DISCOURS DU PRESIDENT DEVANT LE CONSEIL PERMANENT DE
L'ORGANISATION DES ETATS AMERICAINS

Washington, D.C. le 6 février 1995

         Monsieur le Président du Conseil permanent, M. le Secrétaire général adjoint, Mme la Secrétaire exécutive de la Commission, éminents Représentants, mes chers collègues, membres de la Commission, Mesdames et Messieurs:

         C'est pour moi un privilège et un honneur que d'ouvrir cette 88e Session de la Commission interaméricaine des droits de l'homme.  Durant une séance préliminaire de trois jours ouvrables, nécessaires en raison du volume croissant de travail, la Commission a organisé des audiences à propos de diverses requêtes et de la situation des droits de l'homme dans certains pays.  Les séances officielles de la session plénière commenceront aujourd'hui.  De par la tradition de la Commission et du Conseil permanent, cette cérémonie d'ouverture offre au président de la Commission l'occasion de s'exprimer au nom de ses membres pour brosser un tableau des récentes activités de la Commission et des questions de droits de l'homme qui nous touchent tous.

         Durant les 5 mois qui se sont écoulés depuis notre dernière session, la Commission a effectué des visites in loco en Haïti, en Equateur, au Guatemala et à la Jamaïque.  Les gouvernements de chacun de ces pays ont apporté à la Commission toutes les facilités possibles et ont fait preuve de leur pleine et entière collaboration.   La Commission profite de cette occasion pour remercier publiquement ces gouvernements de leur aide.  La Commission a présenté quatre nouvelles requêtes, a évoqué deux nouvelles affaires devant la Cour interaméricaine, a poursuivi la préparation de divers rapports concernant les Amériques, dont certains seront présentés en temps voulu à l'Assemblée générale.  Et, bien sûr, elle a poursuivi ses fonctions principales, qui sont certainement sa raison d'être, à savoir l'instruction de requêtes individuelles.

          La Commission interaméricaine a souvent observé que le droit à un gouvernement démocratique bénéficiant de l'appui populaire, que garantissent la Convention américaine relative aux droits de l'homme et le Pacte international des droits civils et politiques, est un droit en soi et un préalable fondamental à la quasi totalité des autres droits de l'homme qui sont internationalement reconnus.  Quand des hommes armés auxquels on a confié la responsabilité de protéger la communauté nationale trahissent cette confiance et retournent leurs armes contre le gouvernement populaire, suspendent la Constitution et les lois, et prennent le contrôle d'un système judiciaire indépendant, à ce moment-là, tous les droits de l'homme sont en danger.  En l'absence d'un système judiciaire indépendant, les citoyens n'ont aucun refuge s'ils sont confrontés à la violation de leurs droits.  En l'absence d'un système judiciaire indépendant, il ne s'exerce aucun contrôle sur la police puisqu'un système moderne de police ne peut fonctionner sans une supervision judiciaire efficace.  Les usurpations du pouvoir par les militaires marquent le début d'une avalanche de violations des droits de l'homme.

         Or, et c'est chose curieuse, le système juridique international, en règle générale, a tendance à faire des problèmes que posent les coups d'Etat militaires comme une violation secondaire ou moins urgente des droits de l'homme.  Jsuqu'à il y a peu de temps le droit international public avait tendance à reconnaître les usurpateurs et à les mettre en place, affirmant qu'après tout ils représentaient le gouvernement de facto.  Agir d'une autre façon, affirmait-on dans certains milieux, pourrait être considéré comme une ingérence dans les affaires internes d'un pays.

         C'est avec satisfaction qu'on constate que, dans ce domaine, le Système interaméricain est très avancé par rapport au reste du monde.  L'historique Déclaration de Santiago et une série de résolutions prises au niveau politique, ont clairement qualifié les usurpations de l'autorité civile de violation des droits de l'homme fondamentaux et a mis en place des procédures qui permettent au continent de réagir de façon efficace.  Récemment, lors du Sommet de Miami, le continent a réaffirmé son engagement à l'égard de la démocratie et des droits de l'homme.

