentée, sur son enquête et sur l’analyse de l’affaire, conclut que le Gouvernement du Guatemala a violé les dispositions des articles 1, 5, 7, 8, 11, 12, 16 et 25 de la Convention.

I.       ANTECEDENTS

         2.      Les déclarations de Soeur Ortiz contiennent les allégations des faits survenus dans cette affaire, dont la description est donnée ci-après, suivies d’un bref exposé de la procédure devant la Commission.  La Section II comporte l’analyse de la Commission sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

         A.     Faits allégués dans les déclarations de Dianna Ortíz

         3.      Le 18 avril 1990, la Commission a exposé les faits de la cause dans l’affaire no 10.526, en se basant sur les déclarations de la requérante, Dianna Ortíz, selon lesquelles elle avait été enlevée et torturée par des agents du Gouvernement du Guatemala.  Il ressort des déclarations de Soeur Ortíz que celle-ci s’est rendue pour la première fois au Guatemala en septembre 1987 pour se joindre à plusieurs religieuses qui se consacraient depuis un an dans ce pays à oeuvrer parmi les populations indigènes de San Miguel Acatán et autres petits villages du département de Huehuetenango.

         4.      À la fin de 1988, l’Evêque de Huehuetenango a reçu un document anonyme dactylographié accusant Soeur Ortíz et les autres religieuses qui se trouvaient à San Miguel de projeter des réunions avec des éléments "subversifs".  Au début de 1989, Soeur Hortíz a commencé à recevoir directement des menaces anonymes par écrit.  C’est ainsi qu’entre janvier et mars 1989, elle a reçu trois lettres de menaces, dont l’une fut glissée sous sa porte, une autre envoyée par la poste et la troisième déposée sous l’un des essuie-glaces de son véhicule.  Deux de ses lettres étaient adressées à "Mère Dianna".  Ces lettres l’avisaient qu’elle était en danger et qu’elle devait quitter le pays.

         5.      En juillet 1989, Soeur Ortíz s’est rendue à Guatemala pour étudier l’espagnol.  Une grève d’enseignants a eu lieu au Guatemala pendant le mois passé par Soeur Ortíz à suivre les cours de l’école de langues. Un jour, alors qu’elle marchait vers l’école près de la place principale où se tenaient des démonstrations face au Palais du Gouvernement, elle a vu plusieurs personnes de sa connaissance et s’est arrêtée pour converser avec elles.  Quelques jours plus tard, elle fut abordée par un inconnu dans la rue près de la maison où elle logeait.  L’homme en question s’est adressé à elle dans ces termes:  "Nous savons qui vous êtes.  Vous travaillez à Huehuetenango".  Puis il lui a dit de quitter le pays.

         6.      Après cet épisode, Soeur Ortíz a quitté le Guatemala le 15 juillet 1989 pour prendre un congé inopiné et y est retournée le 18 septembre.  Le 13 octobre de la même année, alors qu’elle se trouvait à Guatemala, elle reçut une autre menace de mort dans une lettre déposée dans la boîte aux lettres de la maison où elle séjournait.  Les mots qui composaient cette missive avaient été formés à l’aide de caractères d’imprimerie découpés dans des revues et journaux.  La lettre était ainsi libellée:  "Eliminer Dianna, assassiner, décapiter, violer.  Quitter le pays".  Après avoir reçu cette lettre, Soeur Ortíz est retournée à San Miguel.  Le 17 octobre 1989, elle a reçu une autre lettre à San Miguel, rédigée dans les termes suivants:  "C’est dangereux ici pour toi, l’armée sait que tu es ici.  Quitte le pays".  Soeur Ortíz a alors décidé de se réfugier dans la Posada de Belén, un centre religieux situé à Antigua.

         7.      Selon ses dires, Soeur Ortíz a été enlevée dans les jardins de la Posada de Belén le 2 novembre 1989.  Une autre lettre de menace avait été envoyée à ce centre religieux avant son arrivée, mais ne lui était jamais parvenue.

         8.      Selon les faits rapportés par Soeur Ortíz, elle a, le 2 novembre, demandé à un gardien de lui ouvrir le portail du jardin qui était fermé.  Elle était restée seule dans le jardin pendant dix minutes lorsqu’elle a senti une main d’homme sur son épaule.  "Bonjour ma chère", lui dit-il, et Soeur Ortíz reconnut la voix de l’homme qui l’avait accostée dans la rue quatre mois plus tôt.  Soeur Ortíz tenta de s’éloigner mais l’homme la prit par le bras.  À cet instant, elle s’est aperçue que deux hommes se trouvaient dans le jardin.  Le premier, qu’elle avait reconnu et qui apparemment était le chef, a insisté pour qu’elle les accompagne.  Après une brève lutte, il sortit un revolver qu’il tenait dissimulé sous sa veste.

         9.      Les deux hommes ont contraint Soeur Ortíz à marcher avec eux jusqu’au fond du jardin de la Posada de Belén, à l’endroit où le mur d’enceinte était percé d’une ouverture.  Les deux hommes sont sortis du jardin en compagnie de Soeur Ortíz et ont marché le long du lit asséché d’un cours d’eau jusqu’à ce qu’ils arrivent à une rue qui conduisait aux environs d’Antigua.

         10.    Les deux hommes ont obligé Soeur Ortíz à monter à bord d’un autobus public.  Le premier a sorti une grenade de la poche de sa veste et l’a prévenue que si elle essayait de s’enfuir il y aurait de nombreuses innocentes victimes.  Les deux hommes et Soeur Ortíz sont descendus de l’autobus à proximité d’un panneau indiquant la direction de Mixco, une localité proche de Guatemala.

         11.    D’après les déclarations de Soeur Ortíz, ils ont marché sur un chemin de terre jusqu’à une voiture de la Police nationale, de couleur blanche.  Le premier homme est allé de l’avant et a eu une conversation avec le conducteur du véhicule, un agent de police en uniforme.  Après lui avoir bandé les yeux, ils ont fait asseoir Soeur Ortíz sur le siège arrière de la voiture.  Les deux hommes sont également montés à bord de l’automobile.  Le policier a lancé aux deux hommes:  "Je vois que vous avez eu du succès dans votre excursion".

         12.    Soeur Ortíz a été conduite dans l’automobile jusqu’à un bâtiment qui avait l’apparence d’un entrepôt, d’où elle pouvait entendre les cris d’une femme et les plaintes d’un homme.  Après l’avoir escortée vers une chambre, on la fit asseoir sur une chaise.  L’agent de police et les deux hommes qui l’avaient enlevée sortirent de la chambre et, après plusieurs heures, le deuxième homme qui avait participé à son enlèvement dans le jardin, entra dans la chambre et lui banda à nouveau les yeux.  Deux autres hommes entrèrent dans la chambre et Soeur Ortíz reconnut les voix du policier et du premier homme qui l’avait saisie dans le jardin.  Aux dires de Soeur Ortíz, les deux hommes lui ont enlevé une partie de ses vêtements et ont commencé à la toucher.

         13.    L’homme qui l’avait accostée pour la première fois s’est alors écrié:  "Laissons cela pour plus tard, finissons tout d’abord de nous occuper de l’affaire dont nous sommes chargés".  Il lui dit qu’ils allaient participer à un jeu.  Que si elle répondait de manière à les satisfaire, ils la laisseraient fumer; par contre, ils la brûleraient avec une cigarette si ses réponses n’étaient pas à leur goût.

         14.    Les hommes lui ont demandé son nom, où elle vivait, en quoi consistait son travail et si elle connaissait des éléments subversifs.  Après chaque question, quelle que soit sa réponse, ils la brûlaient avec une cigarette.  Ils lui posèrent les mêmes questions à plusieurs reprises et lui infligèrent des brûlures maintes et maintes fois.

         15.    Au bout d’un certain moment, ils suspendirent l’interrogatoire, lui enlevèrent le bandeau.  Ils lui ont montré les photographies d’elle-même prises dans différentes régions du pays et d’autres photos de personnes indigènes.  Sur l’une des photos se trouvait un homme en armes et sur une autre une femme aux longs cheveux noirs qui tenait également une arme dans ses mains.  Les hommes insistèrent sur le fait que Soeur Ortíz était la femme indigène qui figurait sur la photographie et que les indigènes appartenaient à des éléments subversifs.

         16.    Un des hommes banda à nouveau les yeux de Soeur Ortíz et quelqu’un la gifla avec une telle force qu’elle fut jetée à terre.  Deux des hommes l’ont ensuite relevée pour la faire asseoir et lui ont enlevé le reste de ses vêtements.  D’après les déclarations de Soeur Ortíz, les hommes commencèrent à abuser d’elle et l’ont violée à plusieurs reprises.  Ils lui dirent qu’ils cesseraient de le faire si elle leur donnait les noms des personnes qui figuraient sur les photographies et de ses contacts.  Soeur Ortíz s’est alors évanouie.

         17.    Soeur Ortíz déclare qu’à un moment donné, elle a repris connaissance pour constater qu’on lui avait lié les poignets au-dessus de la tête.  Il lui a semblé être dans un patio.  Le policier en uniforme a recommencé à la questionner au sujet des personnes qui se trouvaient sur les photographies et l’a violée.  Elle a alors entendu plusieurs personnes déplacer une lourde dalle sur le sol.  On la fit alors descendre dans une fosse remplie de corps et de rats et Soeur Ortíz perdit à nouveau connaissance.  Quand elle reprit ses sens, elle se trouvait par terre et les hommes avaient recommencé à abuser d’elle.

         18.    Plus tard, Soeur Ortíz a été ramenée dans la chambre pour un nouvel interrogatoire.  Ses ravisseurs l’ont plaquée sur le sol et l’ont à nouveau violée.  C’est alors que quelqu’un s’est écrié:  "Alejandró, viens t’amuser".  L’homme qui venait d’entrer dans la pièce a répondu par une imprécation en anglais puis a commencé à parler en espagnol et a indiqué aux hommes présents que Soeur Ortíz était une citoyenne américaine et qu’ils devaient la laisser tranquille.  Il leur a fait savoir que la presse avait déjà publié l’affaire, leur a ordonné de sortir et a aidé Soeur Ortíz à se rhabiller.

         19.    "Alejandro" a conduit Soeur Ortíz hors du bâtiment et est sorti avec elle en automobile d’un garage annexe.  Alors qu’ils quittaient les lieux, il lui a présenté plusieurs fois des excuses et lui a dit que tout cela avait été une erreur et qu’elle avait été prise pour une autre personne.  Il lui a également fait savoir que l’on avait essayé, par l’envoi de lettres, d’éviter une telle situation.  "Alejandro" continuait de parler en espagnol mais il comprenait ce que lui disait Soeur Ortíz en anglais et il parlait avec un accent américain.  Soeur Ortíz affirme dans ses déclarations que cet homme, à son avis, était originaire des Etats-Unis.

         20.    Lorsque l’auto dans laquelle se trouvait Soeur Ortíz et "Alejandro" fut amenée à stopper en raison de la circulation, Soeur Ortíz put constater d’après les panneaux indicateurs qu’ils étaient dans la zone 5 de Guatemala.  Elle sauta hors de l’automobile et s’enfuit.

         21.    Elle courut jusqu’à ce qu’une femme lui offrit de la conduire chez elle.  Elle y resta plusieurs heures puis se rendit à l’agence de voyages Hayter dans la zone 1 de la ville.  Elle se mit en rapport avec les membres de sa communauté religieuse qui vinrent la chercher.  Quarante huit heures après s’être échappée, elle était en route pour les Etats-Unis.

         B.      Procédure devant la Commission

         22.    Conformément à l’article 34 du Règlement de la Commission, cette dernière a envoyé le 18 avril 1990 au Gouvernement du Guatemala les passages pertinents d’une déclaration en date du 3 janvier 1990 signée par Soeur Ortíz ainsi que plusieurs communiqués de presse reçus par la Commission.  Celle-ci a reçu depuis lors des avocats du Gouvernement et de la requérante, Soeur Dianna Ortíz, plusieurs communications ayant trait à l’affaire[1]/.  En outre, une audience de la Commission a été tenue le 3 février 1995.

         23.    Les communications du Gouvernement ont été accompagnées de rapports établis par les autorités, de coupures de journaux, de communiqués de presse et autres documents assortis d’actualisations sur l’enquête et l’instruction de l’affaire de Soeur Ortíz devant les tribunaux guatémaltèques.  Le Gouvernement a fait valoir, dès sa réponse du 30 avril 1990, que conformément aux dispositions de l’article 47 (a) de la Convention, les voies de recours internes n’avaient pas été épuisées dans cette affaire.  Le Gouvernement a également soutenu que les faits criminels allégués par Soeur Ortíz n’avaient pas été établis et que leurs responsables n’avaient pas été identifiés.  Le Gouvernement a affirmé, en outre, que la non-collaboration de Soeur Ortíz à l’enquête et à l’instruction de l’affaire au Guatemala avait entravé le cours des procédures internes. 

         24.    Les avocats de la requérante ont présenté une abondance de preuves littérales, y compris des déclarations sous serment, les procès-verbaux d’audience guatémaltèques, des coupures de journaux, etc., à l’appui des accusations portées par la requérante.  Les avocats de cette dernière ont également soutenu qu’il y avait lieu de prévoir, dans cette affaire, une exception à la condition d’épuisement des voies de recours de la juridiction interne.  Ils ont également présenté des mises à jour de procédures internes et ont affirmé que Soeur Ortíz avait apporté sa collaboration aux autorités compétentes.

         25.    Le 23 octobre 1995, la Commission a envoyé au Gouvernement du Guatemala une lettre demandant que lui soient communiquées copies des dépositions des témoins, des rapports de police et toute autre information relative à la procédure interne.  Le 27 novembre 1995, le Gouvernement a répondu qu’il avait transmis la demande d’information de la Commission au Ministère public et que celui-ci prendrait une décision à cet égard.

II.      ANALYSE

         26.    Dans son analyse de l’affaire, la Commission détermine tout d’abord sa recevabilité.  Après s’être prononcée sur ce point, la Commission présente ses conclusions sur le fond de l’affaire.

