RAPPORT Nº 12/97

AFFAIRE 11.427

A propos de la recevabilité

EQUATEUR

12 mars 1997

 

 

I.        ANTECEDENTS

          A.      Contexte

 

          1.       Le 9 novembre 1994, la Commission interaméricaine des droits de l'homme (désignée ci-après comme "la Commission") a été saisie d'une plainte contre l'Etat équatorien, dans laquelle il est allégué que M. Víctor Rosario Congo était décédé des suites des sévices et des agressions dont il avait été victime de la part d'agents du Centre de réadaptation sociale de Machala (Equateur). Les faits se sont produits dans un contexte faisant état de nombreux actes d'agressions et de sévices commis à l'encontre des détenus. Selon des rapports élaborés par les fonctionnaires du Centre de réadaptation sociale de Machala eux-mêmes, les conditions carcérales étaient déplorables et on exerçait de fortes pressions sur les détenus afin qu'ils ne dénoncent pas les irrégularités. Parfois les détenus présentaient des traces de brutalités. Il existait des privilèges, spécialement en ce qui concerne les visites des familles des détenus. Le fait que les gardiens du centre pénitentiaire y introduisaient de l'alcool et des stupéfiants et extorquaient ensuite les détenus faisait l'objet d'une enquête.

 

          B.       Faits

 

          2.       La plainte déposée allègue que le 14 septembre 1990, le détenu du Centre de réadaptation sociale de Machala, Víctor Rosario Congo, qui souffrait de maladie mentale, a été attaqué avec un gourdin par des gardiens du Centre de réadaptation qui lui ont infligé une blessure grave. En dépit de son état, le détenu a été maintenu dans une cellule disciplinaire, au secret, nu et sans soins médicaux.

 

          3.       Les requérants indiquent dans la plainte que le 2 octobre 1990, des médecins légistes du ministère public ont constaté l'état du détenu et ils ont consigné dans leur rapport l'existence d'une plaie contuse, souillée et avec de la boue autour, ainsi que d'autres excoriations sur le corps. Le 8 octobre 1990, le procureur du troisième tribunal de la circulation de El Oro a demandé à ce que le détenu Congo soit transféré à un hôpital; cependant, cette demande n'a pas été exécutée en temps opportun. Le 24 octobre 1990, Víctor Rosario Congo a été transféré au Centre de réadaptation sociale pour hommes de Guayaquil et le lendemain, le 25 octobre 1990, il a été transporté à l'Hôpital Luis Vernaza où il est décédé quelques heures plus tard.

 

          4.       Avant le décès de Víctor Rosario Congo, des organisations non gouvernementales avaient demandé par différentes voies qu'il soit transféré à un hôpital afin qu'il puisse recevoir les soins médicaux nécessaires. 


          C.      Documents joints à la plainte

 

            C.1.   Rapport du procureur du troisième tribunal de la circulation de El Oro

 

          5.       Dans le rapport préparé par le Procureur du troisième tribunal de la circulation de El Oro, daté du 8 octobre 1990 et adressé au Procureur provincial de El Oro, celui-ci évoque sa participation à une séance de travail au Centre de réadaptation sociale de Machala, à laquelle ont également participé le Dr Martha Sánchez de Rodríguez, Secrétaire exécutif de la Commission des droits de l'homme de El Oro, le Dr Luis Chuchuca Pasiche, Gouverneur de la province de El Oro, le Dr Reinaldo Montaño, Président de la Cour supérieure de justice de Machala et le Lic. Alberto Soriano, Directeur du Centre de réadaptation sociale de Machala. Au cours de cette séance de travail, le Dr Sánchez a dénoncé qu'au Centre de réadaptation, dans la cellule nº 12, existait une situation spéciale, celle de M. Congo, et elle a demandé expressément à ce que cette cellule soit visitée.

 

          6.       Face à cette dénonciation précise, le Directeur du Centre de réadaptation sociale de Machala a informé, dans le cadre de cette même séance de travail que, pour ce qui était de l'affaire Congo, les mesures légales de rigueur avaient déjà été prises à propos de l'agression dont avait été l'objet le détenu de la part du gardien Walter Osorio. Il a signalé que l'affaire était aux mains de la justice et que M. Rosario Congo avait déjà reçu des soins médicaux.

 

          7.       Les personnes qui participaient à cette séance de travail ont parcouru les différentes pièces du Centre de réadaptation sociale de Machala et ont conclu:

 

3.       dans la cellule nº 12, nous avons constaté la condition dans laquelle se trouvait M. Congo, qui, ainsi qu'on pouvait s'en rendre compte au premier abord, souffre de maladie mentale et d'une plaie à la tête, qui selon la version de plusieurs détenus, est celle qui lui a été infligée par le gardien Osorio. Il était nu et se trouvait dans ladite cellule depuis environ trois mois. . .