         Notre région poursuit un processus de consolidation et d'élargissement du mode de gouvernement démocratique.  Depuis la dernière session de la Commission, le gouvernement légitime et constitutionnel a été rétabli en Haïti.  La Commission s'est de nouveau rendue en Haïti en octobre et a pu confirmer le soulagement extraordinaire et manifeste de la population  à la suite du retour de président élu et de son gouvernement, tout comme la gratitude qu'elle témoigne à l'égard de la force multinationale et du système international et régional qui a refusé de tolérer la force brutale et a insisté pour défendre les droits de l'homme de la population haïtienne.  Néanmoins, la situation en Haïti reste délicate, car le gouvernement légitime cherche à affermir son contrôle et éliminer les effets de trois ans de despotisme brutal.  Le 17 janvier 1995, le Secrétaire général des Nations Unies, M. Boutros-Ghali a fait observer dans un long rapport spécial qu'il a adressé au Conseil de sécurité au sujet de la situation en Haïti que "à l'heure actuelle la sécurité relative de la population haïtienne reste extrêmement fragile" (S/1995/46, page 4).  Il n'y a là rien de bine surprenant.  Dans un pays qui a été pendant des années l'objet d'une brutale dictature militaire, laquelle a cyniquement pillé un pays qui souffrait déjà de rigides sanctions internationales, la reconstruction de la démocratie, de la vie politique tout comme de l'infrastructure économique prendra du temps et exigera à titre essentiel une aide internationale.

         La Commission a rencontré le Président Aristide à Port-au-Prince, et lui a indiqué qu'elle continuait à soutenir les droits de l'homme de la population haïtienne et souhaitait aider la reconstruction d'Haïti par tous les moyens possibles, dans les limites de ses fonctions en vertu de la Convention.  Dans ce domaine, l'Organisation des Etats Américains et les Nations Unies jouent un rôle fondamental.  La Commission continuera à  suivre de près la situation des droits de l'homme.

         A Cuba, malheureusement, il y a eu peu de changements visibles qui pourraient rapprocher le pays des normes internationales des droits de l'homme.  Il y a un parti unique, aux côtés d'un dirigeant pratiquement permanent qui continue à exercer un contrôle absolu et refuse d'organiser des élections populaires.

         Un Gouvernement démocratique constitutionnel est une exigence de la Convention et un préalable à la réalisation des autres droits de l'homme qui font l'objet d'une protection internationale.  Il convient cependant de répéter que les élections et un gouvernement populaire ne conduisent pas automatiquement à la satisfaction des autres droits de l'homme.  C'est pourquoi, la Convention américaine lance un appel pour que chacun des Etats parties organise un vaste programme des droits de l'homme.

         La consolidation de la démocratie au niveau régional a permis à la Commission de s'occuper d'autres problèmes systémiques qui sont communs à plusieurs Etats de la région.  L'un d'entre eux revêt une importance particulière.  Le système judiciaire ou juridique et le service public sont les bases fondamentales d'un gouvernement démocratique et, par conséquent, d'un système des droits de l'homme.  Dans divers pays que la Commission a étudiés, le système judiciaire n'observe pas ces normes et, à la quasi totalité des niveaux du système judiciaire, les juges sont les premiers sans aucun doute, à le reconnaître.  Une partie du problème a à voir avec les moyens financiers insuffisants que fournit le système politique, ce qui conduit à un manque de personnel et à une démoralisation générale et ouvre la voie à la corruption.  Dans certains pays, une partie du problème est la persistance de méthodes périmées qui exigent que la justice fonctionne de façon peu efficace tandis qu'on dépense inutilement des moyens déjà modestes.  Ces problèmes systémiques sont aggravés par l'immensité du nombre d'affaires de stupéfiants où les juges ont souvent été désignés pour des raisons de convenance.  L'un des principaux indicateurs de la pathologie qui en résulte est le long retard de l'instruction des affaires, la durée extrêmement longue qui existe entre l'arrestation pour raison criminelle et la mise en jugement  et les périodes inacceptables de détention préventive avant la mise en jugement.

         Ces problèmes sont généraux et il ne sert pas à grand chose de mentionner les noms des pays.  Sans aucun doute, les gouvernement eux-mêmes ont été les premiers à reconnaître les difficultés.  La Commission est en train d'effectuer une étude qui porte sur tout le continent et qui permettra, nous l'espérons, de procéder à quelques aménagements systématiques que les pays peuvent mettre en place pour remédier à la situation en fonction de leurs obligations au titre de l'article 2 de la Convention américaine.  De cette manière, tout comme dans la plupart des cas, les changements dépendent de la volonté politique du gouvernement de chaque pays.  Il existe d'importants modèles historiques d'améliorations des services publics et judiciaires par les services eux-mêmes.  Il y a des exemples remarquables de récentes initiatives judidiciares dans notre continent.  Comme les conditions changent selon les pays, les solutions montrent que c'est là une question qui peut être résolue chaque fois qu'existe la volonté de le faire.

