RAPPORT No 34/96
AFFAIRES 11.228, 11.229, 11.231 ET 11.282
CHILI*
15 octobre 1996

 

I.        HISTORIQUE

          1.       Entre 1991 et 1993, la Commission a commencé à recevoir diverses pétitions contre l'Etat du Chili qui dénonçaient la promulgation du décret-loi 2191 du 10 mars 1978.  Dans ces pétitions, déposées sous les numéros et les noms suivants: 11.228, Irma Meneses Reyes; 11.229, Ricardo Lagos Salinas; 11.231, Juan Alsina Hurtos; et 11.282, Pedro José Vergara Inostroza, il était allégué que ladite loi d'amnistie de 1978, décret-loi 2191, en vertu de laquelle sont pardonnés différents délits commis entre 1973 et 1978 et son application ultérieure par les tribunaux chiliens, constituaient une violation du droit international coutumier et conventionnel.

          2.       Dans toutes ces pétitions, les requérants ont demandé que la Commission: 1) déclare que le décret-loi 2191 est incompatible avec l'article XVII de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme et avec les articles 1, 8, et 25 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme; 2) recommande à l'Etat du Chili d'adopter toutes les mesures nécessaires pour établir le lieu où se trouvent les victimes et punir les responsables des disparitions et exécutions extra-judiciaires; et 3) recommande à l'Etat du Chili de verser un dédommagement aux familles des victimes pour la violation de leur droit à la justice.

          3.       Comme les allégations de ces quatre pétitions sont les mêmes quant au fond, comme il s'agit essentiellement d'une question de droit, puisque les faits sont avérés, mais comme il s'agit aussi de savoir si le décret est compatible avec la Convention, la Commission a décidé de les grouper.

II.       LES PLAINTES ET L'INSTRUCTION DEVANT LA COMMISSION

          4.       Affaire 11.228.  Le 21 décembre 1993, la Commission a été saisie d'une plainte contre l'Etat du Chili pour violation du droit à la justice et pour la situation d'impunité dans laquelle se trouvait l'affaire de Juan Aniceto Meneses Reyes, étudiant à l'Université du Chili, arrêté le 3 août 1974 par des agents de ce qui était alors la Direction des renseignements nationaux (DINA).  Meneses Reyes fut aperçu après sa détention dans une enceinte secrète de la rue Londres No. 38 et, plus tard, dans le Camp de concentration de Cuatro Alamos. Il a disparu ensuite.  Les requérants rendent compte des démarches, recours et interventions judiciaires qu'ils ont effectués dans le cadre de la juridiction interne du Chili.  Les poursuites criminelles ont été intentées devant le 7e Tribunal criminel de Santiago, à la fin de l'année 1979; comme il s'agissait d'agents militaires de l'Etat, le dossier a été remis au tribunal militaire; le 24 juillet 1981, le Juge militaire a rendu un non-lieu; cette décision a été confirmée par la Cour martiale le 30 octobre 1981; plus tard, sur la demande du Ministère public militaire, le dossier a été sorti des archives et, le 12 décembre 1989, la loi d'amnistie a été appliquée et un non-lieu a été prononcé.  Pour recourir contre cette décision, la famille de la victime a déposé une plainte devant la Cour suprême qui, le 3 novembre 1993, a rejeté ce recours et a confirmé le non-lieu définitif.

          5.       Affaire 11.229.  Le 15 novembre 1993, la Commission a été saisie d'une plainte contre l'Etat du Chili pour violation du droit à la justice et pour la situation d'impunité dans laquelle se trouvait l'affaire de Ricardo Lagos Salinas, comptable de profession, arrêté le 17 juin 1975 par des agents de l'ancienne Direction des renseignements nationaux (DINA), qui l'ont conduit à la Villa Grimaldi, dans la ville de Santiago; il a été aperçu pus tard, en vie, en compagnie d'autres dirigeants du parti socialiste, dans les installations de cette prison; ensuite, il a disparu.  Les requérants rendent compte des démarches, recours et instructions qui ont été utilisés dans le cadre de la juridiction interne du Chili.  L'enquête a commencé par le présentation d'un recours en habeas corpus le 3 septembre 1975, lequel fut rejeté par décision gouvernementale du fait qu'il n'y avait pas eu detention sur l'ordre d'une autorité; la procédure criminelle a été entreprise devant le 7e Tribunal criminel de Santiago; en décembre 1979, le dossier a été remis à la justice militaire; le 17 juin 1982, le juge militaire a rendu un non-lieu, qui fut confirmé plus tard par la Cour martiale, en mai 1983.  L'affaire a été classée, à la demande du Ministère public militaire, qui a demandé l'application de la loi d'amnistie 2191; le Juge militaire a prononcé un non-lieu définitif le 30 octobre 1989.  Cette décision a été appelée, mais confirmée par la Cour martiale le 5 décembre 1990.  Les requérants ont recouru contre cette décision devant la Cour suprême qui, le 30, juin 1993, a rejeté ce recours; le non-lieu s'est alors trouvé définitivement confirmé.

          6.       Affaire 11.231.  Le 5 novembre 1993, la Commission a été saisie d'une plainte contre l'Etat du Chili pour violation du droit à la justice et pour la l'impunité qui entourait la situation du prêtre espagnol Juan Alsina Hurtos, arrêté le 19 septembre 1973 au Centre de secours San Juan de Dios de Santiago, où il travaillait, par des membres de l'armée, qui l'ont conduit à l'Institut national Barros Arana, où se trouvait une prison militaire. Il fut aperçu dans ces locaux par le chapelain militaire, qui a reçu sa confession.  Par la suite, il fut assassiné et son cadavre criblé de balles fut trouvé sur les rives de la rivière Mapocho, à proximité de Bulnes, dans la ville de Santiago.  Les requérants ont rendu compte des démarches, recours et interventions effectués dans le cadre de la juridiction interne du Chili.  Les poursuites pour séquestre et homicide ont été intentées devant le 3e Tribunal criminel de Santiago, où on est parvenu à établir l'identité des auteurs mais où, en application du décret-loi 2192, a été déclarée caduque la responsabilité criminelle des militaires auteurs du délit.  Cette décision a été confirmée définitivement par la Cour d'appel de Santiago le 10 mai 1993.

          7.       Affaire 11.282.  Le 15 mars 1994, la Commission a été saisie d'une plainte contre l'Etat du Chili pour violation du droit à la justice et pour l'impunité qui entourait la situation de M. Pedro Vergara Inostroza, arrêté avec d'autres personnes le 27 avril 1974 dans la ville de Santiago par des membres de la Lieutenance de carabiniers de Conchalí et amené à la caserne de ce service.  Plus tard, bien que diverses personnes aient porté témoignage de sa capture et de son transfert à la caserne, M. Vergara a disparu.  Les requérants rendent compte comme suit des démarches, recours et interventions judiciaires effectuées dans le cadre de la juridiction interne du Chili.  Des poursuites pour sequestre et homicide ont été intentées devant la justice ordinaire, puis devant la juridiction  militaire, laquelle a rendu un non-lieu temporaire.  En octobre 1989, le Juge militaire de Santiago a retiré le dossier des archives et lui a appliqué la loi d'amnistie, entraînant un non-lieu définitif.  La sentence du juge a été mise en appel devant la Cour martiale qui, le 16 janvier 1991, a confirmé l'application de la loi d'amnistie.  Une plainte contre cette décision a été interjetée devant la Cour suprême qui, le 28 novembre 1991, a rejeté le recours, confirmant le non-lieu définitif.  Enfin, un recours de reconsidération s'est soldé le 30 septembre 1993 par une déclaration d'irrecevabilité, mettant ainsi un terme à la tentative d'éclairer les faits et de punir les responsables.

III.      LA RECEVABILITE DE CES AFFAIRES

          8.       Conformément aux dispositions de l'article 44 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme (ci-après dénommée "la Convention "), à laquelle le Chili est un Etat partie, la Commission est compétente pour se saisir de ces affaires étant donné qu'il s'agit de plaintes alléguant des violations de droits que garantit la Convention américaine dans ses article 25, concernant une protection judiciaire effective, et 1,1, 2 et 43, concernant le devoir des Etats d'appliquer et de faire appliquer la Convention, d'adopter des dispositions de droit interne pour rendre effectives les normes de la Convention et d'en informer la Commission interaméricaine des droits de l'homme.

          9.       Les plaintes répondent aux conditions formelles de recevabilité établies dans l'article 46.1 de la Convention et dans l'article 32 du Règlement de la Commission.

          10.     Les requérants ont épuisé les recours prévus par la loi chilienne, comme le montre le dossier.

          11.     Les plaintes ne sont pas en cours d'autres procédures de règlement international et ne sont pas la répétition d'une pétition antérieur déjà examinée par la Commission interaméricaine des droits de l'homme.

IV.      REGLEMENT A L'AMIABLE

          12.     La procédure de règlement à l'amiable, prévue par l'article 48.1(f) de la Convention et par l'article 45 du Règlement de la Commission, a été proposée par la Commission aux parties, mais n'a pas recueilli leur assentiment.

          13.     N'étant pas parvenue à un règlement à l'amiable, le Commission doit donner suite aux dispositions de l'article 50.1 de la Convention et faire part de ses conclusions et recommandations au sujet de l'affaire dont elle est saisie.

V.      EXECUTION DES DEMARCHES PREVUES PAR LA CONVENTION

          14.     Durant l'instruction de ces affaires, la Commission a donné des possibilités de défense égales aussi bien au gouvernement du Chili qu'aux requérants et a jugé avec une objectivité absolue les preuves et allégations que les parties ont soumises; durant son instruction, elle a observé, appliqué et épuisé toutes les démarches légales et réglementaires prévues par la Convention américaine relative aux droits de l'homme et par le Règlement de la Commission.

VI.      ARGUMENTS PRESENTES PAR LE GOUVERNEMENT DU CHILI

          15.     Le gouvernement démocratique du Chili affirme n'avoir adopté aucune loi d'amnistie incompatible avec la Convention américaine, puisque le décret-loi 2.191 a été promulgué en 1978 sous un régime militaire de facto.

          16.     Le gouvernement demande à la Commission de placer ces affaires dans leur contexte historique et de tenir compte du retour du pays à un régime démocratique, dans le cadre duquel le nouveau gouvernement a dû accepter les règles imposées par le régime militaire de facto, règles qu'il ne pouvait modifier qu'en fonction de la loi et de la constitution.

          17.     Le gouvernement a essayé d'abolir le décret-loi d'amnistie, mais les dispositions de la constitution stipulent que les initiatives concernant les amnisties ne peuvent venir que du Sénat [article 62, deuxième alinéa de la Constitution], où il n'a pas la majorité à cause du nombre de membres de cet organe législatif qui n'ont pas été élus au suffrage universel.

          18.     Le gouvernement démocratique a demandé à la Cour suprême de déclarer que l'amnistie en vigueur ne puisse pas constituer un obstacle qui empêche de procéder à une enquête et de punir les responsables.

          19.     La Commission nationale de la vérité et de la réconciliation, dont le rapport a identifié les victimes de violation de droits fondamentaux sous la dictature militaire, et notamment les personnes visées par la présente plainte, a reconnu que ces personnes avaient fait l'objet de graves violations auxquelles avaient participé des agents de l'Etat et que, comme on n'avait pas établi le lieu où elles se trouvaient, devaient être considérées comme des "détenus disparus".

          20.     Par la loi 19123, adoptée par le gouvernement démocratique, les familles des victimes ont reçu une pension unique à viager d'un montant qui ne doit pas être inférieur à la rétribution moyenne d'une famille chilienne; des modalités spéciales de déclaration de mort présumée; des prestation spéciales fournies par l'Etat en matière de santé, d'éducation et de logement; la remise de leurs dettes dans les domaines de l'éducation, du logement, des impôts et autres auprès des organismes d'Etat; et l'exemption du service militaire obligatoire pour les fils des victimes.

          21.     Le gouvernement démocratique s'est déclaré d'accord avec les observations des requérants à propos du caractère du décret-loi No. 2.191 du 19 avril 1978, qui a cherché à exonérer de responsabilité les crimes les plus graves qui aient été commis dans l'histoire du Chili.