         A.     Recevabilité

         27.    La demande répond aux conditions formelles de recevabilité énoncées dans la Convention américaine relatives aux droits de l’homme et dans le Règlement de la Commission.  Conformément à l’article 47 (b) de la Convention, la Commission est compétente pour examiner cette affaire étant donné que les faits allégués constituent une violation des droits et libertés protégés par ladite Convention.  Aux termes des dispositions des articles 46 (c) et 47 (d), respectivement, l’objet de la pétition n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale et ne fait pas double emploi avec une précédente pétition déjà examinée par la Commission.

         28.    Comme le prévoit l’article 48 (1) (f) de la Convention, la Commission, par lettre du 7 février 1995 adressée aux parties, s’est mise à leur disposition en vue d’aboutir à un règlement amiable.  L’avocat de Soeur Ortíz a indiqué, le 17 février 1995, que celle-ci était disposée à participer à des conversations pour parvenir à un règlement amiable.  Le 27 mars 1995, le Gouvernement du Guatemala a fait savoir à la Commission qu’il avait décidé de ne pas participer à des conversations en vue d’une solution amiable.

         29.    Conformément aux dispositions de l’article 46 (2) de la Convention américaine, la condition concernant l’épuisement des voies de recours à la juridiction interne, aux termes de l’article 46 (1) (a), ne s’applique pas en l’espèce.  L’article 46 (1) (a) stipule que la Commission ne retient une pétition que sous la condition "que toutes les voies de recours internes aient été dûment utilisées et épuisées conformément aux principes du Droit international généralement reconnus".  Toutefois, selon les dispositions de l’article 46 (2) (b), il n’y a pas lieu d’invoquer l’épuisement des voies de recours dans les cas où "l’individu qui est présumé lésé dans ses droits s’est vu refuser l’accès des voies de recours internes ou a été mis dans l’impossibilité de les épuiser".  Ainsi qu’il est prévu à l’article 46 (2) (c), les dispositions concernant l’épuisement des voies de recours ne seront pas appliquées lorsque "il y a un retard injustifié dans la décision des instances saisies".  Les dispositions de l’article 46 (2) (b) et (c) exemptent la présente affaire de la condition applicable à l’épuisement des voies de recours, étant donné que Soeur Ortíz a eu à plusieurs reprises recours aux mécanismes de la juridiction interne sans résultats et sans qu’aucune décision n’ait été rendue en l’espèce, bien que six ans se soient écoulés depuis que la procédure a été entamée devant la juridiction interne.

         30.    Le 2 novembre 1989, Darleen Chmielewski a informé la Police nationale à Antigua, Guatemala, de la disparition de Soeur Ortíz.  Le 4 novembre 1989, une action pénale a été intentée devant le Juge de paix du département de Sacatepéquez.  Six ans plus tard, il ne fait aucun doute qu’il y a eu un retard injustifié et irraisonnable dans le règlement de l’affaire.  Les démarches qu’a effectuées Soeur Ortíz par les voies juridiques, diplomatiques et politiques sont restées infructueuses et l’affaire se trouve toujours au stade de l’instruction.  Ni les tribunaux ni le Ministère public n’ont entamé des poursuites contre aucun accusé et nul n’a été placé en détention dans cette affaire.  Aucune action au criminel n’a été intentée au Guatemala contre qui que ce soit.

         31.    Bien qu’elle ait quitté le Guatemala et se soit enfuie aux Etats-Unis peu après s’être échappée des mains de ses ravisseurs, Soeur Ortíz a fait de nombreux efforts pour activer l’affaire devant la juridiction interne du pays, pour présenter des informations et offrir son aide pour la conduite de l’enquête au Gouvernement du Guatemala.  Ce dernier a opposé une résistance systématique aux démarches de Soeur Ortíz, laquelle a été la cible de maintes critiques de la part de fonctionnaires de l’Etat.  Par suite, elle s’est vu interdire l’accès effectif aux voies de recours appropriées de la juridiction interne et n’a pu de ce fait épuiser ces recours.  Les données disponibles ne corroborent pas les assertions contenues dans le rapport du Gouvernement du 27 mars 1995 ("Rapport du 27 mars") selon lesquelles les voies de recours de la juridiction interne n’ont pas été épuisées parce que Dianna Ortíz n’est pas retournée au Guatemala pour coopérer à l’instruction de l’affaire.  Les antécédents font ressortir que, malgré les efforts de Soeur Ortíz, l’affaire n’a pas progressé devant la juridiction interne. 

         32.    Le 7 novembre 1989, la presse guatémaltèque a signalé que Soeur Ortíz avait fait une déclaration relatant les faits liés à son enlèvement, à sa torture et à sa libération finale.  Les fonctionnaires du gouvernement ont cependant indiqué à la presse qu’ils ne feraient pas usage, dans leur enquête sur l’affaire, des déclarations de Soeur Ortíz parce que ses allégations auraient pu être préparées par des tiers qui cherchaient à placer le Guatemala dans une position ignominieuse[2]/. 

         33.    Le 1er février 1990, la Cour suprême du Guatemala a adressé au Ministère des relations extérieures du pays une commission rogatoire destinée à être acheminée par la voie diplomatique en vue d’inviter Soeur Ortíz à répondre, aux Etats-Unis, aux questions contenues dans cet acte d’instruction.  En raison de retards d’ordre diplomatique, Soeur Ortíz n’a reçu ce document qu’en février 1991.  Néanmoins, elle s’est empressée d’y répondre par un exposé des faits et en offrant des preuves pertinentes à l’appui[3]/.

         34.    En mars 1990, le Général Carlo Morales Villatoro, alors Ministre de l’intérieur, a classé officiellement le dossier d’instruction du Gouvernement en alléguant qu’il s’agissait d’une affaire d’"auto-enlèvement".  Or, à cette date, la commission rogatoire venait tout récemment d’être expédiée par la Cour suprême du Guatemala, et malgré cela, le Gouvernement a décidé de clore l’affaire sans attendre les résultats de l’unique effort déployé pour obtenir une déclaration officielle de la part de Soeur Ortíz.  L’affaire n’a été réouverte que lorsque des délégations internationales organisées par les religieuses de l’ordre des Ursulines rencontrèrent M. Vinicio Cerezo Arévalo, alors Président du Guatemala, et demandèrent qu’il soit donné à nouveau suite à l’affaire[4]/.

         35.    À la demande de Soeur Ortíz, des Religieuses Ursulines et d’autres membres de la communauté internationale, le Président Cerezo a, en juin 1990, désigné une commission spéciale chargée de l’instruction de l’affaire de Soeur Ortíz[5]/.  La Commission a été dissoute en avril 1991 par le Président Jorge Serrano Elías, après son accession au pouvoir[6]/.  Il n’existe aucune indication établissant que la Commission se soit jamais réunie ou qu’elle ait entrepris des enquêtes durant son existence malgré les efforts insistants des avocats de Soeur Ortíz et d’autres personnes pour qu’elle commence ses travaux[7]/.

         36.    Il ressort du dossier qu’en décembre 1990, l’avocat de Soeur Ortíz a invité le Bureau du Procureur pour les droits de l’homme au Guatemala à interroger Soeur Ortíz aux Etats-Unis.  L’invitation n’a pas été acceptée.  Cependant, en octobre 1991, des fonctionnaires de ce Bureau ont eu un entretien avec elle aux Etats-Unis.  Ils ont par la suite rédigé un rapport indiquant que l’entretien n’avait pas été satisfaisant, vu la grande nervosité de Soeur Ortíz, et qu’il avait fallu faire des arrangements spéciaux[8]/.  Le Bureau du Procureur a soulevé ces critiques bien qu’il soit compréhensible que certaines mesures doivent être prises pour s’entretenir avec la supposée victime d’un interrogatoire subi sous la torture et malgré que Soeur Ortíz ait présenté de nouveaux et importants détails au cours de l’entretien[9]/.

         37.    En juillet 1991, le Gouvernement a annoncé la nomination d’un procureur spécial indépendant, Fernando Linares Beltranena, et d’un enquêteur privé, Carl West, pour examiner l’affaire[10]/.  Il ressort de plusieurs lettres échangées à la fin de 1991 entre l’avocat de Soeur Ortíz et le Procureur spécial Linares que ce dernier a été invité à plusieurs occasions à s’entretenir avec Soeur Ortíz, mais qu’il n’a pas accepté, perdant ainsi une occasion qui aurait été d’une importance fondamentale pour l’enquête.  Le Procureur a insisté pour que Soeur Ortíz rencontre West, mais cette rencontre n’a pas non plus eu lieu, bien qu’elle ait accepté, malgré ses craintes, de rencontrer West sans la présence du Procureur spécial Linares[11]/.

         38.    En avril 1992, Soeur Ortíz s’est rendue au Guatemala en vue de faire une déposition devant les tribunaux et de participer à l’instruction de l’affaire.  Le 7 avril 1992, Soeur Ortíz a témoigné pendant près de 12 heures devant le Juge Leticia Stella Secaira Pinto du Cinquième tribunal d’instruction criminelle[12]/.  Le jour suivant, le Capitaine Yon Rivera, porte-parole de l’Armée guatémaltèque, a déclaré à la presse que les activités de Soeur Ortíz pour exposer l’affaire "pourraient donner lieu à un procès en diffamation"[13]/.

         39.    Pendant son séjour au Guatemala, Soeur Ortíz a indiqué à nouveau qu’elle était disposée à rencontrer l’enquêteur West si l’on autorisait l’enregistrement de la réunion ou la présence d’un témoin de la Mission spéciale du Congrès des Etats-Unis[14]/.  Le Procureur spécial Linares ainsi que West n’ont pas accepté l’organisation de cette réunion.

         40.    Depuis lors, Soeur Ortíz est retournée trois fois au Guatemala, en mars 1993, janvier et novembre 1994, afin de promouvoir l’instruction de l’affaire et de participer à la procédure judiciaire interne.  Durant ses voyages au Guatemala, Soeur Ortíz a répondu aux questions du Procureur, présenté les descriptions détaillées des personnes qui avaient participé aux délits en vue de l’exécution de portraits-robots électroniques et a participé à plusieurs procédures de descente sur les lieux.  Dans l’une d’elles, elle a identifié l’ancienne Ecole polytechnique, une installation militaire, comme étant l’endroit où elle avait été détenue[15]/.

         41.    Dianna Ortíz a également continué de faire pression sur plusieurs fonctionnaires guatémaltèques pour que l’affaire soit réglée.  En novembre 1994, elle a rencontré le Procureur général du Guatemala, Ramsés Cuestas Gómez.  M. Cuestas a offert de lui envoyer des rapports périodiques sur l’évolution de son affaire, promesse qu’il n’a pas tenue, bien que Soeur Ortíz ait essayé de se procurer ces rapports[16]/.

         42.    Peu après l’exposé des faits de la cause et avant que d’importantes enquêtes aient pu être effectuées, des fonctionnaires du Gouvernement guatémaltèque ont commencé à mettre en doute la véracité des allégations de Soeur Ortíz ou à nier la participation d’agents de l’Etat.  Les 9 et 10 novembre 1989, la presse a annoncé que le Président Cerezo avait déclaré qu’il avait du mal à croire l’histoire que racontait Soeur Ortíz et que, s’il y avait eu enlèvement, les forces de l’ordre n’en portaient pas la responsabilité[17]/.  Le 12 novembre 1989, Guillermo Mollinedo, le porte-parole d’alors de la Police nationale, a annoncé que cette dernière n’avait pas participé à l’enlèvement de Soeur Ortíz[18]/.  Selon la Police nationale, les actions de Soeur Ortíz étaient intentées dans le but de placer le pays dans une situation délicate et il s’agissait d’une manoeuvre politique pour obtenir des fonds afin de financer ses activités[19]/.

         43.    En novembre 1989 et janvier 1990, le Général Alejandro Gramajo, alors Ministre de la défense, a fait plusieurs déclarations selon lesquelles il n’y avait pas eu de blessures dans l’affaire de la Soeur Ortíz, ou bien qu’elle se les était infligées elle-même.  La première de ses déclarations a été faite devant une délégation de représentants de communautés religieuses et la seconde pour la publication Américas Watch.  Le Général Gramajo a également indiqué que Soeur Ortíz avait inventé son histoire pour dissimuler sa participation à un "rendez-vous de lesbiennes".  Il a émis l’idée que les blessures que portait son visage étaient la conséquence d’une aventure galante.  Le Général Gramajo a officiellement rétracté ses dires et a admis que les enquêtes n’avaient pas livré des renseignements de nature à étayer ce qu’il avançait[20]/.  Mais, malgré cela, il a continué à tenir des propos similaires[21]/.

         44.    D’autres fonctionnaires de l’Etat ont continué à dénigrer Soeur Ortíz à titre de représailles pour son recours aux moyens légaux dans l’affaire.  En janvier 1994, Edith Vargas de Marroquín, une porte-parole de l’armée, a indiqué que Soeur Ortíz présentait des problèmes mentaux et avait la mauvaise habitude de mentir[22]/.  Ces déclarations ont été faites immédiatement après que Soeur Ortíz eût reconnu l’installation militaire dans laquelle elle avait présumément été détenue.  En novembre 1994, un autre porte-parole de l’Armée, Maurice DeLeón, a accusé Soeur Ortíz à la télévision et dans la presse d’être la principale porte-parole des unités de guérillas du Guatemala[23]/.

         45.    On peut déduire de ce qui précède que les efforts déployés par Soeur Ortíz pour obtenir gain de cause en recourant à la juridiction interne se sont heurtés dès le début à des obstacles.  Le Gouvernement a entravé ses démarches visant à accélérer l’affaire et l’a attaquée personnellement pour lui interdire l’accès aux voies de recours internes.  Le Gouvernement ne peut déclarer l’existence de ces voies de recours pour la bonne raison que l’affaire est toujours officiellement en cours, bien qu’un jugement en l’espèce aurait dû être rendu depuis longtemps.

