RAPPORT ANNUEL 2008

CHAPITRE IV – HAÏTI

 

            I.          INTRODUCTION

 

            1.         La Commission a décidé d’inclure un rapport sur la situation des droits de l’homme  en Haïti dans son rapport annuel pour l’année 2008 à cause de la persistance de situations temporaires et structurelles qui portent gravement atteinte à l'exercice des droits fondamentaux consacrés dans la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

 

            2.         Dans ses rapports récents sur Haïti[1], la Commission a examiné d’une manière générale la situation en matière de droits de l’homme et a exprimé constamment sa préoccupation concernant la grave situation dans ce domaine et en particulier devant les pertes de vies humaines dans la population civile à cause de la violence des bandes armées, l’incapacité de l’État à garantir la sécurité publique, le fait que les auteurs de ces violences ne soient pas appelés à rendre compte de leurs actes, l’absence d’un recours juridique effectif pour les victimes, la durée excessive de la détention préventive, les mauvaises conditions des prisons et l’incapacité de l’État à fournir les services sociaux élémentaires à la majorité de la population. La Commission a souligné systématiquement l’impact de telles conditions sur les groupes vulnérables, en particulier sur les femmes, les enfants, les défenseurs des droits de l'homme et les journalistes.

 

            3.         En 2008, Haïti s’est caractérisée par une forte instabilité politique et a été touchée par une série de catastrophes naturelles qui ont eu des effets dévastateurs. Tout cela a encore compliqué les défis déjà difficiles à relever dans le domaine des  droits de l’homme que ce pays affronte. Haïti a connu cinq mois d’instabilité politique après que le Sénat ait renversé Jacques Edouard Alexis, le Premier ministre de l’époque. Cette décision est intervenue, en partie, suite aux manifestations publiques qui se sont déroulées dans plusieurs villes pour protester contre l’augmentation des prix des aliments de base, en particulier le riz. Le 5 septembre, les législateurs ont approuvé la désignation de Michelle Pierre-Louis au poste de Premier ministre. Bien que la phase d’instabilité politique ait pris fin, le gouvernement a été chargé de prendre des mesures immédiates et à long terme pour résoudre la pénurie d’aliments et de faire face à la crise humanitaire provoquée par les quatre ouragans consécutifs qui ont ravagé Haïti entre août et septembre.

 

4.         Ces quatre ouragans – Fay, Gustav, Hanna et Ike – ont dévasté le pays, en particulier la ville des Gonaïves et la région Sud/Sud-est et ont augmenté considérablement les problèmes déjà graves qui existaient dans le domaine des droits de l’homme. De nombreuses écoles ont été détruites par les ouragans et celles qui sont restées debout sont devenues des refuges temporaires pour les Haïtiens qui n’avaient plus de logement. Les autorités ont déclaré que, du fait des ouragans, 326 personnes avaient été tuées, 50 avaient été portées disparues, 286 avaient été blessées et 850.000 n'avaient plus de logement.[2]  La Mission des Nations Unies pour la stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) a estimé que les dégâts s’élevaient au moins à un milliard de dollars des États-Unis.[3]  Des régions, comme Saint-Marc et les Gonaïves, sont restées isolées à cause de la destruction des routes et des ponts. Des commissariats de police, des tribunaux et des prisons, en particulier aux Gonaïves, ont été endommagés. Aux Gonaïves, à  la mi-octobre, 10.000 personnes vivaient encore sur des toits, sous des tentes ou dans des cabanes précaires. Considérant les ressources limitées d’Haïti, l’impact des ouragans ont entraîné des défis additionnels à l’Etat pour répondre aux besoins urgents de la population.

 

5.         La situation économique et sociale d’Haïti reste extrêmement critique, ce qui fait courir un risque grave à la sécurité des citoyens et empêche encore davantage les Haïtiens d’avoir accès à une justice effective. L’impact de l’instabilité politique, combiné à la crise alimentaire nationale et aux dégâts considérables causés par les ouragans, a confronté Haïti à de nouveaux défis et aggravé ses conditions économiques et sociales. Ainsi, par exemple, la Commission a reçu de nombreux témoignages de personnes qui habitent aussi bien à Port-au-Prince qu'en province indiquant que' un nombre de plus en plus élevé de familles ne pouvaient plus se permettre d’envoyer leurs enfants à l’école à cause de la crise alimentaire,.[4]

 

6.         Bien que la situation de la sécurité des citoyens se soit légèrement améliorée en comparaison avec 2007, l’année 2008 s’est caractérisée par des périodes de violence intense et par de nombreux enlèvements. En même temps, la Police nationale a continué à travailler avec des ressources limitées et les institutions de l’État restent faibles, sans ressources suffisantes et ont besoin de réformes structurelles et d’une assistance immédiate et à long terme. La Commission maintient également sa préoccupation pour les profondes faiblesses de l’administration de la justice.

 

7.         En 2008, la Commission a continué de suivre de très près la situation des droits de l’homme en Haïti, accordant une attention particulière aux efforts déployés par l’État pour assurer à ses citoyens une sécurité adéquate et aux mesures spécifiques visant à renforcer et à réformer la Police nationale d’Haïti. La Commission a également observé de très près les développements intervenus dans l’élaboration et la mise en œuvre des plans destinés à renforcer et à réformer les instances et les institutions de l’État chargées de l’administration de la justice et de l’état de droit.

