RAPPORT No 38/96

                                                AFFAIRE 10.506

                                                  ARGENTINE[1]/

                                                15 octobre 1996

 

 

         1.      Le 29 décembre 1989, la Commission a reçu une plainte contre le gouvernement de l'Argentine à propos du cas de Mme X. et de sa fille Y, âgée de 13 ans.[2]/  La plainte affirme que l'Etat argentin, et notamment les autorités pénitentiaires du gouvernement fédéral, qui effectuent de façon routinière des examens vaginaux sur les femmes qui viennent en visite à l'Unité No. 1 du Service pénitencier fédéral, ont violé les droits que protège la Convention américaine relative aux droits de l'homme.  Chaque fois que Mme X a rendu visite, en compagnie de sa fille de treize ans, à son époux incarcéré dans la prison de Encausados, dans la Capitale fédérale, elles ont été soumises à des examens vaginaux.  En avril 1989, Mme X a présenté un recours de protection en demandant que l'on mette fin aux examens.  La requête affirme que cette pratique du Service pénitencier fédéral ("SPF") constitue une violation de la Convention américaine relative aux droits de l'homme car elle porte atteinte à la dignité des personnes qui lui sont soumises (article 11), est une mesure de caractère pénal dégradant qui va au-delà de la personne du condamné ou de l'inculpé (article 5.3) et, en outre, est discriminatoire à l'encontre des femmes (article 24) en relation avec l'article 1.1.

 

 

I.       FAITS

 

         2.      Les autorités pénitentiaires de l'Unité 1 du SPF d'Argentine ont pour pratique d'effectuer des examens vaginaux sur toutes les femmes qui souhaitent avec un contact personnel avec les prisonniers.  Par conséquent, chaque fois que Mme X a rendu visite à son mari, prisonnier dans l'Unité 1 du SPF, en compagnie de sa fille Y, âgée de 13 ans, elles ont dû toutes deux se soumettre à des examens.

 

         3.      Comme l'a déclaré le Major Mario Luis Soto, Chef de la Direction de la Sécurité interne, à propos du recours de protection présenté en l'affaire, la pratique de ces examens a commencé il y a déjà un certain temps car les parentes des prisonniers font parfois parvenir des drogues et des narcotiques à la prison en les cachant dans leur vagin.  Il a ajouté qu'au début on se servait de gants pour examiner cette partie du corps mais que, vu le nombre de visiteuses — près de 250 — la manque de gants de chirurgie et le danger de transmission du Sida ou d'autres maladies aux visiteurs ou aux inspecteurs avait conduit à effectuer des examens oculaires.[3]/

 

         4.      A propos de Mme X, le Major Soto a déclaré qu'elle avait fait l'objet des deux sortes d'examens, qu'elle avait toujours élevé des protestations contre la méthode et que le personnel de la prison lui avait fait savoir qu'il ne pouvait pas faire exception en son cas.[4]/  En ce qui concerne l'examen des mineures, le Chef de la Direction de la sécurité interne a affirmé que, en pareils cas, les examens se font toujours en présence d'un ou des deux parents de la mineure et que la méthode est moins rigoureuse afin de respecter son sentiment de pudeur.[5]/

 

         5.      Le 31 mars 1989, durant une inspection routinière des cellules de la prison, on a trouvé dans la cellule du mari de Mme X une bouteille contenant un liquide jaune et 400 grammes d'explosifs en plastique.

 

         6.      Le 2 avril 1989, Mme X s'est présentée avec sa fille à l'Unité 1 pour rendre visite à son mari et au père de l'enfant.  Les autorités pénitentiaires l'ont informé une fois de plus que, pour autoriser la visite "de corps à corps", il était nécessaire que les deux femmes se soumettent à un examen vaginal (voir la réponse du gouvernement du 27 avril 1980, paragraphe 69).  Mme X a refusé de se soumettre à l'examen et a également refusé d'effectuer la visite à travers une paroi de verre, qui lui avait été proposée comme autre solution.

 

         7.      Le 5 avril 1989, Mme X et sa fille ont essayé une nouvelle fois de rendre visite au mari de Mme X et se sont retrouvées dans la même situation que précédemment.  Mme X a refusé de se soumettre à un examen vaginal avant la visite de contact personnel et a également refusé l'autre solution, c'est-à-dire la visite à travers une paroi de verre.

 

 

II.      INTERVENTIONS JUDICIAIRES

 

         8.      Le 7 avril 1989, Mme X et sa fille ont présenté devant le Tribunal national de première instance d'instruction criminelle No. 17, Secrétariat No. 151, de la Capitale fédérale un recours de protection demandant qu'on ordonne au SPF de cesser les examens vaginaux dont elle et sa fille faisaient l'objet.  Le 14 avril 1989, le juge n'a pas donné suite à la requête, estimant que la mesure en question servait à maintenir la sécurité interne dans la prison.  Mme X. a fait appel à cette décision.

 

         9.      Le 26 avril 1989, la Chambre nationale d'appel des affaires criminelles et correctionnelles de la Capitale fédérale a décidé d'accorder la protection et a ordonné au SPF de cesser, dans le cas particulier, les examens en cause.

 

         10.    La Chambre a estimé en effet que les examens effectués sur le corps de X et de sa fille constituaient une invasion du droit à l'intimité que possède toute personne en vertu du Code civil, et représentaient une violation de l'intégrité physique, acte qui faisait offense à la conscience et à l'honneur des personnes examinées, tout en portant atteinte à la dignité humaine.

 

         11.    Aussi bien le SPF que le Procureur ont interjetés des recours extraordinaires contre cette décision.  La Cour Suprême de justice de la Nation a débouté l'affaire le 21 novembre 1989, rendant sans effet l'arrêté objet de l'appel.  La Cour suprême a estimé que les mesures adoptées par le Service pénitentiaire fédéral à propos de X ne sont manifestement pas arbitraires, au sens de la loi de protection, ".... chaque fois qu'il ne semble pas exister d'autres mesures — au moins en ce qui concerne les stupéfiants — permettant de dépister la présence d'objets dangereux sur les personnes visitantes qui veulent avoir un contact physique avec les détenus".

 

         12.    Plus tard, la Cour Suprême a rendu compte de sa décision à la Chambre d'appel, qui l'a acceptée sans poser de question et a décidé définitivement de ne pas donner suite à la demande de protection présentée par Mme X.

 

 

III.     DEMARCHES DEVANT LA COMMISSION

 

         13.    Par note du 23 janvier 1990, la Commission a reçu la plainte de X déposée par des avocats argentins de concert avec Americas Watch.  La plainte affirme que la pratique du SPF d'effectuer des examens vaginaux sur les personnes de Mme X et de sa fille de treize ans avant de permettre les visites personnelles du mari de Mme X détenu à la Prison d'Encausados de la Capitale fédérale constituait une violation de leurs droits protégés par la Convention, à savoir: article 11 (atteinte à la dignité); article 5.3 (du fait d'être des mesures de caractère pénal dégradant qui ne touchent pas la personne du délinquant); et principe général de non discrimination énoncé à l'article 1.1 de la Convention (les mesures constituent une discrimination contre la femme).

 

         14.    Le 31 janvier 1990, la Commission a transmis au gouvernement les éléments pertinents de la plainte, en lui demandant de lui fournir, dans un délai de 90 jours, des informations concernant les faits et d'autres informations qu'il estimerait opportunes.

 

         15.    Le 30 avril 1990, la Commission a reçu du gouvernement une réponse dans laquelle il affirmait que la mesure proposée par les services pénitenciers à l'égard de Mme X et de sa fille n'exprimait pas une volonté manifeste ou généralisée d'arbitraire de la part du SPF, mais était bien plutôt une mesure raisonnable de prévention, compte tenu des caractéristiques particulières des épisodes qui étaient intervenus 48 heures à peine avant la visite demandée.  En outre, aucun examen n'a été effectuée à cette occasion.  C'est pourquoi, la Commission ne pouvait donc pas admettre la requête.

 

         16.    Par note du 3 mai 1990, la Commission a transmis aux requérants les éléments pertinents de la communication du gouvernement.

 

         17.    Le 31 mai 1990, la Commission a reçu des requérants une note demandant une prorogation de 30 jours pour présenter leurs observations à propos de la réponse du gouvernement.  Ce nouveau délai leur a été accordé le même jour.

 

         18.    Par note du 21 juin 1990, les requérants ont présenté leur réplique à la réponse du gouvernement, en réfutant dans le détail les arguments que celui-ci avait avancés.