         46.    Les dispositions de l’article 46 (b) de la Convention, aux termes desquelles une pétition doit être présentée dans les six mois à compter de la date de la décision définitive, ne sont pas applicables en l’espèce du fait de l’exemption dont a bénéficié la disposition relative à l’épuisement des voies de recours de la juridiction interne.  Conformément à l’article 38 (2) du Règlement de la Commission, cette dernière conclut que, étant donné les circonstances, la requête a été présentée dans un délai "raisonnable... à compter de la date de la violation présumée des droits".  La Commission a instruit la requête le 18 avril 1990, soit à peine quatre mois après la date des violations présumées des dispositions de la Convention.  La requête a, par ailleurs, été déposée un mois après que le Gouvernement ait annoncé sa décision initiale de classer l’affaire.  Par conséquent, la Commission a été invitée à exercer son pouvoir juridictionnel à bref délai, à compter des procédures initiales du Gouvernement en l’espèce, lesquelles indiquaient qu’il serait fait obstacle à l’épuisement des voies de recours de la juridiction interne.

         B.      Questions de fond

         47.    La Commission a conclu que Soeur Ortíz a fait l’objet d’une surveillance et de menaces et a été ensuite victime d’un enlèvement et de tortures.  L’analyse de la preuve sur laquelle repose cette conclusion est suivie d’un exposé distinct se rapportant à la conclusion supplémentaire de la Commission, selon laquelle des fonctionnaires du Gouvernement guatémaltèque portent la responsabilité de ces délits dans l’affaire de Soeur Ortíz.  Après avoir formulé ses observations au sujet des violations fondamentales, la Commission étend son avis aux questions de fait liées à l’instruction de l’affaire de Soeur Ortíz dans le système judiciaire interne du Guatemala.  Enfin, le présent rapport applique aux faits établis par la Commission les dispositions stipulées dans la Convention américaine.

         1.      Décision portant sur les questions de fait

         a.      Décision de la Commission concluant à l’existence de violations

         48.    La Commission est d’avis que Soeur Ortíz a été soumise à une surveillance pendant qu’elle vaquait à ses travaux au Guatemala et qu’elle a été l’objet de menaces.  La requérante Ortíz a produit des copies de plusieurs des lettres de menace qu’elle a reçues.  D’après ses déclarations, qui n’ont pas été réfutées, elle a reçu ces lettres dans diverses villes du Guatemala, ce qui démontre que, pendant un certain temps, ses faits et gestes étaient généralement et systématiquement épiés.  Elle a également déclaré avoir été accostée dans une rue de Guatemala par un étranger qui l’a menacée.  Le Gouvernement n’a présenté aucune preuve de nature à contredire cette déclaration.  Dans sa réponse du 15 février 1995 ("Réponse du 15 février") et dans son rapport du 15 mai 1995 ("Rapport du 15 mai"), le Gouvernement indique que les menaces n’ont donné lieu à aucune plainte auprès de la Police nationale ou des tribunaux guatémaltèques.  Cela ne prouve cependant nullement que Soeur Ortíz n’a pas reçu de menaces, d’autant plus que les antécédents font état de copies des lettres de menace.

         49.    La Commission est également d’avis que Soeur Dianna Ortiz a été enlevée et torturée au début du mois de novembre 1989 au Guatemala.  La Commission a analysé les déclarations écrites et orales dans lesquelles Soeur Ortiz décrit l’enlèvement et la torture.  La Commission est d’avis que Soeur Ortiz est un témoin qualifié et que ses déclarations concordantes appuient la conclusion selon laquelle elle a été enlevée et conduite dans un centre de détention clandestin où elle a été torturée.  Les déclarations de Soeur Ortiz sont corroborées par son aptitude à confirmer son récit par le recours à la procédure judiciaire.  Par exemple, dans la reconstitution des faits par enquête judiciaire, le 24 mars 1993, Soeur Ortiz a pu reconnaître une partie du chemin qu’"Alejandro" et elle-même ont parcouru lorsqu’ils ont quitté le lieu de détention en automobile.  C’est ainsi qu’elle a pu indiquer les panneaux de signalisation et les enseignes qu’elle a reconnus dont certains avaient été déjà mentionnés dans des déclarations précédentes faites aux Etats-Unis.  Par exemple, lorsqu’elle a été convoquée par le Bureau du Procureur pour les droits de l’homme, Soeur Ortiz a indiqué qu’elle croyait avoir vu une enseigne de la Banco de Guatemala pendant le déplacement en automobile en compagnie d’"Alejandro"[24]/. Au cours de la procédure de descente sur les lieux du 24 mars 1993, Soeur Ortíz avait identifié l’enseigne de la Banco de Guatemala qu’elle avait mentionnée antérieurement[25]/.

         50.    Par ailleurs, immédiatement après sa réapparition, Soeur Ortiz a été examinée par le Dr David Alcare au Guatemala.  Celui-ci a pu observer des blessures sur le dos de la victime, de la ceinture jusqu’aux épaules, présentant des caractéristiques symétriques.  Il a conclu qu’il s’agissait de brûlures du premier et second degrés subies au cours des 24 heures précédentes[26]/.  Après sa fuite aux Etats-Unis, Soeur Ortiz a été examinée le 8 novembre 1989 par le Dr G.R. Gutiérrez, lequel a certifié qu’il avait observé 111 brûlures circulaires du deuxième degré sur le dos de la victime et deux écorchures sur la joue gauche[27]/.

         51.    Dans sa réponse du 15 février et son rapport du 15 mai, le Gouvernement a affirmé que Soeur Ortiz n’avait pas reçu de soins médicaux après s’être échappée.  Les antécédents qui établissent qu’elle a été examinée par deux médecins contredisent les assertions antérieures. 

         52.    Les allégations de tortures formulées par Soeur Ortiz sont étayées en outre par une déclaration faite en 1989 par Thomas F. Stroock, Ambassadeur des Etats-Unis au Guatemala, lequel a vu la victime immédiatement après sa réapparition.  Dans une lettre rédigée plus tard, il a fait valoir que "d’après son observation personnelle [de Soeur Ortiz], celle-ci avait été victime de coups et de mauvais traitements"[28]/.

         53.    La Commission estime qu’il y a une forte probabilité que Soeur Ortiz ait été violée pendant sa détention.  Ses déclarations contiennent une importante preuve indiquant qu’il y a eu viol et que celui-ci serait en rapport avec la preuve physique, démontrant que la victime a été brutalement torturée.  Cependant, sur la base de l’examen minutieux du dossier, la Commission ne se trouve pas en état d’affirmer avec suffisamment de certitude l’allégation de viol[29]/.  Quoi qu’il en soit, la Commission a conclu que Soeur Ortiz a fait l’objet de tortures; tout sévices sexuel ou abus, quel qu’il soit, susceptible d’avoir été perpétré ferait partie de la torture. 

         54.    Le Gouvernement a admis dans des documents établis par ses fonctionnaires que Soeur Ortiz a été enlevée et torturée, alors même qu’il indiquait, par ailleurs, que les responsables de ces actes n’ont pas été identifiés.  Le rapport Valdéz Gutiérrez précise qu’après l’enquête effectuée par la Police nationale, "il a été établie" que Soeur Ortiz avait été enlevée et torturée[30]/.  Dans une lettre adressée à la Cour suprême du Guatemala, le juge responsable de l’affaire, Irma Leticia Lam Nakakawa de Rojas, a indiqué que les éléments importants à éclaircir sont le lieu où a été détenue Soeur Ortiz et l’identité des auteurs des délits[31]/.  Le juge a considéré comme acquis le fait que les délits allégués avaient eu lieu.

         55.    Toutefois, dans sa réponse du 15 février, le Gouvernement a fait valoir que les fait allégués par Soeur Ortiz n’avaient pas été prouvés, et encore moins la responsabilité des auteurs des délits présumés.  Dans son rapport du 15 mai, le Gouvernement continue d’apporter des arguments pour étayer la théorie selon laquelle ni l’enlèvement ni la torture n’avaient été prouvés.  Les arguments du Gouvernement ne sont pas convaincants à la lumière de la preuve recevable qui se trouve dans les documents, les rapports médicaux et les témoignages qui corroborent les allégation de Soeur Ortiz.

         56.    Le Gouvernement s’appuie, pour affirmer l’absence de preuves concernant les faits qui entourent l’enlèvement et la torture de Soeur Ortiz, sur les dépositions de témoins qui auraient vu Soeur Ortiz sortir de la Posada Belén le 2 novembre 1989.  La Commission ne dispose pas, dans les antécédents qu’elle possède, des dépositions de ces témoins.  Les communications du Gouvernement qui font allusion à ces témoignages se réfèrent à des rapports de police qui comprennent ces dispositions.  Les rapports de police auxquels il est fait allusion dans les communications du Gouvernement n’ont pas été fournis à la Commission[32]/.  Les rapports de police en possession de la Commission qui font état des dépositions des témoins, contiennent beaucoup moins de détails que ceux présentés dans les communications du Gouvernement[33]/.  Aussi doit-on évaluer avec prudence l’information sur les déclarations qui figurent dans les communications du Gouvernement.  Les rapports de ce dernier reprennent les observations des rapports de police, qui ne figurent pas dans les antécédents de la Commission, lesquels reprennent de seconde main la déposition des témoins.

         57.    Si l’on accepte le témoignage de ces témoins, ce serait à l’appui de la théorie selon laquelle l’enlèvement aurait été autoinfligé ou manigancé.  Cette théorie est cependant sans rapport avec la preuve médicale indiquant que Soeur Ortiz présentait des blessures importantes, dont 111 brûlures sur le dos.

         58.    La Commission, pour d’autres raisons, ne fait pas grand cas des déclarations des deux témoins.  L’un d’eux, José Diéguez Castañeda, a présumément déclaré qu’il travaillait à la Posada de Belén et que Soeur Ortiz lui avait demandé d’ouvrir le portail du jardin.  Il a déclaré l’avoir vue s’acheminer vers le fond du jardin, en quête d’une sortie vers la rue.

         59.    Les déclarations de M. Diéguez et de Soeur Ortiz coïncident, en ce sens qu’il a ouvert le portail et que Soeur Ortiz s’est dirigée vers le fond du jardin.  Toutefois, il ressort de toutes les descriptions du jardin, que celui-ci couvrait une vaste surface.  Il se peut que M. Diéguez ait vu Soeur Ortiz se déplacer en direction de l’arrière du jardin, mais rien n’indique qu’il était en mesure d’apercevoir le fond du jardin et, lorsqu’il affirme qu’elle devait être en train de chercher une sortie vers la rue, il s’agit probablement là d’une conjecture.  Le Gouvernement fait également observer que M. Diéguez a soutenu qu’il n’avait vu aucune personne étrangère qui attendait dans le jardin.  Cependant, Soeur Ortiz indique dans ses déclarations qu’elle s’est trouvée dans le jardin pendant 10 minutes à écouter de la musique avant que les deux hommes qui l’ont enlevée s’approchent d’elle.  Selon ses dires, il n’y avait pas d’étrangers en vue lorsque le portail s’est ouvert et qu’elle a pénétré dans le jardin.

         60.    Un autre fait qui rend les dépositions de M. Diéguez sujettes à caution est qu’il n’a fait aucune déclaration depuis celle de novembre 1989 décrite dans le rapport de la Police nationale.  Il n’existe aucune preuve établissant que M. Diéguez ait fait une déposition sous serment ou en justice, bien que, selon le rapport Valdéz Gutiérrez, le Procureur chargé de l’affaire ait demandé en 1989 qu’il soit cité à comparaître pour déposer.  Il n’a pas non plus été possible à l’enquêteur West de rencontrer ce témoin lorsqu’il a cherché à le faire en octobre 1991.

         61.    La Commission a observé plusieurs discordances dans les descriptions données par l’autre témoin, Carlos Astún Asturias.  Selon l’information dont dispose la Commission, Carlos Astún Asturias a donné plusieurs descriptions comportant des détails variables sur Soeur Ortiz et les vêtements qu’elle portait le 2 novembre[34]/.  Cependant, il n’est mentionné dans aucune des descriptions de M. Astún Asturias que Soeur Ortiz avait sur elle un survêtement de couleur bleu vif qu’elle a déclaré porter lorsqu’elle a été enlevée.  D’après le rapport West, les employés de l’Agence de voyages Hayter ont confirmé qu’elle avait un survêtement quand elle s’est présentée à leurs bureaux après s’être enfuie.  Par conséquent, la description de M. Astún Asturias ne correspondait pas aux vêtements que portait Soeur Ortiz lors de son enlèvement et de sa réapparition.

         62.    La description de M. Astún Asturias concorde avec celle faite par la Soeur Darleen Chmielewski à la Police nationale immédiatement après la disparition de Soeur Ortiz[35]/.  La description de Soeur Chmielewski ne fait pas mention du survêtement, probablement parce qu’elle ignorait que Soeur Ortiz l’avait revêtu après l’avoir vue.  La Police nationale a obtenu la déclaration de M. Astún Asturias avant la réapparition de Soeur Ortiz, le même jour que celui où Soeur Chmielewski a donné le signalement de Soeur Ortiz à la Police avec la description des vêtements qu’elle croyait l’avoir vu porter.  On peut donc, à juste titre, en déduire que la Police avait fait répéter à M. Astún Asturias ce qu’il devait dire avant de faire sa déposition.

         63.    En outre, la Police nationale a informé la presse guatémaltèque que selon M. Asturias, Soeur Ortiz portait un "gilet de toile"[36]/.  Or, aucune autre description des vêtements de Soeur Ortiz ne faisait état du port d’un gilet de toile le jour de son enlèvement.  Le signalement donné à la Police par Soeur Chmielewski indique que Soeur Ortiz portait un "châle de laine"[37]/.  À l’examen, le témoignage de M. Astún Asturias se rapproche davantage de la description que possède la Police que de la véritable tenue vestimentaire de Soeur Ortiz.  La Commission est d’avis que les déclarations de M. Astún Asturias reposent sur le signalement donné à la Police par Soeur Chmielewski et non sur le souvenir d’un fait auquel il avait assisté. 