         Il est impossible de sous-estimer l'urgence de ces changements.  Les violations des droits de l'homme ne sont pas quelque chose d'insolite dans les régimes démocratiques et constitutionnels parce que les droits représentent un processus dialectique qui est en constante évolution  sous la pression des événements et des nouvelles exigences humaines.  En réalité, dans la mesure où un système devient plus démocratique, la population a plus de confiance pour présenter des plaintes contre des institutions officielles du gouvernement afin de préciser et d'exercer ses droits.  Les tribunaux sont les recours internes essentiels à la réalisation de ces requêtes et un système judiciaire effectif représente une exigence de la Convention américaine.  De même, il est indispensable dans un état de droit qu'existe un service de police moderne et efficace.  Or, dans un système moderne, la police ne peut pas fonctionner efficacement en l'absence de contrôles constitutionnels, y compris l'indépendance judiciaire.  D'où l'importance d'un système judiciaire efficace en ce qui concerne les droits de l'homme sur le plan national.

         Depuis la dernière Session de la Commission, la CIDH a reçu des plaintes concernant l'environnement.  Il peut sembler anormal de dire que des violations de l'environnement sont des violations des droits de l'homme mais l'article 4 de la Convention américaine exige que le gouvernement protège le droit  à  la vie.  Or, ce droit est compromis, par exemple, quand l'eau sans laquelle la vie est inimaginable est contaminée par des méthodes industrielles qui ne font pas l'objet de règlementation.  Quand on déverse directement des déchets toxiques dans l'eau que boit la population, les conséquences épidémiologiques sont bien connues -augmentation des maladies, enfants morts-nés, malformation des foetus, maladies et diminution de l'espérance de vie.

         La Convention américaine n'est pas opposé au développement industriel.  Bien au contraire.  Plus que tout autre instrument important des droits de l'homme du monde moderne, la Convention américaine met l'accent sur les droits économiques et leur développement, tout comme le fait la Charte de l'Organisation des Etats Américains.  Ces droits peuvent être satisfaits grâce au développement d'une économie solide.  Le problème consiste à réglementer les utilisations industrielles de façon à protéger les droits que garantit la Convention américaine.  La quasi totalité des Etats de notre continent ont ce genre de réglementation dans leurs statuts, ce qui montre qu'ils reconnaissent généralement cette obligation.  Dans certains cas, le problème réside dans l'application peu efficece de ces règlements.  La Commission a reçu un plus grand nombre de requêtes à propos de ces questions.

         Comme le Conseil permanent l'a indiqué dans le passé, la Commission a été constituée dans le cadre des procédures politiques de l'Organisation des Etats Américains et elle continue à dépendre de l'appui de ces procédures pour exécuter les travaux qui lui sont propres.  A ce propos, Monsieur le Président, M. le Secrétaire général adjoint, je dois saisir l'occasion qui m'est offerte pour vous remercier, au nom de mes collègues de la Commission, de l'aide que vous avez apportée à celle-ci durant la période précédente.  Comme toujours, la CIDH espère pouvoir compter sur votre coopération pour atteindre son objectif commun, qui est la protection des droits de l'homme dans le continent.

Je vous remercie.


                   PRESENTATION DU RAPPORT ANNUEL 1994 DE LA COMMISSION
                 
INTERAMERICAINE DES DROITS DE L'HOMME PAR LE PRESIDENT
                
ALVARO TIRADO MEJÍA DEVANT LA COMMISSION DES QUESTIONS
                  
JURIDIQUES ET POLITIQUES DU CONSEIL PERMANENT DE L'OEA

Monsieur le Président de la Commission des questions juridiques et politiques,

Mesdames et Messieurs Ambassadeurs, Représentants permanents

Mesdames et Messieurs Représentants suppléants

Mesdames et Messieurs membres de la Commission

Madame la Secrétaire exécutive de la CIDH,

         J'ai l'honneur de présenter à la Commission des questions juridiques et politiques du Conseil permanent, avant d'en saisir l'Assemblée générale le rapport annuel de la Commission interaméricaine des droits de l'homme portant sur l'année 1994.

         Etant donné l'importance que revêt cette présentation devant la Commission des questions juridiques et politiques, et pour rappeler sa qualité d'organe intergouvernemental, la Commission interaméricaine des droits de l'homme a voulu être présente dans son ensemble à cette importante réunion.  J'ai donc à mes côtés le professeur Claudio Grossman et l'Ambassadeur John Donaldson, vice-présidents de la Commission ainsi que M. Leo Valladares, membre de la Commission.