          22.     Le gouvernement a demandé à la Commission interaméricaine des droits de l'homme de déclarer dans son rapport final que les violations des droits dont rend compte la plainte des requérants en l'espèce ne lui sont pas imputables et qu'il n'a aucune responsabilité les concernant.

VII.     OBSERVATIONS DE LA COMMISSION CONCERNANT LES ARGUMENTS DES PARTIES

          A.      Considérations préliminaires

          a.       Qualité des autorités qui ont promulgué l'amnistie

          25.     La loi dite "d'amnistie" est un acte de pouvoir émanant du régime militaire qui a renversé le gouvernement constitutionnel du Dr. Salvador Allende.  Il s'agit donc d'autorités qui n'ont aucune titre ou aucun droit parce qu'elles n'ont pas été investies d'une façon quelconque, mais ont pris le pouvoir par la force, après avoir déposé le gouvernement légitime, en violation de la Constitution.

          26.     Un gouvernement de fait m'a aucune valeur juridique parce que, si un Etat s'est donné une Constitution, tout ce qui n'est pas conforme à celle-ci est contraire au droit.  L'investiture d'un gouvernement de facto au Chili a été le produit de la force, et non pas du consentement populaire.

          27.     Même afin de préserver la sécurité juridique, la Commission ne peut pas mettre sur le même pied d'égalité la juridicité d'un gouvernement de jure et le caractère arbitraire et contraire au droit d'un gouvernement usurpateur, dont la possibilité d'exister prend son origine, par définition, dans un manque de sécurité juridique.  Ces gouvernements méritent une répudiation permanente en faveur de l'Etat constitutionnel de droit et du respect de la vie démocratique et du principe de la souveraineté populaire fondée sur la pleine observation des droits de l'homme.

          28.     Dans l'affaire actuelle, les bénéficiaires de l'amnistie n'ont pas été des tiers étrangers, mais ceux qui ont profité des prestations du régime militaire.  C'est une chose que de soutenir le besoin de légitimiser les mesures prises par une société dans son ensemble [pour ne pas sombrer dans le chaos] ou les mesures qui relèvent de responsabilités internationales, parce qu'on ne peut pas éviter les obligations assumées dans ces domaines, et une autre tout-à-fait différente que d'accorder un traitement égal à ceux qui se sont rangés aux côtés du gouvernement illégitime, en violation de la Constitution et des lois chiliennes.

          29.     La Commission estime qu'il serait absurde de prétendre que l'usurpateur et ses alliés puissent invoquer les principes du droit constitutionnel, qu'ils ont violé, afin d'obtenir les bénéfices de la sécurité qui ne sont justifiables et mérités que pour ceux qui s'accommodent rigoureusement de cet ordre. Ce qu'a fait l'usurpateur ne peut pas être valable et n'est pas non plus légitime en soi ni au bénéfice des fonctionnaires illégaux de facto.  En effet, si ceux qui ont collaboré avec ces gouvernements sont assurés de l'impunité pour leur conduite, impunité obtenue sous un régime usurpateur et illégitime, il n'y aurait alors aucune différence entre ce qui est légal et ce qui ne l'est pas, entre ce qui est constitutionnel et ce qui ne l'est pas, et entre ce qui est démocratique et ce qui est autoritaire.

          30.     L'ordre constitutionnel chilien doit nécessairement donner au gouvernement les moyens d'atteindre ses objectifs fondamentaux, en le détachant des limitations contraires au droit et illégitimes que lui impose le régime militaire usurpateur, puisqu'il n'est pas juridiquement acceptable que celui-_i puisse limiter le gouvernement constitutionnel qui lui succède lorsqu'il veut consolider le système démocratique, ni non plus que les actes du pouvoir de facto jouissent de tous les attributs que ne peuvent reconnaître, en soi, que des actes légitimes du pouvoir de jure.  Le gouvernement de jure trouve sa légitimité non pas dans les normes constitutionnelles de l'usurpateur, mais dans la volonté du peuple qui l'élit, unique titulaire de la souveraineté.

          b.       Le droit constitutionnel chilien

          31.     La position exprimée dans le paragraphe précédent concorde avec le droit constitutionnel chilien.  En effet, la Constitution du Chili de 1833 stipule, dans son article 158, que "toute décision dont conviendrait le Président de la République, le Sénat ou la Chambre des députés, à la demande ou sur la requête de l'armée, d'un général à la tête des forces armées ou de toute réunion de la population qui, avec des armes ou sans armes, désobéit aux autorités, est nulle en droit et ne peut produire aucune effet".  Pour sa part, la Constitution de 1925 déclarait: " Aucune magistrature, aucune personne ou réunion de personnes, ne peut s'attribuer, même sous prétexte de circonstances extraordinaires, d'autres autorité ou droits que ceux qui lui sont expressément conférés par les lois. Tout acte qui contrevient au présent article est nul". [article 4].

          32.     Même la "constitution" sanctionnée par décret-loi du régime militaire déclare à ce propos:  "Aucune magistrature, aucune personne ou groupe de personnes ne peut s'attribuer, même sous prétexte de circonstances extraordinaires, d'autres autorité ou droits que ceux qui lui sont expressément conférés en vertu de la constitution ou des lois.  Tout acte qui contrevient au présent article est nul et entraîne les responsabilités et sanctions prévues par la loi". [article 7, deuxième paragraphe].[1]/ Au point que l'article 5 du même document stipule que "l'exercice de la souveraineté reconnait comme limitation le respect des droits essentiels qui découlent de la nature humaine", en postulant qu'aucun secteur de la population ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.

          c.       Les droits et libertés fondamentaux des personnes et l'Etat

          33.     De même, les droits et libertés fondamentaux ne cessent pas en présence d'un gouvernement de facto, parce qu'ils sont antérieurs à l'Etat et à la Constitution qui les reconnaissent et les garantissent, mais ne les créent pas. C'est pourquoi on a tort d'affirmer qu'un régime de facto a un pouvoir anormal ou anticonstitutionnel qui est sans limite.  Il s'ensuit qu'un gouvernement qu'on accuse de violer de façon systématique les droits fondamentaux de ses gouvernés et qui se disculpe lui-même au moyen d'une amnistie commet un grave abus de pouvoir.

          34.     C'est ce que déclare le professeur Christian Tomuschat: "Affirmer que, dans certains cas, on doit obéir à des lois viciées et à leurs implacables exécutants équivaudrait à faire de l'Etat un fétiche de caractère divin que ne souillent pas les actes les plus atroces et les plus odieux" (Voir "Au sujet de la résistance aux violations des droits de l'homme",  UNESCO, 1984, page 26).

          d.       Le droit international des droits de l'homme

          35.     Le droit international des droits de l'homme réaffirme cette notion, à la lumière des dispositions des articles XX de la Déclaration américaine et 23.1a et b de la Convention, qui ne peuvent être modifiés en vertu de l'article 27.2 de cette dernière.

          D'autres instruments interaméricaines réaffirment ces dispositions, par exemple l'article 3 de la Charte de l'OEA, qui fait reposer le principe de la solidarité des Etats américains sur le dénominateur commun de "l'exercice effectif de la démocratie représentative".

          La Cour interaméricaine des droits de l'homme

          36.     La Cour interaméricaine des droits de l'homme définit comme "lois" "la norme juridique de caractère général, reposant sur le bien commun, émanant des organes législatifs constitutionnellement prévus et démocratiquement élus et élaborée selon la procédure établie par les constitutions des Etats parties pour la formation des lois" (OC/6, paragraphe 38); définition à laquelle on est arrivé sur la base de l'analyse des principes de "légalité" et de "légitimité" et du régime démocratique dans lequel il faut situer le système interaméricain des droits de l'homme (OC/6, paragraphes 23 et 32), comme elle le déclare dans son OC/13, paragraphe 25.  Pour la Cour, "le principe de la légalité, les institutions démocratiques et l'état de droit sont inséparables" (OC/8, paragraphe 24).  L'adhérence rigide au régime démocratique a été indiquée par la Cour:  "La démocratie représentative joue un rôle déterminant dans tout le système dont fait partie la Convention" (OC/13, paragraphe 34), ce qui complète ses principes au sujet des "justes exigences de la démocratie" qui doivent orienter l'interprétation de la Convention, et notamment les préceptes qui ont un rapport critique avec la préservation et le fonctionnement des institutions démocratiques (OC/5, paragraphes 44, 67 et 69).  Il ne faut pas non plus oublier la doctrine de la Cour qui souligne l'importance de la législature élue pour la tutelle des droits fondamentaux (OC/8, paragraphes 22 et 23) ni la doctrine du contrôle de la légitimité des actes du Pouvoir exécutif par le judiciaire (OC/8, paragraphe 29 et 30 et OC/9, paragraphe 20).

          La Commission interaméricaine des droits de l'homme

          37.     La Commission interaméricaine des droits de l'homme s'est prononcée au sujet de cette question en maintes occasions.  Par exemple, elle a déclaré "qu'un régime démocratique est un élément nécessaire pour instaurer une société politique qui puisse se donner la plénitude des valeurs humaines".[Voir, Dix ans d'activités 1971-1981, page 331], où il est fait mention du pouvoir prédominant que s'attribuent des organes qui ne représentent pas la volonté populaire [id. page 270].  Dans le rapport sur Panama (1978), page 114, paragraphe 3. Rapport annuel 1978/80, pa. 123/24: analyse d'un projet de Constitution politique pour l'Uruguay; rapport sur le Suriname au sujet de la participation populaire, même dans le cas de l'élaboration de textes constitutionnels (1983), page 43, paragraphe 41; observations à propos du plébiscite au Chili, mettant en doute sa validité parce qu'il avait eu lieu durant la suspension des libertés publiques [Rapport 1978/89, page 115]; et décision dans l'affaire "Rios Montt contre Guatemala".

          Le système universel

          38.     En ce qui concerne le système universel, il faudrait mentionner: a) la Charte des Nations Unies et son préambule ("Nous, peuples des Nations Unies..."), qui se réfère au "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" et à "l'encouragement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales de tous...:"; b) la Déclaration universelle, dans son article 29; c) le pacte international des droits civils et politiques et d) les déclarations de la Commission des droits de l'homme dans "Ngaluba contre Zaïre", paragraphes 8.2 et 10, au sujet du refus du droit de participation, dans des conditions d'égalité, à la direction des affaires publiques en raisons de sanctions appliquées à huit parlementaires.

          Gouvernement usurpateur et démocratie

          39.     Pour ces raisons, la Commission estime que la démocratie représentative est le préalable essentiel de l'organisation politique et juridique des Etats américains et, par conséquent, qu'aussi bien les interventions d'un gouvernement usurpateur ou d'un gouvernement de facto, que ceux-ci même, sont incompatibles avec les exigences de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

          B.       Considérations générales

          40.     La Commission estime que, dans la présente affaire, la pétition pose une question de droit et doit donc établir si ce décret-loi et la façon dont l'ont appliqué les tribunaux chiliens sont compatibles avec la Convention, dans la mesure où on n'a contesté aucun des faits allégués et qu'il n'est pas nécessaire de confirmer quoi que ce soit.

          41.     Bien que le gouvernement démocratique ait rejeté sa responsabilité au sujet des faits perpétrés par la dictature militaire, il a reconnu son obligation d'enquêter sur les anciennes violations des droits de l'homme et a constitué une Commission de la vérité, afin de vérifier les faits et de publier les résultats.  A titre de réparation, l'ex-Président Aylwin a demandé pardon, au nom de l'Etat chilien, aux familles des victimes.  En outre, l'ex-Président a protesté publiquement au sujet de la décision de la Cour Suprême qui a statué que le décret-loi d'amnistie devait être appliqué de manière à arrêter toutes les enquêtes sur les faits[2]/.  En invoquant l'impossibilité dans laquelle il se trouve de modifier ou d'annuler le décret-loi d'amnistie ainsi que son obligation de respecter les décisions du Pouvoir judiciaire, le gouvernement démocratique a déclaré que les mesures qu'il avait adoptées sont efficaces et suffisantes pour répondre aux obligations du Chili selon la Convention et que d'autres mesures auraient été inutiles.