         64.    En outre, d’après le rapport Valdéz Gutiérrez, le témoin Astún Asturias a été, en 1989, cité à comparaître, mais a fait défaut sans que la Police sache où le trouver.  Selon le rapport West, plusieurs personnes ont indiqué que Astún Asturias était un vagabond.  Les recherches effectuées en octobre 1991 par l’enquêteur West aux fins d’interroger le témoin ont également été vaines.  Dans sa réponse du 15 février, le Gouvernement a indiqué que Astún Asturias a comparu le 8 avril 1992 à la procédure judiciaire de reconstitution des faits mais le procès verbal correspondant n’a pas été communiqué à la Commission[38]/.

         65.    Dans sa réponse du 15 février adressée pour corroborer son assertion que l’enlèvement et la torture n’avaient pas été établis, le Gouvernement allègue que les déclarations de Soeur Ortiz démontrent l’absence de violence et d’emploi de la force dans l’enlèvement présumé.  À cet égard, le Gouvernement doute de la découverte ultérieure dans le jardin de certains objets personnels de la victime.  Le Gouvernement a suggéré par l’intermédiaire de la presse guatémaltèque que les objets que l’on avait trouvés auraient pu être placés intentionnellement pour conférer un plus grand réalisme au récit de l’enlèvement[39]/.  Dans son rapport du 15 mai 1995, le Gouvernement affirme à nouveau que les déclarations de Soeur Ortiz portent à conclure à l’absence de violence ou d’emploi de la force dans l’enlèvement présumé.  Le Gouvernement pense qu’il n’y a présumément pas eu d’enlèvement parce que Soeur Ortiz n’a pas été conduite de force hors de la Posada de Belén.

         66.    Dans sa déclaration citée par le Gouvernement, Soeur Ortiz indique que ses ravisseurs ont exhibé une arme et ont menacé de faire un mauvais sort à ses amis si elle refusait de les suivre.  La Commission est d’avis qu’il y a eu enlèvement, indépendamment de tout contact physique ou de toute violence, parce que Soeur Ortiz a été conduite hors de la Posada de Belén contre sa volonté et sous la menace de violence sur sa personne et celle de tiers.  Quoi qu’il en soit, les déclarations citées par le Gouvernement indiquent que la force physique a été employée dans l’enlèvement.  Selon Soeur Ortiz, le premier homme, celui qu’elle avait vu dans une rue de Guatemala, l’a prise par le bras.  Devant son insistance pour qu’elle suive les deux ravisseurs, elle a refusé et a tenté de s’échapper.  L’homme en question a alors sorti son arme et elle a cessé toute résistance.

         67.    Les informations parues dans la presse et le rapport West signalent que les religieuses de la Posada de Belén ont trouvé le châle que portait Soeur Ortiz et dont la description avait été donnée à la Police nationale par la Soeur Chmielewski quelques heures après la disparition de la victime[40]/.  Les journalistes de Prensa Libre ont trouvé plus tard une montre dans le jardin[41]/.  La Bible de Soeur Ortiz a également été trouvée dans le jardin[42]/.  La lutte physique entre Soeur Ortiz et son ravisseur aurait suffi à détacher la montre du poignet de la victime.  Cette explication coïncide également avec la déclaration de Soeur Ortiz concernant l’enlèvement, selon laquelle le châle et la Bible sont restés dans la jardin lorsqu’elle fut emmenée hors de celui-ci.  Le Gouvernement a indiqué également que les journalistes de Prensa Libre ont trouvé une bague, et la Commission ne dispose pas d’informations de nature à corroborer ce fait.  L’article publié dans Prensa Libre signalant la découverte de la montre par un journaliste ne fait pas mention de la trouvaille d’une bague[43]/.

         b.      Décision de la Commission concluant à la responsabilité des agents du Gouvernement dans les actes de violation

         68.    De l’avis de la Commission, les actes dénoncés dans l’affaire de Soeur Ortiz ont été perpétrés par des agents du Gouvernement guatémaltèque qui agissaient dans l’exercice de leurs fonctions officielles.  Cette conclusion est fondée sur la preuve contenue dans le dossier, d’où il ressort qu’un policier en uniforme a participé aux actes commis sur la personne de Soeur Ortiz et que celle-ci a été détenue dans une installation militaire.  Il ressort également de la preuve que soeur Ortiz, avant l’enlèvement, faisait l’objet d’une surveillance, laquelle, de par sa nature même, ne pouvait être que le fait du Gouvernement guatémaltèque.  Enfin, l’enlèvement et la torture de Soeur Ortiz relèvent d’activités systématiquement menées par le Gouvernement du Guatemala en violation des droits de l’homme. 

         69.    Les déclarations recevables de Soeur Ortiz révèlent qu’elle a été emmenée au centre de détention dans une voiture de police conduite par un policier en uniforme qui a participé également aux sévices dont elle a été victime.  Au cours d’une procédure de descente sur les lieux, Soeur Ortiz a pu reconnaître le type d’automobile qui avait été utilisé pour la conduire au lieu de sa détention[44]/.  Soeur Ortiz a également reconnu l’endroit où elle avait été détenue et torturée.  Elle a reconnu le bâtiment de l’Ancienne Ecole polytechnique, une installation militaire de Guatemala, comme étant le lieu de sa détention et des sévices qu’elle a subis[45]/.

         70.    Le Gouvernement a contesté l’allégation par Soeur Ortiz de la participation de la Police nationale aux délits dont elle a été victime.  La Commission ne trouve pas convaincante la preuve avancée par le Gouvernement à l’appui de cet argument.

         71.    En premier lieu, le Gouvernement affirme, dans sa réponse du 15 février et son rapport du 15 mai, qu’aucune des voitures de la Police nationale ne porte le numéro indiqué par Soeur Ortiz dans ses déclarations.  Le Gouvernement signale que Soeur Ortiz a indiqué que le chiffre 7 figurait au milieu du numéro d’immatriculation de la voiture de police qui l’emmenait.  Or, d’après les rapports de la Police nationale mentionnés par le Gouvernement, aucune automobile de la Police nationale du Guatemala n’a un "7" au milieu des trois chiffres qui identifient normalement ces véhicules.  Cette contradiction pourrait constituer une preuve, encore qu’elle soit insuffisante à elle seule, de nature à discréditer l’allégation de Soeur Ortiz selon laquelle elle a été conduite au centre de détention dans une voiture de la Police nationale.  Toutefois, la contradiction que signale le Gouvernement n’est pas claire.

         72.    Selon les traductions en espagnol des déclarations faites par Soeur Ortiz au cours de plusieurs procédures devant les tribunaux du Guatemala, celle-ci a indiqué que le chiffre "7" figurait au milieu du numéro d’immatriculation de la voiture de police à bord de laquelle elle a été transportée[46]/.  Cependant Soeur Ortiz a indiqué dans d’autres déclarations faites en anglais à la même époque que l’un des numéros d’immatriculation de l’automobile était le "7"[47]/.  Cette confusion dans les déclarations de Soeur Ortiz peut être due à des difficultés de traduction lorsqu’elle s’est exprimée en anglais devant le tribunal du Guatemala.  Bien que le nom de famille de Soeur Ortiz soit espagnol, elle parle médiocrement l’espagnol qui n’est pas sa langue natale.  Dans sa déclaration du 25 mars 1995 devant le tribunal guatémaltèque, Soeur Ortiz a précisé qu’elle ne pouvait pas indiquer l’emplacement du "7" parmi les chiffres composant le numéro d’immatriculation de la voiture de police[48]/.  La Commission a pris note de ce que certaines des automobiles de police de Guatemala et de sa périphérie affichent un "7" parmi les trois chiffres du numéro d’immatriculation.

         73.    Deuxièmement, le Gouvernement cherche également à démontrer que les agents de la Police nationale n’ont pas participé à l’enlèvement et à la torture de Soeur Ortiz et a cité à cet effet un rapport de la Police nationale indiquant que le jour de l’enlèvement, aucune voiture de police n’avait été désignée pour patrouiller la route entre Antigua et Guatemala[49]/.  Soeur Ortiz a allégué, et la Commission a conclu, qu’elle avait été enlevée et torturée.  La Commission est d’avis qu’il est fort improbable que la Police nationale ait affecté officiellement une voiture pour participer à l’enlèvement de Soeur Ortiz et que mention expresse en ait été faite dans les archives officielles. 

         74.    Le Gouvernement a soutenu également que Soeur Ortiz n’a pu prouver qu’elle avait été détenue dans l’Ancienne Ecole polytechnique, en faisant valoir que Soeur Ortiz n’a pas été à même d’identifier entièrement les lieux ayant fait l’objet de la procédure de descente de justice.  Le document du tribunal où est consigné le procès-verbal de cette procédure indique que Soeur Ortiz n’a pu s’acquitter entièrement de la tâche d’identification parce qu’elle avait piqué une crise de nerfs à son entrée dans le bâtiment et après l’avoir reconnu comme le lieu de sa détention[50]/.  Sa réaction vient à l’appui de la conclusion que son identification des lieux est recevable.  Cette identification est corroborée en outre par le fait que, au cours d’une précédente descente sur les lieux, elle avait déjà identifié la façade de l’Ecole polytechnique comme étant l’endroit possible de sa détention[51]/.

         75.    Le Gouvernement a indiqué que le Juge Lamnakakawa de Rojas, chargée de la procédure, n’a pu trouver les locaux de détention clandestine à l’intérieur du bâtiment.  Cela ne constitue pas une preuve satisfaisante établissant que l’Ecole polytechnique n’était pas l’endroit où avait été détenue Soeur Ortiz.  Le document contenant les détails de la procédure indiquent expressément que le Juge n’a inspecté que les locaux occupés et non la totalité du bâtiment[52]/.

         76.    L’avis de la Commission selon lequel les responsables des actes dont a été victime Soeur Ortiz étaient des agents du Gouvernement est corroboré également par la preuve figurant au dossier, laquelle indique que la victime avait été placée pendant longtemps sous une stricte surveillance.  Or, les agents des forces de sécurité du Guatemala sont ceux qui, probablement, disposent des moyens les plus importants pour assurer une surveillance prolongée de cette nature. 

         77.    Soeur Ortiz a reçu des lettres de menace dans les différentes régions du pays où elle a séjourné.  Peu de jours après son retour au Guatemala venant des Etats-Unis, en septembre 1989, elle a reçu une menace de mort par écrit.  Cela démontre que les personnes qui la surveillaient et la menaçaient ont eu connaissance, presque immédiatement, de son retour dans le pays.  De plus, Soeur Ortiz a indiqué dans ses déclarations qu’on lui avait montré, pendant l’interrogatoire et la torture, des photographies sur lesquelles elle apparaissait dans différentes régions du pays.  La première photo avait été prise en septembre 1987, quelques semaines après son arrivée au Guatemala.  Sur l’une des photos, prise quelques jours avant son enlèvement, Soeur Ortiz posait avec ses collègues dans le centre de retraite d’Antigua.  La participation des forces de sécurité de l’Etat est également corroborée par les déclarations de Soeur Ortiz signalant la présence de militaires dans plusieurs des villages où les photos avaient été prises.  Ce que le Gouvernement n’a pas démenti.

         78.    Le fait que les ravisseurs aient montré à Soeur Ortiz, pendant son interrogatoire, des photos prises alors qu’elle était surveillée, démontre l’existence d’un étroit rapport entre eux et la surveillance systématique assortie de menaces dont elle était l’objet.  Les déclarations de Soeur Ortiz sur sa conversation avec "Alejandro", l’homme qui l’a arrachée du centre de détention, établissent également la preuve d’un tel rapport étroit.  "Alejandro" a admis le rapport qui existait entre les ravisseurs et les lettres de menace lorsqu’il lui a donné à entendre qu’ils avaient essayé de l’avertir et qu’elle aurait dû accorder une plus grande attention aux menaces proférées contre elle.

         79.    La participation de l’Etat se trouve davantage confirmée par la preuve établissant que les attaques dont Soeur Ortiz a été la cible correspondent à un régime d’actions répressives menées par le Gouvernement.  Dans le système interaméricain des droits de l’homme, la participation du Gouvernement aux abus perpétrés contre une victime peut être établie si l’on démontre qu’il a suivi une pratique de violation des droits de l’homme, ou qu’il l’a tolérée, si toutefois on peut établir un lien entre le cas de la victime et la pratique du Gouvernement[53]/.

         80.    Le Gouvernement exerce une action répressive qui affecte les représentants de l’Eglise et d’autres qui oeuvrent en faveur des pauvres et des groupes indigènes[54]/.  Philip Berryman, un spécialiste de l’histoire de l’Eglise en Amérique centrale, est arrivé à la conclusion que les Forces armées du Guatemala tiennent l’Eglise responsable du non-conformisme ou de l’opposition.  L’opinion de cet expert est corroborée par une publication du Bureau des relations publiques de l’armée, selon laquelle "certains militants religieux — tant des églises catholiques que des églises protestantes — ont prêché aux paysans, à l’aide de nouvelles idées et de principes religieux bénéficiant de la caution de l’autorité dont ils émanent, de ne pas accepter la légitimation des bases du système démocratique"[55]/.  La Commission a également observé que les groupements ruraux d’indigènes et les personnes qui travaillent avec eux sont souvent injustement considérés par le Gouvernement comme des ennemis du régime ou comme des complices du mouvement subversif armé[56]/.

         81.    Dianna Ortiz se trouvait au Guatemala en qualité de représentante de l’Eglise, oeuvrant auprès de groupes d’indigènes de Huehuetenango.  La preuve révèle que Dianna Ortiz a été attaquée, du moins en partie, pour son action et sa participation à cette mission.  D’après ses déclarations, l’homme qui l’a accostée sur la voie publique à Guatemala lui a dit que l’on savait qui elle était et qu’elle travaillait à Huehuetenango.  C’est ce même individu qui l’a enlevée par la suite avec l’aide d’autres personnes.