 

         19.    Le 26 juin 1990, la Commission a transmis au gouvernement les éléments pertinents de la réplique, en lui demandant de soumettre ses observations dans un délai de 45 jours.

 

         20.    Par note du 13 août 1990, le gouvernement a présenté à la Commission ses observations au sujet de la réplique, confirmant de nouveau ses arguments au sujet de l'irrecevabilité de l'affaire.  Il indiquait en particulier que les faits allégués par les requérants ne correspondaient pas à la réalité, puisqu'il s'agissait d'inspections vaginales et non pas d'examens qui entraîneraient des touchers ou des palpations.  Le gouvernement a déclaré qu'il n'avait envisagé en l'occurrence que des inspections.

 

         21.    Le 28 août 1990, la Commission a transmis aux requérants les éléments pertinents de la communication du gouvernement.

 

         22.    Le 8 octobre 1990, la Commission a reçu la duplique des requérants, dans laquelle ils s'inscrivaient en faux contre les arguments du gouvernement.  En particulier, ils indiquaient que la distinction entre "inspections" et "examens" vaginaux n'avait aucune importance du point de vue de la dignité humaine, puisqu'il s'agissait dans les deux cas et en l'occurrence de pratiques tout autant vexatoires.

 

         23.    Par note du 19 octobre 1990, la Commission a transmis au gouvernement les éléments pertinents de cette dernière communication, en lui demandant de faire part de ses observations dans un délai de 45 jours.

 

         24.    Le 31 octobre 1990, la Commission a reçu du gouvernement une note demandant une prorogation de 45 jours, qui lui fut accordée.

 

         25.    Par note du 27 novembre 1990, le gouvernement a présenté à la Commission des observations réfutant les arguments avancés par les requérants.

 

         26.    Par note du 16 mars 1994, la Commission a demandé aux requérants des informations concernant l'affaire.  Elle a renouvelé sa demande le 10 mai 1994.

 

         27.    Par note du 28 juillet 1994, le Centre pour la justice et le droit international s'est présenté comme requérant en l'affaire.  Dans la même note, les requérants demandaient à la Commission qu'elle mette fin à l'instruction de l'affaire, publie le rapport prévu par l'article 50 de la Convention et soumette la requête correspondante à la Cour interaméricaine des droits de l'homme.

 

         28.    Le 23 février 1995, la Commission a envoyé une lettre aux deux parties, se mettant à leur dispositions pour parvenir à un règlement à l'amiable.  Par note du 21 mars 1995, le gouvernement a fait savoir à la Commission qu'il n'était pas en mesure de négocier ce règlement.
 

IV.     POSITION DES PARTIES

 

A.     Requérants

 

         29.    Le gouvernement prétend, à tort, justifier le "caractère raisonnable" ou "arbitraire" de la mesure sur la base de la fin qu'elle se donne ou de la possibilité d'utiliser le vagin comme véhicule de transport d'armes, explosifs et autres objets, sans justifier pour autant la mesure proprement dite.  Pour le gouvernement, toute limitation de droits dans l'intérêt de la "sécurité commune" est "raisonnable", indépendamment du moyen employé.

 

         30.    Les requérants réfutent les arguments avancés par le gouvernement pour justifier le caractère raisonnable des inspections au moyen des arguments suivants:

 

         i.       Le fait que le mari de Mme X ait caché à un moment donné 400 grammes d'explosifs dans sa cellule n'a rien à voir avec la pratique dénoncée, car l'introduction de ces produits n'a pas pu se faire par ce moyen.

 

         ii.      Il existe des moyens techniques communément employés dans d'autres lieux pour déceler rapidement et simplement toute tentative d'introduction de matières dangereuses, sans avoir à recourir à l'inspection visuelle du vagin.  Dans ces conditions, les examens et inspections dont il est question ne peuvent avoir d'autre objet que de stigmatiser, dénigrer et mortifier les femmes, de par leur condition de femmes ou parce qu'elles sont membres de la famille de prisonniers.

 

         iii.     En tout cas, il serait plus simple d'examiner plus tard le prisonnier avant de le ramener dans son pavillon ou sa cellule.

 

         iv.     La solution proposée, c'est-à-dire une visite derrière une paroi de verre, fait du prisonnier un malade mis en quarantaine, diminue sa propre estime et porte tort à ses relations avec les membres de sa famille; elle est donc inhumaine.

 

         31.    La méthode à laquelle se réfère la plainte est d'usage si général que la quasi-totalité des femmes qui rendent visite à des membres de leur famille qui se trouvent en prison sont soumises à ce genre de traitement dégradant.  C'est une pratique discriminatoire, étant donné que les femmes ne sont ni auteurs ni inculpées d'un délit quelconque.  Elle est également discriminatoire puisque qu'elle implique certaines personnes.  Dans d'autres situations, on emploie des méthodes différentes, moins dégradantes, pour aboutir au même résultat, c'est-à-dire pour inspecter une personne afin de garantir la sécurité des installations ou empêcher des actes illicites.  Aucune de ces autres mesures ne constitue une invasion de l'intimité ou un attentat contre la dignité, comme c'est le cas de la méthode appliquée en l'instance aux parentes des prisonniers.

 

         32.    Elle ne va pas à l'encontre de l'article 92 de la Loi pénitentiaire nationale, qui n'autorise pas les examens vexatoires, mais se réfère aux conditions d'opportunité, de supervision et de censure que définissent les règlements.[6]/  Elle ne met pas non plus en doute tout genre de recherches, sauf celles qui constituent un traitement dégradant.

 

 

         B.  Gouvernement

 

         33.    Le règlement pénitencier qui permet l'adoption de mesures d'inspection vaginale se fonde en droit sur l'article 92 de la Loi pénitentiaire nationale (Décret Loi 412/58, objet de la Loi. No. 14.467), lequel déclare textuellement, dans sa partie pertinente:  "Les visites et la correspondance que reçoit le prisonnier s'ajusteront aux conditions d'opportunité, de supervision et de censure qu'établissent les règlements..."  Cette norme nationale concorde avec les "Règles minimum de traitement des prisonniers" des Nations Unies.

 

         34.    La restriction des droits protégés est indispensable étant donnée la nature particulière des questions qui peuvent se poser dans le complexe fonctionnement d'une unité carcellaire.  La limitation des droits, indispensable dans une société démocratique quand il y va de l'intérêt de la sécurité commune, conduit à la sanction de la Loi 14.467.  Les autorités pénitentiaires ont besoin d'avoir une certaine latitude pour déterminer le degré de liberté qu'elles accordent à un prisonnier.

 

         35.    L'inspection vaginale effectuée dans les services du SPF est confiée à des femmes qui procèdent à une inspection visuelle, sans introduire d'instrument dans la cavité vaginale, puisqu'il ne s'agit pas d'un examen.

 

         36.    Il s'agit d'empêcher que les aires sexuelles des femmes ne soient utilisées pour introduire illégalement dans l'unité des armes, des explosifs, des stupéfiants ou d'autres objets dangereux pour la population carcellaire.  Ce sont des hommes qui procèdent sur les hommes et dans le même but à une inspection de la zone anale.

 

         37.    Il ne s'agit pas d'une mesure obligatoire ou généralisée.  Elle n'est pas obligatoire étant donné que, si le visiteur, homme ou femme, ne consent pas à l'inspection, la visite peut s'effectuer derrière une paroi de verre, ce qui évite ainsi tout contact personnel.  Il ne s'agit pas non plus d'une mesure généralisée car elle est fonction, entre autres, de certaines conditions, lesquelles sont remplies dans le cas présent.

 

         38.    Juste 48 heures avant la visite de Mme X, le 2 avril, on a trouvé dans la cellule de son mari deux morceaux d'une substance de couleur crème.  L'examen du chimiste expert a conclu qu'il s'agissait d'un explosif plastique destructeur. Du fait de son caractère plastique, il présentait les propriétés suivantes: a) conserver la forme qu'on lui donnait; b) bien adhérer aux surfaces lisses; c) être insensible au toucher; d) ne pas présenter de risque pour la santé.

 

         39.    C'est pourquoi, le caractère raisonnable de la mesure, en l'instance, se trouve corroboré par le fait que la malléabilité du produit découvert et son caractère inoffensif pour la santé concordaient avec l'hypothèse qu'on aurait pu l'introduire dans la prison en le plaçant dans le vagin d'une femme durant sa visite.