          42.     Tandis qu'ils se rendent compte des efforts déployés par le gouvernement, les requérants affirment qu'ils ont été insuffisants et inefficaces et que le gouvernement a donc toujours l'obligation de procéder à une enquête complète, de définir les responsabilités et de punir les responsables des anciennes violations des droits de l'homme.

          43.     La Commission observe que, comme on l'a prouvé au chapitre précédent, l'adoption du dé_ret-loi d'auto-amnistie est en conflit avec les dispositions constitutionnelles en vigueur au Chili au moment où il a été promulgué.  Néanmoins, indépendamment de la légalité ou de la constitutionnalité des lois en droit chilien, la Commission est compétente pour examiner les effets juridiques d'une mesure législative, judiciaire ou autre, pour voir si elle est incompatible avec les droits et garanties consacrés dans la Convention américaine.[3]/

          44.     Dans sa décision concernant la responsabilité internationale pour l'adoption et l'application de droits qui violent la Convention (articles 1 et 2 de la Convention), la Cour a déclaré que: " En raison de cette qualification, la Commission pourra recommander à l'Etat la dérogation ou la réforme de la norme qui donne lieu à la violation; à cet effet, il suffit que cette norme soit parvenue par un moyen quelconque à sa connaissance...."[4]/

          45.     L'article 2 de la Convention définit l'obligation qu'ont les Etats d'adopter "les mesures législatives ou autres qui sont nécessaires" pour concrétiser les droits et libertés qu'elle consacre.  C'est pourquoi, la Commission ou la Cour sont habilitées à examiner — à la lumière de la Convention — même les lois internes qui supprimeraient ou violeraient les droits et libertés qu'elle consacre.[5]/

          46.     Quand on examine cette question, il est important de tenir compte de la gravité des délits allégués que touche le décret d'amnistie.  Le gouvernement militaire qui était à la tête du pays du 11 septembre 1973 jusqu'au 11 mars 1990 a mis en oeuvre une politique systématique de répression qui s'est soldée par des milliers de victimes de "disparitions", d'exécutions sommaires ou extrajudiciaires, et de tortures.  A propos des pratiques de ce gouvernement militaire, la Commission a déclaré que:

          ... ce gouvernement [avait] employé la quasi totalité des moyens connus permettant d'éliminer physiquement les dissidents, en particulier les disparitions, les exécutions sommaires d'individus ou de groupes, les exécutions décrétées durant des procédures dépourvues de garanties légales et les tortures.[6]/

          47.     Certains de ces délits sont jugés d'une telle gravité qu'ils ont justifié l'adoption de divers instruments internationaux et de mesures particulières pour éviter leur impunité, y compris la juridiction universelle et l'imprévisibilité des délits.[7]/

          48.     Quant à la pratique des disparitions, l'Assemblée générale de l'Organisation des Etats américains a déclaré: "...que la disparition forcée de personnes en Amérique est un affront à la conscience du continent et représente un crime de lèse humanité".[8]/  Dans sa décision de 1988 dans l'affaire "Velásquez Rodríguez", la Cour interaméricaine a fait observer que la doctrine et la pratique internationales ont maintes fois qualifié les disparitions de délit contre l'humanité.[9]/ La Convention interaméricaine sur la disparition forcée de personnes réaffirme, dans son préambule, que "la pratique systématique de disparitions forcées constitue un délit de lèse humanité".[10]/  Le besoin social de renseignements et d'enquête au sujet de ces délits ne peut être comparé à celui d'un simple délit commun.[11]/

          a.       La question du décret‑loi d'auto-amnistie

          49.     La Commission a examiné à plusieurs reprises le problème des amnisties, à la suite de plaintes contre des Etats parties à la Convention américaine qui y avaient recours à la recherche de mécanismes de pacification et de réconciliation nationale, laissant ainsi sans protection un secteur qui comportait un grand nombre de victimes innocentes de la violence, qui se trouvaient alors privées du droit à la justice dans le cadre de leurs justes plaintes contre ceux qui avaient commis des excès et des actes de barbarie à leur encontre.[12]/

          50.     La Commission a déclaré plusieurs fois que l'application des amnisties rend inefficaces et sans valeur les obligations internationales des Etats parties qu'impose l'article 1.1 de la Convention; elles représentent donc un violation dudit article et éliminent la mesure la plus efficace permettant de faire valoir ces droits, à savoir la mise en jugement et le châtiment des responsables.[13]/

          51.     Il ne s'agit pas, comme l'ont parfaitement expliqué les requérants, de violations des droits de l'homme qui découlent de la détention illégale et de la disparition des personnes citées dans la plainte, faits imputables à des agents de l'Etat du Chili durant l'ancien régime militaire, mais essentiellement de deux problèmes: A) celui de la non dérogation — et, par conséquent, du maintien en vigueur — du décret-loi d'amnistie 2191, promulgué à son profit par le gouvernement militaire, mais dont la mise en vigueur et l'application se sont poursuivies durant le gouvernement démocratique, même après que le Chili ait ratifié la Convention américaine et ait assumé l'engagement de s'y conformer; et B) l'absence de jugement, d'identification des responsables et de sanction des auteurs de ces faits, qui perdure depuis le gouvernement militaire et se poursuit durant l'actuel gouvernement démocratique et constitutionnel.

          52.     Le gouvernement démocratique du Chili a renoncé à l'étroite relation qui existe dans ce cas entre amnistie et impunité et a donc adopté la loi No. 19.123 qui indemnise les familles des victimes de violations des droits de l'homme et considère comme un seul ensemble l'acte de violation des droits des victimes, depuis le moment de leur arrestation jusqu'au déni de justice.

          53.     Les faits dénoncés contre le gouvernement démocratique entraînent, d'une part, la non observation des obligations assumées par l'Etat du Chili d'aligner les normes de son droit interne sur les préceptes de la Convention américaine, ce qui viole ses articles 1.1 et 2; et, de l'autre, son application, qui entraîne un déni du droit à la justice à l'encontre des 70 personnes disparus dont parle la plainte, ce qui viole les articles 8 et 25, en liaison avec l'article 1.1.

          54.     La Commission a tenu compte du fait que le gouvernement démocratique s'est adressé à la Cour suprême, en mars 1991, pour lui demander, notamment à propos des personnes disparues, de rendre justice et de déclarer que l'amnistie en vigueur ne pouvait pas être un obstacle empêchant, sur le plan judiciaire, la réalisation d'enquêtes et la détermination des responsabilités en l'affaire et pour lui demander aussi d'annuler une loi qui pourrait contribuer à l'amnistie.

          55.     Il convient de faire une mention toute particulière de la création de la Commission nationale de la vérité et de la réconciliation, ainsi que des travaux qu'elle réalise pour constituer des dossiers concernant les violations des droits de l'homme et les disparus; son rapport a cité le nom des victimes — et, parmi elles, les 70 personnes couvertes par la plainte —, a essayé de trouver le lieu où elles se trouvent et d'indiquer dans chaque cas des mesures de réparation et de revendication; elle a reconnu que les cas de ces personnes représentent de graves violations des droits fondamentaux auxquelles ont participé des agents de l'Etat et les a qualifiées de "détenus disparus" si on ne pouvait trouver le lieu où elles se trouvaient.

          56.     Il faut également reconnaître que la loi No. 19.123, adoptée sur l'initiative du gouvernement démocratique, accorde aux familles des victimes: a) une pension à viager d'un montant au moins égal à la rétribution moyenne d'une famille chilienne; b) une procédure spéciale de déclaration de mort présumée; c) des prestations spécialisées, offertes par l'Etat, en matière de santé, d'éducation et de logement; d) l'annulation des dettes au titre de l'éducation, du logement, des impôts et autres auprès des organismes d'Etat; et e) l'exonération du service militaire obligatoire pour les fils des victimes.

          57.     Néanmoins, de telles mesures ne suffisent pas à garantir le respect des droits de l'homme des requérants, conformément à ce que prescrivent les articles 1.1 et 2 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, tant que n'est pas satisfait leur droit à la justice.

          b.       Déni de justice

          58.     La violation du droit à la justice et l'impunité qui en résulte dans la présente affaire représentent un ensemble de faits qui se sont déclenchés, comme on l'a établi, quand le gouvernement militaire a pris en sa faveur et en faveur des agents de l'Etat qui avaient commis les violations des droits de l'homme, une série de normes visant à créer un cadre juridique complexe d'impunité, qui a commencé formellement en 1978, quand le gouvernement militaire a promulgué le décret-loi d'auto-amnistie No. 2191.

          59.     Le gouvernement démocratique fait sienne la condamnation du décret-loi d'amnistie quand il a déclaré devant la Commission que: "le gouvernement constitutionnel ne peut qu'être d'accord avec les requérants à propos du caractère du décret-loi No. 2191 du 19 avril 1978, qui cherche à exonérer de la responsabilité des crimes les plus graves qui aient été commis dans toute notre histoire".

          60.     L'Etat chilien est donc responsable, par l'entremise de son Pouvoir législatif, de la non application ou de la dérogation du décret-loi de facto No. 2191 du 19-4-78, qui viole les obligations assumées par ledit Etat d'aligner ses normes sur les préceptes de la Convention, ce par quoi il viole ses articles 1.1 et 2.

          c.       La violation du droit aux garanties judiciaires (article 8)

          61.     La requête affirme que les conséquences juridiques de l'auto-amnistie sont incompatibles avec la Convention, car elles transgressent le droit de la victime à un jugement juste consacré dans son article 8.

          62.     L'article protège le droit de l'accusé à une procédure juste "qui prouve toute accusation pénale formulée contre lui...".  L'Etat a l'obligation de fournir des recours effectifs (article 25), qui doivent être "prouvés conformément aux règles des formes et garanties de la procédure légale (article 8.1),[14]/ mais il est important de signaler que, dans de nombreux systèmes de droit pénal de l'Amérique latine, la victime a le droit de présenter des accusations en action pénale.  Dans des systèmes tels que le droit chilien, qui le permet, la victime d'un délit a le droit fondamental de recourir aux tribunaux.[15]/  Ce droit est essentiel pour lancer la procédure pénale et la faire avancer.  Le décret d'amnistie touche clairement le droit des victimes, en vigueur selon la loi chilienne, d'entreprendre une action pénale devant les tribunaux contre les responsables de violations des droits de l'homme.

          63.     Et, bien qu'il n'en soit pas ainsi, s'agissant, comme dans la présente instance, de délits d'action  publique, en d'autres termes susceptibles de poursuites d'office, l'Etat a l'obligation légale, inéluctable et sans faculté de délégation, de procéder à une enquête les concernant.  C'est pourquoi, l'Etat chilien est en tout cas titulaire de l'action punitive et a l'obligation de promouvoir et d'encourager les diverses étapes de la procédure, vu son obligation de garantir le droit à la justice de la victime et de sa famille.  Cette charge doit être assumée par l'Etat en tant que devoir juridique propre, et non pas comme une démarche au nom d'intérêts de particuliers, ou qui dépend de leur initiative ou de leur fourniture de preuves.[16]/

          64.     Les requérants affirment aussi que le décret-loi d'amnistie a empêché les familles des victimes de pouvoir obtenir réparation devant les tribunaux civils.  L'article 8 stipule que:

          Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue avec les garanties voulues, dans un délai raisonnable, par un juge ou un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi antérieurement par la loi....qui déterminera ses droits et obligations en matière civile, ainsi que dans les domaines du travail, de la fiscalité, ou dans tout autre domaine.

          65.     Au Chili, la possibilité d'entreprendre une action civile n'est pas nécessairement liée au résultat d'une procédure criminelle.  Malgré cela, la demande civile doit être interjetée contre une personne déterminée pour qu'on puisse établir la responsabilité des faits allégués et fixer le paiement des indemnités.  L'absence d'enquête par l'Etat a rendu pratiquement impossible d'établir la responsabilité devant les tribunaux civils.  Bien que la Cour suprême ait souligné le fait que les procédures civiles et pénales sont indépendantes,[17]/ la façon dont l'amnistie a été appliquée par les tribunaux affecte clairement le droit d'obtenir réparation devant les tribunaux civils, vu l'impossibilité d'individualiser ou d'identifier les responsables.