         Le présent rapport a été adopté par la Commission durant sa 88e Session ordinaire, qui s'est déroulée à Washington D.C. du 6 au 17 février dernier; il a été élaboré en tenant compte aussi bien de la résolution 331 adoptée par la huitième Session ordinaire de l'Assemblée générale que de l'article 63 du règlement de la Commission.

         Selon les critères de ces deux documents, le rapport se compose de six chapitres.

         Le premier d'entre eux expose de façon sommaire, comme d'ordinaire, l'origine et les bases juridiques de la Commission et indique aussi les réunions que la CIDH a organisées durant l'année 1994 avec d'autres organismes du Système interaméricain et avec des organismes régionaux et mondiaux qui s'occupent des droits de l'homme.

         Le deuxième chapitre dont je parlerai plus longuement a trait aux activités de la Commission durant la période examinée.  Il convient de souligner que durant l'année, la Commission a tenu trois sessions: la 85e, du 31 janvier au 11 février, la 86e, les 6 et 7 avril, et la 87e, du 19 au 30 septembre 1994.

         Les questions abordées durant les trois sessions sont résumées dans le rapport; je ne vais donc pas m'y appesantir.

         L'une des activités les plus importantes entreprises par la Commission durant cette période, concerne les observations ou visites in loco qu'elle a effectuées.  Je souhaite appeler l'attention sur l'importance de ces observations in loco qui représentent dans la pratique l'un des meilleurs outils dont dispose la Commission pour promouvoir l'observation des droits de l'homme.

         Ces observations sont une excellente méthode d'enquête mais elles donnent aussi à la Commission une possibilité singulière d'empêcher des situations qui touchent la réalisation générale des droits de l'homme et d'y remédier.  L'Assemblée générale a reconnu l'importance de ces observations et nous espérons qu'elle en fera de même cette année, et demandera aux Etats de donner leur accord pour que la Commission puisse les effectuer.

         Durant la période couverte par le rapport, la Commission s'est rendue au Guatemala pour visiter les communautés de population en résistance, ce qu'elle a fait du 4 au 11 mars 1994.

         Du même, du 22 au 27 mai, la Commission s'est rendue aux Bahamas pour observer les populations haïtiennes à Grand Abaco, Grand Bahamas, Eleuthéra et New Provindence et dans la prison de Carmichael Road.

         En novembre dernier, la Commission s'est rendue en Equateur.  Elle a aussi effectué une visite à la Jamaïque du 7 au 9 décembre pour y observer les conditions d'emprisonnment et les centres de détention de ce pays.

         Du 12 au 15 décembre, la Commission est retournée au Guatemala afin d'observer la situation des droits de l'homme et de recevoir des informations au sujet d'affaires individuelles qu'elle avait en instance et qui allèguent des violations des droits de l'homme que protège la Convention américaine.

         Il convient de mentionner tout particulièrement deux observations in loco que la Commission a effectuées en Haïti, la première du 16 au 20 mai et l'autre du 22 au 24 octobre.

         Je dois redire la satisfaction que nous avons tous éprouvée à la suite du dénouement encourageant de la situation en Haïti et du retour du Président Jean-Bertrand Aristide.  La Commission espère que le renforcement des institutions démocratiques sera un moyen plus efficace pour protéger et défendre les droits fondamentaux de l'homme.

         La Commission ne saurait oubliée l'importante mesure prise par le Président Aristide avec la création de la Commission de la vérité et de la justice, composée de sept membres sous la présidence de Mme Françoise Boucard.  Parmi ses membres figurera le Dr Patrick Robinson, actuel membre de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, dont il fut président, qui agira à titre d'expert individuel.

         S'il est vrai qu'il a surmonté l'une des phases les plus douloureuse de l'histoire actuelle, le gouvernement d'Haïti a encore un lourd et difficile travail à accomplir et la Commission souhaite par ma voix redire une fois de plus qu'elle est disposée à collaborer dans le cadre de son mandat à tout ce qui est nécessaire pour consolider la démocratie dans ce pays.

         Un autre élément extrêmement important du travail de la Commission durant 1994 a concerné la Cour interaméricaine des droits de l'homme; la Commission a participé à des affaires contentieuses et a apporté sa collaboration à la Cour dans le cadre de son rôle consultatif.  En ce qui concerne les affaires contentieuses, la Cour a prononcé un jugement contre l'Etat du Pérou le 19 janvier de l'année en cours dans l'affaire Neira Alegría et autres, connue sous le nom de "El Frontón".