 

         40.    Dans le cas de Mme X, il y avait effectivement un soupçon fondé sur la gravité du fait délictueux justificateur qui conduisit les autorités pénitentiaires à décider de ne pas autoriser la visite permettant un contact physique.  Il s'agissait d'une mesure préventive qui n'avait pas pour objet d'interdire la communication entre le prisonnier et sa famille.  Si la requérante avait fait usage de son droit, elle aurait pu communiquer avec son mari derrière une paroi de verre.

 

         41.    Dans ce cas concret, Mme X et sa fille ont refusé de se soumettre aux inspections, qui n'ont donc pas eu lieu.

 

         42.    Il ne semble pas acceptable de dire que, du fait qu'il existe d'autres méthodes plus simples, toutes les autres sont arbitraires et, par conséquent, vexatoires, surtout quand la méthode en question est d'un emploi rare et limité (c'est le cas des détecteurs en usage dans les aires d'attente des aéroports).

 

         43.    L'inspection vaginale est compatible avec les politiques carcérales des pays qui relèvent de la Convention européenne des droits de l'homme et avec des procédures analogues utilisées aux Etats-Unis pour des affaires semblables à l'instance en question.

 

 

V.      RECEVABILITE

 

         44.    La plainte remplit les conditions de recevabilité formelle prévues par l'article 46.1 de la Convention et l'article 32 du Règlement de la Commission.

 

         i.       La Commission est compétente pour connaître de la présente affaire puisqu'il s'agit de faits qui caractérisent des violations de droits consacrés par la Convention, à savoir les articles 5, 11 et 17 en liaison avec l'article 1.1.

 

         ii.      Comme l'indique le dossier, la victime présumée a épuisé les procédures que prévoit la législation argentine.

 

         iii.     Quand à la procédure de règlement à l'amiable que prévoient les articles 48.1.f de la Convention et 45 du Règlement de la Commission, elle a été offerte aux parties, mais il n'a pas été possible de parvenir à un accord.

 

         iv.     La requête n'est pas en instance d'autre procédure de règlement international et ne reproduit pas une requête déjà examinée par la Commission.

 

 

VI.     ANALYSE

 

         A.     Considérations générales

 

         45.    On affirme que l'inspection vaginale constitue un traitement dégradant qui, en l'instance, équivaut à une atteinte à l'intimité et à l'intégrité physique de Mme X et représente une restriction illégitime du droit de protection de la famille.  Par sa part, le gouvernement affirme que l'inspection vaginale est une mesure de prévention qui concorde de façon raisonnable avec l'objet du maintien de la sécurité des prisonniers et du personnel du SPF et que, par ailleurs, l'inspection n'a pas été effectuée parce que la victime présumée a refusé de s'y soumettre.

 

         46.  A propos de l'affirmation du gouvernement selon laquelle il n'y a jamais eu d'inspection, les archives contiennent les déclarations du Chef de la Direction de la sécurité interne[7]/ et du Procureur général[8]/, ainsi que le texte des décisions du Tribunal national de première instance, de la Chambre nationale d'appel et de la Cour Suprême de Justice prouvant que, bien qu'elle ait protesté, Mme X. s'est soumise plusieurs fois à la procédure avant de présenter le recours de protection pour que cessent les examens vaginaux pratiqués sur elle et sur sa fille.

 

         47.    C'est pourquoi, dans son étude de l'affaire, la Commission doit envisager deux éléments séparés:

 

                 1.      voir si l'inspection vaginale exigée avant une visite de contact personnel avec le mari de Mme X est compatible avec les droits et garanties que prévoit la Convention américaine relative aux droits de l'homme; et

 

                 2.      voir si l'exigence et l'examen ont privé les deux femmes de la pleine jouissance des droits protégés par la Convention américaine, et notamment de ceux que consacrent les articles 5 (droit à un traitement humanitaire), 11 (protection de l'honneur et de la dignité), 17 (protection de la famille) et 19 (droit de l'enfant), conjointement avec l'article 1.1 qui prévoit l'obligation des Etats parties de respecter et garantir, sans aucune discrimination, le plein et libre exercice de toutes les dispositions que reconnait la Convention.

 

 

         B.      Condition exigeant que les visiteurs subissent un examen vaginal pour qu'ils soient autorisés à effectuer des visites personnelles

 

         48.    Les requérants affirment que la condition exigeant des visiteurs de l'Unité 1 de se soumettre à des examens ou inspections vaginaux pour pouvoir avoir un contact personnel avec un prisonnier représente une ingérence illégitime dans l'exercice du droit à la famille.  Par ailleurs, ils affirment que, puisqu'elle ne répond pas aux dispositions de la Convention, la mesure représente, en soi, une violation des droits que protège ce document et que l'existence de cette condition et son application contreviennent non seulement au droit à la famille, que consacre l'article 17, mais aussi au droit à l'intimité, à l'honneur et à la dignité, protégé par l'article 11 et au droit à l'intégrité physique que prévoit l'article 5.

 

         49.    Bien que les requérants n'aient pas invoqué l'article 19, qui protège le droit de l'enfant, la Commission estime qu'elle devrait aussi examiner cette disposition puisque l'une des victimes présumées avait 13 ans quand les faits se sont produits.  Conformément au principe général de la législation internationale, jura novit curia, les organismes internationaux ont le pouvoir, voire le devoir, d'appliquer toutes les dispositions juridiques pertinentes, mêmes si elles n'ont pas été invoquées par les parties.[9]/

 

         50.    Le gouvernement de l'Argentine a affirmé que toutes les mesures qu'il a prises représentent des restrictions acceptables aux dispositions de la Convention et sont raisonnables vu les circonstances de l'affaire.  C'est pourquoi, la Commission doit réfléchir pour savoir quelles sont les obligations de l'Etat à l'égard des dispositions de la Convention et quelles sont les limitations des droits qu'on peut considérer permissibles.

 

 

         1.      Obligations de l'Etat de "respecter et garantir" et l'imposition de conditions aux droits protégés par la Convention

 

         a.      Article 1.1, les obligations de respecter et de garantir

 

         51.    L'article 1.1 de la Convention exige que les Etats parties respectent et garantissent le plein et libre exercice de tous les droits reconnus par la Convention.  Ces obligations limitent le pouvoir dont dispose l'Etat pour imposer des restrictions aux droits protégés par la Convention.  La Cour interaméricaine a déclaré que:

 

         L'exercice de l'autorité publique a quelques limites qui découlent du fait que les droits de l'homme sont des attributs inhérents à la dignité humaine et, par conséquent, sont supérieurs au pouvoir de l'Etat.[10]/

 

         52.    En outre, la Cour a déclaré que l'obligation de garantir "sous-entend le devoir des Etats parties d'organiser l'appareil gouvernemental et, en général, toutes les structures par lesquelles se manifeste l'exercice du pouvoir public de façon à ce qu'ils soient capables d'assurer en droit le libre et plein exercice des droits de l'homme".[11]/

 

         53.    C'est pourquoi la Cour a statué qu'il existe certains aspects de la vie d'une personne, et notamment "certains attributs inviolables de la personne humaine" qui se trouvent au-delà du domaine d'intervention de l'Etat et "qui ne peuvent être légitimement amoindris par l'exercice du pouvoir public".  En  outre, les Etats parties doivent organiser leur structure interne de manière à assurer la pleine jouissance des droits de l'homme.  L'Etat qui propose des mesures dont l'exécution est susceptible de conduire, en soi ou à la suite du manque de garanties suffisantes, à la violation des droits consacrés par la Convention va au-delà du pouvoir public légitime que reconnait la Convention.

 

 

         b.      L'imposition de limitations

 

         54.    Le texte de la Convention ne contient pas des restrictions explicites à la jouissance des droits en question et, en fait, trois dispositions, le droit à un traitement humanitaire (article 5), les droits de la famille (article 17) et les droits de l'enfant (article 19) figurent sur la liste, consacrée dans l'article 27.2, des droits qui ne peuvent pas être suspendus, même dans des circonstances extrêmes.  C'est pourquoi la Commission ne peut pas examiner la légitimité de l'imposition présumée de restrictions à ces droits dans le cadre de l'article 30, qui définit la portée des restrictions à la Convention[12]/ sans qu'elle doive se référer au cadre plus large de l'article 32.2, qui reconnait l'existence de limitations à tous les droits.