          66.     Tel qu'il a été appliqué et interprété par les tribunaux de l'Etat chilien, le décret-loi de facto 2191 a empêché les requérants d'exercer leur droit aux formes et garanties de la procédure pour établir leurs droits civils que consacre l'article 8.1 de la Convention.

          d.       La violation du droit à la protection judiciaire (article 25)

          67.     On a affirmé que les victimes et leurs familles ont été privées de leur droit à un recours effectif à propos des droits consacrés dans l'article 25 de la Convention qui avaient été violés.

          68.     La Cour interaméricaine des droits de l'homme a affirmé que les Etats ont l'obligation légale de fournir des recours internes.  Sue ce point, la Cour a déclaré que:

          Selon (la Convention), les Etats parties ont l'obligation de fournir des recours judiciaires effectifs aux victimes de violation des droits de l'homme (article 25), recours qui doivent être concrétiser conformément aux règles de la procédure légale (article 8.1), tout cela dans le cadre de l'obligation  générale, qui incombe aux mêmes Etats, de garantir le libre et plein exercice des droits reconnus par la Convention à toute personne qui relève de leur juridiction (article 1).[18]/

          69.     La Cour a affirmé ensuite que: "par adéquats, on entend que la fonction de ces droits, dans le système de droit interne, doit être propre à protéger la situation juridique objet de l'infraction".[19]/

          ... L'absence d'un recours effectif contre les violations des droits reconnus par la Convention constitue une transgression de celle-ci par l'Etat partie qui se trouve une situation analogue. En ce sens, il faut souligner que, pour qu'un tel recours existe, il ne suffit pas qu'il soit prévu par la Constitution  ou par le loi ou qu'il soit formellement recevable, mais il faut aussi qu'il soit véritablement propre à établir s'il y a eu une violation des droits de l'homme et qu'il fournisse les moyens nécessaires pour y remédier.[20]/

          70.     L'auto-amnistie a été une procédure générale par laquelle l'Etat a renoncé à punir certains délits graves.  En outre, tel qu'il a été appliqué par les tribunaux chiliens, le décret a empêché non seulement la possibilité de punir les auteurs de violations de droits de l'homme, mais il a également assuré qu'aucune accusation ne soit faite et qu'on ne connaisse pas les noms de leurs responsables (bénéficiaires) de telle sorte que ceux-ci soient considérés comme s'ils n'avaient pas commis le moindre acte illégal.  Le décret-loi d'amnistie a entraîné l'absence d'efficacité juridique des délits, et a laissé les victimes et leurs familles sans aucun recours judiciaire grâce auquel elles auraient pu identifier les responsables des violations des droits de l'homme commises durant la dictature militaire, et leur imposer les châtiments correspondants.

          71.     En promulguant et en mettant en oeuvre le décret-loi 2191 de facto, l'Etat chilien n'a pas garanti les droits à la protection judiciaire que stipule l'article 25 de la Convention.

          e.       L'obligation d'enquêter

          72.     Dans son interprétation de l'article 1.1 de la Convention, la Cour interaméricaine des droits de l'homme déclare que "la deuxième obligation des Etats parties est de garantir le libre et plein exercice des droits reconnus par la Convention à toutes les personnes relevant de sa juridiction... En raison de cette obligation, les Etats doivent empêcher et punir toute violation des droits reconnus par la Convention et effectuer une enquête les concernant" — [21]/ La Cour procède à une analyse de cette notion dans plusieurs paragraphes:

          Ce qui est décisif, c'est de voir si une violation particulière des droits de l'homme reconnus par la Convention a eu lieu avec l'appui ou la tolérance du pouvoir public ou si celui-ci a agi de telle façon que la transgression ait lieu faute de toute prévention ou impunément."[22]/  L'Etat a le devoir juridique de prévenir raisonnablement les violations des droits de l'homme, d'effectuer sérieusement des enquêtes avec les moyens dont il dispose au sujet des violations qui ont été commises dans le cadre de sa juridiction, afin d'identifier les responsables, de les frapper des sanctions appropriées, et d'assurer à la victime une réparation satisfaisante"[23]/.  Si l'appareil de l'Etat agit de telle façon que la violation  reste impunie et qu'on ne redonne pas à la victime, dans toute la mesure du possible, la plénitude de ses droits, on dira alors qu'il n'a pas rempli le devoir de garantir son libre et plein exercice aux personnes relevant de sa juridiction".[24]/  Quant à l'obligation de p_océder à une enquête, la Cour déclare que l'enquête "... doit avoir un sens et être assumée par l'Etat en tant que devoir juridique propre et non pas comme un simple acte d'intérêts particuliers, qui dépend de l'initiative judiciaire de la victime ou de sa famille, ou de l'apport privé d'éléments de preuve, sans que l'autorité publique recherche effectivement la vérité".[25]/

          73.     La Commission nationale de la vérité et de la réconciliation, constituée par le gouvernement démocratique pour enquêter au sujet des violations des droits de l'homme qui se sont produites dans le passé, s'intéresse surtout au nombre total de cas et a octroyé des réparations aux victimes et à leur famille.  Néanmoins, l'enquête qu'a effectuée cette Commission au sujet des cas de violation  du droit à la vie des victimes d'autres violations, et surtout de tortures, les a privées d'un recours légal et de toute autre sorte de dédommagement.

          74.     En outre, cette Commission n'était pas un organe judiciaire et ses travaux se bornaient à établir l'identité des victimes de violations du droit à la vie.  De par la portée de son mandat, cette Commission n'était pas habilitée à publier les noms de ceux qui avaient commis les délits ni à imposer une sanction quelconque.  C'est pourquoi, malgré l'importance qui s'attachait à l'établissement des faits et à l'octroi de dédommagements, on ne peut faire de la Commission de la vérité un élément qui remplace la procédure judiciaire.

          75.     Cette même Commission de la vérité a conclu dans son rapport que:

          Du strict point de vue de la prévention, la Commission estime qu'un élément indispensable pour obtenir la réconciliation nationale et éviter ainsi la répétition des faits qui se sont produits, consisterait en ce que l'Etat exerce complètement ses facultés punitives.  Une protection  intégrale des droits de l'homme ne peut se concevoir que dans un véritable état de droit.  Et un état de droit suppose que tous les citoyens sont soumis à la loi et aux tribunaux de justice, ce qui entraîne l'application des sanctions prévues par la législation pénale, sur un plan d'égalité pour tous, aux transgresseurs des normes qui préservent le respect des droits de l'homme.[26]/

          76.     Quand le gouvernement reconnait sa responsabilité, une enquête partielle sur les faits, et le versement ultérieur de dédommagements ne suffisent pas, en soi, pour satisfaire aux obligations prévues par la Convention.  Selon les dispositions de l'article 1.1 de celle-ci, l'Etat a l'obligation de procéder à une enquête au sujet des violations qui sont commises dans le domaine de sa juridiction, afin d'identifier les victimes et les responsables, de les frapper de sanctions appropriées et d'assurer aux victimes un dédommagement adéquat."[27]/

          77.     En appliquant le décret-loi 2191 de facto concernant l'auto-amnistie, l'Etat du Chili n'a pas rempli entièrement l'obligation stipulée par l'article 1.1 de la Convention et a violé, au détriment des requérants, les droits de l'homme que reconnait la Convention américaine.

          f.       La responsabilité internationale de l'Etat

          78.     La présente affaire ne met en doute ni la responsabilité du gouvernement du Chili ni celle des organes qui exercent le pouvoir public, mais elle fait intervenir la responsabilité internationale de l'Etat chilien.

          79.     Dans la présente affaire, on a reconnu, et le gouvernement ne l'a jamais réfutée, l'intervention active et passive d'agents de l'Etat chilien en situation d'autorité et leur participation aux faits dénoncés par les requérants.

          80.     Le Gouvernement convient que le décret 2191 est contraire au droit; il reconnait l'étroite relation qui existe entre amnistie et impunité; il admet la commission successive de ces faits, qui violent le droit à la justice en tant qu'unité de l'acte violateur des droits des victimes, depuis leur arrestation jusqu'au déni de justice, et déclare que le décret-loi d'amnistie "réunit en un seul ensemble une politique de violations massives et systématiques des droits de l'homme qui, dans le cas des disparitions forcées, commence par l'arrestation de la victime, suivie par sa dissimulation, puis par sa mort, se poursuit avec la négation du fait et se termine par l'amnistie des agents publics".[28]/

          81.     Le gouvernement du Chili estime que, en tant qu'organe du Pouvoir exécutif, on ne peut lui imputer les violations que dénoncent les requérants et qu'il n'a aucune responsabilité les concernant parce que, s'agissant de l'auto-amnistie, le gouvernement démocratique n'a décrété aucune loi d'amnistie; et, s'agissant de la dérogation de ladite loi, cette dérogation n'est pas possible pour les raisons qu'il avance; que cette même limitation existe sur le plan de l'alignement des normes internes sur celles de la Convention américaine des droits de l'homme; que, s'agissant de l'application de l'auto-amnistie, il ne peut agir que dans le cadre de la loi et de la Constitution qui établissent le domaine de sa compétence, de ses responsabilités et de ces capacités.

          82.     Le fait que le décret-loi 2191 ait été promulgué par le régime militaire ne peut conduire à la conclusion qu'il est impossible de séparer ce décret et ses effets légaux de la pratique générale des violations des droits de l'homme commises à cette époque.  Bien que le décret ait été promulgué durant le régime militaire, il continue à être appliqué chaque fois que les tribunaux chiliens sont saisis d'une plainte contre un perpétrateur présumé d'une violation des droits de l'homme.  Ce qu'on a dénoncé comme étant incompatible avec la Convention sont les conséquences juridiques du décret-loi sur l'auto-amnistie.[29]/

          83.     S'il est vrai que, sur le plan interne, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont séparés et indépendants, les trois pouvoirs de l'Etat forment néanmoins une seule unité indivisible de l'Etat du Chili qui, sur le plan international, n'admet pas des traitements séparés; par conséquent, le Chili assume la responsabilité internationale pour les actes de ses organes du pouvoir public qui transgressent les engagements internationaux dérivés des traités internationaux.[30]/

          84.     L'Etat chilien ne peut justifier, dans la perspective du droit international, la non observation de la Convention en alléguant que l'auto-amnistie a été décrétée par le gouvernement antérieur ou que l'abstention et l'omission du pouvoir législatif de déroger audit décret-loi, ou que les actes du pouvoir judiciaire qui confirment son application, n'ont rien à voir avec la position et la responsabilité du gouvernement démocratique, vu que la Convention de Vienne sur le droit des traités stipule, dans son article 27, qu'un Etat partie ne pourra invoquer les dispositions du droit interne pour justifier la non observation d'un traité.

          85.     La Cour interaméricaine a déclaré que: "C'est un principe du droit international que l'Etat réponde des actes de ses agents effectués sous la protection de leur caractère officiel et des omissions de ces agents, même s'ils agissent en dehors des limites de leur compétence ou en violation du droit interne".[31]/

          86.     La responsabilité des violations provoquées par le décret-loi 2191 de facto, promulgué par le régime militaire qui détenait le pouvoir de façon arbitraire et contraire au droit, non aboli par le pouvoir législatif actuel et appliqué par l'organe juridictionnel, incombe à l'Etat du Chili, qui a connaissance du régime qui l'a promulgué ou du pouvoir de l'Etat qui l'a appliqué ou a rendu son application possible.  Il ne saurait y avoir le moindre doute au sujet de la responsabilité internationale de l'Etat chilien pour les faits qui, s'il est vrai qu'ils ont eu lieu durant le gouvernement militaire, n'ont pas même pu faire l'objet d'enquêtes et de sanctions.  Conformément au principe de la continuité de l'Etat, la responsabilité internationale existe indépendamment des changements de gouvernement.  C'est pourquoi la Cour interaméricaine des droits de l'homme a déclaré que: "Selon le principe du droit international concernant l'identité ou la continuité de l'Etat, la responsabilité subsiste indépendamment des changements de gouvernement au cours du temps et, concrètement, entre le moment où se produit le fait illicite qui entraîne la responsabilité et celui où elle est déclarée.  Ce qui prècède est également valable dans le domaine des droits de l'homme, bien que, d'un point éthique et politique, l'attitude du nouveau gouvernement soit beaucoup plus respectueuse de ces droits que celle qu'avait le gouvernement à l'époque où se sont produites les violations".[32]/

          87.     Les faits suivants confirment la non exécution, par l'Etat du Chili, des dispositions des articles 1 et 2 de la Convention: le décret-loi 2191 promulgué par la dictature militaire qui a détenu le pouvoir au Chili entre 1973 et 1990 n'a pas été dérogé par l'actuel Pouvoir législatif, mais reste en vigueur; cette législation interne du Chili ne concorde pas avec les normes de la Convention; et, selon l'actuel Pouvoir judiciaire, elle est appliquée aux procédures judiciaires en instance.