          8.       En conclusion de ce rapport, le procureur du troisième tribunal de la circulation de El Oro a affirmé que:

 

Quant à l'irrégularité que j'ai pu observer personnellement, il s'agit du cas de M. Rosario Congo, qui, en raison de sa maladie mentale notoire, doit être interné dans un centre ou hôpital psychiatrique pour traitement et également pour recevoir des soins médicaux...

          C.2.    Demandes de transfert

 

          9.       Le Dr Martha Sánchez de Rodríguez, Secrétaire exécutif de la Commission dociésaine des droits de l'homme de El Oro, dans une note datée du 28 septembre 1990, dénonce devant le Procureur provincial de El Oro que M. Víctor Amable Rosario Congo est un détenu qui est inculpé de vol et qui, selon les investigations qui ont été effectuées et selon ce qu'elle a pu observer elle-même, souffre de démence, ce qui en fait une personne non incriminable. Elle signale également que ce détenu a été l'objet d'agressions et de tortures de la part des gardiens de la maison d'arrêt. Le Dr Sánchez a demandé à cette occasion que soient effectués immédiatement un examen médico-légal de M. Rosario Congo et les investigations de rigueur afin d'établir les responsabilités en l'espèce. 

 

          10.     La même requête avait été présentée devant le Juge du deuxième tribunal pénal de El Oro, le 20 septembre 1990, pour demander que soit réalisée l'évaluation psychiatrique de l'inculpé, car c'était ce juge qui instruisait les procès au pénal contre ledit détenu.

 

          11.     Le Dr María Teresa Bernal, Procureur du deuxième tribunal de la circulation de El Oro, dans une correspondance adressée au Commissaire du deuxième commissariat de police de Machala, datée de la fin du mois de septembre,[1] donne l'ordre de pratiquer un examen médico-légal à Víctor Rosario Congo, dans le cadre de l'investigation sur les agressions et tortures qu'aurait subies la victime de la part de l'un des gardiens du Centre de réadaptation sociale de Machala.

 

 

          C.3.    Visite médicale

 

          12.     Le 2 octobre 1990 un examen médico-légal a été pratiqué sur la personne de Víctor Amable Rosario Congo par les médecins spécialistes, Dr José R. Santacruz et Wilmer Riofrío R., au cours duquel les faits suivants ont été établis:

 

                   i.        Le patient est un adulte âgé de 50 ans environ. Au moment où l'examen médical a été pratiqué il était ambulatoire, lucide, désorienté en matière de temps et d'espace. Il s'est présenté à l'entretien ... à moitié nu, vêtu seulement d'un maillot de corps sale et taché de boue. Nous avons observé une grande négligence à l'égard de son hygiène personnelle et il nous a fallu recourir à l'aide d'autres personnes pour éviter que le patient ne se déshabille complètement. Son comportement est tout à fait absurde et puérile, il réalise des actes désordonnés et sans aucun but apparent ... Lors de l'examen physique du patient, nous avons observé sur le cuir chevelu de la région pariétale postérieure gauche, une plaie contuse partiellement cicatrisée dans le sens antéro-postérieur, longue de six centimètres de long, souillée et avec de la boue aux alentours. Sur les coudes on remarque plusieurs excoriations cicatrisées et d'autres en voie de cicatrisation, d'un demi-centimètre à un centimètre de diamètre; sur le genou droit, on observe plusieurs excoriations causées par des raclements; certaines d'entre elles sont infectées, d'autres cicatrisées.

 

                   ii.       Pour conclure, les médecins ont indiqué que: "D'après les signes observés chez le patient pendant l'examen médical, tout son comportement est caractéristique de la symptomatologie psychiatrique à tendance psychotique (folie), dont l'étiologie peut être en relation avec l'expérience qu'il est en train de vivre actuellement, ce qui la classerait parmi les psychoses dites de détention ou syndrome de Gansser, lequel, généralement, s'améliore considérablement avec un changement de cadre, et c'est pourquoi nous suggérons qu'il soit transféré à un centre de soins spécialisé en psychiatrie. Que la lésion observée sur sa tête a été causée par l'action traumatique d'un corps contondant dur et entraîne une infirmité ou incapacité physique à travailler de sept jours à compter de la date où elle a été causée, sauf complications".