 

         55.    L'article 32.2 reconnait l'existence de certaines limitations inhérentes aux droits de toutes les personnes qui découlent de la vie en société.

 

         56.    L'article 32.2 déclare:

 

                 Les droits de chaque personne sont limités par les droits d'autrui, par la sécurité de tous et par les justes exigences du bien commun, dans une société démocratique.

 

         57.    Après avoir examiné l'article, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a déclaré que l'imposition de limitations doit toujours se faire de façon stricte.  La Cour a estimé que:

 

         A ce propos, il faut souligner qu'on ne pourra invoquer d'aucune manière "l'ordre public" ou le "bien commun" comme moyens permettant de supprimer un droit garanti par la Convention ou pour le dénaturer ou le priver d'un véritable sens (voir article 29.a de la Convention).  Quand on les invoque pour fonder des limitations des droits de l'homme, ces notions doivent être l'objet d'une interprétation strictement limitée aux "justes exigences" d'une "société démocratique" qui tienne compte de l'équilibre entre les divers intérêts en jeu et du besoin de préserver l'objet et les fins de la Convention.[13]/

 

         58.    La jurisprudence de la Cour établit que, pour qu'il y ait concordance avec la Convention, les restrictions doivent être justifiées par des objectifs collectifs d'une importance telle qu'ils ont nettement plus de poids que le besoin social de garantir le plein exercice des droits garantis par la Convention et ne comportent pas plus de limitations qu'il n'est strictement nécessaire.  Par exemple, il ne suffit pas de prouver que la loi correspond à un objectif utile et opportun.

 

         59.    Un Etat n'a pas une discrétion absolue pour statuer au sujet des moyens à adopter pour protéger le "bien commun" ou "l'ordre public".  Les mesures qui, d'une certaine façon, peuvent conditionner les droits protégés par la Convention doivent toujours être régies par certaines conditions obligatoires.  A ce propos, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a déclaré que les restrictions frappant les droits consacrés par la Convention "doivent être définies en fonction de certaines conditions de forme qui touchent les moyens par lesquels elles se manifestent, et aussi en fonction de conditions de fond, représentées par la légitimité des fins qu'on veut atteindre avec de telles restrictions".[14]/

 

         60.    La Commission estime que, pour que les mesures concordent avec les dispositions de la Convention, elles doivent remplir trois conditions précises. Une mesure qui, d'une façon quelconque, affecte les droits protégés par la Convention, doit nécessairement: 1) être prescrite par la loi; 2) être nécessaire pour la sécurité de tous et avoir un rapport avec les justes demandes d'une société démocratique; 3) son application doit se borner strictement aux circonstances particulières énoncées dans l'article 32.2 et être proportionnelle et raisonnable afin d'atteindre ces objectifs.

 

 

         1.      La légalité de la mesure

 

         61.    La Cour interaméricaine a déclaré que:

 

         A cet effet, la protection des droits de l'homme exige que les actes de l'Etat qui les affectent de façon fondamentale ne soient pas laissés au libre arbitre du pouvoir public, mais soient entourés d'un ensemble de garanties visant à assurer qu'ils ne portent pas atteinte aux attributs inviolables de la personne parmi lesquels doivent figurer, et sont peut-être les plus pertinentes, les limitations que définit une loi adoptée par le pouvoir législatif, conformément aux dispositions de la Constitution.[15]/

 

         62.    C'est pourquoi, toute action qui touche aux droits fondamentaux doit être prescrite par une loi adoptée par le Pouvoir législatif et doit concorder avec l'ordre juridique interne.  Le gouvernement affirme que les inspections vaginales des personnes qui effectuent une visite dans des établissements pénitenciers argentins sont autorisées par le loi et par les règlements internes.

 

         63.    Les articles 91 et 92 du Décret-loi 412/58 (Loi pénitentiaire nationale) de l'Argentine stipulent une série de conditions auxquelles doivent être soumises les visites.  De même, l'article 28 du Bulletin public du SPF No. 1266 stipule que "les visiteurs doivent se soumettre à la méthode d'inspection qui est pratiquée dans l'Unité, à moins qu'ils ne préfèrent renoncer à l'entrevue.  Dans tous les cas, l'inspection sera effectuée par une personne du même sexe que la personne inspectée".  A ce propos, l'article 325 du Bulletin public No. 1294 réglemente le matériel d'inspection et autorise un contrôle complet et détaillé.  Le Bulletin public No. 1625 stipule que ".... le traitement humanitaire devra avoir priorité durant les inspections, et éviter toute procédure susceptible d'entraîner une brimade physique....", "une procédure analogue devra être adoptée à propos des inspections effectuées sur les visiteurs des prisonniers....".

 

         64.    Ces règlements donnent aux services pénitenciers une latitude considérable du fait qu'ils ne spécifient ni les conditions ni les types de visites auxquels ils s'appliquent.  On peut douter que cette norme possède le degré de précision nécessaire qui est essentiel pour déterminer si une action est prescrite par la loi.[16]/  Il ne fait aucun doute que cette déférence à l'égard des autorités en matière de sécurité interne est liée à leur expérience et à leurs connaissances des besoins concrets de chaque établissement pénitencier et du cas particulier de chaque prisonnier.  Néanmoins, une mesure aussi extrême que l'examen ou l'inspection vaginal des visiteurs, qui représente une menace de violation d'une série de droits garantis par le Convention, doit être prescrite par une loi qui indique clairement dans quelles circonstances on peut imposer une mesure de ce genre et qui énumère les conditions à observer par ceux qui effectuent la procédure, de telle façon que toutes les personnes qui y sont soumises puissent avoir la plus grande garantie possible qu'elles ne seront pas sujettes à l'arbitraire et à un traitement abusif.[17]/

 

 

         2.      Besoin dans une société démocratique pour la sécurité de tous

 

         65.    Le gouvernement affirme que les restrictions des droits protégés sont nécessaires vu la nature des problèmes qui peuvent se produire dans le cadre complexe d'un établissement pénitencier.  A propos de l'affaire qui nous occupe, le gouvernement affirme que la mesure prise constituait une restriction nécessaire des droits dans une société démocratique, restriction adoptée dans l'intérêt de la sécurité publique.

 

         66.    La Commission a conscience du fait que, dans tous les pays, il existe des règlements concernant le traitement des prisonniers et détenus, ainsi que des normes qui régissent les droits à des visites sur le plan de l'horaire, du lieu, de la forme, du genre de contact, etc.  Elle reconnait aussi que les inspections corporelles et parfois l'examen physique intuitif des détenus et des prisonniers pourraient être nécessaires dans certains cas.

 

         67.    Néanmoins, la présente affaire fait intervenir les droits des visiteurs, qui ne sont pas automatiquement limités en raison de leur contact avec les détenus.

 

         68.    La Commission ne met pas en doute la nécessité d'inspections générales avant de permettre l'accès à un établissement pénitencier.  Néanmoins, les examens ou inspections vaginaux représentent une catégorie exceptionnelle et très intuitive.  La Commission voudrait souligner que le visiteur ou le membre de la famille qui veut exercer son droit à une vie familiale ne doit pas automatiquement se transformer en une personne soupçonnée d'un acte illicite et ne peut être considéré, en principe, comme présentant une menace grave sur le plan de la sécurité.  Bien que la mesure en question puisse être adoptée à titre exceptionnel afin de garantir la sécurité dans certains cas précis, on ne peut affirmer que son application systématique à tous les visiteurs soit une mesure indispensable pour garantir la sécurité publique.

 

 

         3.      Caractère raisonnable et proportionnel de la mesure

 

         69.    Le gouvernement affirme que la mesure est une restriction raisonnable des droits des visiteurs visant à protéger la sécurité.  En outre, il affirme que la procédure n'était pas obligatoire et s'appliquait uniquement aux personnes qui souhaitaient avoir un contact personnel durant les visites, et avaient donc la possibilité de la refuser.

 

         70.    La restriction des droits de l'homme doit être fonction de l'intérêt qui la justifie et doit être étroitement ajustée à la finalité de cet objectif légitime.[18]/  Pour justifier les restrictions aux droits personnels des visiteurs, il ne suffit pas d'invoquer des raisons de sécurité.  Après tout, il s'agit de rechercher un équilibre entre l'intérêt légitime des familles et des prisonniers, qui veulent des visites sans restrictions arbitraires ou abusives, et l'intérêt public, qui veut garantir la sécurité dans les établissements pénitenciers.