         En ce qui concerne l'affaire "Isidro Caballero Delgado et María del Carmen Santana" que la Cour a instruit contre l'Etat de Colombie, elle est en train de recevoir des témoignages quant au fond donnés par les témoins proposés par les parties.

         A propos de l'affaire "Genie" contre l'Etat du Nicaragua, la Cour a tenu une audience au sujet des exceptions préliminaires interjetées par le Gouvernement.  Le 27 janvier dernier, la Cour s'est prononcée au sujet de ces exceptions et a décidé de déclarer sa compétence pour connaître de l'affaire.

         Dans l'affaire dite "El Amparo" contre le Gouvernement du Venezuela, la Cour a décidé le 18 janvier dernier de prendre note de la reconnaissance de responsabilité admise par le Gouvernement du Venezuela.

         A propos de l'affaire Maqueda contre le Gouvernement de l'Argentine, la Cour a accepté le désistement de l'action intentée par la Commission et a décidé de surseoir à l'affaire, puisque le gouvernement et la partie demanderesse avaient abouti à un règlement à l'amiable qui répond aux intérêts des deux parties.

         La Commission a demandé à la Cour d'adopter des mesures conservatoires pour protéger la vie et l'intégrité personnelle de divers témoins, des membres de leurs familles et d'avocats dans l'affaire Colotenango, en instruction devant la Commission, contre le Gouvernement du Guatemala.

         Enfin, je suis heureux de faire savoir que le 9 decembre 1994, la Cour a publié son avis consultatif OC-14, appelé "Responsabilité internationale pour l'adoption et l'application de lois qui violent la Convention (articles 1 et 2 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme)".

         Cet avis avait été demandé par la Commission interaméricaine des droits de l'homme qui avait chargé la Cour de déterminer les effets juridiques qu'aurait une loi adoptée par un Etat partie à la Convention qui viole manifestement les obligations que cet Etat aurait contractées en ratifiant la Convention, et quelles seraient les obligations et responsabilités des agents ou fonctionnaires qui appliquent cette loi.

         La Commission des questions juridiques et politiques du Conseil permanent a reçu le 7 avril dernier le rapport annuel de la Cour interaméricaine des droits de l'homme présenté par son président, le Dr Héctor Fix-Zamudio, dans lequel elle rend compte avec plus de détails de ses activités contentieuses et consultatives.

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

         Je souhaite également évoquer d'autres activités importantes de la Commission, en exécution du mandat que lui confèrent la Charte de l'OEA et la Convention américaine dans le domaine de la promotion et de la diffusion des droits de l'homme.

         Parmi les activités dont rend compte le rapport, je voudrais souligner tout particulièrement la commémoration du 35e anniversaire de la création de la Commission, qui a été célébré dans le pays où elle est née, le Chili, sur l'invitation du Gouvernement de ce pays.  Durant cette visite, ont eu lieu diverses manifestations qui ont été honorées de la présence du Président de la République, le Dr Eduardo Frei, des ministres d'Etat, du Président de la Cour suprême et d'autres personnalités des pouvoirs exécutif et législatif, des milieux universitaires ainsi que des représentants d'ONG qui s'occupent des droits de l'homme.

         Le chapitre III, Monsieur le Président, intitulé "Rapports relatifs à des affaires individuelles", répond au mandat fondamental de la Commission en matière de protection des droits de l'homme et rend compte des activités de la Commission qui sont peut-être les plus importantes.  Je veux parler des requêtes individuelles que la CIDH a examinées durant l'année 1994 et à propos desquelles elle a adopté des résolutions.

         La longueur de ce chaptire, qui occupe 96 pages, montre bien en soi l'importance que la Commission attache à cette question.  C'est pourquoi elle a consacré une grande partie de ses travaux à l'examen de ces affaires individuelles.  La Commission a l'intention de redoubler d'efforts dans ce domaine, qui est revêt une importance prioritaire car il contribue à l'examen juridique des problèmes de droits de l'homme.

         Dans le chapitre IV, la Commission a consacré des sections  à l'évolution de la situation des droits de l'homme en Colombie, à Cuba, au Salvador et au Guatemala.