 

          C.4.    Transfert de Víctor Rosario Congo

 

          13.     Le Directeur du Centre de réadaptation sociale de Machala, par communication envoyée le 8 octobre 1990, a demandé au Directeur national de réadaptation sociale l'autorisation de transférer Víctor Rosario Congo au Centre de réadaptation sociale pour hommes de Guayaquil pour qu'il y reçoive des soins médicaux. Cette même demande avait été adressée au juge du deuxième tribunal pénal de El Oro, le 20 septembre 1990.

 

          14.     Le 23 octobre 1990, le juge du deuxième tribunal pénal de Machala a ordonné, dans une communication envoyée au Directeur du Centre de réadaptation sociale de Machala, le transfert de Víctor Rosario Congo à l'Hôpital psychiatrique Lorenzo Ponce de Guayaquil afin qu'il y soit soumis au traitement psychiatrique requis. Le prévenu a été transféré le 24 octobre 1990 à l'Hôpital psychiatrique qui a refusé de l'hospitaliser, puis à l'Hôpital Luis Vernaza qui a, lui aussi, refusé de l'hospitaliser. Il a été laissé au Centre de réadaptation sociale pour hommes de Guayaquil et le lendemain, le 25 octobre 1990, il a été hospitalisé à l'Hôpital Luis Vernaza où il est décédé quelques heures après son hospitalisation.

 

          15.     Selon l'autopsie qui a été pratiquée sur le cadavre de Víctor Rosario Congo, il a été établi que les causes de son décès ont été une dénutrition et une déshydratation du troisième degré, qui ont provoqué à la victime une insuffisance cardiorespiratoire.

 

          D.      Violations présumées

 

          16.     Selon les faits contenus dans la plainte, il y a violation présumée des droits à la vie, à l'intégrité physique et à la protection judiciaire, qui, tous, sont protégés par les articles 4, 5 et 25 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, attendu que Víctor Rosario Congo a été agressé par un gardien du Centre de réadaptation sociale où il était détenu et par voie de conséquence il a eu une plaie contuse à la tête sans recevoir de soins médicaux appropriés; malgré le fait que cet individu souffrait de maladie mentale, il n'a pas reçu de traitement psychiatrique. Enfin, quand il a été transféré à un autre centre de soins, il était trop tard et il est décédé. Ces violations des droits de M. Víctor Rosario Congo se sont produits alors qu'il était sous la garde des autorités d'un centre de détention, en Equateur.

II.       PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

          17.     Le 9 novembre 1994, la Commission a été saisie de la plainte à propos des sévices dont aurait été victime Víctor Rosario Congo et de son décès. Elle était assortie de preuves, telles que l'examen médico-légal pratiqué à la victime, au cours duquel il a été établi que celui-ci souffrait de psychose de détention et qu'en outre il présentait une plaie contuse à la tête. Au vu de ce qui précède, les médecins ont recommandé que M. Rosario Congo soit transféré à un centre hospitalier spécialisé en psychiatrie.

 

          18.     Etaient jointes à la requête initiale des copies des différentes notes envoyées par l'avocate Martha Sánchez de Rodríguez, Secrétaire exécutif de la Commission diocésaine des droits de l'homme de El Oro, dans lesquelles elle dénonçait les sévices dont était l'objet M. Rosario Congo et la nécessité impérative de le transférer à un centre hospitalier spécialisé.

 

          19.     Deux articles publiés dans le quotidien "El Correo" étaient également joints à la plainte. Le premier article, daté du samedi 29 septembre 1990, s'intitulait: "Peu s'en faut qu'un gardien n'assassine un détenu: celui-ci agonise dans une geôle infecte" et le deuxième, du 29 octobre 1990, avait pour titre: "Le détenu blessé par le gardien est décédé". Ces articles dénonçaient la situation de M. Rosario Congo, la manière dont il avait été frappé brutalement par l'un des gardiens de la prison et comment il avait été placé ensuite dans une cellule disciplinaire, où il n'y avait ni eau ni électricité, où il satisfaisait ses besoins physiologiques à- même le sol alors qu'il était obligé de dormir sur ce sol, sans qu'aucun des responsables de la maison d'arrêt n'intervienne. Suite à tout cela, M. Rosario Congo est décédé et l'article critiquait durement la complicité de diverses autorités gouvernementales qui n'étaient pas intervenues à temps.

 

          20.     Le 15 février 1995, la Commission a transmis à l'Etat équatorien les passages pertinents de la plainte, lui accordant un délai de 90 jours pour lui faire parvenir sa réponse.  Dans cette même communication, la Commission demandait à l'Etat équatorien de bien vouloir lui fournir tout élément de jugement qui lui permettrait de se rendre compte si dans l'affaire 11.427 les voies de recours de la juridiction interne avaient ou non été épuisées.