 

         71.    Le caractère raisonnable et proportionnel d'une mesure peut uniquement s'établir par cas d'espèce.  La Commission estime qu'une inspection vaginale est beaucoup plus qu'une mesure restrictive car elle implique l'invasion du corps de la femme.  C'est pourquoi, l'équilibre d'intérêt qui doit présider à l'analyse de la légitimité de ladite mesure exige obligatoirement que l'Etat observe des normes plus strictes à propos de l'intérêt que présente une inspection vaginale ou tout type d'examen invasif du corps.

 

         72.    La Commission estime que, pour établir dans un cas précis la légitimité exceptionnelle d'un examen ou d'une inspection du vagin, il faut que quatre conditions soient remplies: 1) être absolument nécessaire pour atteindre l'objectif de sécurité dans le cas particulier; 2) il ne doit pas exister d'autre alternative; 3) être en principe autorisé par l'ordre judiciaire; et 4) être effectué uniquement par des professionnels de la santé.

 

 

         a.      Nécessité absolue

 

         73.    La Commission estime que cette méthode ne doit être utilisée que si elle est absolument nécessaire pour atteindre l'objectif de sécurité dans un cas particulier.  La condition de nécessité signifie que les inspections et examens de cette nature doivent se faire uniquement dans des cas précis quand il existe des raisons de croire qu'il y a un danger réel pour la sécurité ou que la personne en question peut transporter des substances illicites.  Le gouvernement a fait valoir que, dans le cas du mari de Mme X, des circonstances exceptionnelles rendaient légitime le recours à des mesures qui limitent considérablement les libertés individuelles, puisque ces mesures furent prises pour le bien commun, en l'occurrence la préservation de la sécurité des prisonniers et du personnel de la prison.  Or, selon le Chef de la sécurité, la mesure s'appliquait de façon uniforme à toutes les personnes qui rendaient visite à un pensionnaire de l'Unité 1.  On pourrait dire que le mesure était justifiable aussitôt après qu'on ait trouvé des explosifs entre les mains du mari de Mme X, mais non pas dans les nombreux cas où on s'en était servi avant cet incident.

 

 

         b.      Non existence d'une autre option

 

         74.    La Commission estime que la pratique qui consiste à effectuer des examens et inspections du vagin et l'interférence qu'elle cause avec le droit de visite, devra non seulement répondre à un intérêt public impératif mais aussi tenir compte du fait que, "parmi les diverses options permettant d'atteindre cet objectif, il faut choisir celle qui limite moins le droit protégé".[19]/

 

         75.    Les faits indiquent que la mesure n'était pas la seule, ni peut-être même la plus efficace, permettant de contrôler la remise de narcotiques et d'autres substances dangereuses aux prisonniers.  Aussi bien Mme X que sa fille ont été, on l'a reconnu, soumises à l'intervention chaque fois qu'elles ont rendu visite au mari de Mme X et, malgré cela, durant une perquisition routinière dans sa cellule, on l'a trouvé en possession de 400 grammes d'explosifs.

 

         76.    Selon certaines indications, d'autres méthodes moins restrictives, par exemple l'inspection des prisonniers et de leur cellule, sont des moyens plus raisonnables et efficaces de garantir la sécurité interne.  En outre, il ne faut pas méconnaître le fait que la situation légale particulière des prisonniers entraîne en soi une série de limitations de l'exercice de leurs droits.  L'Etat, qui est chargé de la garde de tous les détenus, et a la responsabilité de leur bien-être et de leur sécurité, jouit d'une grande latitude pour utiliser les moyens nécessaires pour assurer la sécurité des prisonniers.  Par définition, les libertés personnelles d'un prisonnier sont restreintes et, par conséquent, dans certains cas, on peut justifier l'inspection corporelle, y compris un examen physique invasif, des détenus et des prisonniers, par des méthodes qui respectent aussi leur dignité humaine. Il aurait été évidemment plus simple et plus raisonnable d'inspecter les détenus après une visite de contact personnel, au lieu de soumettre toutes les femmes qui venaient dans des établissements pénitenciers à une procédure aussi extrême.  C'est uniquement dans des circonstances précises, quand il existe une base raisonnable de croire qu'il y a un danger concret pour la sécurité ou qu'on transporte des substances illicites, qu'on doit procéder à des inspections de tous les visiteurs.

 

         77.    Le gouvernement affirme également que l'intervention n'était pas obligatoire et avait uniquement lieu avec le consentement des visiteurs.  Il s'ensuit donc que, vu que l'Etat avait proposé une alternative et que les requérants ont décidé de ne pas s'en servir, ils ne peuvent affirmer que l'Etat est intervenu de manière indue.  La Commission rappelle que l'Etat ne peut proposer ou demander que les personnes relevant de sa juridiction se soumettent à des conditions ou à des procédures qui peuvent constituer une violation des droits que protège la Convention.  Par exemple, les autorités de l'Etat ne peuvent pas proposer à une personne de choisir entre une détention arbitraire et une autre plus restrictive, bien que licite, parce que les actions de l'Etat doivent observer les principes fondamentaux de la légalité et des formes et garanties de la procédure.

 

         78.    Des examens ou inspections du vagin peuvent être acceptables dans certaines circonstances, à condition d'être régis par les formes et garanties de procédure et de sauvegarder les droits protégés par la Convention.  Néanmoins, si on n'observe pas certaines conditions, telles que la légalité, la nécessité et la proportionnalité et si la procédure ne respecte pas comme il se doit certaines normes minimum qui protègent la légitimité de l'action et l'intégrité physique des personnes qui s'y soumettent, on ne peut pas dire qu'on respecte les droits et garanties que consacre la Convention.

 

         79.    Par ailleurs, la Commission fait observer que, dans le cas de Y, il n'était pas possible d'avoir un véritable consentement puisque, à ce moment-là, il s'agissait d'une fille de 13 ans qui dépendait entièrement de la décision prise par sa mère, Mme X, et de la protection offerte par l'Etat.  En outre, pour la raison évidente de l'âge de la petite fille, la méthode d'examen vaginal était absolument inadéquate et déraisonnable.

 

         80.    C'est pourquoi, de l'avis de la Commission, dans le cas qui nous occupe, les autorités carcelaires disposaient d'autres options raisonnables pour assurer la sécurité de l'établissement pénal.

 

 

         c.      L'existence d'un ordre judiciaire

 

         81.    Même si on suppose qu'il n'existait pas de moyen moins invasif, la Commission estime que, pour effectuer une inspection corporelle intrusive, qui avait été suspendue à cause du danger d'infection du personnel de l'établissement pénitencier, il était nécessaire qu'existe alors un ordre judiciaire.  En principe, un juge devrait évaluer la nécessité d'effectuer ces inspections à titre de préalable indispensable à une visite personnelle sans pour autant porter atteinte à la dignité et à l'intégrité personnelle de l'individu.  La Commission estime que les exceptions à cette règle devraient être expressément prévues par la loi.

 

         82.    Dans la quasi-totalité des régimes juridiques internes du Continent, les agents de police et le personnel de sécurité doivent obligatoirement disposer d'un ordre judiciaire pour effectuer certaines actions qu'on estime être particulièrement intrusives ou ouvrent la possibilité d'abus.  Un exemple clair est la pratique selon laquelle le domicile d'une personne jouit d'une protection spéciale et ne peut être perquisitionné en l'absence d'un mandat.  L'inspection vaginale, de par sa nature, constitue une intrusion tellement intime du corps d'une personne qu'elle exige une protection spéciale.  Quand il n'existe pas de contrôle et quand la décision de soumettre une personne à ce genre d'examen intime est laissée à la discrétion absolue de la police ou du personnel de sécurité, il est possible qu'on la prenne dans des circonstance où elle est inutile, où elle devient un instrument d'intimidation et représente une certaine forme d'abus.  Dans tous les cas, c'est l'autorité judiciaire qui doit décider si ce genre d'examen est une condition indispensable pour permettre une visite de contact personnel.

 

         83.    Bien que, dans l'affaire en question, on ait trouvé des explosifs dans la cellule du mari de Mme X et on ait eu des raisons de soupçonner les visiteurs, l'Etat avait l'obligation, comme le lui impose la Convention, d'organiser sa structure interne afin de garantir les droits de l'homme et de demander un mandat judiciaire pour exécuter l'examen.