 

8.         La Commission a rédigé cette section du Chapitre IV de son rapport annuel pour 2008 conformément aux dispositions de l’article 57(1)(h) de son Règlement et a fondé son analyse sur des informations obtenues pendant ses visites sur place et les audiences qu’elle a tenues pendant les sessions mentionnées plus loin ainsi que sur des renseignements provenant d’autres sources fiables, accessible au grand public. En janvier 14 du 2009, la CIDH a transmis à l’État haïtien une copie de la version préliminaire de la présente section du Chapitre IV, en application de  l’article susmentionné, et lui a demandé de lui soumettre ses observations dans un délai de trente jours. 

 

9.         Les sources primaires d’information qu’a utilisée la Commission pour réaliser son évaluation ont été, entre autres, une visite de travail réalisée en Mai 2008 par des fonctionnaires du Secrétariat exécutif pour obtenir des informations sur les enfants haïtiens et animer un séminaire de formation sur les droits de l’enfant à l’intention de fonctionnaires d’organismes  gouvernementaux et de membres de la société civile. En outre, elle a tenu plusieurs audiences sur Haïti pendant ses 131ème et 133ème Sessions ordinaires au cours desquelles des avocats et des représentants de l’État lui ont fait part d’informations sur les conditions et les développements actuels dans le pays, y compris sur la situation du système judiciaire haïtien, l’impunité et la violence à l’égard des femmes et des filles.  

 

II.        RÉSUMÉ DES PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS AYANT TRAIT AUX DROITS DE L’HOMME SURVENUS EN HAÏTI EN 2008

 

10.       Comme cela a été dit plus haut, Haïti a connu un regain d’instabilité lorsque le Sénat a voté une motion de censure à l’égard du Premier ministre d’alors, Jacques Edouard Alexis, parce que, a-t-il allégué, son gouvernement n’était pas parvenu à adopter des mesures pour lutter contre la hausse de prix des denrées alimentaires de base[5] et n’avait pas réussi à empêcher la violence qui en a résulté d’éclater dans tout le pays. Suite à ce vote de censure, le poste de Premier ministre est resté vacant d’avril à août, malgré les nombreux candidats proposés par le Président Préval. À cause de cette situation politique, le gouvernement a été empêché de poursuivre ces affaires normalement. En particulier, une conférence de haut niveau des bailleurs de fonds a été reportée et un certain nombre de projets d’assistance ont été paralysés. En outre des projets de lois déterminants, comme le projet de budget révisé pour l’année 2008, n’ont pu être soumis au Parlement.[6] Les commissions législatives spéciales chargées d’examiner les qualifications des candidats ont finalement approuvé Mme Michelle Pierre-Louis et sa déclaration de « politique générale », qui mettait l’accent sur la croissance économique nationale et la réduction de la pauvreté.  Le 5 septembre 2008, elle a été désignée Premier ministre après un vote majoritaire des deux chambres législatives.

 

11.       Les quatre ouragans qui ont dévasté Haïti en août et septembre ont causé de graves inondations, des morts, des blessés, des destructions, y compris des dégâts considérables aux cultures et ont laissé sans abri des milliers de personnes. C’est pourquoi le gouvernement a déclaré l’état d’urgence le 9 septembre. Le 12 septembre, des informations indiquent que 150.000 personnes sont hébergées dans des abris temporaires.[7] Étant donné qu’un grand nombre d’écoles servent de refuges temporaires pour les sans-abris, la rentrée scolaire a été retardée d’un mois, jusqu’au mois d’octobre. Les ouragans ont aggravé la pénurie d’aliments causée par la hausse de près de 70% des denrées alimentaires.[8]

 

12.       La Commission remarque que la situation en Haïti, concrètement les conditions économiques et sociales, ont continué à se dégrader pendant l’année 2008, notamment avec les augmentations des prix mondiaux de l’énergie et des aliments. Des rapports indiquent que le nombre d’Haïtiens touchés par l’insécurité alimentaire est passé de 500.000 en 2007 à 2,5 millions en 2008. Une étude récente montre que les aliments consommés en Haïti proviennent de la production nationale (43%), de l’aide alimentaire internationale (5%) et des importations (52%).[9]  Plus de 80% du riz consommé en Haïti est importé, de même que 100%  des carburants.[10]  En outre, 2008 a vu le déficit commercial d’Haïti augmenter, l’inflation être multipliée par deux et la gourde subir une dévaluation de 10%. 

 

13.       D’une manière générale, la situation en matière de sécurité et de droits de l’homme en 2008 a continué de préoccuper sérieusement la Commission à cause du degré persistant de violence meurtrière. Cette année a été marquée par de nombreuses affaires d’enlèvements, de viols, de meurtres et d’actes de violences perpétrés par les gangs, similaires à celles qui ont été signalées en 2007. Bien que la Police nationale d’Haïti, avec le soutien de la MINUSTAH, poursuive ses efforts pour combattre les crimes de violence et pour appréhender les délinquants présumés, le pouvoir judiciaire n’a pas été capable d’apporter une réponse effective ou rapide à cause de son manque de ressources, d’appui et d’une planification adéquate qui lui aurait permis de gérer cet afflux de personnes dans le système de justice pénale. Même si les mesures en cours visant à renforcer la Police nationale restent nécessaires, la durabilité des améliorations de la situation sécuritaire va dépendre de la capacité du pouvoir judiciaire à apporter une réponse effective.