 

          21.     Le 29 mai 1995, l'Etat équatorien a répondu à la Commission et lui a fourni de la documentation sur l'affaire Víctor Rosario Congo. Au nombre des documents envoyés à la Commission, se trouvaient les suivants:

 

                   i.        Copie de l'autopsie pratiquée au cadavre de M. Rosario Congo, où sont établies les causes du décès: dénutrition et déshydratation au troisième degré.

 

                   ii.       Copie d'une note, datée du 20 septembre 1990, qui a été envoyée au Directeur du Centre de réadaptation sociale de Machala par le médecin dudit établissement de détention, où celui-ci recommandait le transfert du prévenu à un centre spécialisé, en raison de sa maladie mentale.

 

                   iii.      Attestation selon laquelle M. Walter Osorio, le gardien à qui est imputée l'agression contre Víctor Rosario Congo, avait donné sa démission le 28 novembre 1990.

 

                   iv.      Copie d'un rapport de police daté du 1er mai 1995, portant sur les investigations réalisées à propos du décès de Víctor Rosario Congo. Dans ce rapport, sont mentionnées les activités entreprises par la police, et notamment les entretiens avec le Directeur actuel et l'ancien Directeur du Centre de réadaptation sociale de Machala ainsi qu'avec d'autres personnes qui ont été en rapport direct avec le patient pendant les jours ayant précédé son décès.

 

a.       Au cours de l'entretien avec le Directeur actuel du Centre de réadaptation sociale de Machala, le Dr Wilmer Riofrío, celui-ci a dit que, à l'époque où les faits se sont produits, il travaillait comme médecin dudit Centre et que les faits se sont déroulés au moment où les responsables de cet établissement participaient à une réunion de travail avec les responsables des autres centres du pays, mais que le détenu Víctor Rosario Congo, avant d'être frappé par le gardien Walter Osorio, selon des versions qui lui ont été données, souffrait déjà de désordres mentaux.

 

 b.       Au cours de l'entretien avec l'ancien Directeur du Centre de réadaptation sociale de Machala, le Lic. Francisco Alberto Soriano, celui-ci a assuré que Víctor Rosario Congo souffrait de la maladie connue comme syndrome de Gansser, qui frappe fréquemment les détenus, au bout d'un à trois mois de réclusion. Il n'ignorait pas les méfaits de Walter Osorio et il s'était efforcé d'accorder un traitement humanitaire au détenu et c'est pourquoi il lui avait attribué une cellule pour lui tout seul. En outre, il avait demandé son transfert à un hôpital psychiatrique et il avait dénoncé les actions du gardien dans un rapport adressé au Directeur national de réadaptation sociale, à Quito.

 

Selon le Lic. Francisco Soriano, le coup de gourdin que le gardien Osorio a assené au détenu susmentionné a pu avoir des répercussions sur son état mental et aggravé un peu plus la maladie dont il souffrait, provoquant à la longue son décès. Il ajoute que, de toutes façons, le gardien qui l'a frappé a donné sa démission pendant le mois qui a suivi le décès du détenu. Il a également déclaré qu'il n'a pas reçu de la Direction nationale l'appui nécessaire pour faire ce qu'il fallait et que c'est pour cette raison qu'il a, lui-même, transféré le détenu à Guayaquil, car l'autorisation de Quito n'arrivait pas et que, lorsque l'autorisation est enfin arrivée de Quito, cela faisait déjà deux jours que le détenu était décédé.

 

c.       En outre, ils ont vérifié certaines données à l'Hôpital Luis Vernaza, qui est celui où la victime est décédée, telles que son dossier médical, les causes du décès, les dates d'entrée et de sortie de l'hôpital, etc. Au Centre de réadaptation sociale de Machala, ils ont recueilli des informations sur les évaluations psychiatriques et les rapports qui ont été élaborés à propos des agressions dont M. Rosario Congo a été l'objet de la part du gardien Walter Osorio.

 

                   d.       En conclusion, le rapport de police a établi ce qui suit:

 

       Le détenu Víctor Rosario Congo est décédé de dénutrition au troisième degré et de déshydratation au troisième degré et d'insuffisance cardiorespiratoire, le 25 octobre 1990, à l'Hôpital Luis Vernaza de Guayaquil.

 

       De graves présomptions de responsabilité pèsent sur le gardien Walter Arturo Osorio Marca qui est l'auteur présumé de la blessure causée dans le cuir chevelu du détenu Víctor Rosario Congo.

 

       Le détenu Víctor Rosario Congo, avant de recevoir la blessure que lui a causée le gardien Osorio, souffrait déjà de désordres mentaux, maladie connue sous le nom de syndrome de Gansser.

 

          22.     Le 19 juin 1995, la Commission a transmis aux requérants la réponse de l'Etat équatorien et leur a accordé un délai de 45 jours pour lui adresser leurs observations.