 

 

         d.      L'intervention doit être effectuée par des professionnels de la santé

 

         84.    En outre, la Commission insiste que la réalisation de ce genre d'examen corporel invasif, tel qu'il est pratiqué quand les autorités effectuent encore des inspections de cette nature, ne peut être confié qu'à des professionnels de la santé, qui observent rigoureusement les normes de sécurité et d'hygiène, étant donné le risque possible de dommage physique et moral à une personne.

 

         85.    En rendant la visite tributaire d'une mesure fortement intrusive, sans fournir des garanties appropriées, les autorités pénitentiaires ont interféré avec les droits de Mme X et de sa fille.

 

         c.      Les droits protégés par la Convention

 

                 1.      Le droit à l'intégrité personnelle: article 5

 

         86.    Les requérants allèguent une violation de l'article 5 — notamment des alinéas 2 et 3 — selon lesquels:

 

                 1.      Toute personne a droit au respect de son intégrité physique, psychique et morale.

 

                 2.      Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants....

 

                 3.      Le peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant.

 

         87.    La méthode n'est pas illégale en soi.  Néanmoins, quand l'Etat effectue une intervention physique quelconque sur un individu, il doit observer certaines conditions afin de s'assurer qu'il ne produit pas plus d'angoisse et d'humiliation qu'il ne peut éviter de le faire.  Pour utiliser cette méthode, il doit toujours disposer d'un mandat judiciaire qui assure un contrôle sur la décision concernant la nécessité de son emploi et pour que la personne qui y est soumise ne se sente pas sans défense devant les autorités.  Par ailleurs, l'intervention doit toujours être effectuée par un personnel approprié qui s'entoure des soins voulus afin de pas causer de dommages physiques; l'examen doit être effectuée de telle manière que la personne qui en est l'objet ne se sente pas touchée dans son intégrité mentale et morale.

 

         88.    En ce qui concerne l'article 5.3, la Commission n'a pas de preuve montrant que l'inspection vaginale ait été faite dans l'intention d'étendre à Mme X et à sa famille le châtiment de son mari.  Qui plus est, il n'appartient pas à la Commission de présumer des raisons qui n'ont pas été vérifiées de façon objective.

 

         89.    En conclusion, la Commission estime que, quand les autorités de l'Etat argentin ont effectué de façon systématique des inspections vaginales sur X et Y, elles ont violé leurs droits à l'intégrité physique et morale, et ont donc contrevenu aux dispositions de l'article 5 de la Convention.

 

 

         2.      Le droit à la protection de l'honneur et de la dignité: article 11

 

         90.    L'article 11 de la Convention déclare que:

 

                 1.      Toute personne a droit au respect de son honneur et à la reconnaissance de sa dignité.

 

                 2.      Nul ne peut être l'objet d'ingérences arbitraires ou abusives dans sa vie privée, dans la vie de sa famille, dans son domicile ou sa correspondance, ni d'attaques illégales à son honneur et à sa réputation.

 

                 3.      Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles ingérences ou de telles attaques.

 

         91.    Le droit à l'intimité garanti par ces dispositions protège aussi l'intégrité physique et morale de la personne contre la publicité.[20]/  L'article 11, tout comme la première générale de la Convention, a essentiellement pour objet de protéger l'individu contre l'ingérence arbitraire de fonctionnaires publics.  Néanmoins, il exige aussi que l'Etat adopte les lois nécessaires pour assurer l'efficacité de cette disposition.  Le droit à l'intégrité garantit une domaine que personne ne peut envahir, un domaine d'activités qui est le propre absolu de chaque individu.  C'est pourquoi diverses garanties de la Convention qui protègent l'inviolabilité de la personne établissent des zones d'intimité.

 

         92.    L'article 11.2 interdit spécifiquement l'ingérence "arbitraire ou abusive" de ce droit.  La disposition indique que, outre la condition de légalité, qui doit toujours être observée quand on impose une restriction aux droits consacrés par la Convention, l'Etat a l'obligation spéciale d'empêcher les ingérences "arbitraires ou abusives".  L'idée "d'ingérence arbitraire" se réfère à des éléments d'injustice, à l'impossibilité de prédire, et à l'absence de caractère raisonnable dont a tenu compte la Convention en examinant les éléments de nécessité, de caractère raisonnable et de proportionnalité des examens et des inspections.

 

         93.    Néanmoins, la Commission souligne que ce cas porte sur un aspect intime spécial de la vie privée d'une femme et, que l'intervention en question soit justifiable ou non, elle peut provoquer des sentiments profonds d'angoisse et de honte chez presque toutes les personnes qui y sont soumises.  En outre, l'emploi de la méthode sur une petite fille de 13 ans peut causer de graves dommages psychologiques qu'il est difficile d'évaluer.  Mme X et sa fille avaient le droit à ce qu'on respecte leur intimité, leur dignité et leur honneur quand elles ont voulu exercer leur droit à la famille, bien que l'un des membres de celle-ci se trouvait alors en prison.  Ces droits devraient avoir été limités uniquement en cas de situation extrêmement grave et dans des circonstances très précises, tandis que les autorités devaient respecter rigoureusement les principes définis précédemment pour garantir la légalité de la pratique.

 

         94.    La Commission conclue que, quand les autorités de l'Etat argentin ont effectué des inspections vaginales sur Mme X et sa fille chaque fois qu'elles souhaitaient avoir un contact personnel avec le mari de Mme X, elles ont violé leur droit à la protection de l'honneur et de la dignité que consacre l'article 11 de la Convention.

 

 

         3.      Droit de la famille: article 17

 

         95.    On affirme que l'ingérence indue à l'occasion de la visite de Mme X et de sa fille contrevient au droit à la famille que consacre l'article 17 de la Convention, selon lequel:

 

                 1.      La famille est l'élément naturel et fondamental de la société; elle doit être protégée par la société et par l'Etat.

 

         96.    L'article 17 reconnait le rôle central de la famille et de la vie familiale dans l'existence d'une personne et dans la société en général.  C'est un droit tellement fondamental de la Convention qu'on estime impossible d'y contrevenir, même dans des circonstances extrêmes.  Dans l'affaire qui nous occupe, les requérants affirment que l'exercice de ce droit a été l'objet d'une restriction illégitime et que divers droits protégés par la Convention, notamment le droit à l'intégrité de la personne et le droit à l'honneur et à la dignité, ont été violés alors qu'ils voulaient exercer leur droit à la famille.

 

         97.    Le droit à une vie familiale peut se heurter à certaines limitations qui lui sont propres.  Il existe des circonstances spéciales, par exemple l'emprisonnement ou le service militaire qui, sans pour autant suspendre le droit, affectent inévitablement son exercice et empêchent d'en jouir pleinement.  S'il est vrai que l'emprisonnement empêche nécessairement de jouir pleinement de la famille, du fait qu'il sépare par la force l'un de ses membres, l'Etat a l'obligation de faciliter et de réglementer le contact entre les prisonniers et leurs familles, et de respecter les droits fondamentaux de toutes les personnes contre des ingérences abusives et arbitraires de la part de l'Etat et de ses fonctionnaires publics.[21]/

 

         98.    La Commission a toujours affirmé que l'Etat a l'obligation de faciliter le contact entre le prisonnier et sa famille, malgré les restrictions imposées aux libertés personnelles qui découlent de l'emprisonnement.  A ce propos, la Commission a déclaré à diverses reprises que le droit de visite est un droit fondamental pour assurer le respect de l'intégrité et de la liberté personnelle des prisonniers et, à titre de corollaire, le droit de protection de la famille de toutes les parties affectées.[22]/  C'est précisément en raison des circonstances exceptionnelles qui entourent l'emprisonnement que l'Etat a l'obligation de prendre des mesures qui conduisent à garantir effectivement le droit de maintenir et de développer les relations familiales.  C'est pourquoi, le caractère nécessaire de toute mesure qui limite ce droit doit s'ajuster aux conditions ordinaires et raisonnables de l'emprisonnement.

 

         99.    Les visites de contact personnel ne sont pas un droit et, dans beaucoup de pays, ce genre de visite n'est même pas une option.  En règle générale, la possibilité de visites de contact personnel est laissée à la discrétion des autorités de l'établissement pénitencier.  Néanmoins, quand l'Etat réglemente la façon dont les prisonniers et leurs famille exercent le droit à la famille, il ne peut imposer des conditions ou mettre en oeuvre des procédures qui constituent une violation de l'un quelconque des droits consacrés par la Convention, au moins sans les formes et garanties de la procédure.  Tous les Etats parties à la Convention ont l'obligation de s'assurer que l'action de l'Etat et l'organisation  de sa structure interne et de son système juridique rentrent dans certaines limites de légalité.