         S'agissant de la Colombie, la situation de violence reste préoccupante.  Par ailleurs, et comme l'indique le rapport, la Commission a déclaré que le problème des droits de l'homme n'a pas été ignoré en Colombie et est loin d'avoir été occulté par les autorités de ce pays, qui ont bien au contraire reconnu les faits et les ont desapprouvés et fermement condamnés; preuve en  sont les témoignages des autorités les plus hautes et les mieux qualifiées, à commencer par le Président de la République lui-même.  En effet, le gouvernement du Président Ernesto Samper a exprimé clairement sa position et indiqué son engagement sans réserve de respecter et de faire respecter les droits de l'homme en Colombie, ce dont se réjouit profondément la Commission.  Par mon intermédiaire, la Commission souhaite exprimer sa reconnaissance au Gouvernement de la Colombie pour les mesures qu'il a prises afin de ratifier le Protocole additionnel aux Conventions de Genève due 12 août 1949 concernant la protection des victimes des conflits armés internationaux.

         En ce qui concerne Cuba, la Commission a publié, comme elle le fait depuis de longues années, des informations au sujet de la situation des droits de l'homme dans ce pays.  S'il est vrai que, dans le cas de Cuba, la Commission ne possède pas d'informations que lui fournisse le gouvernement lui-même, ce qui aurait été idéal, elle a utilisé les sources disponibles pour continuer à exprimer sa préoccupation au sujet de la situation des droits de l'homme dans ce pays, notamment à propos des droits politiques; la Commission est convaincue qu'à Cuba comme dans tout autre pays des Amériques la situation des droits de l'homme est liée à l'existence de régimes démocratiques, qui sont les seuls à pouvoir véritablement garantir le respect de ces droits.

         Dans son rapport, la Commission a exprimé ses préoccupations du fait qu'il est impossible de constituer et de développer à Cuba des partis politiques autres que le parti communiste.  Cette exclusion de perspectives politiques différentes a été renforcée par un ensemble de normes constitutionnelles.  Sur le plan des activités politiques partisanes, la pratique de Cuba n'est pas conforme à la doctrine de la Commission selon laquelle l'existence de partis politiques divers est une condition fondamentale de la démocratie et exerce un frein quand le monopole du pouvoir est entre les mains d'une personne ou d'un groupe.

         En ce qui concerne le Salvador, je suis très heureux de pouvoir dire que la Commission a constaté d'importants progrès en matière d'observation des droits de l'homme dans ce pays après la signature des accords de paix.  A l'heure actuelle, comme le déclare la Commission dans son rapport, des réformes institutionnelles ont été entreprises dans des domaines qui ont à voir avec les droits de l'homme tels que l'administration de la justice, la législation pénale, la police nationale, les forces armées et le transfert de terres.  En décembre 1994, l'Etat du Salvador a déposé son instrument de ratification de la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture.  La Commission a été avisée de l'approbation récente donnée par la législature qui permet au Salvador de ratifier le Protocole de San Salvador, adopté par l'Assemblée générale en 1988 à propos des droits économiques, sociaux et culturels.  De même, la législature a approuvé l'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour interaméricaine des droits de l'homme.  Ces décisions confirment l'engagement pris par le Gouvernement salvadorien en matière de promotion et de protection des droits de l'homme.  De l'avis de la Commission, ces actes de volonté politique de se relier aux instruments internationaux de protection des droits de l'homme donnent à d'autres Etats un exemple à suivre.

         Enfin, en ce qui concerne le Guatemala, la Commission observe qu'il reste divers problèmes, notamment à propos du droit à la vie, --le plus important de tous les droits-- qui continue à être violé dans un contexte d'impunité générale.  Néanmoins, la Commission apprécie les efforts du gouvernement.  Le Président León Carpio a ouvert des espaces de dialogue démocratique dans le cadre d'une difficile transition vers la paix et la pleine application des institutions et garanties démocratiques.  L'année dernière, par exemple, après une visite in loco de la Commission, des améliorations importantes ont été apportées à la situation de communautés de populations en résistance tandis qu'on intensifiait la réinsertion des paysans exilés et des réfugiés internes.

         La Commission voit avec optimisme les efforts déployés dans le cadre des négociations de paix et lance un appel aux parties intéressées pour qu'elles continuent à les poursuivre jusqu'à la conclusion définitive de la paix.

         La Commission est sûre que le Gouvernement du Guatemala poursuivra les mesures qu'il a déjà prises; en même temps, elle insiste pour qu'il applique pleinement les recommandations qu'elle a formulées dans son rapport annuel de 1993 présenté durant la séance qui a précédé l'Assemblée générale puisqu'à son avis subsistent les problèmes et les situations qui l'ont conduite à formuler de telles recommandations.