 

          23.     Le 20 juin 1995, l'Etat a envoyé à la Commission des informations supplémentaires fournies par le Ministère de l'intérieur et de la police, lesquelles comprenaient les rapports et les résultats des investigations à propos du décès de Víctor Rosario Congo. Ce rapport, daté du 11 mai 1995, indique ce qui suit:

 

                   i.        Que le 25 juillet 1990, Víctor Rosario Congo était entré en qualité de détenu au Centre de réadaptation sociale de Machala sur l'ordre du Juge du deuxième  tribunal pénal de El Oro, pour les actions pénales nº 209-90 pour vol et nº 205-90, également pour vol. Au cours du mois de septembre 1990, il avait commencé à souffrir d'un dérèglement de ses facultés mentales, raison pour laquelle il avait été transféré à une cellule isolée. Ce détenu a été frappé par le gardien Walter Osorio un soir où il a commencé à le provoquer jusqu'à ce qu'il perde le contrôle de soi. Alors celui-ci, alléguant qu'il fallait rétablir le calme parmi les détenus, l'a frappé sur la tête, lui causant une plaie contuse. Le rapport de police comprend également l'information relative à l'examen médico-légal qui a été pratiqué au détenu et à la nécessité de le transférer à un centre spécialisé. Il précise également que les causes du décès de Víctor Rosario Congo ont été la dénutrition et la déshydratation au troisième degré, d'après l'information obtenue lors de l'autopsie.

 

                   ii.       Au nombre de ses conclusions, le rapport expose que les investigations effectuées aboutissent à la conclusion qu'effectivement Víctor Rosario Congo avait été l'objet d'agressions de la part de l'un des gardiens du Centre de réadaptation, malgré le fait qu'il souffrait d'une maladie mentale. Que, bien que blessé et désorienté, il avait été maintenu dans une cellule disciplinaire, sans recevoir les soins appropriés et que cela était dû à la négligence des autorités compétentes.

 

          24.     Le 27 juin, la Commission a transmis aux requérants les passages pertinents des informations supplémentaires envoyées par l'Etat et leur a accordé un délai de 45 jours pour lui faire parvenir leur réponse.

 

          25.     Le 26 octobre 1995, la Commission a réitéré aux requérants sa demande d'information et elle a renouvelé cette demande le 10 mai 1996, car ils ne lui avaient pas encore fournie ladite information.

 

          26.     Le 10 juillet 1996, la Commission a reçu la réponse des requérants. Ils signalent dans cette dernière que le rapport de police a commis une erreur en ne mentionnant pas que des fonctionnaires du ministère public connaissaient la condition où se trouvait Víctor Rosario Congo au Centre de réadaptation de Machala. En outre, les requérants affirment que dans l'affaire Rosario Congo il s'agit d'un décès qui s'est produit sous garde judiciaire et qui a été provoqué par une lésion reçue par le détenu et par le manque des soins médicaux nécessaires, parce qu'il se trouvait au secret dans une cellule disciplinaire.

 

          27.     Les requérants affirment que les investigations réalisées par la police et les actes de procédures exécutés à propos du décès de Víctor Rosario Congo mettent en évidence une certaine hâte à conclure l'investigation sur la cause du décès. Ils mentionnent qu'il existait des irrégularités dans les actes de procédure réalisés et dans les documents fournis, et notamment:

 

Après avoir analysé en détail les pratiques du médecin légiste et les procédures qui ont précédé la levée du corps, on se rend compte que ces pratiques ont été réalisées avec un retard injustifiable et de manière déficiente.

 

Le protocole de l'autopsie, d'après la date, a eu lieu deux jours après le décès de Víctor Rosario Congo; l'heure n'y figure pas non plus. L'examen du cadavre est trop général et l'information est sommaire. On a hâte d'arriver à une conclusion sur la cause du décès; on ne mentionne pas si des prélèvements d'organes ont été faits en vue d'examens pathologiques...

 

Si l'on considère qu'il y a des antécédents de brutalités qui ont été constatés par le pouvoir judiciaire, il existait des motifs suffisants pour rechercher si le décès de Víctor Rosario Congo était le résultat de causes naturelles ou non. Cette hypothèse exigeait que les analyses effectuées par le médecin légiste aient lieu immédiatement et soient compilées de manière systématique afin de pouvoir servir de preuves, ce qui est essentiel pour les investigations postérieures, mais ce critère n'a pas été pris en considération.

 

          28.     Le 10 juillet 1996, la Commission a envoyé les passages pertinents de la communication précédente à l'Etat équatorien.