         82.    En outre, Soeur Ortiz a été accostée pour la première fois dans les rue de Guatemala après avoir été vue en train de converser avec des participants à une grève d’enseignants dans la même ville.  À cette époque, Soeur Ortiz suivait les cours d’une école de langues qui alliaient l’instruction à l’expérience pratique de la vie en commun dans une famille guatémaltèque.  Elle était hébergée dans la famille de Rosa Pu et Miguel Pajarito, dont les membres appartenaient au Groupe d’appui mutuel ("GAM").  Aux dires de Soeur Ortiz, Miguel Pajarito a disparu par la suite et n’a pas été revu depuis son enlèvement en 1990.

         83.    La Commission et d’autres experts ont observé le régime de violence du Gouvernement guatémaltèque exercé contre les enseignants et les groupes de défense des droits de l’homme, y compris le GAM[57]/.  Les faits qui ressortent de la présente affaire et le bilan de la violence qui sévit au Guatemala permettent de déduire que Soeur Ortiz a été attaquée par des éléments du Gouvernement qui l’ont apparentée à des groupes et à des personnes que celui-ci désirait contrôler et intimider.

         84.    Enfin, conformément à l’exposé d’expert qui se trouve dans les antécédents en possession de la Commission, le mode de surveillance de Soeur Ortiz ainsi que son enlèvement et les tortures qu’elle a subies ultérieurement, coïncident avec les méthodes qu’employait le Gouvernement à l’époque où les délits en question ont été commis.  Dans une déclaration consignée dans le dossier, Allan Nairn, un spécialiste des forces armées et de la sécurité et des problèmes liés à l’abus des droits de l’homme au Guatemala, indique que le service des renseignements militaires du Guatemala avait pour habitude d’adresser des menaces écrites et de prendre des photos au cours des mesures de surveillance pratiquées à l’époque où Soeur Ortiz était la cible des activités de cette nature[58]/.  Nairn a également indiqué que les services de renseignements guatémaltèques, les forces G-2, faisaient habituellement appel aux agents de la police pour enlever et torturer leurs victimes[59]/.

         c.      Décision de la Commission concernant les procédures judiciaires internes

         85.    Le Gouvernement ne conteste pas que la procédure judiciaire dans l’affaire de Dianna Ortiz devant la juridiction interne demeure à la phase initiale de l’enquête, qu’aucune arrestation n’a eu lieu et qu’aucune accusation n’a été apportée.  Le Gouvernement a affirmé, dans sa réponse du 15 février, et dans ses rapports du 15 mai et du 27 mars, ainsi que par la voix de la presse guatémaltèque, que le déroulement de la procédure se trouve entravée par l’absence de coopération de la part de Soeur Ortiz dans l’instruction de l’affaire.  Comme indiqué plus haut à la section traitant de la recevabilité, Soeur Ortiz a fait de nombreux efforts pour collaborer à l’enquête sur l’affaire, tant dans le cadre des procédures judiciaires qu’en dehors de celui-ci.  Le Gouvernement n’a pas non plus fourni d’explications au sujet de l’information dont il a besoin et à laquelle il n’a pu avoir accès en raison de l’absence présumée de collaboration de la part de Soeur Ortiz. 

         86.    Dans son rapport du 27 mars, le Gouvernement guatémaltèque a indiqué que Dianna Ortiz "n’est pas retournée au Guatemala" pour témoigner dans l’affaire.  En fait, Soeur Ortiz est venue au Guatemala à quatre reprises pour participer à des procédures devant les tribunaux et aux modalités d’instruction de l’affaire.  Elle a témoigné devant les tribunaux guatémaltèques, participé aux procédures judiciaires de descente sur les lieux et offert le signalement détaillé des personnes qu’elle accuse d’être responsables de la perpétration des délits en vue de la préparation de portraits-robots.

         87.    Dans sa réponse du 15 février, le Gouvernement a présenté plusieurs affirmations basées sur les faits à l’appui de son assertion selon laquelle Soeur Ortiz n’avait pas offert de collaborer.  Tout d’abord, le Gouvernement a fait savoir que Soeur Ortiz avait déposé sa déclaration récemment, soit deux ans et cinq mois après la date de l’agression.  Le Gouvernement fait état des déclarations faites par Soeur Ortiz le 7 avril 1992 à Guatemala devant le juge d’instruction pénale de première instance. 

         88.    Le Gouvernement n’est pas dans le vrai lorsqu’il affirme que la déclarations faite par Soeur Ortiz le 7 avril 1992 est la première.  Les articles publiés dans la presse guatémaltèque établissent que les fonctionnaires du gouvernement étaient en possession d’une déclaration de Soeur Ortiz faite peu de jours après sa réapparition.  Soeur Ortiz a, d’autre part, fait une déclaration formelle devant les tribunaux guatémaltèques et n’a pas reçu de demande dans ce sens par le biais de la commission rogatoire délivrée aux Etats-Unis en février 1991[60]/.

         89.    Plus tard, le juge du tribunal compétent en la matière et le Procureur spécial affecté à l’affaire ont soutenu que la réponse de Soeur Ortiz à la Commission rogatoire n’était pas valable devant les tribunaux du Guatemala pour une question de compétences juridictionnelles[61]/.  Cependant, la commission rogatoire a été expédiée par la Cour suprême du Guatemala et il y a lieu d’en déduire qu’elle n’aurait pas été envoyée si la réponse n’avait pas été valable devant les tribunaux.  De toute façon, indépendamment de la validité formelle de la déclaration de Soeur Ortiz, les fonctionnaires guatémaltèques pouvaient la joindre et auraient pu faire appel à elle pour entamer ou faire progresser l’enquête.

         90.    Le Gouvernement a également indiqué dans sa réponse du 15 février que la déclaration de Soeur Ortiz du 8 avril 1992 manquait de spontanéité parce qu’elle s’était reportée à sa déclaration originelle faite aux Etats-Unis.  À l’appui de ce commentaire, le Gouvernement cite les documents du tribunal concernant la procédure.  Il néglige cependant de mentionner la partie du document où le Procureur spécial Linares indique que Soeur Ortiz a agi dans le plein exercice de ses droits lorsqu’elle s’est référée à sa déclaration antérieure[62]/.  Le Gouvernement néglige de préciser quelles sont les dispositions de la législation guatémaltèque qui s’opposent à ce que Soeur Ortiz fasse référence au document et, par ailleurs, rien n’indique qu’elle ait été informée de la chose. 

         91.    Dans sa réponse du 15 février, le Gouvernement affirme que Soeur Ortiz a négligé de participer aux procédures de descente sur les lieux à la Posada de Belén et à l’ancienne Ecole polytechnique.  Selon le Gouvernement, le déroulement des procédures a été entravé par l’évanouissement et l’indisposition de Soeur Ortiz.  De l’avis de la Commission, la technique d’enquête utilisée au Guatemala, à savoir la descente de justice, est une procédure extrêmement difficile pour une victime qui allègue avoir été enlevée, torturée et violée.  Les actions de Soeur Ortiz démontrent davantage la volonté de surmonter sa peur et sa gêne personnelle pour collaborer entièrement à l’enquête, et non un manque de coopération de sa part.

         92.    Le Gouvernement a soutenu par la suite que le dossier de l’affaire auprès de la juridiction interne ne contenait pas de certificat médical constatant les blessures et les brûlures de Soeur Ortiz.  Or, le rapport Valdéz Gutiérrez contredit cette assertion.  Ledit rapport indique en effet que le dossier de l’affaire auprès de la juridiction interne contient bien les certificats des examens médicaux effectués par les Drs David Alcare et Gutiérrez, dans lesquels il est fait état des lésions qu’a subies Soeur Ortiz.  La lettre du Dr Gutiérrez était jointe à la réponse de Soeur Ortiz à la commission rogatoire au début de 1991.  Soeur Ortiz ne s’est pas présentée à un examen qui devait avoir lieu le 23 mars 1993 au Guatemala.  Ce fait ne diminue cependant pas la force probante des examens médicaux antérieurs effectués à des dates plus rapprochées des faits.

         93.    Enfin, dans sa réponse du 15 février, le Gouvernement fait état de la non-collaboration de Soeur Ortiz lorsque le procureur lui a posé dix questions liées à sa déclaration au cours du contre-interrogatoire.  Le Gouvernement ne précise pas quelle est la procédure qui s’est heurtée à ce manque de collaboration et ne présente aucun document ou preuve de nature à corroborer son argument.

         94.    La requérante Ortiz a indiqué qu’après sa déclaration du 7 avril 1992, le Procureur spécial Linares lui a posé toute une série de questions non pertinentes et dégradantes et qu’elle a refusé d’être en butte à des attaques personnelles.  Le 25 mars 1993, Soeur Ortiz a participé à une procédure d’interrogatoire judiciaire devant le tribunal, comportant des questions posées par le bureau du procureur.  Soeur Ortiz a refusé de répondre à certaines de ces questions.  Les procureurs se proposaient de demander à Soeur Ortiz de répondre à des questions sur la couleur de l’encre utilisée dans la rédaction des lettres de menace et autres missives semblables, lesquelles n’auraient pas contribué à faire la lumière sur les faits de l’affaire.  Certaines des questions lui demandaient des détails qu’elle avait déjà fournis dans les déclarations orales et écrites devant le tribunal.  La Commission est en possession du document contenant les questions et les réponses et est d’avis que les questions avaient un ton accusateur et insistant[63]/.  Les réponses de Soeur Ortiz n’indiquaient pas un manque de collaboration. 

         95.    La Commission conclut que la responsabilité de l’absence de tout progrès dans le règlement de l’affaire devant la juridiction interne incombe au Gouvernement et non à Soeur Ortiz.  Quoique plusieurs recours aux moyens légaux aient été formés et que plusieurs enquêtes aient été ouvertes dans l’affaire de Soeur Ortiz, le Gouvernement a négligé de procéder aux enquêtes qui auraient permis de faire toute la lumière sur les faits.  Absolument rien dans le dossier n’indique que les Forces armées guatémaltèques aient enquêté sur les accusations portées contre elles et contre les autres forces de sécurité de l’Etat.  Ce dernier, dans son rapport du 15 mai 1995, a indiqué que le Groupe spécial d’enquête de la Police nationale qui était affecté à cette affaire n’a jamais soumis de rapport aux tribunaux[64]/.

         96.    Rien dans le dossier ne permet d’établir que les Forces armées et la Police nationale aient conduit les enquêtes essentielles qui auraient été de mise en l’espèce.  Par exemple, il n’y a aucune preuve que l’on ait enquêté sur l’accusation concernant l’existence d’un centre de détention clandestin au sein d’une installation militaire de Guatemala, ni que l’on ait cherché à savoir quelles étaient les unités militaires qui se trouvaient dans les zones ou furent prises les photographies de Soeur Ortiz lors de la présence des Forces armées dans les parages.  Le tribunal compétent en l’espèce s’est adressé à plusieurs branches des forces de sécurité du Guatemala pour leur demander une liste des Américains qui avaient travaillé avec les services de sécurité.  Rien n’indique cependant que les Forces armées ou la Police nationale aient procédé à une enquête indépendante en vue de déterminer si un Américain répondant au signalement d’"Alejandro" avait travaillé avec les forces de sécurité du Guatemala, ouvertement ou à titre d’agent secret.  Après avoir indiqué que le nombre "7" ne figurait nulle part au centre des chiffres composant les numéros d’immatriculation de ses voitures, la Police nationale n’a pas effectué d’enquêtes postérieures, comme les entrevues avec les policiers dont les véhicules arborent un numéro d’immatriculation comportant un "7" quelque part.

         97.    M. Ramsés Cuestas Gómez, Procureur général du Guatemala, a confirmé que les forces de sécurité guatémaltèques ont négligé de conduire les enquêtes voulues.  Dianna Ortiz rapporte, dans une déclaration sous serment, les déclarations faites par Ramsés Cuestas au cours d’une entrevue[65]/. Le Procureur général a indiqué que si l’affaire n’avait pas progressé, c’était parce que les Forces armées guatémaltèques n’avaient pas la volonté politique de procéder à une enquête poussée afin d’établir si l'un quelconque de leurs membres avait participé à l’incident.  Il a également signalé que des difficultés s’étaient présentées pour obtenir l’accès aux installations militaires et enquêter sur les agissements du personnel de l’Armée.  Le Procureur général a fait savoir que la démarche du juge chargé de l’affaire auprès des Forces armées pour obtenir des informations était restée infructueuse. 

         98.    Le Bureau de l’Ombudsman en matière des droits de l’homme a procédé à quelques examens du dossier de l’affaire.  Toutefois, d’après les déclarations de Soeur Ortiz à l’audience de la Commission du 3 février 1995, elle avait été informée de la perte de son dossier dans le Bureau de l’Ombudsman ou du retrait de son document par le Président Ramiro de León Carpio lorsqu’il avait quitté ce bureau pour accéder à la Présidence du Guatemala.

         99.    La Commission a constaté que la procédure judiciaire dans cette affaire devant la juridiction interne avait été confiée à six juges différents - deux à Antigua et quatre à Guatemala.  Selon le rapport Valdéz Gutiérrez et de l’autre procureur, Luis Fernando Mérida, au moins quatre procureurs distincts ont travaillé sur ce dossier[66]/.

         100.  De l’avis de la Commission, le Procureur spécial Linares ne s’est pas acquitté comme il se doit de ses devoirs de juriste impartial[67]/.  On avait prétendu que sa désignation, avec le concours de l’enquêteur West, accélérerait le déroulement de l’enquête et la décision permettant de trancher l’affaire, mais un tel résultat n’a pas été obtenu.  Linares n’a été dûment habilité à prendre les dispositions nécessaires pour mettre la justice en action que le 2 février 1992, soit six mois après sa nomination.