 

14.       Au cours de l’année écoulée, les développements qui se sont produits au niveau national ont également été accompagnés par la MINUSTAH, dont la présence, à l’origine, avait été autorisée pour une durée de six mois, à compter  du 1er juin 2004 et qui, depuis, a fait l’objet à maintes reprises de prorogations, dont la plus récente prolonge son mandat jusqu’au 15 octobre 2009.[11] Tout récemment, une  résolution des Nations Unies a demandé à la MINUSTAH de redoubler d’efforts dans la mise en œuvre du programme de réforme de la Police nationale et de continuer à fournir un appui technique au Gouvernement pour la réforme des institutions chargées de l’État de droit. Cette résolution annonçait également le déploiement de 16 patrouilleurs maritimes qui appuieront les garde-côtes haïtiens et a demandé à la MINUSTAH de fournir une assistance technique en appui aux efforts déployés par le Gouvernement pour essayer de mettre en œuvre un programme intégré de gestion des frontières. En outre, cette résolution demandait que les effectifs de la MINUSTAH soient composés de 7.060 militaires de tous rangs et de 2.091 policiers au total. Selon les rapports de la MINUSTAH sur ses activités qui ont été rendus publics, celle-ci a entrepris une série d’initiatives pour s’acquitter de son mandat.

 

15.       En ce qui concerne la participation d’Haïti à la Communauté des Caraïbes (CARICOM), le Parlement haïtien a ratifié le Traité révisé de Chaguaramas en octobre 2007 et son Ministre des affaires étrangères, Jean Rénald Clérismé, a présenté l’avis de ratification au Président du Conseil des ministres de la CARICOM le 7 février 2008, ce qui a dégagé la voie vers la pleine participation du pays au Marché et économie uniques (CSME)[12].  La CARICOM a  également lancé une intervention spéciale et ciblée pour aider Haïti à améliorer l’efficacité et le professionnalisme de son secteur public.[13]  En outre, le Forum des États ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) de la Caraïbe (CARIFORUM) et la Commission européenne ont signé récemment un accord de financement d’un montant de 2,45 millions de dollars destinés à appuyer la Région de la Caraïbe dans la gestion durable de ses ressources énergétiques.[14]

 

16.       Pour sa part, l’Assemblée générale de l’Organisation des États Américains (OEA), à sa Trente-huitième Session ordinaire, tenue du 1er au 3 juin 2008, à Medellín (Colombie), a adopté la résolution AG/RES. 2424 (XXXVIII-O/08)[15]. Dans cette résolution, l’Assemblée générale se félicite de l’adoption d’un Document de Stratégie nationale pour la croissance et pour la réduction de la pauvreté (DSNCRP) et des efforts destinés à le mettre en application en tant que cadre de la politique sociale et économique du Gouvernement haïtien et de la coopération internationale en Haïti. Elle demande à l’OEA d’appuyer le Gouvernement haïtien dans les efforts qu’il déploie pour réformer et renforcer les institutions étatiques, en particulier le système judiciaire, la Police nationale d’Haïti, et l’administration pénitentiaire. Enfin, cette résolution exhorte les partenaires d’Haïti, y compris les institutions financières internationales, à continuer de coordonner avec le Gouvernement haïtien, en appui aux principes exprimés dans la Déclaration de Paris, les canaux et les modalités de prestation de l’aide.

 

17.       Haïti a affronté des défis importants concernant sa capacité à protéger les droits de l’homme à cause de l’instabilité politique et de la crise humanitaire persistante. La Commission encourage la communauté internationale à poursuivre son soutien à Haïti car son Gouvernement doit faire face à ces défis, et concrètement, à l’aider à réaliser des progrès dans la voie du développement national, à promouvoir les droits de l’homme et à s’attaquer aux faiblesses de longue date des institutions étatiques. En particulier, la Commission réitère qu’il est important de continuer et de renforcer les efforts déployés par l’État pour assurer une paix et une stabilité durables dans le pays, avoir un pouvoir judiciaire efficace et pour que la population ait accès réellement aux services sociaux de base.

 

III.        ACTIVITÉS DE LA COMMISSION CONCERNANT HAÏTI EN 2008

 

18.       En 2008, la Commission a continué à suivre avec beaucoup d’attention la situation des droits de l’homme en Haïti et à insister sur l’importance du rôle de l’État quand il s’agit d’aborder les faiblesses de longue date dans le domaine de l’administration de la justice, de la sécurité publique et du respect des droits économiques et sociaux. En outre, elle a également continué à assurer le suivi de la situation des groupes vulnérables, notamment les femmes, les enfants et les défenseurs des droits de l’homme, et à établir des rapports à ce sujet.

 

19.       Du 27 au 31 mai 2008, des membres du Secrétariat exécutif ont réalisé une visite d’enquête préliminaire en Haïti afin d’obtenir des informations sur la situation des droits de l’enfant en prévision de la visite sur place des deux rapporteurs de la Commission qui était programmée. Le personnel du Secrétariat exécutif a rencontré une série de personnes, y compris des représentants de l’Institut du bien-être social et de la recherche, du Ministère des affaires sociales, d’ONG haïtiennes et internationales, de l’UNICEF et des services de la MINUSTAH qui s’occupent de la protection des enfants, des droits de l’homme et de la justice. Il a également visité le centre d’accueil pour les enfants, géré par l’État, à Carrefour, dans la banlieue de Port-au-Prince et aux Gonaïves. Les problèmes concrets qui lui ont semblé les plus significatifs étaient, entre autres, le droit à l’identité, les droits économiques et sociaux (à l’éducation, à l’alimentation et à la santé), les enfants en conflit avec la loi et la violence à l’égard des enfants.                 

 

            20.       En vue de maintenir un engagement actif en Haïti – afin de promouvoir davantage le Système interaméricain des droits de l’homme et renforcer la protection de ces droits – le Secrétariat exécutif a organisé, conjointement avec le Bureau de l’UNICEF en Haïti, un séminaire de formation sur les droits de l’enfant et le Système interaméricain des droits de l’homme auquel ont assisté une trentaine de 30 fonctionnaires gouvernementaux et de représentants de la société civile.