 

         100.  C'est pourquoi la Commission conclue que quand les autorités de l'Etat argentin ont exigé que Mme X et sa fille se soumettent à des inspections vaginales chaque fois qu'elles souhaitaient avoir un contact personnel avec le mari de Mme X, elles s'ingéraient de façon indue dans le droit des requérants à la famille.

 

 

 

 

 

         4.  Droit de l'enfant: article 19

 

         101.  L'article 19 déclare:

 

         Tout enfant a droit aux mesures de protection qu'exige sa condition de mineur, de la part de sa famille, de la société et de l'Etat.

 

         102.  L'Argentine a également ratifié la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant, qui stipule:

 

         Article 3

 

         1.      Dans toutes les mesures concernant les enfants que prennent les institutions publiques ou privées de bien-être social, les tribunaux, les services administratifs ou les organes législatifs, l'intérêt de l'enfant sera une considération primordiale dont il faudra tenir compte.

 

         103.  Le texte de la Convention américaine reconnait que les enfants doivent recevoir des soins et des attentions spéciaux et que l'Etat a l'obligation de prendre "les mesures de protection qu'exige sa condition".  Un enfant est particulièrement vulnérable aux violations de ses droits parce que, vu sa condition même, il n'a pas, dans la majorité des cas, le pouvoir légal de prendre des décisions dans des situations susceptibles d'avoir de graves conséquences pour son bien-être.  L'Etat a l'obligation  particulière de protéger les enfants et de s'assurer que, quand les autorités publiques prennent des mesures susceptibles de les toucher d'une manière quelconque, elles prennent des précautions afin de garantir les droits et le bien-être de l'enfant.

 

         104.  Dans l'affaire en question, l'Etat argentin a proposé et effectué sur une mineure, qui n'a pas en droit pouvoir de consentement, une intervention entraînant éventuellement des conséquences traumatiques qui pourraient avoir violé une série de droits consacrés par la Convention, sans observer les conditions de légalité, de nécessité, de caractère raisonnable et de proportionnalité qui constituent quelques-uns des conditions nécessaires pour imposer une restriction quelconque aux droits consacrés par la Convention.  En outre, l'Etat n'a pas donné à Y un minimum de protection contre des abus ou un dommage physique, ce qu'il aurait pu faire en demandant aux autorités judiciaires pertinentes de décider si la mesure était appropriée et, dans l'affirmative, en demandant qu'elle soit réalisée par un personnel médical.  La Commission ne pense pas que les conditions en vigueur pour protéger les mineurs, qui ont été décrites par le Chef de la sécurité interne, signifient que les inspections se font en présence de l'un ou des deux parents de la mineure, que l'examen soit moins rigoureux et s'efforce de préserver son sentiment de pudeur et qu'elles aient constitué une protection satisfaisante pour la requérante.

 

         105.  C'est pourquoi, la Commission  conclue que, quand les responsables de l'établissement ont proposé et effectué des examens vaginaux sur la mineure Y avant qu'elle ne rende visite à son père, l'Etat argentin a violé l'article 19 de la Convention.

 

 

 

 

VII.    OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT CONCERNANT LE RAPPORT No 16/95

 

         106.  Le 14 septembre 1995, durant sa 90e session, la Commission a approuvé le rapport No 16/95, sur la base de l'article 50 de la Convention.  Elle l'a donc communiqué au Gouvernement, en lui demandant, comme le prévoit le deuxième alinéa dudit article, de ne pas le publier.

 

         107.  Le gouvernement de l'Argentine a fait parvenir le 7 décembre 1995 ses observations au sujet dudit rapport.

 

         108.  Conformément aux indications du gouvernement, la teneur du rapport no. 16/95 a été portée à la connaissance du Service pénitencier fédéral.

 

         109.  En outre, le 6 juillet 1995, le Congrès de la Nation argentine a été saisi d'un projet de loi sur "l'exécution de la peine de privation de liberté", qui doit remplacer le régime pénitencier en vigueur.  Cette initiative fait partie d'une politique de réforme pénitentiaire générale, qui comporte la création, en 1994, d'un Secrétariat de police pénitentiaire et de réadaptation sociale et l'entrée en vigueur, en 1995, du Plan directeur de la politique pénitentiaire nationale.

 

         110.  Le Message du pouvoir exécutif national qui présente ce projet de loi déclare que:

 

         ... le texte proposé regroupe les préceptes constitutionnels en la matière, la teneur des droits et pactes internationaux et les recommandations de congrès nationaux et internationaux, notamment ceux qui ont eu lieu sous l'égide des Nations Unies sur la prévention du délit et le traitement du délinquant, la législation comparée la plus avancée et divers projets nationaux.

 

         111.  Les dispositions du projet de loi qui concernent la présente affaire sont les suivantes:

 

         Art. 158 — Le prisonnier a droit à communiquer périodiquement sous forme verbale ou écrite, avec sa famille, ses amis, ses proches, ses curateurs et ses avocats, et avec les représentants d'organismes officiels et d'institutions privées qui, à titre de personnes morales, s'intéressent à sa réinsertion sociale. Dans tous les cas, on respectera le caractère privé de ces communications, sans autres restrictions que celles que dispose le juge compétent.

 

         Art. 160 — Les visites et la correspondance que reçoit ou remet le prisonnier, ainsi que les communications téléphoniques, s'ajusteront aux conditions, à l'opportunité et à la supervision qu'établissent les règlements, lesquels ne pourront pas affaiblir les dispositions des articles 158 et 159.

 

         Art. 161 — Les communications orales ou écrites prévues par l'article 160 ne pourront être suspendues ou limitées provisoirement que par décision motivée du Directeur de l'établissement qui en fera immédiatement part au Juge d'exécution ou au Juge compétent.  Le prisonnier sera avisé de la suspension ou de la restriction temporaire de son droit.

 

         Art. 162 — Le visiteur devra respecter les normes réglementaires en vigueur dans l'institution et les indications du personnel, et s'abstenir d'apporter ou d'essayer d'apporter un élément quelconque qui n'a pas fait l'objet d'une autorisation expresse du Directeur.  S'il n'observe pas cette prescription ou s'il est prouvé une connivence coupable avec le prisonnier, ou s'il ne maintient pas le comportement voulu, son accès à l'établissement sera suspendu, de manière temporaire ou définitive, par décision du Directeur.

 

         Art. 163 — Le visiteur et ses dépendances feront, pour des raisons de sécurité, l'objet d'une fouille.  La fouille, qui devra respecter la dignité de la personne humaine, sera effectuée et dirigée, conformément à la procédure prévue par les règlements, par une personne du même sexe que le visiteur.  La fouille manuelle sera remplacée, dans la mesure du possible, par l'usage de détecteurs non intensifs ou par d'autres techniques non tactiles appropriées et efficaces.

 

 

VIII.   CONCLUSIONS

 

         112.  La Commission reconnait les mesures prises par l'Etat argentin afin de modifier son système pénitencier, plus spécifiquement en ce qui concerne la violation dénoncée dans la présente affaire.

 

         113.  La Commission estime que l'Etat a pris l'initiative de donner suite à certaines conclusions et recommandations du rapport No. 16/95, notamment au sujet de la nécessité d'instituer par la loi les restrictions aux droits et garanties consacrés par la Convention.

 

         114.  La Commission a également conclu dans son rapport No. 16/95 que, pour établir la légitimité d'un examen ou d'une inspection vaginale, dans un cas en particulier, il est nécessaire qu'existent les conditions suivantes:

 

         1.      Il est absolument nécessaire pour parvenir à l'objectif légitime de l'affaire en question;

 

         2.      Il ne doit exister aucune autre option;

 

         3.      Il devrait, en principe, être autorisé par les services judiciaires;

 

         4.      Il doit être effectuée uniquement par des professionnels de la santé.

 

         115.  L'article 163 du projet de loi, qui envisage le remplacement de la fouille manuelle par des détecteurs non intensifs ou par d'autres techniques non tactiles appropriées et efficaces concorde en principe avec les recommandations de la Commission.  Néanmoins, l'article précité ne mentionne pas de façon expresse l'inspection corporelle invasive qui a été analysée dans le présent rapport.  La Commission déclare de nouveau que les inspections vaginales, ou autres inspections corporelles de type invasif, doivent être effectuées par un personnel médical homologué.