         101.  Les actions du Procureur spécial ont été destinées davantage à discréditer Soeur Ortiz qu’à faire progresser le dossier de l’affaire.  Une déclaration faite à la presse par le Procureur spécial Linares le 3 avril 1992 témoigne de son manque d’intérêt à s’acquitter de sa responsabilité d’enquêter et d’instruire l’affaire de façon impartiale.  Linares a déclaré que Soeur Ortiz "devra prouver la véracité des actes de menace, d’enlèvement, de viol et de torture, et ne permettre en aucune manière à son avocat ... de chercher à faire un symbole politique d’une affaire qui devrait être strictement judiciaire"[68]/.  Les actions de Linares  et les propos qu’il a tenus sur ce ton ont reporté du Gouvernement sur Soeur Ortiz la charge de poursuivre sa réclamation en justice et d’apporter la preuve de ce qu’elle avance.  Il a, dans le même temps, laissé entendre que l’intérêt de Soeur Ortiz à suivre l’affaire pouvait relever d’un motif politique. 

         102.  Le Procureur spécial Linares a publié, à trois occasions différentes, des déclarations dans la presse guatémaltèque selon lesquelles Soeur Ortiz n’avait pas participé à l’instruction de l’affaire et qu’elle n’avait pas déposé en justice devant les tribunaux guatémaltèques.  Ces déclarations ont été publiées les 20 février, 1er mars et 8 avril 1992 (le même jour que Soeur Ortiz a porté témoignage devant la Cour). Quand ces déclarations ont été publiées, Soeur Ortiz avait déjà envoyé une déclaration formelle aux tribunaux sous forme de réponse à la commission rogatoire. 

         103.  Le Procureur spécial Linares a également fait savoir dans les déclarations publiées que Soeur Ortiz n’avait pas permis à l’enquêteur West de venir l’interroger aux Etats-Unis, bien qu’elle les ait conviés tous deux à une entrevue dans ce pays.  Or, cette rencontre n’a jamais eu lieu en raison de la mauvaise grâce manifestée par le procureur et l’enquêteur à accepter l’invitation[69]/.

         104.  Le Procureur spécial Linares a indiqué à plusieurs reprises au cours d’interviews à la presse que Soeur Ortiz n’avait pas subi d’examens gynécologiques[70]/.  Les déclarations de Linares se sont bornées à mettre en avant l’allégation de viol de la victime, sujet délicat et à forte teneur morale, et non au fait général de l’enlèvement et de la torture qui était bien avéré.  Linares a continué par ailleurs à exiger que Soeur Ortiz se soumette à un examen gynécologique plusieurs années après les tortures et les viols présumés.  À cette date tardive, l’examen aurait été inutile et aurait plutôt constitué, en soi, un harcèlement[71]/.

         105.  Bien qu’ils soutiennent tous deux qu’ils ont instruit le dossier de l’affaire de la meilleure façon possible, ni Beltranena, ni West ne sont parvenus à des conclusions en l’espèce.  En 1993, Linares a été désigné pour siéger au Congrès guatémaltèque et a abandonné sa fonction de Procureur spécial sans que le Gouvernement nomme un remplaçant.  Les autres procureurs sur la liste qui ont travaillé sur le dossier de l’affaire n’ont pas non plus progressé du tout.

         2.      Conséquences juridiques de l’état de fait allégué

a.      Article 5.  Droit à l’intégrité de la personne et la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture

         106.  L’article 5.1 de la Convention stipule que toute personne a droit au "respect de son intégrité physique, psychique et morale".  Les agents du Gouvernement guatémaltèque se sont attaqués à l’intégrité physique, morale et psychique de Dianna Ortiz lorsqu’ils l’ont menacée par voie de lettres et d’affrontement personnel, indiquant qu’elle serait la cible d’une agression et qu’elle devait quitter le pays.

         107.  L’article 5(2) énonce expressément que "nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.  Toute personne privée de sa liberté sera traitée avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine".  Les actes d’enlèvement, de détention et de torture de Dianna Ortiz commis par les agents du Gouvernement constituent des violations flagrantes de l’article 5. (2) de la Convention.

         108.  La Commission fait observer également que le Gouvernement du Guatemala a ratifié le 29 janvier 1987 la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture (la "Convention sur la torture").  L’article 2 de ladite Convention définit la torture comme étant:

         tout acte par lequel sont infligées intentionnellement à une personne des peines ou souffrances, physiques ou mentales, aux fins d’enquêtes au criminel ou à toute autre fin, à titre de moyen d’intimidation, de châtiment personnel, de mesure préventive ou de peine.  On entend également par torture l’application à toute personne de méthodes visant à annuler la personnalité de la victime ou à diminuer sa capacité physique ou mentale même si ces méthodes et procédés ne causent aucune douleur physique ou angoisse psychique.

         109.  Le traitement inhumain qu’a subi Soeur Ortiz aux mains des agents du Gouvernement correspond à cette définition de la torture.  Les agents du Gouvernement ont infligé une souffrance physique et mentale à Dianna Ortiz présumément à titre de châtiment et de moyen d’intimidation pour sa participation à certaines activités et son association avec certaines personnes et groupements.  La torture infligée à Dianna Ortiz ressemble beaucoup à la description des méthodes employées pour "annuler la personnalité de la victime".  Soeur Ortiz a été enlevée dans un lieu de retraite religieuse, soustraite à sa vie de travailleuse religieuse et enfermée dans un centre de détention où elle fut torturée.  Soeur Ortiz a indiqué que la torture a été une expérience qui a annihilé sa personnalité et a expliqué que les conséquences mentales et sociales de cet acte l’ont empêchée de participer aux activités quotidiennes et de reprendre sa vie normale.

         b.      Article 7.  Droit à la liberté de la personne

         110.  L’article 7 de la Convention américaine stipule que l’on ne peut être privé de la liberté, si ce n’est pour des motifs et dans des conditions déterminées à l’avance par la loi.  L’article 7 (3) stipule expressément que "nul ne peut faire l’objet d’une détention ou d’une arrestation arbitraire".  Les agents du Gouvernement guatémaltèque ont violé l’article 7 de la Convention américaine.

         111.  Le Gouvernement n’a jamais admis que Soeur Ortiz a été détenue et gardée prisonnière par des agents de l’Etat.  Soeur Ortiz a identifié l’Ancienne Ecole Polytechnique, une installation militaire, comme étant l’endroit où elle a été détenue.  Malgré cela, le Gouvernement a continué de nier qu’elle ait été détenue à l’Ecole polytechnique et qu’un centre de détention soit opéré dans ce bâtiment.  La Commission a cependant exprimé antérieurement l’avis que des agents du Gouvernement du Guatemala avaient détenu des personnes dans des centres de détention clandestins situés dans des installations militaires même s’ils ont nié l’existence d’une telle détention[72]/.  Dans l’affaire actuelle, la Commission conclut que Soeur Ortiz a été détenue dans l’un de ces centres de détention militaires clandestins.

         112.  Etant donné que les agents de l’Etat ont systématiquement nié le fait de la détention et l’existence d’un centre de détention, celle-ci était nécessairement secrète et à l’abri de la justice, en violation de l’article 7.  La Commission est d’avis que l’existence de centres de détention clandestins au Guatemala constitue un motif de grave préoccupation.

         113.  La détention dans des centres clandestins est une forme particulièrement grave de privation arbitraire de la liberté.  Les actes des agents du Gouvernement qui participent à des activités de cette nature transcendent les frontières de la loi et, parce qu’elles sont secrètes, ces activités ne peuvent supporter l’examen.  Les agents du Gouvernement qui participent à des affaires de ce genre doivent nier l’enlèvement ou l’existence d’un lieu de détention pour se protéger et en maintenir le secret. D’une manière générale, la victime peut absorber peu de détails se rapportant au lieu de détention, ou à ses ravisseurs, et n’est pas en mesure de procéder à des identifications.  Il est non seulement impossible pour la victime d’exercer ses droits légaux durant sa détention, mais il lui sera très difficile de confronter les autorités si tant est qu’elle soit libérée en vie.

         114.  Quand une victime est enlevée par des agents de la fonction publique, l’Etat viole également le droit de la victime à être traduite, dans le plus court délai, devant un juge et d’introduire les recours appropriés afin de vérifier la légalité de son arrestation, ce qui enfreint les dispositions de l’article 7 de la Convention américaine[73]/.

         c.      Article 11.  Protection de l’honneur et de la dignité de la personne

         115.  L’article 11 (1) de la Convention américaine déclare que "toute personne a droit au respect de son honneur et à la reconnaissance de sa dignité."  L’article 11 (2) dispose que "nul ne peut être l’objet d’ingérences arbitraires ou abusives dans sa vie privée, dans la vie de sa famille, dans son domicile ou sa correspondance, ni d’attaques illégales à son honneur et à sa réputation".

         116.  Soeur Ortiz a été l’objet de la part des agents du Gouvernement d’ingérences arbitraires et abusives, en violation des dispositions de l’article 11 (2), lorsqu’elle a été maintenue sous surveillance et lorsque des lettres de menace lui ont été adressées partout où elle se déplaçait au Guatemala.  Les agents du Gouvernement ont attaqué l’honneur et la dignité de Soeur Ortiz et, ce faisant, ont enfreint les dispositions de l’article 11 (1), lorsqu’ils l’ont enlevée de force et l’ont torturée.

         117.  Qui plus est, de hauts fonctionnaires du Gouvernement ont violé les dispositions de l’article 11 (1) lorsqu’ils ont attaqué l’honneur et la réputation de Soeur Ortiz de manière réitérée et arbitraire, en déclarant que ses allégations étaient une histoire fabriquée de toutes pièces, qu’elle avait manigancé son propre enlèvement et qu’elle travaillait avec des groupes qui avaient pour objectif de placer le Guatemala dans une situation difficile.  Les déclarations des fonctionnaires du Gouvernement sont particulièrement graves lorsqu’elles indiquent que les blessures de Soeur Ortiz avaient été subies à la suite d’un rendez-vous amoureux, probablement entre lesbiennes.  Ces déclarations ont constitué un grave affront à l’honneur et à la réputation de Soeur Ortiz reposant dans une large mesure sur son activité en qualité de religieuse catholique oeuvrant pour améliorer les conditions de vie de groupes indigènes pauvres du Guatemala.

         d.      Articles 12 et 16.  Liberté de conscience et de religion et liberté d’association

         118.  L’article 12 de la Convention américaine consacre le droit à la liberté de conscience et de religion.  L’article 16 stipule que "toute personne a le droit de s’associer librement à d’autres à des fins idéologiques, religieuses, politiques, économiques, professionnelles, sociales, culturelles, sportives ou à toute autre fin".

         119.  Les agents du Gouvernement ont contrevenu aux articles 12 et 16.  Il est probable que les attaques dont a été victime Soeur Ortiz aient eu comme objectif de la punir et de nuire à ses activités religieuses en qualité de missionnaire de l’Eglise et à son travail avec les groupes indigènes de Huehuetenango, de même que son association avec des membres du GAM.  En outre, en raison de la surveillance, des menaces, de l’enlèvement, de la torture et du viol dont elle a été l’objet, elle est retournée aux Etats-Unis pour échapper à ses ravisseurs et fuir la violence exercée contre elle et, de ce fait et par crainte, elle n’a pu revenir au Guatemala.  Il s’ensuit qu’elle a été privée du droit d’exercer son droit à la liberté de conscience et de religion en qualité de missionnaire étrangère de l’Eglise catholique au Guatemala.  Elle a également été privée du droit de s’associer aux habitants de Huehuetenango, à l’Eglise du Guatemala et au GAM.

         e.      Articles 8 et 25.  Garanties judiciaires et protection judiciaire

         120.  Les articles 8 et 25 de la Convention américaine accordent à toute personne le droit à un recours devant les tribunaux, le droit à introduire un tel recours et à ce que sa cause soit entendue, et le droit à une décision de la part de l’autorité juridique compétente.  L’article 25 (1) de la Convention américaine stipule que:

         Toute personne a droit à un recours simple et rapide, ou à tout autre recours effectif devant les juges et tribunaux compétents, destiné à la protéger contre tous actes violant ses droits fondamentaux reconnus par la Constitution, par la loi de l’Etat en question, ou par la présente Convention.

         L’article 8 (1) de la Convention américaine indique que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue "avec les garanties voulues" par un juge ou par un tribunal compétent.  L’article 25 (2) prescrit que les Gouvernements s’assurent que dans le cas de toute personne qui introduit un recours en justice "l’autorité compétente ... statuera sur les droits [de la personne]".

         121.  Dans l’affaire en question, le Gouvernement du Guatemala n’a pas rempli son obligation d’offrir un recours en justice simple, rapide et efficace à Soeur Ortiz.  Les tentatives faites par cette dernière pour que sa cause soit entendue par des tribunaux compétents et impartiaux au Guatemala et pour obtenir une décision judiciaire dans son affaire devant les tribunaux guatémaltèques ont été systématiquement entravées et ont donné lieu à des critiques réitérées et injustes à l’égard de sa personne.  Au lieu de procéder à une enquête en règle et de donner suite devant les tribunaux compétents aux recours formés par Soeur Ortiz, le Gouvernement a cherché à reporter sur elle la charge de faire instruire le dossier de l’affaire et de prouver ses allégations contre les agents du Gouvernement, et il l’a en outre accusée d’être responsable des résultats infructueux obtenus.

         122.  Plus de six ans se sont écoulés depuis l’enlèvement et la torture de Soeur Ortiz et sa cause devant les tribunaux de la juridiction interne du Guatemala n’a pas abouti à obtenir la comparution devant la justice des personnes responsables des actes dont elle a été victime.  Bien qu’une décision judiciaire n’ait pas été rendue dans le cadre de la procédure interne et malgré l’absence de résultats, le Gouvernement a indiqué dans sa réponse du 15 février qu’il avait l’intention de classer l’affaire.  Une telle mesure interdirait définitivement toute possibilité qu’une décision soit rendue dans l’affaire de Soeur Ortiz devant la juridiction interne.

         f.      Article 1 (1)  Obligation de respecter les droits

         123.  Les violations en litige dans la présente affaire démontrent que l’Etat guatémaltèque n’a pas rempli l’engagement consacré à l’article 1.1 de la Convention américaine de "respecter les droits et libertés reconnus dans la présente Convention et à en garantir le libre et plein exercice à toute personne relevant de sa compétence".