 

21.       Suite à sa visite en Haïti au mois de mai, la Commission a été saisie d’une demande de mesures conservatoires en faveur de tous les détenus de la prison des Gonaïves à cause des très mauvaises conditions de celle-ci et elle les a accordées. La communication adressée au Gouvernement contenait une demande précise d’adoption de mesures urgentes en faveur des enfants détenus avec des adultes, des personnes qui souffraient de maladies graves et/ou contagieuses, des femmes et des personnes âgées. La Commission n’a pas reçu de réponse de l’État à ce sujet ni d’informations actualisées des plaideurs sur les conditions où se trouvent les personnes privées de la liberté aux Gonaïves après le passage des ouragans qui se sont abattus sur le pays en août et septembre et qui ont frappé durement cette ville.

 

23.       La Commission a examiné la situation en Haïti à sa 131ème et 133ème Sessions ordinaires qui se sont tenues en mars et octobre 2008, respectivement. À la fin de ces sessions, elle a émis des communiqués de presse qui faisaient référence spécifiquement à la situation en Haïti.[16]

 

23.       La Commission, sur la base de ses visites et d’autres activités ayant trait à Haïti pendant l’année 2008 ainsi que de ses observations de la situation des droits de l’homme, au cours des années précédentes, a continué d’assurer le suivi des principaux domaines qui la préoccupent, en particulier la sécurité publique, l’administration de la justice et l’État de droit, l’impunité, les droits des personnes vulnérables et les conditions économiques et sociales. Il est important de faire remarquer que bon nombre de ces problèmes sont déjà anciens et profondément enracinés, car ils sont le résultat de déficiences structurelles et de faiblesses institutionnelles qui sont la conséquence d’un passé caractérisé par les crises politiques, les régimes autoritaires et des institutions corrompues. C’est pourquoi, les institutions étatiques auraient intérêt à mettre en place une évaluation sérieuse, une planification stratégique à long terme et des réformes structurelles qui leur permettraient d’apporter une réponse efficace aux violations, de nature multiple, des droits de l’homme qui se produisent tous les jours.

 

IV.      OBSERVATIONS DE LA COMMISSION SUR LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME EN HAÏTI EN 2008

 

24.       En 2008, la Commission a observé de nombreux défis qui ont eu des répercussions sur la capacité d’Haïti à poursuivre la mise en œuvre de son programme national de développement économique et qui, en outre, l’ont empêché de protéger pleinement les droits civils, politiques, sociaux et économiques des Haïtiens. L’année a été dominée par de graves préoccupations du fait des conditions économiques et sociales extrêmement mauvaises du pays et par la crise humanitaire provoquée par le passage des ouragans, ce qui a amené le Gouvernement à déclarer l’état d’urgence. À ce sujet, la Commission remarque que le Premier ministre, Michelle Pierre-Louis, a donné la priorité à la mise en œuvre d’une politique nationale de réduction de la pauvreté et de croissance économique. Le Document de Stratégie nationale pour la croissance et pour la réduction de la pauvreté, adopté récemment par le Gouvernement haïtien, est le principal mécanisme qui énonce les buts et les politiques stratégiques du développement national dans les secteurs économique, social et de la gouvernance. La mise en application de ce Document de Stratégie est importante pour l’avenir du développement haïtien et pour assurer une canalisation adéquate de l’aide financière en appui à celui-ci. À cet égard, la communauté internationale et les institutions internationales de financement du développement sont censées apporter leur soutien à la mise en œuvre de ce Document de Stratégie.

 

25.       Par ailleurs, la Commission prend note de l’arrivée massive des secours envoyés en Haïti par la communauté internationale après le passage des quatre ouragans. Elle se réjouit en particulier des initiatives à long terme et de nature préventive qui sont mises en œuvre pour résoudre la crise alimentaire en Haïti et la dégradation de l’environnement du pays.  

 

26.       Les faiblesses dans l’administration de la justice et l’impunité en cas de violation des droits de l’homme continuent à être les principaux motifs de préoccupation. Le  Gouvernement doit encore relever des défis importants pour assurer des conditions de paix et de sécurité durables dans le pays. Selon le Président de la République, M. René Préval, le trafic de drogues, la corruption dans les institutions de l’État et les mauvaises conditions économiques et sociales, tous ces facteurs combinés ont été un terrain fertile pour les taux élevés de criminalité et d’impunité.[17] La Commission prend note des initiatives mises en œuvre par l’État en vue de s’attaquer à ces problèmes et insiste sur la nécessité d’allouer des ressources à la planification et à la mise en œuvre de politiques gouvernementales, de lois et de mécanismes efficaces dans ces domaines. Les problèmes qui caractérisent la situation des droits de l’homme en Haïti vont exiger des réformes institutionnelles sur le long terme et une aide durable de la part de la communauté internationale. C’est pourquoi la Commission exhorte les institutions étatiques pertinentes, avec l’appui des organisations internationales qui interviennent en Haïti, en particulier la MINUSTAH et les organismes apparentés des Nations Unies, à continuer leurs efforts pour renforcer la Police nationale d’Haïti et le pouvoir judiciaire, et en particulier, à mettre au point une approche globale propre à garantir une paix et une sécurité durables, y compris la création d’emplois dans le pays et le développement d’industries nationales.

 

27.       À cet égard, compte tenu du déséquilibre entre la Police nationale et le pouvoir judiciaire en matière d’affectation des ressources, d’aide financière, d’assistance technique et de formation (la police nationale reçoit la plus grande partie du budget alloué au Ministère de la justice et de la sécurité publique), le pouvoir judiciaire n’a ni la capacité ni les ressources nécessaires pour apporter une réponse rapide ou effective, ce qui se traduit par des affaires en suspens et un nombre sans précédent de détenus dans les prisons haïtiennes, dont la plupart ont  été arrêtés arbitrairement et pendant une durée excessive. La Commission recommande que des ressources supplémentaires, du matériel et des infrastructures appropriées soient affectés au pouvoir judiciaire pour lui permettre de fonctionner comme il se doit et pour que les affaires criminelles soient traitées rapidement et effectivement.