 

          29.     Le 4 septembre 1996, l'Etat a envoyé sa réponse à la Commission qui contenait des documents ayant trait à la détention de Víctor Rosario Congo et à son décès postérieur, lesquels n'apportaient aucun élément nouveau par rapport à ce qui figurait déjà dans le dossier de la Commission. Le 7 novembre 1996, la Commission a accusé réception à l'Etat équatorien de cette communication.

 

III.      CONSIDERATIONS A PROPOS DE LA RECEVABILITE

          30.     Au cours de sa 95ème Session ordinaire, qui s'est tenue du 24 février au 14 mars 1997, la Commission s'est prononcée sur la recevabilité de l'affaire nº 11.427.

 

 

          III.1.   Compétence de la Commission

 

          31.     Vu les antécédents et le cours suivi par cette plainte, lesquels sont indiqués aux points précédents, la Commission a examiné les conditions de la recevabilité de cette affaire dans les termes suivants:

 

          32.     La Commission pourra connaître d'une affaire soumise à sa considération, pourvu que, prima facie, celle-ci réunisse les conditions formelles de recevabilité énoncées aux articles 46 de la Convention et 32 du règlement de la Commission.

 

          33.     La compétence ratione loci habilite la Commission à connaître des requêtes concernant les violations des droits de l'homme qui affectent un individu soumis à la juridiction d'un Etat partie à la Convention américaine. Considérant que les faits contenus dans la plainte en question se sont déroulés sur le territoire de la République de l'Equateur, Etat partie à la Convention depuis le 28 décembre 1977, cela autorise la Commission à connaître de l'affaire Víctor Rosario Congo.

 

          34.     In casu, la plainte déposée par les requérants concerne des faits qui sont caractéristiques d'une violation présumée des droits à la vie, à l'intégrité physique et à la protection judiciaire de M. Víctor Rosario Congo, droits reconnus par les articles 4, 5 et 25 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, et qui, par conséquent, sont du ressort ratione materiae de la Commission, conformément aux articles 44 et 47 (b) dudit instrument international.

 

          35.     La  Commission considère qu'il n'y a pas de raisons permettant d'alléguer que la plainte est manifestement sans fondement, attendu que les requérants ont prouvé que la violation présumée est imputable à un organe ou agents de l'Etat, ainsi que l'établit l'article 47 (c) de la Convention. Dans les paragraphes relatifs à l'analyse de l'épuisement des voies de recours internes, il est signalé que les violations présumées seraient le résultat d'actions ou d'omissions commises par des fonctionnaires du système pénitentiaire et du pouvoir judiciaire de l'Equateur.

 

          III.2.   Epuisement des voies de recours internes

 

          36.     La question de l'épuisement des voies de recours de la juridiction interne est établie à l'article 46.1 (a) et (b) de la Convention américaine, lequel est transcrit ci-après:

 

                   1.       Pour qu'une requête ou une communication présentée conformément aux articles 44 ou 45 soit admise par la Commission, il faudra:

 

                   a.       Que toutes les voies les recours de la juridiction interne aient été interjetées et épuisées, conformément aux principes du Droit international généralement reconnus;

 

                   b.       Qu'elle soit présenté dans un délai de six mois à compter de la date où la partie présumée lésée dans ses droits aura été notifiée de la décision définitive.

 

          37.     La Convention américaine relative aux droits de l'homme prévoit de même à l'article 46.2, trois exceptions à l'épuisement des voies de recours internes, et ce sont celles qui sont indiquées ci-après:

 

2.       Les dispositions des alinéas 1 (a) et 1 (b) du présent article ne seront pas appliquées dans les cas suivants:

 

                             a.       Il n'existe pas, dans la législation interne de l'Etat considéré une procédure judiciaire appropriée pour la protection du droit ou des droits dont la violation est alléguée;

 

                             b.       l'individu qui est présumé lésé dans ses droit s'est vu refuser l'accès des voies de recours internes ou a été mis dans l'impossibilité de les épuiser, ou

 

                             c.       il y a un retard injustifié dans la décision des instances saisies.

 

          38.     L'article 37 du règlement de la Commission ajoute que: "Lorsque le requérant affirme qu'il est impossible de vérifier la condition prévue à cet article, il incombera au gouvernement contre lequel est dirigée la requête de prouver à la Commission que les voies de recours internes n'ont pas été épuisées au préalable, sauf si cela s'infère clairement des antécédents contenus dans la requête." Dans ce même ordre d'idées, la Cour interaméricaine a signalé au nombre des exceptions préliminaires dans l'affaire Velásquez Rodríguez que: "... il revient à l'Etat qui invoque le non épuisement des voies de recours internes d'indiquer celles qui doivent être épuisées et leur effectivité[2]. Ainsi, conformément au principe onus probandi incumbit actoris, l'Etat est dans l'obligation de démontrer que ces voies de recours n'ont pas été épuisées, ou à défaut, de signaler quels recours doivent encore être épuisés ou pour quels motifs ils n'ont pas eu d'effets.