         124.  La première obligation d’un Etat partie à la Convention américaine est de respecter les droits et libertés qui s’y trouvent consacrés. 

         En toute circonstance dans laquelle un organe ou un fonctionnaire de l’Etat ou une institution à caractère public lèse indûment ... des droits (énoncés dans la Convention), on se trouve en présence d’une inobservation présumée du droit au respect consacré dans la Convention ... l’Etat est responsable des actes de ses agents accomplis dans l’exercice de leurs fonctions officielles et des omissions desdits agents même s’ils outrepassent les limites de leurs attributions ou agissent en violation du droit interne[74]/.

         125.  Dans la présente affaire, des agents du Gouvernement, agissant en vertu du pouvoir officiel qui leur a été conféré, ont entrepris de surveiller et de menacer Soeur Ortiz.  Ces mêmes agents, dont un policier en uniforme, ont enlevé par la suite Soeur Ortiz, l’ont conduite à un centre de détention situé dans une installation militaire et l’ont torturée.  Ces actes constituent des violations manifestes de la Convention américaine imputables au Gouvernement du Guatemala.  Des violations ont été commises par d’autres agents de l’Etat qui ont refusé de procéder à une enquête en règle et d’engager des poursuites contre les auteurs des délits.  On peut déduire de ce qui précède que le Gouvernement guatémaltèque est responsable de la violation de l’article 1 (1) de la Convention américaine.

         126.  La seconde obligation de l’Etat est de "garantir" le libre et plein exercice des droits reconnus dans la Convention.  La Commission réaffirme que

         les Etats parties ont l’obligation d’organiser l’ensemble de l’appareil gouvernemental et, d’une manière générale, toutes les structures par le canal desquelles s’exerce le pouvoir public, de telle sorte qu’elles soient capables d’assurer sur le plan juridique le libre et plein exercice des droits de l’homme.  En conséquence de cette obligation, les Etats doivent empêcher, instruire et sanctionner toute violation des droits reconnus par la Convention et s’attacher en outre à rétablir, si possible, le droit enfreint et, le cas échéant, ordonner la réparation des dommages causés par la violation des droits de l’homme[75]/.

         127.  Le Gouvernement n’a pas rempli son obligation de garantir les droits de l’homme de Soeur Ortiz.  Pendant la décennie 80, les structures du pouvoir public ont permis les attaques dont a été victime Soeur Ortiz.  Depuis cette époque, les autorités ont nié systématiquement que Soeur Ortiz ait été menacée, suivie, enlevée, détenue et torturée et, également, que les agents du Gouvernement guatémaltèque aient eu un rôle quelconque à jouer au cas où un acte quelconque de cette nature serait survenu.  L’Etat ne s’est pas acquitté de la responsabilité qui lui incombe de procéder à une enquête en règle sur les délits commis.  Il y a eu négligence pour activer les procédures judiciaires afin que les coupables assument la responsabilité de leurs actes et aucune réparation n’a été offerte à Soeur Ortiz.  Les enquêtes et les procédures judiciaires du Gouvernement ont abouti, en définitive, au déni de justice pour Dianna Ortiz et à l’impunité pour les auteurs de ces actes délictueux.

         128.  Les infractions aux dispositions de l’article 1 (1) de la part du Gouvernement ont revêtu un caractère particulièrement grave dans la présente affaire.  En ce qui concerne l’article 1.1, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a indiqué clairement en ce qui concerne le devoir d’enquêter que:

         Dans certains circonstances, il peut s’avérer difficile de procéder à l’enquête de faits qui attentent aux droits de la personne. L’obligation d’enquêter , au même titre que celle de prévenir, est une obligation de moyen ou de comportement à laquelle on ne faillit pas du seul fait que l’enquête n’aboutisse pas à un résultat positif.  Elle doit cependant être entreprise sérieusement et non comme une simple formalité vouée d’avance à l’échec.  Elle doit avoir un sens et être assumée par l’Etat comme un devoir juridique propre et non comme une simple démarche d’intérêts particuliers qui dépend de l’initiative judiciaire de la victime ou de sa famille, ou de l’apport privé d’éléments probatoires, sans que l’autorité publique recherche effectivement la vérité[76]/.

         129.  Le Gouvernement n’a pas satisfait à ces exigences formulées par la Cour.  Peu de temps après la réapparition de Soeur Ortiz, on a pu observer manifestement que le Gouvernement avait décidé de nier les faits allégués par celle-ci et de réfuter la participation du Gouvernement à ces actes.  Les enquêtes postérieures, quand elles ont été effectuées, ont été biaisées de manière à appuyer ces dénégations.  Le Gouvernement n’a jamais laissé entendre qu’il procéderait à une enquête effective. 

         130.  Non seulement le Procureur spécial affecté à l’instruction du dossier de l’affaire n’a pas effectué une enquête impartiale et objective, mais il a blâmé Soeur Ortiz pour le manque de progrès enregistré dans la procédure.  Le Procureur spécial s’est attaché à concentrer l’attention sur l’allégation de viol, cherchant de cette manière à ôter toute importance à l’obligation du Gouvernement d’enquêter sur les délits commis.  Les attaques dont la victime a été l’objet de la part du Gouvernement et les preuves que celle-ci a présentées par le canal du Procureur spécial n’exonèrent pas le Gouvernement de la responsabilité de poursuivre l’affaire dans son intégralité, parce que l’obligation d’enquêter ne peut faire l’objet d’une dérogation et ne peut être déléguée.

         131.  Le Gouvernement a prétendu à maintes reprises, par l’intermédiaire de divers fonctionnaires, que Soeur Ortiz n’a pas coopéré au déroulement des procédures, cherchant ainsi à détourner l’attention du fait qu’il se trouvait en faute pour avoir négligé d’instruire l’affaire comme il se doit pour administrer la justice.  Cet argument du Gouvernement doit être réfuté pour deux raisons.  Premièrement, les décisions de la Commission sur les questions de fait démontrent que les accusations lancées contre Soeur Ortiz sont dénuées de fondement.  Deuxièmement, dans Velásquez Rodríguez, la Cour a clairement déterminé qu’il appartient à l’Etat d’enquêter sur les violations des droits de l’homme et d’engager une procédure judiciaire effective contre les responsables des violations[77]/.  L’Etat guatémaltèque est toujours tenu par l’obligation d’enquêter et de faire toute la lumière sur les circonstances qui ont entouré l’enlèvement et la torture de Soeur Ortiz, ainsi que de traduire en justice les personnes responsables, abstraction faite de la contribution ou de la collaboration de la victime.

III.     PROCEDURE DEPUIS L’ADOPTION DU RAPPORT DE LA COMMISSION PREVU A L’ARTICLE 50

         132.  À sa 91e session ordinaire, la Commission a adopté, conformément à l’article 50 de la Convention, le Rapport no 9/96 ayant trait à la présente affaire et, par une note du 11 avril 1996, a transmis ce rapport, accompagné des recommandations de la Commission, au Gouvernement guatémaltèque, en lui demandant de l’informer sur les mesures qu’il aurait adoptées pour donner suite auxdites recommandations et pour remédier à la situation considérée, dans un délai de 60 jours.  Le rapport afférent à l’article 50 comprenait la décision de la Commission selon laquelle l’affaire serait soumise à la Cour interaméricaine des droits de l’homme si le Gouvernement n’applique pas les recommandations de la Commission dans le délai de 60 jours.

         133.  Le 31 mai 1996, le Gouvernement a adressé une note à la Commission demandant que l’instruction de la présente affaire soit suspendue.  Le Gouvernement a envoyé le 3 juin 1996 une note supplémentaire apportant des éclaircissements sur sa demande.  Le Gouvernement a demandé expressément qu’un délai supplémentaire de deux mois lui soit accordé pour donner une réponse au rapport 9/96 ainsi qu’une suspension du délai de trois mois prévu à l’article 51 de la Convention pour saisir la Cour de l’affaire.

         134.  Le 10 juin 1996, la Commission a décidé d’accorder la prorogation de deux mois et d’accepter la demande de suspension du délai de trois mois pour soumettre l’affaire à la Cour.  Cette décision a été communiquée par écrit au Gouvernement le 14 juin 1996.  Dans ladite note, la Commission a précisé que le délai pour répondre au rapport prévu à l’article 50 viendrait à expiration le 10 août 1996.

         135.  Le 26 juillet 1996, le Gouvernement a adressé une note à la Commission par laquelle il demandait une prorogation supplémentaire de 60 jours pour répondre au rapport prévu à l’article 50 de la Commission.  Le Gouvernement a fondé cette demande sur le fait que le procureur affecté à l’instruction de l’affaire au Guatemala avait demandé un entretien avec Soeur Dianna Ortiz pour pouvoir enquêter sur l’affaire, en application des recommandations de la Commission comprises dans le rapport en question. 

         136.  Le 2 août 1996, Soeur Dianna Ortiz a fait savoir à la Commission, par l’intermédiaire de son représentant légal, qu’elle ne s’offrait pas à prendre part à une entrevue reposant sur des interrogations orales.  La lettre envoyée par l’avocate de Soeur Ortiz précisait que:  "le Gouvernement possède toute l’information que Soeur Ortiz peut fournir sur ce qu’elle a subi au Guatemala le 2 novembre 1989 ... Toutefois, si le Gouvernement a légitimement de nouvelles questions auxquelles les déclarations faites précédemment par Soeur Ortiz n’ont pas répondu, le Gouvernement est invité à soumettre ces questions par écrit à Soeur Ortiz".  Se fondant sur cette décision prise par Soeur Ortiz de ne pas accepter la possibilité d’un entretien avec le procureur, la Commission a fait savoir au Gouvernement le 6 août 1996 qu’elle pensait qu’il n’y avait pas lieu de lui accorder le délai supplémentaire qu’il avait demandé.

         137.  Le Gouvernement n’a jamais répondu au Rapport 9/96 et n’a donc pas démontré qu’il avait donné suite aux recommandations de la Commission.  En conséquence, celle-ci s’est vue dans l’obligation de déterminer la marche à suivre en la matière aux termes d’une décision sur ce qui constituerait "le parti ... le plus favorable pour la protection des droits consacrés dans la Convention"[78]/.

         138.  Soeur Dianna Ortiz a, par l’intermédiaire de son avocate, indiqué à la Commission dans une note du 27 août 1996 qu’elle ne souhaitait pas que l’affaire soit déférée à la Cour.  Dianna Ortiz a par la suite signé une lettre par laquelle elle confirmait avoir autorisé les déclarations de son avocate et que celles-ci représentaient correctement sa décision.  La lettre du 27 août indiquait expressément que:

         Soeur Ortiz désire, comme elle l’a toujours dit, que la responsabilité du Gouvernement du Guatemala soit déclarée et que celui-ci soit sanctionné.  D’un autre côté, les efforts nécessaires pour obtenir justice dans cette affaire ont constitué et constituent encore pour Soeur Ortiz une lourde épreuve personnelle.  Comme elle l’a expliqué précédemment ... témoigner sur l’enlèvement et sur la torture dont elle a été victime lui est pénible, au point même de la terrifier.  Il y a eu des fois où Soeur Ortiz a senti que ses troubles émotionnels et psychologiques commençaient à guérir, pour constater par la suite qu’ils s’avivaient face à l’idée traumatisante d’avoir à revivre son enlèvement et sa torture au moment de témoigner.

         La communication a fait valoir que Soeur Ortiz avait, pour ces raisons, décidé qu’elle préférait que son affaire ne soit pas déférée à la Cour.

         139.  Conformément à la Convention, la décision de la Commission de saisir la Cour n’incombe qu’à elle-même[79]/.  La Commission a décidé le 6 septembre 1996 que le parti le plus favorable pour la protection des droits de l’homme était de ne pas déférer la présente affaire à la Cour, non pas parce que l’importance de l’affaire n’était pas suffisamment fondée, mais sur la base d’une analyse de la requête de la victime, Soeur Dianna Ortiz, des conséquences pour celle-ci de la soumission de l’espèce à la Cour et des circonstances particulières de l’affaire.  La Commission a décidé plutôt de continuer d’attester la réalité de faits notoirement connus en l’espèce et d’établir le présent rapport, conformément aux dispositions de l’article 51 de la Convention, pour être transmis au Gouvernement en vue de sa publication si ce dernier ne démontre pas à nouveau qu’il a donné suite aux recommandations faites par la Commission.

Au vu de ce qui précède,

LA COMMISSION INTERAMERICAINE DES DROITS DE L’HOMME,

CONCLUT:

         140.  À la lumière de l’information et des observations présentées supra, que l’Etat du Guatemala est responsable des violations des droits de Dianna Ortiz à l’intégrité de la personne, à la liberté de la personne, aux garanties judiciaires, à jouir de la protection de l’honneur et de la dignité de la personne, à la liberté de conscience et de religion, à la liberté d’association et à la protection judiciaire, droits consacrés aux articles 5, 7, 8, 11, 12, 16 et 25 de la Convention américaine, et qu’il a négligé de remplir l’obligation stipulée à l’article 1.

RECOMMANDE:

         141.  La Commission recommande à l’Etat du Guatemala de:

          a.      Procéder à une enquête rapide, impartiale et efficace des faits dénoncés, aux fins de consigner dans un rapport officiel, dûment accepté, les détails des circonstances dans lesquelles se sont produits les délits dont a été victime Soeur Ortiz et d’établir la responsabilité des violations commises.

          b.      Prendre les mesures nécessaires pour déférer à la justice les personnes responsables des violations dans la présente affaire.

          c.      Réparer les conséquences de la violation des droits énoncés, y compris le versement d’une indemnité suffisante et juste pour les dommages causés à Soeur Ortiz.

         142.  La Commission décide de publier le présent rapport dans son Rapport annuel à l’Assemblée générale de l’OEA, en application des articles 48 du Règlement de la Commission et 51.3 de la Convention, étant donné que le Gouvernement du Guatemala n’a pas adopté, dans les délais impartis, les mesures destinées à remédier à la situation dénoncée.