 

A.         La sécurité publique

 

28.       Année après année, la situation de la sécurité publique en Haïti a été l’une des principales préoccupations de la Commission. En particulier, elle a exprimé régulièrement son inquiétude devant la fréquence des actes de violence meurtrière et le contrôle inefficace qu’exercent les forces de sécurité sur certains quartiers de Port-au-Prince et sur les provinces. Bien qu’Haïti ait été témoin dans le passée de haut niveaux de violence politique durant les transitions politiques, actes de violence criminelle comme les enlèvements, les viols, les meurtres, les tabassages et les destructions de biens fonciers sont devenus monnaie courante ces dernières années. Selon la MINUSTAH, 413 meurtres et 70 cas de lynchage ont été dénonces en Haïti en 2008.

 

29.       Concrètement, pendant les six premiers mois de l’année 2008, le nombre d’enlèvements a augmenté et, selon les informations disponibles, chaque mois, 30 personnes en moyenne ont été victimes d’enlèvements. Ultérieurement, la MINUSTAH a enregistré 42 enlèvements entre le début du mois de juin et la mi-août. En juin, des centaines de personnes ont manifesté à Port-au-Prince contre le problème des enlèvements. Les chiffres officiels pour l’année 2008 ne sont pas encore disponibles mais il semble qu’ils soient inférieurs à ceux de 2006 (722 enlèvements) et similaires à ceux de 2007 (293 enlèvements).

 

 

30.       La Commission a également été informée que le commerce des drogues illicites et des armes continue de prospérer, avec peu de contrôle de la part du gouvernement. À cet égard, la Commission observe qu’en 2007 l’État avait pris l’initiative d’organiser une conférence régionale en République Dominicaine qui avait abouti à la Déclaration de Santo Domingo. Cette Déclaration traduisait l’engagement des États de prendre des mesures pour combattre le commerce des drogues illicites. La Commission n’a pas reçu d’informations actualisées sur les résultats de cette initiative et sa mise en application en Haïti, mais elle saisit l’occasion pour encourager l’État haïtien à adopter un programme d’action et des mesures législatives, administratives, judiciaires et d’autre nature afin de donner effet à cette Déclaration.

 

31.       Plus précisément, un élément fondamental pour garantir la sécurité est le renforcement de la Police nationale d’Haïti. Mais il est tout aussi important de fournir des ressources, du matériel et une formation appropriés au pouvoir judiciaire afin de lui permettre de traiter avec efficacité les affaires qui lui sont soumises. En 2008, la PNH a continué de réaliser des efforts pour faire face à la violence criminelle, en dépit de ses ressources limitées et du fait qu’elle est constituée de policiers relativement jeunes et sans expérience. Les rapports indiquent qu’elle a exécuté 930 mandats d’arrêt de juin à août 2008.[18] Avec l’assistance technique de la MINUSTAH, la mise en œuvre d’un programme destiné à soumettre à un processus d’épuration les policiers qui violent les droits de l’homme et à combattre la corruption au sein de la PNH s’est poursuivie. Toutefois, le processus d’épuration avance lentement : en août, 2.350 dossiers concernant 360 policiers soupçonnés d’avoir commis des actes illicites étaient dans l’attente d’une décision de la part d’une commission indépendante.[19] Après avoir formulé une recommandation à propos de l’une des affaires, cette commission a déférée celle-ci au Conseil supérieur de la Police nationale d’Haïti pour une décision définitive ; cependant la commission n’a pas encore été établie. En conséquence de quoi, les policiers soupçonnés d’avoir commis des actes illicites restent à leurs postes.

 

32.       Un autre élément crucial pour assurer la sécurité publique et prévenir la récidive des délits est la capacité du système judiciaire à fonctionner efficacement et à s’assurer que les auteurs d’actes de violence rendent compte de leurs actes devant la justice pénale. Le système judiciaire continue à être faible, sous-équipé, avec des ressources et des effectifs insuffisants, comme l’a fait remarquer la Commission après la visite du Rapporteur pour Haïti en avril 2007. À cet égard, la Commission continue d’être préoccupée par le fait que l’État n’affecte pas des ressources suffisantes au pouvoir judiciaire afin de renforcer sa capacité et améliorer l’administration de la justice et l’accès à celle-ci. Ceci comprend, entre autres, la reconstruction et la réorganisation des tribunaux, l’affectation de matériel et d’équipement et la formation permanente, et, en même temps, l’amélioration des conditions de travail des membres du pouvoir judiciaire. 

 

33.       Finalement, la Commission reconnaît que la Mission des Nations Unies pour la stabilisation d’Haïti a montré un engagement solide à garantir la paix et la sécurité dans le pays depuis la création de son mandat en 2004 et qu’elle a accompli des efforts notoires pour améliorer la sécurité publique en appuyant les initiatives de la PNH destinées à empêcher la commission de délits et en accordant une plus grande attention au renforcement institutionnel et à la réforme de la police et du pouvoir judiciaire.  Ces efforts viennent compléter les programmes à plus longue échéance mis en œuvre par les organismes de l’ONU, tels que le Programme des Nations  pour le développement, dans le domaine de l’État de droit et de l’appui à l’administration pénitentiaire. En effet, la MINUSTAH maintient une forte présence dans le pays et continue de soutenir le programme de désarmement en Haïti.