 

         116.  C'est pourquoi la Commission conclue qu'en imposant une condition illégale aux visites à l'établissement pénitencier sans disposer d'un mandat judiciaire ni offrir les garanties médicales appropriées et en effectuant des examens et des inspections dans ces conditions, l'Etat argentin a violé les droits de Mme X et de sa fille Y consacrés dans les articles 5, 11 et 17 de la Convention, en liaison avec l'article 1.1 selon lequel l'Etat argentin a l'obligation de respecter et de garantir le libre et plein exercice de toutes les dispositions que reconnait la Convention.  Dans le cas de Y, la Commission conclue que l'Etat argentin a également violé l'article 19 de la Convention.

 

 

IX.     RECOMMANDATIONS

 

         117.  Sur la base des conclusions précédentes,

 

 

         LA COMMISSION INTERAMERICAINE DES DROITS DE L'HOMME

 

         118.  Recommande à l'Etat argentin d'adopter les mesures législatives ou autres permettant d'ajuster ses provisions aux obligations définies par la Convention, exprimées dans les présentes conclusions et recommandations.

 

         119.  Recommande à l'Etat argentin de tenir la Commission informée de l'étude et de l'adoption des mesures mentionnées au paragraphe précédent.

 

         120.  Recommande que les victimes reçoivent un dédommagement approprié.

 

         121.  Décide de publier le présent rapport dans le Rapport annuel à l'Assemblée générale de l'OEA.

 


 


     [1].     Le mandaté Oscar Luján Fappiano, de nationalité argentine, n'a participé ni aux débats ni au vote en l'affaire, conformément à l'article 19 du Règlement de a Commission.

     [2].     A la demande des requérantes, l'identité des victimes n'est pas révélée, étant donné que l'une d'entre elles est mineure et vu la nature des violations dénoncées.

     [3].     Chambre d'appel, 35972-X et autres; s/action de protection-17/151-Int.llda., Buenos Aires, 25 avril 1989, paragraphe IV.

     [4].     Ibid.

     [5].     Cour suprême de Justice, arrêté sur le recours de protection, Tome 207 du Libro de Sentencias, Buenos Aires, 21 novembre 1989, page 105, par. 3.

     [6].     Le règlement applicable en ce cas et qui n'a pas été respecté, est celui de l'article 28 du Bulletin public du Service pénitencier fédéral No. 1266, qui déclare textuellement: "Les visiteurs devront se soumettre à la méthode de recherche qui est appliquée dans l'unité, s'ils ne veulent pas renoncer à l'entretien.  Dans tous les cas, la recherche sera effectuée par une personne du même sexe que la personne objet de la recherche".  Dans le Bulletin public No 1625, il est prévu que "le traitement humanitaire devra avoir priorité dans les recherches, en évitant toute méthode susceptible d'entraîner une brimade interne...:" et que "une méthode analogue devra être adoptée à propos des recherches effectuées sur les personnes qui rendent visite à des prisonniers".

     [7].     Ibid.

  [8].        Dans l'avis qu'il a présenté à propos de l'action de protection entreprise par Mme Arena, le Procureur général de la Nation a indiqué que: "... l'opportunité de la plainte, après la longue période pendant laquelle la requérante a été soumise à ces examens, ce qui indique la connaissance du règlement contesté, rend douteux qu'il y ait en l'instance une autre possibilité sinon celle d'utiliser les mécanismes administratifs et judiciaires communs...."  Office du Procureur général de la Nation, 24 juillet 1989, 531, L. XXXII.

  [9].        Cour permanente de Justice internationale, affaire Lotus, Arrêté No 9, 1927, Série A No 109, page 31 et Cour européenne des droits de l'homme, Affaire Handsyde, Arrêté du 7 décembre 1976, Série A No 24, paragraphe 41.

  [10].      Cour interaméricaine des droits de l'homme, affaire Velásquez Rodríguez, Arrêté du 29 juillet 1988, Série C, No. 4, paragraphe 165.

 

           Dans son avis consultatif au sujet du vocable "Lois", la Cour affirme en outre que:

 

           ... la protection des droits de l'homme, notamment des droits civils et politiques reconnus par la Convention, découle de l'affirmation de l'existence de certains attributs inviolables de la personne humaine qui ne peuvent être légitimement amoindris par l'exercice du pouvoir public. Il s'agit de domaines individuels que l'Etat ne peut léser ou dans lesquels il ne peut s'ingérer que de façon limitée. Ainsi donc, la protection des droits de l'homme comporte nécessairement la notion de restriction de l'exercice du pouvoir de l'Etat.

 

           Cour interaméricaine des droits de l'homme, le vocable "Lois" dans l'article 30 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, Avis consultatif OC-6/86 du 9 mai 1986.  Série A, No 6, paragraphe 21.

  [11].      Ibid., paragraphe 166

  [12].      La Cour a déclaré que:

 

                      ... les critères de l'article 30 sont effectivement applicables aux cas où l'expression "loi" ou des locutions équivalentes sont employées par la Convention au sujet des restrictions que celle-ci autorise à propos de chacun des droits protégés. Pour cela, la Convention ne se borne pas à proclamer l'ensemble des droits et libertés dont l'inviolabilité est garantie à tout être humain, mais se réfère aussi aux conditions particulières dans lesquelles il est possible de borner la jouissance ou l'exercice de ces droits ou libertés sans pour autant les violer.  L'article 30 ne peut pas être interprété comme une sorte d'autorisation générale d'instituer de nouvelles restrictions aux droits protégés par la Convention, qui s'ajouteraient aux limitations permises par le règle particulière qui concerne chacun d'eux.

 

                      Cour interaméricaine des droits de l'homme, le vocable "Lois" dans l'article 30 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, OC-6 du 9 mai 1986, Série A, No 6, paragraphe 17.

  [13].      Cour interaméricaine des droits de l'homme, l'affiliation obligatoire des journalistes (articles 13 et 29 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme), Avis consultatif OC-5/85 du 13 novembre 1985.  Série A No 5, paragraphe 67.

  [14].      OC-5, paragraphe 37.

  [15].      Cour interaméricaine des droits de l'homme, le vocable "Lois" dans l'article 30 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, Avis consultatif OC-6/86 du 9 mai 1986.  Série A, No 6, paragraphe 22.

  [16].      A ce propos, voir le "Sunday Times Case", dans lequel la Cour européenne a estimé que:

 

                      ".... une norme ne peut être considérée comme étant une loi du fait qu'elle n'a pas la précision suffisante permettant à un citoyen d'administrer sa conduite; elle doit pouvoir, s'il le faut après consultation nécessaire, prévoir jusqu'à un point raisonnable, vu les circonstances, les conséquences qui découleraient d'une action déterminée.  Décision du 26 avril 1979, Série A, Vol. 30 (1979), page 31."

 

  [17].      A ce propos, la Cour a déclaré que:

 

                      L'expression "lois", dans le cadre de la protection des droits de l'homme, n'aurait pas de sens si elle n'entraînait pas l'idée que la seule décision du pouvoir public ne suffit pas pour limiter ces droits.  Le contraire équivaudrait à une virtualité absolue des pouvoirs des gouvernements face aux gouvernés. OC-6, Série A No. 6, paragraphe 27.

  [18].      OC-5, paragraphe 46, citant "The Sunday Times case", décision du 26 avril 1979 de la Cour européenne des droits de l'homme, Série A No 30, paragraphe 62.

  [19].      OC-5, paragraphe 46.

  [20].      Voir à ce propos l'affaire X et Y contre les Pays-Bas, dans laquelle la Cour européenne a établi cette relation à propos de la disposition analogue de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, décision du 26 mars 1985, Série A Volume 91, paragraphe 22.

  [21].      L'article 37 des Règles minimum des Nations Unies concernant le traitement des prisonniers déclarent:

          

           "Les prisonniers seront autorisés à communiquer périodiquement, sous surveillance, avec leur famille et avec des amis de bonne réputation, aussi bien par correspondance que par des visites.  (suite...)

 

           Règles minimum pour le traitement des prisonniers, adoptées par le Premier Congrès des Nations Unies sur la prévention du délit et le traitement du délinquant, tenu à Genève en 1955 et approuvées par la Conseil économique et social par les résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977.

  [22].      Sur cette question, voir les rapports suivants de la Commission:  Affaire Miskito, pages 31-2; Affaire Cuba, page 62 (1983) et Affaire Uruguay (1983-84), page 130, paragraphe 10.