 

          39.     Au cours de l'instruction de la présente affaire, l'Etat équatorien n'a pas contesté expressis verbis la condition de l'épuisement des voies de recours internes. Cependant, il a informé la Commission des résultats de plusieurs investigations que les autorités compétentes avaient menées en 1995, c'est-à-dire cinq ans après que les faits dénoncés dans la plainte se soient déroulés. C'est pour ce motif que la Commission procèdera à indiquer les démarches réalisées dans le but d'épuiser les voies de recours prévues par la législation  interne, selon l'information qui lui a été fournie par les parties.

 

          40.     Dans une note datée du 20 septembre 1990, l'avocate Martha Sánchez, en représentation de M. Víctor Rosario Congo, a demandé au Juge du deuxième tribunal pénal de El Oro d'ordonner que soit réalisée l'évaluation psychiatrique du prévenu, attendu que celui-ci souffrait de maladie mentale, dans le but de déterminer avec précision si M. Víctor Rosario Congo était effectivement un malade mental et de prescrire son transfert à un centre psychiatrique.

 

          41.     Comme elle n'a pas obtenu de réponse, l'avocate Sánchez s'est adressée, par note datée du 28 septembre 1990, au Procureur provincial pour dénoncer que M. Víctor Rosario Congo avait été "battu et torturé par l'un des gardiens du Centre de réadaptation", et que, pour cette raison, elle demandait l'intervention du Procureur provincial afin que, par son entremise, ce détenu soit soumis à un examen médical et d'ordonner par ailleurs l'ouverture d'une enquête afin de déterminer qui était responsable de l'agression dont avait été victime M. Víctor Rosario Congo.

 

          42.     Il ressort de la plainte elle-même que le Dr Sánchez a signalé au Procureur provincial qu'elle avait présenté au préalable une requête au juge du deuxième tribunal pénal, car c'était lui qui instruisait les actions pénales contre M. Víctor Rosario Congo, dans laquelle elle lui demandait d'ordonner que soit réalisée l'évaluation psychiatrique du prévenu; nonobstant, elle n'avait pas obtenu de réponse. C'est pourquoi elle "lui demandait d'intervenir afin d'obliger le juge du deuxième tribunal pénal à exécuter la procédure judiciaire qu'elle avait demandée".

 

          43.     Suite à ladite requête, le Dr María Teresa Bernal, Procureur du deuxième tribunal de la circulation de El Oro a été chargée de mener une enquête sur les agressions commises à l'encontre de M. Víctor Rosario Congo et comme première mesure, elle ordonna qu'il soit soumis à un examen médical, réalisé par les médecins légistes du ministère public et du Centre de réadaptation sociale de Machala. S'il est vrai que cet examen médical a été effectué, nous n'avons par contre aucun dossier indiquant l'ouverture d'une enquête destinée à punir les responsables.

 

          44.     L'Etat équatorien n'a pas donné de réponse précise à cet égard, passant totalement sous silence l'intervalle excessif de cinq ans qui s'est écoulé depuis que les requérants ont demandé que les faits dénoncés fassent l'objet d'une investigation ainsi que le manque de réaction de la part de la justice. Par ailleurs, le rapport que l'Etat a envoyé à la Commission au sujet d'une investigation qu'il avait menée de février à mai 1995 n'explique pas davantage le retard injustifié à administrer la justice, tel qu'il est prévu dans l'exception à l'épuisement préalable des voies de recours internes qui figure à l'article 46.2 (c) de la Convention et à l'article 37.2 (c) du règlement de la Commission.

 

          45.     Même en supposant que les voies de recours internes n'aient pas été épuisées, la Commission considère que depuis le 14 septembre 1990, date à laquelle M. Víctor Rosario Congo a été agressé, beaucoup de temps s'est écoulé, un temps qui excède un quelconque délai raisonnable ou justifié, sans que l'on ait abouti à une décision à propos desdits recours, ce qui constitue, prima facie, un retard de la part du système judiciaire.