 

B.         L’administration de la justice

 

34.       Les sources dont dispose la Commission indiquent que, en 2008, l’État, avec l’appui de la communauté internationale, a poursuivi ses efforts destinés à résoudre quelques déficiences déterminées du système judiciaire. Notamment, au cours de cette année une avancée considérable s’est produite avec l’adoption d’une série de lois sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, des progrès ont été accomplis vers l’établissement de l’École de la magistrature et du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et les travaux de la commission spéciale chargée de s’attaquer au problème de la détention préventive prolongée ont pris fin.

 

35.       En particulier, l’École de la magistrature a mis au point son programme d’études et a rédigé la version préliminaire de son règlement. En juillet et août du 2008, pendant que le bâtiment principal de l’École faisait l’objet de rénovations, un groupe de juges de paix a été identifié et sélectionné pour recevoir une formation préliminaire pendant le mois de juillet.[20] De même, des actions visant à établir le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire ont été planifiées.[21] Toutefois, en ce qui concerne les progrès réalisés dans le domaine de la réforme du pouvoir judiciaire, la Commission n’a pas reçu d’informations actualisées sur les résultats ou les progrès accomplis par la commission spéciale chargée de la réforme du pouvoir judiciaire et du rôle du Secrétaire d’État à la justice.

 

36.       Dans l’ensemble, la Commission affirme ces conclusions antérieures selon lesquelles le système de justice reste extrêmement inefficace et lent et continue à souffrir de faiblesses fondamentales, notamment le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire, la corruption et une mauvaise application des lois[22]. S’y ajoute une pénurie grave de ressources qui touche les juges, les magistrats, les tribunaux et la police et qui a pour résultat des violations très fréquentes des droits de la défense, telles que la détention prolongée des personnes avant d’être traduites devant un juge. Bien que la Commission ait signalé auparavant que la corruption est très répandue dans la fonction publique[23], elle espère que l’adoption des lois portant création du Conseil supérieur de la magistrature, de l’École de la magistrature et du statut des magistrats entraîneront des améliorations manifestes dans ce domaine, car elles incluront une procédure propre à traduire dans les faits un code professionnel de conduite et à sanctionner les actes de corruption ou les manquements à l’intégrité judiciaire.

 

37.       Pour ce qui est de la question plus vaste de la réforme judiciaire et du problème déjà ancien du manque d’indépendance du pouvoir judiciaire, la Commission a continué de recevoir des informations sur les initiatives de l’État dans ce domaine. Elle a été informée que, suite à l’élaboration par le Ministère de la justice d’un plan d’action, en 2007, une commission spéciale pour la réforme judiciaire a été créée. Cette commission, qui comporte des membres de la société civile, constitue un signe de progrès dans la voie de la réforme du pouvoir judiciaire qui s’avère tellement nécessaire. En outre, trois projets de loi concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, le statut des juges et les procédures constitutionnelles relatives à la désignation, au mandat et la destitution des juges ont été votés par le Parlement en 2008. La Commission estime que l’adoption de ces instruments juridiques est particulièrement encourageante et elle espère qu’on accordera la même importance à leur mise en application effective. Elle reconnaît l’importance des initiatives prises par le Gouvernement haïtien pour promouvoir la réforme judiciaire et demande à la communauté internationale d’appuyer ces initiatives en apportant ses compétences techniques et les ressources nécessaires pour que se produisent de profonds changements au sein du pouvoir judiciaire.

 

38.       La Commission continue à être préoccupée par les rapports faisant état d’arrestations et de détentions arbitraires et d’un recours excessif à la force au moment des  arrestations. Elle fait remarquer que les arrestations et les détentions arbitraires ne constituent pas un problème nouveau en Haïti. C’est pourquoi, tout en reconnaissant qu’il est nécessaire d’arrêter les criminels dangereux pour garantir la sécurité de la population, la Commission rappelle   l’interdiction de pratiquer des arrestations et des détentions arbitraires, consacrée à l’article 7 de la Convention américaine, et réitère que l’État est tenu de s’assurer que ses actions pour enquêter sur les délits et engager des poursuites contre leurs auteurs sont exécutées selon des procédures manifestement justes et effectives, conformes aux règles internationales relatives aux garanties judiciaires, y compris le droit de tout détenu à recevoir rapidement notification de l’accusation ou des accusations portée(s) contre lui et à être traduit rapidement devant un juge.

 

39.       À cet égard, le problème des personnes en détention préventive prolongée continue à préoccuper au plus haut point la Commission. À la date du 11 septembre 2008, 8.077 personnes étaient détenues dans les établissements pénitenciers du pays et 1.478 seulement purgeaient des peines qui sanctionnaient des infractions pénales. C'est-à-dire que 80% des personnes privées de liberté en Haïti étaient en détention préventive.[24]  Pour aborder ce problème, une Commission spéciale sur la détention préventive prolongée a été créée en 2007 et a présenté, en 2008, un rapport contenant ses conclusions et ses recommandations. Cette commission spéciale a cherché à faire baisser le nombre de personnes en détention préventive prolongée en révisant les dossiers des détenus et en statuant sur certaines affaires, en particulier les affaires sans gravité ou qui semblaient dénuées de fondement ou celles pour lesquelles la durée de la détention avait dépassé la condamnation qui aurait été infligée à ces personnes pour le délit dont elles étaient accusées. Cette procédure devait être appliquée dans la plus grande prison d’Haïti, le Pénitencier national, et être reproduite ensuite dans d’autres prisons. C’est ainsi que la commission spéciale aurait décidé la libération de 892 détenus de juin 2007 à mars 2008 dans le cadre de sa procédure de révision.