          88.     La non dérogation du décret-loi de facto, après la ratification de la Convention, le manque d'adaptation des normes internes pour rendre la Convention applicable au Chili, ainsi que son application au cas concret de l'instance, attribués aux Pouvoirs législatif et judiciaire, selon leurs compétences respectives, conduisent à imputer à l'Etat chilien une infraction à la Convention.

          89.     S'il est vrai que l'auto-amnistie a été promulguée avant l'arrivée du gouvernement démocratique et la ratification de la Convention, la responsabilité qui est imputée en cette affaire à l'Etat du Chili découle du fait que sa législation interne n'a pas été ajustée aux termes de la Convention et que, étant déclarée [de façon arbitraire] inconstitutionnelle par le pouvoir judiciaire, ses effets ont perduré en validant l'application de cet acte du pouvoir, qui viole les droits de l'homme.

          90.     Il est important de signaler qu'un représentant du régime imposé par les militaires qui a renversé le Président Allende a affirmé devant le Comité des droits de l'homme des Nations Unies que le Pacte des droits civils et politique est en vigueur au Chili depuis 1976.[33]/

          91.     Par ailleurs, conformément à l'article 5.2 de la Constitution  politique du Chili, les tribunaux chiliens doivent concilier les normes internationales et nationales.[34]/

          92.     Les Etats parties à la Convention assument, en tant qu'Etats, la responsabilité et l'obligation de respecter, faire respecter et garantir tous les droits et libertés qu'elle reconnait aux personnes soumises à leur juridiction, et de modifier ou d'aligner leur législation pour rendre effectifs la jouissance et l'exercice de ces droits et libertés.  Comme il n'a pas honoré cet engagement, l'Etat chilien enfreint aux articles 1 et 2 de la Convention.

VII.     PROCEDURE FINALE DE LA PRESENTE AFFAIRE

          93.     Durant sa 92e session, qui a eu lieu du 29 avril au 3 mai 1996, la Commission a adopté le rapport 24/96, qui a été remis au gouvernement du Chili pour qu'il formule, dans un délai de 60 jours à compter de la date de l'envoi, les observations qu'il juge pertinentes.

VIII.    REPONSE DU GOUVERNEMENT DU CHILI

          94.     Le 30 septembre 1996, le gouvernement du Chili a remis à la Commission sa réponse dans laquelle il déclare ce qui suit:

          95.     Le gouvernement du Chili redit l'importance qu'il attache au système international de protection des droits de l'homme, aussi bien sur le plan universel que sur le plan régional; en effet, l'un des objectifs de sa politique extérieure consiste à contribuer au renforcement et à l'efficacité de la défense de la personne.  Le résultat de cette reconnaissance est que l'Etat du Chili — après le retour à la démocratie — a adhéré à d'importants instruments internationaux en la matière, tels que la Convention américaine relative aux droits de l'homme, de 1989, et le Protocole facultatif du Pacte international des droits civils et politiques, de 1966.

           96.     Le système interaméricain de protection des droits de l'homme et, notamment, les travaux de la Commission interaméricaine des droits de l'homme revêtent donc pour notre pays une importance toute particulière.  C'est pourquoi, il a pris des mesures pour stimuler et appuyer les diverses initiatives visant à renforcer ce système et, de façon concrête, ses organes fondamentaux, à savoir la Commission et la Cour interaméricaines des droits de l'homme.

           97.     Dans son rapport, la Commission interaméricaine ne met pas en doute l'attitude des gouvernements démocratiques, car ce ne sont pas eux qui ont promulgué le dé_ret-loi No. 2.191 de 1978 au sujet de l'amnistie, et qui ont mis en place de nouvelles normes légales visant à faire obstacle à l'enquête sur les faits et à leur sanction par les tribunaux de justice.

           98.     La Commission interaméricaine sait que le gouvernement démocratique du Chili ne partage pas le critère adopté par la Cour suprême de justice à propos de l'interprétation et de la portée qu'elle attribue au décret-loi d'amnistie, mais il doit, pour des raisons constitutionnelles et internationales, assurer l'indépendance du Pouvoir judiciaire et garantir l'efficacité juridique de ses décisions.

            99.     Le gouvernement du Chili se félicite de l'évaluation positive faite par la Commission interaméricaine des efforts qu'il a déployés pour parvenir à l'établissement de la vérité, à l'application de la justice et à des mesures de réparation dans le cas des plus graves violations des droits de l'homme, grâce aux importants travaux de la Commission nationale de la vérité et de la réconciliation et, plus tard, de la Société nationale de réparation et de réconciliation.

           100.   Il est important de redire que les gouvernements démocratiques qui ont suivi le régime militaire partagent pleinement les critiques adressées au décret-loi d'amnistie de 1978 et qu'ils n'ont jamais promulgué des normes légales qui entravent l'enquête portant sur les graves violations des droits de l'homme perpétrées dans le passé.  Bien au contraire, ils ont encouragé des initiatives légales visant à établir la vérité à propos de ce qui s'est passé à l'encontre des personnes exécutées ou qui ont disparu à la suite des interventions d'agents de l'Etat, afin d'obtenir la justice et les réparations qui seraient possibles.

           101.   A propos des mesures législatives de redressement que le gouvernement démocratique a entreprises, la Commission interaméricaine ne peut méconnaître les difficultés auxquelles se heurte en la matière le Pouvoir exécutif en raison des caractéristiques particulières de la transition entre le régime autocratique et un régime démocratique au Chili.  Comme tout le monde le sait, le Sénat, qui est la Chambre haute du Congrès chilien, n'est pas entièrement composé de membres élus démocratiquement, mais comporte un nombre important de sénateurs nommés par le régime militaire antérieur.  Ce fait entraîne des conséquences politiques indestructibles qui faussent la volonté populaire et empêchent d'avancer dans la reformulation des institutions démocratiques, dans le cadre desquelles se situe la modification ou la dérogation du décret-loi d'amnistie de 1978.

          102.   Il convient d'indiquer que, dans le cadre du respect de l'état de droit et, par conséquent, de l'indépendance des Pouvoirs de l'Etat, le gouvernement a adopté certaines initiatives visant à aligner l'ordre juridique interne pénal pour garantir que les tribunaux de justice disposent des outils nécessaires pour poursuivre les enquêtes jusqu'à ce que soit établie la vérité, y compris en se saisissant des demandes civiles présentées en vertu des articles 279 bis, 413 et 421 du Code de procédure pénale, conformément aux traités internationaux ratifiés par le Chili qui se trouvent en vigueur.

IX.      CONCLUSIONS

          103.   Sur la base des considérations formulées dans le présent rapport, la Commission arrive aux conclusions suivantes:

          104.   L'acte de pouvoir par lequel le régime militaire s'est installé au Chili et a promulgué en 1978 le décret-loi No. 2191, dit décret d'auto-amnistie, est incompatible avec les dispositions de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, ratifiée par cet Etat le 21 août 1990.

          105.   La sentence de la Cour suprême du Chili, en date du 28 août 1990 et confirmée le 28 septembre de la même année, selon laquelle ledit "décret-loi" No. 2191 est constitutionnel et d'application obligatoire par le pouvoir judiciaire alors qu'était entrée en vigueur pour le Chili la Convention américaine relative aux droits de l'homme, viole les dispositions des articles 1.1 et 2 de celle-ci.

          106.   Les décisions judiciaires de non-lieu définitif, prises à propos des affaires criminelles ouvertes concernant la détention et la disparition d'Irma Meneses Reyes (cas 11.228), de Ricardo Lagos Salinas (cas 11.231) et de Pedro José Vergara Inostroza (cas 11.282), dont les noms ont fait démarrer la présente affaire non seulement aggravent la situation d'impunité mais, en définitive, violent le droit à la justice dont jouissent les familles des victimes, pour identifier leurs auteurs et établir leurs responsabilité_ et sanctions correspondantes, et obtenir réparation judiciaire de leur part.

          107.   Au sujet des personnes au nom desquelles a été ouverte la présente instance, l'Etat du Chili n'a pas honoré son obligation de reconnaître et de garantir les droits définis dans les articles 8 et 25, en liaison avec les articles 1.1 et 2 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, à laquelle le Chili est Etat partie.

          108.   L'Etat du Chili n'a pas donné suite aux normes de l'article 2 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, du fait qu'il n'a pas adapté sa législation en matière d'amnistie en fonction des dispositions de ladite Convention.  Néanmoins, la Commission apprécie de façon positive les initiatives du gouvernement tendant à ce que les organes compétents adoptent, en vertu de leurs procédures constitutionnelles et légales en vigueur, les mesures législatives ou autres qui sont indispensables pour rendre effectifs les droits desdites personnes à obtenir justice.

X.      RECOMMANDATIONS

          109.   En raison de ce qui vient d'être exposé, la Commission interaméricaine des droits de l'homme, conformément à l'analyse des faits et des normes internationales invoquées,

DECIDE:

          110.   De recommander à l'Etat du Chili d'aligner sa législation interne sur les dispositions de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, de telle façon que les violations des droits de l'homme commises par le gouvernement militaire "de facto" puissent faire l'objet d'enquêtes, afin qu'on désigne les coupables, qu'on établisse leurs responsabilités et qu'on leur applique effectivement des peines, en garantissant ainsi aux victimes et à leurs familles le droit à la justice qui est le leur.

          111.   De recommander à l'Etat du Chili qu'il donne aux familles des victimes dont il est question dans la présente affaire la possibilité de recevoir en toute justice un dédommagement effectif pour les dommages qu'elles ont subis.

          112.   De publier le présent rapport dans le Rapport annuel à l'Assemblée générale de l'OEA en vertu des articles 48 du Règlement de la Commission et 51.3 de la Convention, puisque le gouvernement du Chili n'a pas adopté de mesures pour trouver, dans les délais prévus, une solution à la situation dénoncée.


                        VOTE AFFIRMATIF DU DR. OSCAR LUJÁN FAPPIANO

                                         MEMBRE DE LA COMMISSION

          Je suis entièrement d'accord avec le rapport de la Commission.  Je souhaite seulement offrir les adjonctions suivantes aux "considérations préliminaires" que contient le rapport dans son chapitre VII, alinéa "A".

EN GUISE D'INTRODUCTION

          1.       Il convient d'indiquer que ce qu'a fait la Commission, dans l'analyse de la question dont elle était saisie, a consisté à déterminer le sens des normes de la Convention américaine en fonction des méthodes d'interprétation fournies par la science juridique et que, dans ce travail, n'interviennent ni des notions idéologiques qu'elle ne professe pas ni des éléments affectifs d'acceptation ou de répudiation d'un gouvernement, d'une personne ou d'un groupe de personnes qui ne sont pas les siens.

AUTORITES QUI ONT PROMULGUE L'AMNISTIE — QUALITE

          2.       Ceci dit, il convient d'établir, ab initio, que le "loi" d'amnistie représente un acte de pouvoir émanant des autorités mises en place par le coup d'Etat militaire qui a renversé le gouvernement constitutionnel du Dr. Salvador Allende et qui, par conséquent, n'ont aucun titre ou droit, puisqu'elles n'ont pas été élues ou désignées d'une manière quelconque mais ont pris le pouvoir par la force après avoir déposé le gouvernement légal, en violation de la constitution.  C'est pourquoi, selon la stricte orthodoxie judiciaire, il s'agit d'un "gouvernement usurpateur".