    [1].     Le Gouvernement a transmis des communications à la Commission aux dates suivantes:

            30 avril 1990

                        17 novembre 1992

            10 juillet 1990

                        15 février 1995

            18 juillet 1991

                        27 mars 1995

            8 avril 1992

                        15 mai 1995

            5 octobre 1992

                        17 novembre 1995

            La requérante a transmis des communications à la Commission par le canal de ses avocats aux dates ci-après:

            30 octobre 1992

                        7 mars 1995

            19 juillet 1994

                        17 mai 1995

            3 octobre 1994

                        30 août 1995

            5 janvier 1995

                        25 octobre 1995

            17 février 1995

                        1er décembre 1995

    [2].     "Le Gouvernement rejette l’existence de prisons secrètes", Nacional, le 7 novembre 1989.

    [3].     Voir la réponse du 1er mai 1991 à la commission rogatoire de l’Ambassadeur du Guatemala, certifiée par le tribunal fédéral de première instance du district ouest du Kentucky (y compris les témoignages de Soeur Ortíz du 31 janvier et du 18 mars 1991 ainsi que d’autres documents).

    [4].     Voir la lettre du 6 avril 1990 du Président Vinicio Cerezo Arévalo à Paul Soreff.

    [5].     6 juin 1990, lettre de Rita C. Sciolli, Chargée d’affaires, à Paul Soreff.

    [6].     11 avril 1991, lettre du Président Jorge Serrano Elías à Thomas F. Strook, Ambassadeur des Etats-Unis.

    [7].     Voir, par exemple 29 avril 1991, lettre de Paul Soreff au Président Serrano; 5 avril 1991, lettre de Thomas F. Stroock, Ambassadeur des États-Unis, au Président Serrano; 20 juillet 1990, lettre de Paul Soreff au Président Cerezo.

    [8].     Rapport de María Eugenia de la Sierra, Procureur adjoint pour les droits de l’homme, au Président Ramiro de León Carpio en date d’octobre 1991 sur l’entretien avec Soeur Ortíz.

    [9].     Voir la transcription de l’entrevue avec soeur Ortíz, menée par María Eugenia de Sierra, Procureur adjoint pour les droits de l’homme, octobre 1991.

 [10].      5 août 1991, lettres d’Asisclo Valladares Molina, Procureur général du Guatemala, à Fernando Linares Beltranena et Carl West.

 [11].      Voir, 23 septembre 1991, lettre de Paul Soreff au Procureur spécial Beltranena ; 26 septembre 1991, lettre du Procureur spécial Beltranena à Paul Soreff ; 4 octobre, 31 octobre et décembre 1991, lettres de Paul Soreff au Procureur spécial Beltranena.

 [12].      "L’interrogatoire d’une religieuse dure près de 12 heures", Prensa Libre, 8 avril 1992.

 [13].      "American Nun Testifies to Abduction, Torture by Guatemalan Security Forces", Washington Post, 8 avril 1992.

 [14].      10 février 1992, lettre de Paul Soreff au Procureur spécial Beltranena.

 [15].      Voir, témoignage de Soeur Ortíz en date du 7 avril 1992; procédure d’identification de photographies et préparation de portraits-robots électroniques du 22 mars 1993; procédure de préparation de portraits-robots électroniques et procédures de descente sur les lieux du 23 mars 1993; procédure de descente sur les lieux du 24 mars 1993; procédure d’interrogatoire du 25 mars 1993; procédure de descente sur les lieux du 26 janvier 1994.

 [16].      Voir 4 janvier 1995, lettre de Michelle Arington au Procureur général Ramsés Cuestas.

 [17].      "L’histoire de la religieuse Dianna Mea Ortíz est-elle vraie?", Nacional, 9 novembre 1989; "Cerezo exprime des doutes au sujet des dires de la religieuse", Prensa Libre, le 10 novembre 1989.

 [18].      "On a reconstitué la fuite supposée de la religieuse à Antigua", Prensa Libre, 13 novembre 1989; "La Police n’a pas participé à l’enlèvement", 13 novembre 1989.

 [19].      "La Police exclut l’hypothèse de l’enlèvement dans l’affaire de la religieuse", Nacional, 13 novembre 1989.

 [20].      6 avril 1990, lettre du Général Gramajo.

 [21].      Voir la déclaration de Allan Nairn, p. 23.

 [22].      "La Polytechnique n’a pas de cachots", Gráfico, 29 janvier 1994.

 [23].      Voir, déclaration de Dianna Ortíz, 4 janvier 1995, p. 3.

 [24].      Transcription de l’entretien avec Soeur Ortiz conduit par María Eugenia de la Sierra, Procureur adjointe pour les droits de l’homme, octobre 1991.

 [25].      Voir, Procédure de descente sur les lieux du 24 mars 1993.

 [26].      Voir, rapport établi par Annabella Valdéz Gutiérrez, procureur désigné pour l’instruction de l’affaire au Guatemala, 18 mars 1994 (lequel fait état de l’examen par le Dr Alcare) [ci-après dénommé "Rapport Valdéz Gutiérrez"]; rapport établi par l’enquêteur West, 4 février 1994 (se référant également à l’examen du Dr. Alcare) [ci-après dénommé "Rapport West"].  Le 23 octobre 1995, la Commission a demandé au Gouvernement de lui remettre le rapport du Dr Alcare relatif à l’examen qu’il avait pratiqué sur la Soeur Ortiz avant qu’elle ne quitte le Guatemala et de son témoignage dans la procédure judiciaire devant la juridiction interne.  Le Gouvernement n’a pas présenté les informations requises, en dépit des dispositions de l’article 48 (1) (e) de la Convention qui stipule que la Commission pourra demander aux Etats intéressés toute information pertinente concernant une affaire.

 [27].      8 novembre 1989, rapport du Dr. G.R. Gutiérrez.

 [28].      10 avril 1990, lettre de l’Ambassadeur Thomas F. Stroock.

 [29].      La Commission prend note d’une lettre versée au dossier émanant de la psychiatre de Soeur Ortiz, qui décrit la réaction de cette dernière face à la torture et au viol et qui explique les raisons pour lesquelles il est difficile à la victime de présenter des preuves ou des informations additionnelles concernant le viol.  Lettre du 28 novembre 1995 de Mary R. Fabri, Médecin psychiatre adressée à Michele Arington.

 [30].      Rapport Valdéz Gutiérrez, p. 1.

 [31].      14 janvier 1994, lettre d’Irma Leticia Lam Nakakawa de Rojas à Victor Manuel Rivera Woltke, Secrétaire de la Cour suprême du Guatemala.

 [32].      Dans sa communication du 23 octobre 1995, la Commission a demandé au Gouvernement de lui fournir copie de chacun des rapports de police concernant l’affaire.  Le Gouvernement n’a pas donné suite à cette requête.

 [33].      Voir les rapports de police des 2, 3 et 13 novembre 1989.

 [34].      Voir, par exemple, "La Police exclut l’hypothèse de l’enlèvement dans l’affaire de la religieuse", Nacional, 13 novembre 1989 ; "On a reconstitué la fuite supposée de la religieuse, à Antigua", Prensa Libre, 13 décembre 1989.

 [35].      2 novembre 1989, lettre de la Police nationale au Juge de paix.

 [36].      "La Police exclut l’hypothèse de l’enlèvement de la religieuse", Nacional, 13 novembre 1989.

 [37].      2 novembre 1989, lettre de la Police nationale au Juge de paix.

 [38].      Dans sa communication du 23 octobre 1995, la Commission a demandé copie de toutes les dépositions faites par M. Astún Asturias, mais le Gouvernement n’a pas accédé à cette demande.

 [39].      Voir "La Police exclut l’hypothèse de l’enlèvement dans l’affaire de la religieuse", Nacional, 13 novembre 1989.

 [40].      Voir  "La religieuse a été libérée".  Prensa libre, 4 novembre 1989; Rapport West.

 [41].      Voir "La religieuse a été libérée".  Prensa libre, 4 novembre 1989.

 [42].      Voir Rapport West.

 [43].      Voir "La religieuse a été libérée".  Prensa libre, 4 novembre 1989.

 [44].      Procès-verbal de la procédure de descente sur les lieux du 23 mars 1993.

 [45].      Procès-verbal de la procédure de descente sur les lieux du 26 janvier 1994.

 [46].      Voir, déclaration de Soeur Ortiz du 7 avril 1992 ; procédure de descente sur les lieux du 23 mars 1993.

 [47].      Voir, déclaration de Soeur Ortiz du 10 juin 1992  (présentée aux Etats-Unis au cours du procès civil contre le Général Gramajo).

 [48].      Voir, procès‑verbal de l’interrogatoire du 25 mars 1995.

 [49].      D’après le Gouvernement, ce rapport daté du 8 juillet 1991, a été dressé par l’administration de la Police nationale du Département de Sacatepéquez.  Malgré la demande de la Commission que tous les rapports de police ayant trait à l’affaire lui soient transmis, le Gouvernement ne lui a pas envoyé copie du rapport en question.

 [50].      Id.

 [51].      Procès-verbal de la procédure de descente sur les lieux du 24 mars 1993.

 [52].      Procès-verbal de la procédure de descente sur les lieux du 24 mars 1993.

 [53].      Voir, Cour interaméricaine des droits de l’homme, Affaire Velásquez Rodríguez, Arrêt du 29 juillet 1988, paragraphe 126, Série C no 4.

 [54].      Voir, Rapport annuel 1991 de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, paragraphe 221, OEA/Ser.L/V/II/81/doc.6 rev. 1 du 14 février 1992 (ci-après dénommé le "Rapport annuel 1991"); déclaration de Phillip Berryman, p. 7 ; Déclaration de Allan Nairn, p. 21-23.

 [55].      Les Patrouilles d’autodéfense civile:  La réponse populaire au processus d’intégration socio-économico-politique dans le Guatemala actuel, Bureau des relations publiques de l’Armée, Guatemala, mai 1984.

 [56].      Voir Quatrième rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme au Guatemala, p. 36-38, OEA/Ser.L/V/II.83, doc 16 rev., 1er juin 1993 (ci-après dénommé le "Quatrième rapport").

 [57].      Voir, 1990-1991 Rapport annuel de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, p 449, OEA/Ser.L/V/II/79, doc. 12 rev. 1, 22 février 1991; 1991, Rapport annuel, p. 210, OEA/Ser/L/V/II.81/ doc. 6 rev. 1, 14 février 1992; Quatrième rapport, p. 44, 46, 92-94; Déclaration d’Allan Nairn, p. 16-17; Déclaration d’Anne Manuel, Directrice adjointe de Human Rights Watch, p. 19.

 [58].      Voir Déclaration de Nairn, p. 21.

 [59].      Voir id.

 [60].      Voir la réponse du 1er mai 1991 à la commission rogatoire de l’Ambassadeur du Guatemala certifiée par le tribunal fédéral de première instance du district ouest du Kentucky (y compris les témoignages de Soeur Ortiz des 31 janvier et 18 mars 1991 et autres documents).

 [61].      "Secaira: Descente de justice à la posada Belén", Siglo Veintiuno, 8 avril 1992; Avis publiés par Fernando Linares Beltranena, les 20 février, 1er mars et 7 avril 1992.

 [62].      Voir, Déclaration de la victime, 7 avril 1992, p. 22.

 [63].      Voir Procès-verbal de l’interrogatoire du 25 mars 1993.

 [64].      D’après le Gouvernement, les membres du Groupe spécial d’enquête auraient comparu pour témoigner le 16 mai 1995.  Dans sa communication du 23 octobre 1995, la Commission a demandé copie dudit témoignage mais le Gouvernement n’a pas donné suite à cette requête.

 [65].      Déclaration sous serment supplémentaire du 4 janvier 1995.

 [66].      Dans sa communication du 23 octobre 1995, la Commission a demandé au Gouvernement de lui transmettre des informations spécifiques sur les divers procureurs qui ont travaillé sur le dossier de cette affaire, mais n’a rien reçu en retour.

 [67].      Dans sa communication du 23 octobre 1995, la Commission a demandé au Gouvernement de lui fournir un exemplaire du rapport établi par le Procureur spécial Linares, mais cette demande est restée sans réponse.

 [68].      "La religieuse Dianna Ortiz témoignera devant le tribunal mardi prochain", Siglo Veintiuno, 3 avril 1992.

 [69].      Voir, 19 décembre 1991, lettre de Paul Soreff au Procureur spécial Beltranena.

 [70].      Voir "American Nun Testifies to Abduction, Torture by Guatemalan Security Forces", Washington Post, 8 avril 1992; "La religieuse Dianna Ortiz témoignera devant le tribunal mardi prochain", Siglo Veintiuno, 3 avril 1992; "Commentaire au sujet de la prochaine visite de Dianna Ortiz", Prensa Libre, 5 avril 1992; déclarations publiées de Linares en date des 20 février, 1er mars et 8 avril 1992.

 [71].      La Commission note également que les déclarations du Procureur spécial Linares ont été données en contravention des dispositions du Code de procédure pénale du Guatemala, applicable à l’époque, en vertu duquel nul fonctionnaire ou particulier ne peut révéler le secret des registres d’audience.  Voir, Code de procédure pénale du Guatemala, article 309.  Le Gouvernement du Guatemala a invoqué l’argument du secret des registres d’audience dans les affaires en instance devant la Commission.

 [72].      Voir, Affaire 10.508, Rapport no 25/94, Rapport annuel 1994 de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, p. 51-55, OEA/Ser.L/V/II.88, doc. 9 rev. 1, 17 février 1995.

 [73].      Voir, Affaire Velásquez Rodríguez, Arrêt du 29 juillet 1988, supra, paragraphe 155.

 [74].      Velásquez Rodríguez, supra, paragraphes 166, 170.

 [75].      Id.

 [76].      Id. au paragraphe 177.

 [77].      Voir id.

 [78].      Avis consultatif OC-13/93 du 16 juillet 1993, Certaines attributions de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (articles 41, 42, 46, 47, 50 et 51 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme), paragraphe 50.

 [79].      Voir Convention, article 61; voir également Convention, article 57.