 

          46.     La Cour interaméricaine des droits de l'homme a signalé à cet égard ce qui suit:  "...lorsqu'on invoque certaines exceptions à la règle de non épuisement des voies de recours internes, comme par exemple l'inefficacité de ces recours ou la non existence de la procédure légale appropriée, non seulement on allègue que la victime n'est pas obligée d'interjeter ces recours mais, indirectement, on impute à l'Etat concerné une nouvelle violation des obligations auxquelles il a souscrit  par le biais de la Convention. Dans ces circonstances, la question des recours internes se rapproche sensiblement de la question de fond.[3] Toutefois, les recours internes interjetés dans l'affaire Víctor Rosario Congo ont été infructueux et cela laisse la victime sans aucune défense; c'est pour ce motif que la Commission doit connaître de la présente affaire dans le cadre de l'exception à la règle de l'épuisement préalable des voies de recours internes.

 

          47.     La Commission estime qu'à ce stade de l'analyse, la question du non épuisement des voies de recours internes est liée à la question de fond, étant donné que les requérants allèguent l'absence de protection judiciaire en relation avec les droits violés de M. Víctor Rosario Congo. C'est pourquoi la Commission, se fondant sur l'exception que prévoit l'article 46.2 (c) à propos de l'épuisement des voies de recours internes continuera à donner cours à cette affaire et, en temps opportun, elle statuera sur le fond de la question qui a fait l'objet de la plainte.

 

                 III.3.     Interjection de la requête dans les délais établis par la Convention

 

          48.     En ce qui concerne le délai (ratione temporis), ainsi que l'indique l'article 46 (b) de la Convention, envisagé conjointement avec l'article 38 du règlement de la Commission, la requête doit être présentée dans les six mois à compter de la date où le contenu de la décision définitive (res judicata) aura été notifié au requérant.

 

          49.     La Commission considère que le délai de six mois prévu par l'article 38 (1) du règlement de la Commission pour présenter la plainte devant la Commission, à compter de la date où la partie présumée lésée dans ses droits a été notifiée de la décision définitive ne s'applique pas ici, puisque cette affaire entre dans l'exception prévue à l'article 37.2 (c) du règlement de la Commission, lequel établit ce qui suit:

 

          Les dispositions concernant l'épuisement des voies de recours internes ne s'appliqueront pas quand:

 

          c.       il y a un retard injustifié dans la décision relative aux instances saisies.

 

          50.     Dans ce cas, le règlement établit à l'article 38.2 que le délai consenti sera "un laps de temps raisonnable", fixé par la Commission, à compter de la date où se sera produite la violation présumée des droits en question, en tenant compte des circonstances de chaque affaire en particulier. Vu de ce qui a été exposé ci-dessus, la Commission ne décline pas sa compétence pour connaître de la présente affaire.

 

          III.4.   Duplicité des procédures à l'échelon international

 

          51.     La Commission considère que l'affaire Víctor Rosario Congo n'est pas en instance devant une autre procédure de règlement international, attendu que cette exception n'a pas été invoquée par les parties et ne s'infère pas non plus des antécédents contenus dans la requête. La matière de cette plainte ne fait pas non plus double emploi avec une requête statuée auparavant par la Commission ou par un autre organe  international en vertu de l'article 47 (d) de la Convention et de l'article 39.1 (a) et (b) du règlement, et par conséquent, la Commission ne décline pas sa compétence pour connaître de la présente plainte.

 

IV.      PROPOSITION DE REGLEMENT AMIABLE

          52.     La Commission estime que les faits qui sont à l'origine de la plainte sont susceptibles d'être résolus en appliquant la procédure de règlement à l'amiable prévu à l'article 48.1 (f) de la Convention et à l'article 45 du règlement de celle-ci, et c'est pourquoi elle se met à la disposition des parties afin de rechercher une solution à l'amiable en l'affaire, fondée sur le respect des droits de l'homme.

 

          53.     Considérant ce qui a été exposé ci-dessus,

 

LA COMMISSION INTERAMERICAINE DES DROITS DE L'HOMME,

 

DECIDE:

 

          54.     De déclarer recevable l'affaire 11.427 concernant Víctor Rosario Congo.

 

          55.     De se mettre à la disposition des parties afin de rechercher une solution à l'amiable de l'affaire, fondée sur le respect des droits de l'homme reconnus dans la Convention américaine. A cet effet, les parties devront manifester à la Commission leur intention d'engager la procédure de règlement amiable, dans les trente jours qui suivront la notification du présent rapport.

 

          56.     De publier le présent rapport de recevabilité dans le Rapport annuel à l'Assemblée générale de l'OEA.



    [1]         Il ressort du dossier que la communication a été envoyée à la fin du mois de septembre 1990. Toutefois, sur la copie de ladite communication envoyée à la CIDH, la date exacte est illisible.

     [2]         Cour interaméricaine des droits de l'homme, Affaire Velásquez Rodríguez, arrêt du 26 juin 1987, paragraphe 88, page 38.

     [3]         Ibid., paragraphe 91, page 40.