         Dans le chapitre V, la Commission présente un rapport sur la compatibilité entre les lois d'outrage et la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

         J'évoquerai enfin le chapitre VI, qui indique les domaines dans lesquels il faut prendre des mesures pour mieux appliquer les droits de l'homme conformément à la Déclaration américaine et à la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

         Monsieur le Président, dans ce chapitre, la Commission a la possibilité de recommander à l'organe suprême de l'OEA et aux Etats membres l'adoption de certaines mesures susceptibles de conduire à une meilleure application des droits de l'homme.  L'année dernière s'est produit un événement d'importance extraordinaire, quand les chefs d'Etat et de gouvernement se sont réunis au Sommet des Amériques, à Miami, afin d'adopter d'importantes décisions à propos d'un Plan d'action pour renforcer et préserver les démocraties dans le continent .

         Dans le cadre de leur Plan d'action, les chefs d'Etat et de gouvernement ont estimé que la promotion et la protection des droits de l'homme représentent l'une des tâches prioritaires en matière de relations internationales.  La Commission veut apporter une aide pour que les décisions adoptées à un niveau aussi élevé puissent être suivies d'effets de la façon la plus pratique, efficace et opportune.

         La Commission se range donc aux décisions qu'ont adoptées les chefs d'Etat et de gouvernement; la Commission se préoccupe de ces questions depuis de longues années et leur a consacré des études et des recommandations que l'on trouve dans les chapitres respectifs de divers rapports annuels et aussi dans les rapports concernant des affaires individuelles.

         La Commission est reconnaissante aux chefs d'Etat et de gouvernement de l'importance qu'ils attribuent, dans le contexte des relations internationales, à la question de la promotion et de la protection des droits de l'homme; elle souhaite leur témoigner sa reconnaissance de façon toute particulière pour l'appui qu'ils ont donné aux organes de protection des droits de l'homme, parmi lesquels figure notre Commission.

         Je ne vais pas parlé de chacune des treize décisions qu'a adoptées le Sommet de Miami.  La Commission a procédé à leur analyse détaillée; je me permettrai néanmoins de souligner certains éléments qui ont une incidence plus directe sur ses travaux.

         La première de ces décisions a consisté à demander aux gouvernements qu'ils envisagent sérieusement d'adhérer aux instruments des droits de l'homme auxquels ils ne sont pas encore partie.  De l'avis de la Commission, ces instruments sont les suivants:

         a.      La Convention américaine relative aux droits de l'homme, connue sous le nom de Pacte de San José du Costa Rica du 1969;

         b.      La Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture, adoptée à Cartagena de Indias en 1985;

         c.      Le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l'homme concernant les droits économiques, sociaux et culturels, connu sous le nom de "Protocole de San Salvador", adopté en 1988 à l'occassion de l'Assemblée générale que l'OEA a tenue à San Salvador;

         d.      Le Protocole additionnel à la Convention américaine relative au droits de l'homme concernant l'abolition de la peine de mort, adopté par l'Assemblée générale de l'OEA en 1990, à Asunción, Paraguay,

         e.      La Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes adoptée par l'Assemblée générale de 1994, à Belém do Pará au Brésil.

         Parmi tous ces instruments, celui qui est sans aucun doute le plus important est la Convention américaine relative aux droits de l'homme à laquelle sont parties 25 Etats membres de l'OEA.  Je profite de l'occasion qui m'est offerte de lancer un appel des plus fervents aux Etats qui ne sont pas encore partie au Pacte de San José pour qu'ils adhèrent à un instrument aussi fondamental.  De même, je lance un appel fervent à tous les Etats pour qu'ils acceptent la juridiction de la Cour interaméricaine des droits de l'homme et permettent ainsi au système de fonctionner dans son ensemble.

         Une deuxième décision adoptée par le Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement fut de coopérer pleinement avec tous les organes des droits de l'homme interaméricains et des Nations Unies.

         La Commission a des rapports permanents de coopération avec les organes des droits de l'homme aussi bien interaméricains que des Nations Unies.  Pour appliquer cette politique, j'ai eu l'honneur de représenter la CIDH lors des réunions de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies à Genève, l'année dernière.  De même, au nom de la Commission a eu lieu une réunion de travail avec le Dr José Ayala Lasso, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme.