 

40.       La Commission reconnaît la valeur des mesures urgentes qui ont été adoptées, comme la création de la commission spéciale sur la détention préventive prolongée pour affronter la situation critique des personnes privées de liberté en Haïti et exhorte le Gouvernement, avec l’aide de la communauté internationale, à prendre des mesures qui soient conformes aux recommandations de la commission spéciale afin d’améliorer la situation en matière de détentions provisoires prolongées. En même temps, la Commission insiste sur le fait que des réformes fondamentales et/ou structurelles doivent être réalisées pour que le droit à un procès équitable et aux garanties judiciaires des personnes privées de liberté soit respecté.

 

41.       En ce qui concerne les conditions carcérales, la Commission a reçu des informations indiquant que la situation s’est progressivement dégradée depuis l’année dernière. En juin 2007, le Rapporteur sur les personnes privées de liberté a exprimé sa vive préoccupation devant la situation déplorable observée au Pénitencier national, qui se caractérisait par des conditions sans précédents de surpeuplement. Cette situation était aggravée par le fait qu’il s’agit d’un bâtiment d’un autre âge, dans un état de grand délabrement, avec des conditions sanitaires et d’hygiène extrêmement mauvaises, sans eau potable, où les détenus n’ont pas accès à une alimentation et à des soins médicaux appropriés. Lors de cette visite, les gardiens de prison ont signalé à la Commission que, dans cette prison, ces facteurs se sont souvent soldés par des décès.  Elle a été informée qu’en juin 2008[25] alors qu’il y avait 3.800 détenus au Pénitencier national, à Port-au-Prince, le nombre de gardiens de prison était resté le même : 22 gardiens pour toute la prison.  Ceci donne le coefficient d’un gardien pour 170 détenus, ce qui est très inférieur aux normes internationales en la matière. Bien que les actes de violence et les mauvaises conditions des prisons ne soient pas un phénomène nouveau en Haïti, la Commission remarque une détérioration préoccupante de la situation des personnes privées de liberté en termes de surpeuplement et d’incapacité à satisfaire les besoins élémentaires des détenus.

 

42.       C’est pourquoi la Commission réitère vigoureusement son appel à l’État pour qu’il veille à ce que toute personne en détention ou emprisonnée ne soit pas soumise à des conditions de vie qui ne sont pas conformes aux normes internationales minimales pour le traitement des détenus et à ce qu’elle ne soit pas victime d’actes de violence ou de tout autre mauvais traitement de la part d’agents de l’État ou d’autres détenus. Ces normes internationales spécialisées sont, entre autres, les Règles minima de l’ONU pour le traitement des détenus et les Principes et pratiques optimales relatifs à la protection des personnes privées de liberté dans les Amériques, élaborés par la Commission.

 

43.       L’augmentation croissante du nombre de détenus a affecté directement la capacité de l’État à les accueillir dans ses établissements. Des informations datant de 2008 indique que comme le Pénitencier national, à Port-au-Prince, a atteint sa pleine capacité, les autorités ont commencé à transférer des détenus dans des prisons de province. Il est important de faire remarquer qu’aucun établissement pénitencier n’a entrepris de travaux importants de reconstruction ou de réparation ces dernières années et qu’un grand nombre d’entre eux n’ont pas été construits aux fins pour lesquelles ils sont utilisés. Pendant la visite réalisée par le Secrétariat au mois de mai 2008, la délégation a pu observer une situation humanitaire grave dans la prison des Gonaïves, qui a subi des modifications pour pouvoir satisfaire le besoin du Gouvernement de disposer d’un centre de détention. La prison originale des Gonaïves a été détruite en 2004 et aucun nouveau local n’a été construit. Au mois de mai, la délégation a observé des détenus qui se trouvaient dans cinq petites pièces obscures, sans ventilation, entassés à 20 ou 25 dans chaque pièce. Ces pièces n’avaient aucune lumière naturelle, pas d’électricité, pas d’eau courante, pas de lits ni aucun  autre élément de confort pour les détenus. Les autorités lui ont confirmé la situation épouvantable de l’établissement. Compte tenu du manque de sécurité de l’établissement, les détenus étaient confinés toute la journée dans les cellules, sans la moindre possibilité de moments de détente. Faute d’installations sanitaires, les détenus étaient obligés de faire leurs besoins dans les cellules. En outre, les autorités lui ont confirmé qu’ils ne disposent d’aucun budget officiel pour l’administration de l’établissement car il avait été prévu en 2004 qu’il s’agirait d’une solution temporaire.

 

44.       Pour ce qui est des conditions des cellules de détention des commissariats de police, celles-ci sont petites, n’ont pas de fenêtres, pas de lumière naturelle ni artificielle et pas de place pour des lits. Les commissariats n’ont pas de budget leur permettant de subvenir aux besoins des détenus sur de longues périodes ni de leur fournir de l’eau potable, des aliments, des installations sanitaires et la possibilité de faire leur toilette. Les autorités policières indiquent que les commissariats ne disposent pas des mesures de sécurité appropriées pour des détentions de longue durée, et de ce fait, les détenus sont généralement confinés dans les cellules et, à aucun moment, ils ne font de l’exercice. La plupart des commissariats n’ont que deux cellules de détention, qui servent quelques fois à séparer les hommes adultes des femmes adultes ou à  séparer les hommes adultes des mineurs. Il semble que les détenus sont souvent placés en détention dans les cellules des commissariats pendant que les autorités judiciaires mènent l’enquête pénale. Cependant, alors que le Code d’instruction criminelle prévoit une durée de deux mois pour les enquêtes, ce délai peut être prolongé et les enquêtes peuvent  durer beaucoup plus longtemps que cela.