          3.       En effet, bien que communément désignés sous l'appellation générique de gouvernements "de facto", il y deux sortes de gouvernements qui ne sont pas légaux: les gouvernements de fait et les usurpateurs.  La première catégorie est celle des gouvernements qui, bien qu'ils n'aient pas été désignés en fonction des règles de la constitution et des lois en vigueur, agissent "sous couleur de titre", parce que leur autorité découle, en apparence, d'une désignation ou d'une élection régulière.  Par contre, la deuxième n'a aucun titre, car ces gouvernements n'ont pas été élus ou désignés de la moindre manière, mais ont pris le pouvoir par la force.1/

          4.       Un gouvernement de fait n'est pas un gouvernement de droit parce qu'il se situe en dehors du droit ou contre le droit, parce qu'il n'a pas de titre juridique et parce que, si un Etat s'est donné une constitution, tout ce qui n'en découle pas est illégal.  Le renversement du gouvernement qui l'institue ne répond ni à la lettre ni à l'esprit constitutionnel.  L'installation d'un gouvernement de fait est plus le produit de la force que celui du consentement,  ce qui ne scandalise nullement ceux qui pensent que la force est la source de tout droit et que "l'état de droit" et la "primauté du droit" sont de simples "schémas" que démolit le "réalisme" des dictatures qui ont ravagé notre continent.2/

          5.       Mais il faut répondre à ceux qui affirment une telle chose en citant Buntschli: " Tout comme ils ne reconnaissent d'autres droits que ceux du triomphe momentané, il n'admettent pas non plus d'autre erreur que celle de la déroute.  Toute rébellion mérite à leurs yeux un châtiment si ses intentions sont déjouées, mais elle devient vraiment légale quand elle aboutit à la victoire.  Toute usurpation est condamnée par eux si elle meurt dès le début, tout comme ils la reconnaissent si elle se solde par de bons résultats. La mouvance est aussi à leurs yeux la seule norme, même à propos du droit. Ils se laissent emporter par le courant et changent de couleur et de sentiment en fonction de toute commotion qu'ils ressentent.  Ils veulent faire croire qu'ils défendent l'état de choses existant mais, en réalité, ils le détruisent.  Ils se vantent de toujours suivre l'évolution vivante des choses et, pourtant, ils rendent hommage uniquement à ce qu'ils ont sous leurs yeux.  Ils n'apprécient aucun élément éthique et intellectuel du droit".3/

GOUVERNEMENT ILLEGAUX. INVALIDITE DE LEURS ACTES

          6.       Les actes de l'usurpateur n'ont aucune valeur juridique, quelle que soit leur nature.  On ne peut pas non plus parler de "légalité objective", étant donné que l'observation des formes et de la "légalité de fond" sont insuffisantes en l'absence de la qualité légale du fonctionnaire, puisqu'on a toujours besoin que l'organe ait une origine constitutionnelle.  On ne peut pas non plus parler de lois ou de "décrets-lois" ni, encore moins, d'en faire des actes de "législation déléguée", parce que le Congrès n'a rien délégué et ne peut rien déléguer sous des régimes de facto. 4/

          7.       Même dans le but louable de préserver la sécurité juridique, on ne peut pas mettre sur le même pied d'égalité la légalité constitutionnelle d'un gouvernement de jure et l'illégalité autoritaire et inconstitutionnelle d'un gouvernement usurpateur, dont la possibilité d'exister est, par antonomase, la mère de l'insécurité juridique; en effet, le résultat de sa consécration est de donner un aval non souhaité à l'appui complice de ces gouvernements, qui méritent la répudiation permanente en défense de l'état de droit, de l'ordre constitutionnel, du respect de la vie démocratique et du principe de la souveraineté du peuple fondée sur la pleine vigueur des droits de l'homme.  En effet, si ceux qui collaborent avec ces gouvernements sont assurés de l'impunité pour leur conduite, impunité obtenue à l'ombre du régime usurpateur et illégitime, il n'y aura alors pas de différence entre le bien et le mal, entre ce qui est légal et ce qui ne l'est pas, entre le constitutionnel et l'inconstitutionnel, le juste et l'injuste, le démocratique et l'autoritaire, et il n'y aurait aucune raison de se refuser d'accepter la complicité avec de tels régimes illégitimes.  Quelle sécurité juridique pourrait exister si c'est au pris de mettre sur le même pied d'égalité axiologique l'ordre "de jure" — qui doit consacrer la sécurité sur la base essentielle du droit constitutionnel — et l'ordre de facto ou l'ordre de l'usurpateur, qui l'a interrompue et l'a violée?

          8.       On ne peut pas accorder un brevet de légitimité à ce qui est le fruit bâtard de la rupture de la légitimité.

          9.       On ne peut pas estomper la limite qui sépare fermement un ordre constitutionnel de ceux qui n'acceptent pas de vivre sous son système de libertés, de droits et de garanties, conquis au prix de tant de luttes et de souffrances des hommes et des femmes de notre Continent, qui ont voulu vivre sous un régime de tolérance pacifique et de respect mutuel de notre dignité humaine.

          10.     Il s'ensuit que l'élément principal à souligner est l'inviolabilité du régime juridique conçu comme état de droit.  En présence des actes et des soi-disant lois d'un gouvernement imposé uniquement par la force, la première chose à reconnaître, sans hésitation, est son invalidité manifeste, sa nullité absolue.  On ne peut avancer à son propos aucun indice de légitimité, fût-il minime, puisqu'il est le résultat inacceptable de la rébellion contre la loi fondamentale, pilier de la sécurité juridique.

          11.     A plus forte raison dans la présente affaire, où les bénéficiaires de l'amnistie ne sont pas des tiers étrangers, mais des participants aux plans de l'usurpateur.  En effet, c'est une chose que de soutenir la nécessité de légitimiser les actes de la société dans son ensemble ou ceux qui relèvent d'une responsabilité internationale, puisqu'on ne peut esquiver les obligations assumées dans ces domaines sans tomber dans le chaos, et c'est une autre chose tout-à-fait différente que d'accorder un traitement égal à ceux qui ont été les complices du gouvernement illégitime.  Il est fondamentalement absurde de prétendre que l'usurpateur et ses acolytes puissent invoquer les principes du droit constitutionnel, qu'ils ont été les premiers à violer, afin d'obtenir les bénéfices de la sécurité qui n'est justifiable et méritée que pour ceux qui s'ajustent rigoureusement à cet ordre.  La complicité et la mauvaise foi ne peuvent même pas trouver une protection dans les actes réguliers.  Le délit ne peut pas créer des droits.

          12.     Il s'agit de postuler l'interprétation correcte de la Constitution, qui part de la nécessité d'invalider tout qui la compromet ou la contredit.  Il s'agit de faire peser la loi de tout son poids quand celle-ci a recouvré toute sa plénitude.  Il s'agit, en bref, d'imposer un régime démocratique quand il a retrouvé sa vigueur, qu'il n'aurait jamais dû perdre et dont la Commission doit promouvoir et défendre la permanence parce que la solidarité des Etats américains repose sur le dénominateur commun de "l'exercice effectif de la démocratie représentative" (Charte de l'OEA, article 3) et parce que "aucun problème que connaissent les Etats membres ne justifie la rupture du régime démocratique représentatif". (Déclaration de Managua, AG/OEA, Nicaragua, 1993).

          13.     Aux affirmations offertes dans la présente instance, selon lesquelles il est impossible d'abroger l'auto-amnistie qui a été promulguée, il faut répondre que l'ordre constitutionnel retrouvé doit obligatoirement assurer au gouvernement l'exécution de ses fins fondamentales, en le détachant des limitations inconcevables que lui impose l'usurpateur.  S'il n'en était pas ainsi, tout serait renversé.  Cela concorde, par exemple, avec la doctrine pacifique de la Cour suprême des Etats-Unis d'Amérique qui a été avancée dans l'affaire "Horn v. Lockhardt", en 1873,: "Nous admettons que les actes effectués durant la guerre par ces Etats (confédérés) en tant qu'entités individuelles et par les différents départements de leur gouvernement: exécutif, législatif et judiciaire, doivent être considérés, en général, comme valides et obligatoires, quand ils n'affectent pas ou ne visent pas à affecter la suprématie de l'autorité nationale et des justes droits garantis par la Constitution  aux citoyens".  Dans le même ordre d'idée, la Cour suprême argentine a affirmé que, refuser les directives de la Constitution pour annuler ses effets signifierait donc "qu'on la limite dans ses buts de consolidation du système démocratique et, en outre, qu'on donne — aux actes du pouvoir de fait -la plénitude des attributs qu'on ne peut raisonnablement donner, en soi, qu'aux actes légitimes du pouvoir "de jure".5/

          14.     Même les partisans les plus farouches de la continuité juridique de l'Etat n'admettent la validité des actes du gouvernement de fait qu'à propos de tiers, mais font une différence éclatante entre le fonctionnaire à "investiture plausible" ou à "couleur de titre", et "l'usurpateur".  Comme le dit Antokoletz, "le modèle anglo-américain ne déclare valides les actes des fonctionnaires "de facto" que s'ils affectent le public; en d'autres termes, s'ils sont au bénéfice du public.  Il ne les déclare pas légitimes en soi, ni au bénéfice du fonctionnaire illégal.  La responsabilité de ce dernier lorsqu'il s'acquitte indûment de fonctions publiques ne disparaît pas".6/

LE DROIT CONSTITUTIONNEL AMERICAIN

          15.       Le droit constitutionnel des Etats de la région concorde avec cette doctrine.  Selon Antokoletz, ceux qui estiment illégitime le pouvoir qui n'émane pas de la constitution déclarent nuls tous ses actes.  Les constitutions du Honduras, du Nicaragua, du Costa Rica, du Pérou, du El Salvador, du Venezuela et du Chili établissent cette nullité de façon expresse.7/

          16.     Un examen des constitutions des Etats membres de l'Organisation confirme cette affirmation. La thèse de la nullité des actes de l'usurpateur est consacrée par les constitutions suivantes: Bolivie (1967), article 3; Costa Rica (1949), article 10 (auparavant, article 17); Chili (1980), articles 5 et 7; République dominicaine (1966), article 99; Guatemala (1985), article 152; Honduras (1982), articles 2 et 3; Paraguay (1992), article 138; Pérou (1993), articles 45 et 48; Venezuela (1961), articles 119 et 120.  A la suite des réformes apportées à son texte en 1994, la constitution argentine a repris une disposition analogue qui rend explicite ce qu'elle nommait precédemment "la clause non écrite", à la suite logique des dispositions de ses articles 22 et 23.  En effet, son article 36 actuel, premier paragraphe, stipule: "La présente Constitution restera en vigueur même quand on interrompt son application par des actes de force contre l'ordre constitutionnel et contre le système démocratique.  Ces actes seront incurablement nuls".  Des dispositions postérieures en font peser la responsabilité sur leurs auteurs, qu'elles qualifient de traîtres infâmes à la patrie.

          17.     C'est en se fondant sur ce précepte de la Constitution précédente que le Congrès argentin a pu valablement annuler la soi-disant "auto-amnistie" promulguée par le régime militaire (loi 23040) et aussi adopter la loi 23062 qui stipule: "Pour défendre l'ordre constitutionnel républicain fondé sur le principe de la souveraineté populaire, sont sans validité juridique les normes et les actes administratifs émanant des autorités de facto mises en place par un acte de rébellion....quand bien même ils se fonderaient sur de prétendus pouvoirs révolutionnaires..."

          18.     La constitution du Chili de 1933 déclare, dans son article 158: "Toute décision que prend le Président de la République, le Sénat ou la Chambre des députés, en présence ou sur demande d'une armée, d'un général à la tête d'une force armée, ou de toute réunion du peuple, avec ou sans armes, en désobéissance aux autorités, est nulle en droit et ne peut avoir aucun effet".8/  A son tour, la constitution du 18 novembre 1925 déclare aussi: "Aucune magistrature, aucune personne ou réunion de personnes ne peuvent attribuer, même sous prétexte de circonstances extraordinaires, d'autre autorité ou d'autres droits que ceux que confèrent les lois. Tout acte en contravention à cet article est nul".  Et même la "constitution" politique promulguée par le décret-loi No. 3464 du 11 août 1980 reprend quasiment à la lettre l'article de son prédécesseur (article 7).