         La majorité des Etats membres ont apporté leur collaboration à notre Commission, mais je crois qu'il est important de souligner que cette coopération doit être maintenue et intensifiée.  De l'avis de la Commission, il est particulièrement important que, sur le plan de la coopération, les Etats donnent leur permission lorsque la Commission veut effectuer une visite d'observation in loco et, lorsque celle-ci a lieu, lui offrent toutes les facilités pour qu'elle puisse exécuter sa mission.

         Une autre décision importante du Sommet concerne la nécessité d'adopter les mesures indispensables pour porter remède aux conditions inhumaines qui règnent dans les prisons et réduire au minimum le nombre de détenus en attente de jugement.

         La Commission est en train d'élaborer un rapport au sujet des prisons du continent et rappelle donc aux Etats qu'ils doivent fournir à la CIDH des informations les concernant.  De même, elle leur demande de répondre au questionnaire que la Commission a élaboré sur cette question et a fait parvenir aux gouvernements.

         La situation des prisons est l'un des problèmes qui a beaucoup occupé la Commission ces dernières années; il nous est donc particulièrement agréable de constater que notre préoccupatioin a été partagée au plus haut niveau par les chefs d'Etat et de gouvernement, qui devront faire beaucoup d'efforts, au cours des prochaines années, pour modifier les régimes de procédures pénales et accélerer l'instruction des affaires permettant ainsi que, grâce à un jugement rapide, on puisse régler sans retard le sort des inculpés.    C'est là une des questions qui, selon la Commission, doit recevoir une attention prioritaire de la part des Etats.

         Nous nous félicitons que, dans leurs dernières décisions, les chefs d'Etat déclarent que les gouvernements devront renforcer encore davantage la Commission interaméricaine des droits de l'homme et la Cour interaméricaine des droits de l'homme.

         Depuis 35 ans la Commission travaille avec des moyens qui deviennent de plus en plus modestes au regard des responsabilités qui lui sont confiées.  Durant la période dont traite le présent rapport, la Commission a eu à connaître de 641 affaires individuelles, a effectué 7 observations in loco, a élaboré trois rapports spéciaux portant sur divers Etats, a présenté trois affaires contentieuses à la Cour interaméricaine des droits de l'homme, a demandé à cette dernière un avis consultatif et a fait un travail efficace de promotion des droits de l'homme.

         La Commission a tenu deux réunions ordinaires et une session extraordinaire de deux jours.  La CIDH a un secrétariat exécutif qui ne compte que dix avocats, chiffre qu'il faut inscrire au regard des spécialistes dont disposent, par exemple, la Commission européenne des droits de l'homme et les organes des Nations Unies qui s'occupent de ce domaine.

         En qualité de président de la Commission, je voudrais demander ici, comme je le ferai à Port-au-Prince, lors de l'Assemblée générale, qu'on donne à la Commission les moyens qui lui permettent de poursuivre ses importantes fonctions.  C'est pourquoi nous demandons une augmentation de notre budget et l'affectation de nouveaux effectifs.

         Enfin, Monsieur le Président, la Commission a jugé utile d'inclure certaines annexes a la fin du rapport; elles concernent la situation des observations in loco et la situation actuelle des Conventions et Protocoles de droits de l'homme qui ont été approuvés dans le cadre du Système interaméricain.  Sur ce dernier point, je voudrais évoquer un fait important et significatif: l'adoption par l'Assemblée générale de Belém do Pará de la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes, instrument que la Commission demandait depuis plusieurs années.  Bien que la Convention n'ait pas encore été ratifiée, elle a été néanmoins signée par 12 Etats (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Panama, Uruguay et Venezuela).

         En fin de rapport se trouvent des communiqués de presse et des discours qui ont été prononcés par des responsables de la Commission.

         La Commission a pris connaissance de la présentation faite par le Secrétaire général au Conseil permanent d'un document où il fait part en particulier de ses idées au sujet du système de protection des droits de l'homme, de ses organes et de la nécessité de le renforcer.  La Commission aura la possibilité d'échanger des vues avec le Secrétaire général lorsque ses membres se trouveront à Washington et de lui exprimer son désir d'être un participant dynamique au processus qu'évoque ce document.

          Je dois faire savoir à votre illustre Commission que le 12 avril dernier, la Commission et la Cour interaméricaines des droits de l'homme ont tenu une réunion conjointe au siège de la Commission à Washington.  Cette réunion a évoqué des questions d'intérêt commun et a poursuivi l'échange d'idées à propos des modifications possibles de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.  Elle a élaboré un document qui a été signé par les présidents des deux organismes et a été communiqué à la présidente du Conseil permanent.

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