          19.     Par conséquent, en droit constitutionnel américain, la notion de peuple est une: en effet, le gouvernement de facto répugne à la Constitution et, partant, la déposition des autorités constitutionnelles ne crée pas de droits en faveur du chef séditieux et rebelle.  A plus forte raison, on ne pourra invoquer la présomption de légitimité puisqu'il ne s'agit pas d'un seul fonctionnaire de facto mais de tout un régime extra ou anticonstitutionnel, parce que l'ensemble d'un régime de facto n'est ni démocratique ni républicain.

          20.     Il y a de nombreux siècles, les romains ont inscrit sur une arche: "Senatus populusque romanus", pour exprimer un ensemble harmonieux de gouvernants et de gouvernés.

          21.     Dans le cadre des idées avancées par la Commission dans son rapport No. 30/93, il convient d'affirmer aussi dans la présente affaire que la nullité des actes de l'usurpateur est une clause constitutionnelle coutumière solidement ancrée dans la tradition du continent.9/

          22.     Il convient aussi de collationner la jurisprudence de quelques tribunaux de la région.  La Cour suprême argentine n'a pas hésité à déclarer l'illégalité du droit créé anormalement par les gouvernements de facto et à ne pas lui octroyer la totalité des attributs qu'on peut raisonnablement attribuer, en soi, aux actes légitimes du pouvoir de jure.  Elle a statué en effet que "On ne peut mettre en doute l'illégitimité d'un acte réalisé à l'ombre d'un pouvoir législatif de facto qui n'est pas celui qu'institue notre Charte fondamentale".10/

          23.     Mais, surtout, il faut souligner la sentence extrêmement importante du Tribunal constitutionnel du Guatemala, à propos des interventions de l'ex-Président Serrano.11/

LE DEBAT PARLEMENTAIRE EN TANT QUE GARANTIE

          24.     En outre, le droit constitutionnel met en place une procédure inéluctable pour la formation et la sanction des lois, ce qui représente en fait une garantie; en effet, sont déclarés d'une nullité absolue et incurable les actes du pouvoir, dénommés à tort "lois", d'un gouvernement de facto qui s'élaborent dans le silence d'une officine, parfois de la main même de leurs destinataires ou de leurs bénéficiaires, comme aux meilleurs temps des monarchies absolues.

          25.     Dans ces actes de pouvoir, il n'y pas de discussions publiques, qui sont toujours louables.  Ces discussions constituent non seulement un hommage à la démocratie mais aussi la réalisation de préceptes constitutionnels portant sur la formation et la sanction des lois, et sont d'authentiques garanties des droits et libertés fondamentaux, ce qui est maintenant réaffirmé en vertu des dispositions de l'article 23.1 de la Convention.

          26.     L'omission du débat public entraîne  par ailleurs de graves conséquences pour le peuple car il l'accoutume à ne pas avoir confiance dans le droit et affaiblit le sentiment de légalité, cette "fibre légale" dont parle le philosophe Vanni.12/

LES DROITS FONDAMENTAUX ET L'ETAT

          27.     Les droits et libertés fondamentaux ne cessent pas d'exister sous un gouvernement de facto, parce qu'ils précèdent l'Etat et la Constitution, qui se bornent à les reconnaître et à les garantir, mais ne les créent pas.  En effet, on a tort d'affirmer qu'un régime de facto n'a pas de limites dans son pouvoir anormal et anti-constitutionnel; en d'autres termes, il ne peut agir "de legibus solutus" ou, selon la formule "quod principi placuit, legis habet vigorem". D'où il ressort qu'une amnistie promulguée par un gouvernement accusé de graves et systématiques violation des droits de l'homme, qui revient à se disculper lui-même, fait appel à cette pratique et, partant, représente un abus de pouvoir.

          28.     Comme l'a dit Tomuschat: "Quand le pouvoir perpétue le génocide, on voit disparaître les apparences mêmes de la légitimité.  Dire que, dans certains cas, il faut obéir à des lois viciées et à leurs implacables exécutants, équivaudrait à faire de l'Etat un fétiche divin que ne souilleraient même pas les actes les plus atroces et les plus odieux".13/


LE DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE L'HOMME

          29.     C'est ce que confirment les dispositions de l'article 3 de la Charte de l'OEA, les articles XX et XXVIII de la Déclaration américaine, le préambule de la Convention et ses articles 23.1.a et b — auxquels, selon ses articles 27.2, 29 et 30, on ne peut déroger.

          30.     Pour que les droits de l'homme deviennent une réalité légale, la première condition est l'existence d'un état de droit, qui englobe en fait deux autres paramètres: a) pour que l'Etat soit libre, les personnes qui en font partie doivent avoir la capacité de décider librement de leur destin (principe d'auto-détermination) et b) le peuple doit définir librement, au moyen de lois générales et non pas personnelles, le système légal qui institue les droits de l'homme (primauté du droit).14/

LA COUR INTERAMERICAINE DES DROITS DE L'HOMME

          31.     Le tissu qui est ainsi constitué s'appuie sur les décisions de la Cour interaméricaine des droits de l'homme qui définissent comme "lois" "la norme juridique de caractère général, rattachée au bien commun, émanant des organes législatifs démocratiquement élus que prévoit la constitution et élaborée en fonction de la procédure définie par les constitutions des Etats parties pour la formation des lois". (OC-6, paragraphe 38); définition à laquelle on est parvenue sur la base de l'analyse des principes de légalité et de légitimité et du régime démocratique dans lequel se situe le système interaméricain des droits de l'homme (OC/6, paragraphes 23 et 32), comme l'explique le rapport OC/13, paragraphe 25.  Pour la Cour, "le principe de légalité, les institutions démocratiques et l'état de droit sont inséparables" (OC/8, paragraphe 24).  L'adhésion décidée au régime démocratique a été décrite comme suit par la Cour:  "La démocratie représentative est déterminante dans tout le système dont fait partie la Convention" (OC/13, paragraphe 34), ce qui complète ses critères concernant "les justes exigences de la démocratie" qui doivent orienter l'interprétation de la Convention, notamment des préceptes qui ont un rapport critique avec la préservation et le fonctionnement des institutions démocratiques". (OC/5, paragraphes 44, 67 et 69).  On ne doit pas oublier non plus sa doctrine qui souligne l'importance de la législature élue pour la protection des droits fondamentaux (OC/8, paragraphes 22 et 23) et celle qui concerne le contrôle de la légitimité des actes du Pouvoir exécutif par le Pouvoir judiciaire (OC/8, paragraphes 29 et 30, et OC/9, paragraphe 20).

LA COMMISSION INTERAMERICAINE

          32.     De même, la Commission a donné des indications précises au sujet de la question durant toutes ses interventions, à savoir: a) quand elle tient pour acquis que le cadre démocratique est un élément nécessaire pour l'établissement d'une société politique où les valeurs humaines prennent tout leur sens ("Dix ans...", page 331); b) quand elle mentionne le pouvoir prédominant que s'attribuent les organes non représentatifs de la volonté populaire (id. p.270. Rapport sur Panama, 1978, p-114, paragraphe 3.  Rapport annuel 1978/80, p. 123/24, dans l'analyse d'un projet de constitution politique en Uruguay); c) quand elle expose son critère concernant la participation populaire, même à l'élaboration de textes constitutionnels (Rapport sur Suriname, 1983, p. 43, paragraphe 41); d) quand elle met en doute la validité du plébiscite au Chili puisqu'il avait eu lieu durant la suspension des libertés publiques (Rapport 1978/80, p. 115; et e) dans son rapport 30/93 sur l'affaire Ríos Montt c./ Guatemala.

LE SYSTEME UNIVERSEL

          33.     En ce qui concerne le système universel, il convient de rappeler: a) la Charte des Nations Unies et son préambule (Nous, les peuples...), qui évoque le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" et le "développement et encouragement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales de tous..."; b) la Déclaration universelle, dans son article 29; c) Le Pacte international des droits civils et politiques et d) la décision du Comité des droits de l'homme dans l'affaire "Ngaluba contre Zaïre", paragraphes 8.2 et 10, au sujet du déni du droit à participer, dans des conditions d'égalité, à la direction des affaires politiques en raison de sanctions appliquées à huit parlementaires.15/

GOUVERNEMENT USURPATEUR ET DEMOCRATIE

          34.     On peut conclure de ce qui précède que démocratie et droits sont les termes inséparables d'une seule et même équation qui a été établie dans le postulat philosophique de l'organisation politico-institutionnelle des Etats d'Amérique et que, par conséquent, tout ce que fait un gouvernement usurpateur ou de facto est, en soi, incompatible avec la lettre et l'esprit de la Convention américaine.

LE CHILI ET LES TRAITES INTERNATIONAUX

          35.     On a examiné les constitutions chiliennes à propos de la solution qu'elles apportent à la question des "gouvernements" usurpateurs.  On a vu que même la "Constitution" promulguée par le _égime militaire déclare nuls les actes de l'usurpateur.  Voyons maintenant cet autre aspect qu'évoque l'intitulé du présent paragraphe.

          36.     L'article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités a été mis en exergue par le Chili à l'occasion de cette conférence.  Son représentant, M. Barros, a déclaré en effet:  " Rien ne s'oppose à ce qu'un Etat puisse invoquer sa constitution pour refuser de signer un traité mais, quand un Etat assume une obligation par le truchement d'un traité, il n'est pas justifiable qu'il essaye par la suite de ne pas la respecter en invoquant sa constitution, ou encore moins sa législation nationale ordinaire".17/

          37.     Pour sa part, le régime établi par fait militaire qui a renversé le Président Allende a affirmé devant le Comité des droits de l'homme que le Pacte des droits civils et politiques était en vigueur au Chili depuis 1976.17/

          38.     De même, conformément à la révision de l'article 5.2 de la Constitution politique du Chili, les tribunaux doivent concilier la norme internationale et la norme nationale.18/

EN GUISE DE CONCLUSION

          39.     Le Commission ne peut que se ranger aux efforts déployés par le constituant américain et à ceux qui se situent aussi bien sur le plan régional que sur le plan universel, pour jeter un anathème éternel sur la faillite de l'ordre constitutionnel et du régime démocratique, en affirmant que, sur le continent, on n'accède aux charges publiques qu'au moyen du suffrage direct ou indirect et non par des coups d'Etat; que les constitutions ne sont pas, comme d'aucuns le prétendent, un système de normes tellement faible et défectueux qu'elles tombent à la première émeute.  La Commission affirme l'intégrité du principe de la légalité, des institutions démocratiques, de l'état de droit et de la souveraineté du peuple fondée sur la pleine application des droits de l'homme, qui est sa raison d'être.

          40.     Le coup d'oeil jeté sur l'histoire politique de nos peuples rappelle la phrase sentencieuse de Ramella:  "C'est là un tableau sombre.  L'anéantissement des institutions par les gouvernements de facto a brisé l'ordre constitutionnel, en créant un climat de manque de respect à l'égard des autorités légitimes et en amenant la jeunesse à être sceptique à l'égard de la vie politique".19/

          41.     Il existe chez le public un certain scepticisme à propos du droit et de l'idée constitutionnelle.

          42.     Pour paraphraser Bielsa, on peut dire que, à une époque comme la notre, durant laquelle l'histoire évolue si rapidement et de façon inattendue, il faut mettre à profit l'expérience peu brillante des peuples d'Amérique.  L'Amérique a quelque chose de meilleur que ce qu'elle est en train de vivre.  Ils sont nombreux — c'est l'immense majorité — ceux qui sont restés fidèles à la Constitution, aux lois et à l'honneur civil, et qui désirent ardemment la consolidation du régime démocratique.  Il y a des citoyens dont la conduite est essentiellement définie qui réprouvent non seulement les transgresseurs, mais aussi les formes dégénérées de gouvernement ou de désordre, qui ne veulent pas avoir le luxe du commandement, qui ne pensent pas que la fonction publique consiste à occuper des positions en dehors des normes.20/

          43.     C'est à l'égard de ces citoyens, de ces jeunes générations d'américains auxquels fait allusion Remelle, que s'engage la Commission et elle ne pourra honorer complètement cet engagement qu'en donnant un exemple d'affirmation démocratique qui fasse fléchir leur incrédulité et contribuent à leur faire croire, avec une foi nouvelle, à la primauté du droit et à l'état de droit.

          44.     C'est pourquoi on doit élucider cette question en jetant ses regards sur le plan supérieur des principes, parce que le juriste, l'homme de loi, ne peut cesser d'accepter une doctrine à cause des déviations qu'elle peut présenter.  Dans leur XXIe Conférence interaméricaine, les avocats d'Amérique ont lancé un vibrant appel: "... En présence des nombreuses déformations dont souffrent ces principes à la suite de l'instauration de diverses formes autocratiques de gouvernement... il est impératif de proclamer clairement et en termes catégoriques la préférence des avocats d'Amérique pour la survie d'une forme de gouvernement qui réponde aux objectifs d'une démocratie constitutionnelle et pluraliste..."21/

          45.     Plus tard, durant la XXIIe Conférence, ils ont déclaré: "....En faisant de la démocratie représentative le système qui respecte le mieux les droits des peuples, il s'ensuit que, en présence de tout changement de régime de gouvernement, ou de la mise en place de gouvernements irréguliers aux termes de la constitution pré-existante, il est impératif de maintenir intact le principe de la titularité populaire de la souveraineté, tout comme le principe selon lequel le pouvoir public doit être exercé.... en respectant les valeurs inhérentes à la dignité humaine".22/

          46.     S'il est vrai que les faits sociaux ne peuvent pas toujours être évités, quand ils se produisent de façon irrémédiable, la seule solution honnête consiste à ne pas sortir du terrain solide de la primauté du droit, seul style de vie possible dans une société démocratique.

          47.     Comme le dit Jorge R. Vanossi, ancien membre du Comité juridique interaméricain: "dans cette longue trajectoire, le prix à payer a été très élevé: sous-estimation de la légalité, acceptation d'un ordre autocratique plus ou moins fréquent ou permanent, confusion entre l'anormal et le transitoire et le normal et le permanent, faillite — en un mot — d'une certaine rigidité constitutionnelle.  L'égalité quasi insensible entre le produit législatif "de jure" et le produit législatif "de facto" conduit inexorablement à l'identification de tout "gouvernement" en fonction du simple fait de l'existence (factice ou obtenue par la force) de ses normes, au préjudice des procédures et des organes, dont la régularité devient sans effet pour la conscience juridique majoritaire.  Nous devons "chanter la palinodie" en la matière.... mais tous les hommes de loi s'emploient à examiner avec soin leurs attitudes d'obéissance résignée aux doctrines en cours et à offrir l'option analytique et réflexive d'une nouvelle formulation qui évite l'augmentation irrésistible d'une manifestation de plus — peut-être des plus désespérantes — de ce phénomène que Ripert appelle "le déclin du droit".23/

          48.     Et cette option que réclame dramatiquement Vanossi pour sortir du "monologue et du mausolée" où conduit indéfectiblement toute dictature — selon la merveilleuse expression d'Octavio Paz — a été offerte par un homme éclairé de ce pays: "Nous décidons donc, de façon solennelle, que ces morts se sont pas morts en vain; que cette nation, sous la protection de Dieu, naîtra de nouveau à la liberté et que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ne disparaîtra pas de la face de la terre".24/

NOTES

1.       Constantineau: "Tratado de la doctrina de facto", Ed. Depalma. Bs. As. 1945. Tome I, pp. 31 et seq.. Antokoletz: "Tratado de derecho constitucional y administrativo", Bs. As., 1933. Tome I, p. 60.

2.       Voir: Biels: "Régimen de facto y ley de acefalía". Ed. Depalma. Bs. As. 1963. pp. 26/30

3.       Antokoletz: op. et loc. cités.

4.       V. Bielsa: "Régimen.... cité, pp. 17, 23, 24.n. 5, 35 et seq. et Id.: "Estudios de derecho público", Ed. Depalma, Bs. As. 1952. Tome III, pp. 431/78.

5.       "Gamberale de Manzur c/U.N.R.", sentence du 6 avril 1989.

6.       Antokoletz, op. cit. pp. 72/73.

7.       Antokoletz, op. et loc. cités dans la note précédente.

8.       Précédent dont J.B. Alberdi s'est servi pour rédiger son avant-projet de constitution de la Province de Mendoza (Argentine).

9.       Affaire 10.804. "Ríos Montt c/ Guatemala". CIDH, Rapport annuel 1993, p. 296, paragraphe 29.

10.     "Gamberale de Manzur c/U.N.R.", sentence du 6 avril 1989.  Noter que la décision est antérieure à la réforme constitutionnelle de 1994.

11.     Voir "La Corte y el Sistema Interamericano de Derechos Humanos", Rafael Nieto Navia Editeur, San José, Costa Rica, 1994, pp. 199 et seq.

12.     Bielsa:  "Régimen...:" cité, pp. 36, 38, 41, 42, 46 et 68.

13.     Tomuschat: "Sobre la resistencia a las violaciones a los derechos humanos", UNESCO, 1984. p. 26.

14.     Vasak: "Los derechos humanos como realidad legal". Dans: "Las dimensiones internacionales de los derechos humanos".  UNESCO, Barcelone, 1984. Tome I. p. 27

15.     Pour un développement plus récent, détaillé et analytique de la question, voir Cançado Trindade:  "Democracia y Derechos Humanos:" dans l'ouvrage collectif:  "La Corte y el Sistema Interamericano de Derechos Humanos, op. cit.

16.     Voir Díaz Albónico:  "La Convención de Viena..:" dans "Estudios...". 1982. Sociedad Chilena de Derecho Internacional. pp. 147/74.

17.     Voir Comité, 4e session. Examen des rapports présentés par les Etats parties... Premiers rapports... Chili.  CCPR/C/1 add. 25., 48 pp. 27 avril 1976.

18.     Voir Detzner:  "Tribunales chilenos y derecho internacional de derechos humanos".  Commission chilienne des droits de l'homme/Académie de l'humanisme chrétien. Santiago. 1988. Chapitre IV. p. 182.

19.     Ramella:  "Derecho Constitucional". Depalma. Bs. As. 1986, 2e éd. p. 700.

20.     Bielsa:  "Régimen..." op. cit. pp. 66/67.

21.     San Juan, Porto Ricao. 1979.

22.     Quito, Equateur, 1981.

23.     Vanossi:  "El estado de derecho en el constitucionalismo social". EUDEBA. Bs. As. 1987. pp. 468/69.

24.     Lincoln:  Discours de Gettysburg.



  *        Le doyen Claudio Grossman, de nationalité chilienne, membre de la Commission, n'a participé ni aux débats ni au vote en l'instance, conformément à l'article 19 du Règlement de la Commission.

  [1].       Constitution politique de la République du Chili, sanctionnée par le décret-loi No. 3.464 du 11 août 1980.

  [2].       Le Président Aylwin a déclaré que: "La justice exige aussi qu'on sache où se trouvent les disparus et qu'on établisse les responsabilités individuelles.  Quant au premier point, la vérité établie dans le rapport (de la Commission de la vérité et de réconciliation) est incomplète car, dans la majorité des cas de détenus-disparus et exécutés dont on n'a pas remis les restes à leur famille, la Commission n'a eu aucun moyen de les localiser".

  [3].       Cour interaméricaine des droits de l'homme, OC-13 du 16 juillet 1993, où il est dit: " La Commission est compétente, selon les attributions que lui confèrent les articles 41 et 42 de la Convention, pour dire que toute norme du droit interne d'un Etat partie viole les obligations que celui-ci a assumé en la ratifiant". Disposition I.

  [4].       Cour interaméricaine des droits de l'homme, Responsabilité internationale pour l'adoption et l'application de lois qui violent la Convention (articles 1 et 2 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme), Avis consultatif OC-14 du 9 décembre 1994, paragraphe 39.

  [5].       Commission interaméricaine des droits de l'homme, rapport annuel 1992-1993, rapport 29/92, paragraphe 32.

  [6].       Inter-American Yearbook on Human Rights, 1985, Martinus Nijhoff Pub. 1987, page 1063.

  [7].       Aussi bien la Convention américaine pour empêcher et punir la torture que la Convention interaméricaine sur la disparition forcée de personnes établissent une juridiction universelle pour les délits en question (article 1 et articles V et VI, respectivement).  La Convention interaméricaine sur la disparition forcée de personnes stipule aussi, dans son Article VII, la non application des prescriptions ou, si cela est impossible, l'application de limites à propos des délits les plus graves.

  [8].       Res. AG/RES. 666 (XII-O/83).

  [9].       Affaire Velásquez Rodríguez, Sentence du 29 juillet 1988, Série C, No. 4, paragraphe 153.

  [10].     Convention interaméricaine sur la disparition forcée de personnes, résolution adoptée durant la septième séance plénière, le 9 juin 1994, OEA/Ser. P — AG/doc.3114/94 rev. 1.

  [11].     Voir AG/RES. 443 (IX-O/79), 742 (XIV-O/84); 950 (XVIII-O/88), 1022 (XIX-O/89), 1044 (XX-O/90) et CIDH, rapports annuels 1978; 1980/91; 1981-82; 1985/86: 1988/87 et notamment ceux concernant l'Argentine (1980), le Chili (1985), et le Guatemala (1959), tous approuvés par l'Assemblée générale.

  [12].     Voir Rapport annuel de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, 1985-1986, page 204.

  [13].     Commission interaméricaine des droits de l'homme, Rapports 28/92 (Argentine) et 29/92 (Uruguay).

  [14].     Cour interaméricaine des droits de l'homme. Affaire Velásquez Rodríguez, Exceptions préliminaires; Sentence du 26 juin 1987, paragraphe 91.

  [15].     Code de procédure pénale du Chili, Titre II, "De la acción penal y de la Acción civil en el Proceso Penal", article 10/41.

  [16].     Cour interaméricaine des droits de l'homme. Affaire Velásquez Rodríguez, Sentence du 29 juillet 1988, paragraphe 79.

  [17].     Cour suprême du Chili.  Décision sur le recours en inapplicabilité du décret-loi 2191, 24 août 1990, paragraphe 15. Même Cour, décision sur le recours en interprétation du 28 septembre 1990, paragraphe 4.

  [18].     Cour interaméricaine des droits de l'homme. Affaire Velásquez Rodríguez, Exceptions préliminaires, paragraphe 91.

  [19].     Cour interaméricaine des droits de l'homme. Affaire Velásquez Rodríguez, Sentence du 29 juillet 1988, paragraphe 64.

  [20].     Cour interaméricaine des droits de l'homme. OC-9/87, paragraphe 24.

  [21].     Cour interaméricaine des droits de l'homme.  Affaire Velásquez Rodríguez, Sentence du 29 juillet 1988, paragraphe 166.

  [22].     Idem, paragraphe 173.

  [23].     Idem, paragraphe 174.

  [24].   Idem, paragraphe 176.

  [25].   Idem, paragraphe 177.

  [26].     Rapport Rettig. Février 1991. Tome 2, page 868.

  [27].     Cour interaméricaine des droits de l'homme, Affaire Velásquez Rodríguez, Sentence du 29 juillet 1988, paragraphe 174.

  [28].     Gouvernement du Chili. Note du 20 mai 1994, page 5, paragraphe 17.

  [29].     Voir également, Commission interaméricaine des droits de l'homme.  Rapports 28/92 et 29/92.

  [30].     Brownlie: "Principles of Public International Law". Clarendon Press, Oxford, 1990,. 4e édition. pages 446/52.  Benadava: "Derecho Internacional Publico". Ed. Juridica de Chile, 1976, page 151.

  [31].     Cour interaméricaine des droits de l'homme. Affaire Velá_quez Rodríguez, Sentence du 29 juillet 1988, paragraphe 170.

  [32].     Idem, paragraphe 184.

  [33].     Voir:  Comité, 4e session. Examens des rapports présentés par les Etats parties.... Premiers rapports... Chili. CCPR/C/1 add. 25, page 48, 27 avril 1976.

  [34].     Voir:  Detzner — "Tribunales chilenos y Derecho Internacional de los Derechos Humanos". Commission chilienne des droits de l'homme/Académie d'humanisme chrétien. Santiago, 1988. Chapitre IV, page 182.