 

45.       Toutes ces conditions sont donc loin d’être conformes aux normes internationales minimales établies pour la détention des individus et constituent un grave danger pour l’intégrité physique de ces personnes. Cette situation doit être abordée immédiatement par les autorités concernées pour que les droits en la matière,  consacrés par la Convention américaine, y compris le droit aux garanties judiciaires, le droit de la défense et le droit à ne pas être soumis à une peine ou à un traitement cruel et inhabituel, soient respectés comme il se doit.

 

C.         L’impunité

 

46.       Le problème persistant de l’impunité des violations des droits de l’homme et des délits commis par le passé préoccupe au plus haut point la Commission. Pendant toutes les années où elle a suivi de près la situation des droits de l’homme en Haïti, elle a constaté que les violations des droits de l’homme et les actes criminels en général jouissent d’une impunité  systématique et généralisée. Elle estime qu’il est important de rappeler que, conformément aux normes internationales, l’État a la responsabilité d’enquêter sur les violations des droits de l’homme et de poursuivre leurs auteurs. Bien que les tribunaux aient fait les premières tentatives pour résoudre ce problème, entendant et jugeant des procès criminels et engageant des poursuites couronnées de succès contre certains criminels, il faut que ces mesures soient intensifiées car les procédures judiciaires continuent de présenter des irrégularités et des retards qui débouchent  fréquemment sur l’impunité. En même temps, la Commission félicite le Gouvernement haïtien de l’adoption récente de la loi portant création du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Le Conseil, dont l’installation devrait avoir lieu en octobre, est chargé de superviser le pouvoir judiciaire et d’incorporer les mécanismes propres à assurer son indépendance.[26]  Enfin, la Commission exhorte Haïti à allouer des ressources suffisantes aussi bien à l’établissement du Conseil qu’au pouvoir judiciaire dans son ensemble en vue de garantir un fonctionnement correct et efficace du système de justice haïtien.

 

47.       En ce qui concerne certaines affaires relatives aux droits humains, la Commission reconnaît l’importance de la création, en 2007, de la commission spéciale chargée d’appuyer les enquêtes sur les assassinats de journalistes. Cette commission spéciale  aidera les autorités haïtiennes, entre autres, pour les affaires relatives aux assassinats de Jean Dominique et de Brignol Lindor. En 2008, la Commission n’a reçu aucune information actualisée sur le résultat de ces enquêtes. À ce sujet, la CIDH aimerait souligner que le devoir d’enquêter, de poursuivre et de punir effectivement les crimes commis sur son territoire incombe à l’État. C’est pourquoi il est particulièrement important de prendre des mesures propres à renforcer les principales institutions de l’État chargées de l’administration de la justice en Haïti, notamment le pouvoir judiciaire, pour que celui-ci fonctionne effectivement et rende la justice avec rapidité. 

 

48.       Par ailleurs, la Commission a continué de recevoir des informations faisant état de graves violations des droits de l’homme qui n’ont pas reçu une attention ou un suivi appropriés de la part des autorités judiciaires. Par exemple, le pouvoir judiciaire haïtien n’a pas encore éclairci des affaires d’enlèvements et de viols auxquelles des membres de la PNH sont soupçonnés d’avoir participé. La Commission exprime sa préoccupation devant l’impunité persistante des auteurs de ces actes. Comme elle l’avait elle-même suggéré[27], il se peut que pour traiter les nombreuses affaires ayant trait aux droits de l’homme qui n’ont pas été éclaircies il faille utiliser des approches novatrices destinées non seulement à obtenir la responsabilisation de leurs auteurs et des réparations, mais aussi à éviter que de tels actes ne se répètent à l’avenir.

49.       En ce qui concerne ces questions, la Commission réitère sa préoccupation concernant l’obligation de l’État de mettre fin à l’impunité de toutes les violations des droits de l’homme par des procédures manifestement justes et efficaces, conformes aux normes  internationales et réitère également le droit de tout individu à une procédure régulière et à être entendu par un tribunal compétent, indépendant et impartial, sans discrimination aucune. Compte tenu de la tâche qui reste à accomplir, la Commission insiste sur le rôle important que joue la communauté internationale en matière d’appui au renforcement du système judiciaire haïtien et elle espère que celle-ci fera don de ressources financières et de matériel pour la reconstruction des tribunaux, la formation des juges, l’assistance technique dont ceux-ci ont besoin et la mise en œuvre des réformes appelées à transformer un système judiciaire archaïque en un système judiciaire conforme aux normes actuelles en matière de justice.

 

D.         La situation de personnes et de groupes particuliers

 

            50.       Les préoccupations de la Commission en 2008 ont également à voir avec des circonstances touchant des groupes qui retiennent particulièrement son attention, à savoir les femmes, les enfants, les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes.

 

            51.       En 2008, les femmes haïtiennes ont continué à souffrir de la discrimination et de la violence sexiste. La Commission est particulièrement préoccupée par la réponse de l’État à la prévalence de la discrimination et de la violence exercée à l’encontre des femmes et des fillettes haïtiennes. À cela s’ajoutent les carences des secteurs de la santé, de l’éducation et de la justice qui touchent particulièrement les femmes et les fillettes. Même s’il est vrai que, ces dernières années, les enlèvements, les viols, les meurtres et les intimidations ont concerné la majorité de la population haïtienne de Port-au-Prince, des sources gouvernementales et non gouvernementales ont confirmé que les femmes et les filles sont particulièrement vulnérables aux actes de violence à cause de normes, de comportements et de pratiques socioculturels profondément enracinés, qui reposent sur le concept de l’infériorité de la femme[28]. L’adoption par l’État haïtien d’instruments internationaux, tels que la Convention de Belém do Pará et de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (« CEDAW »), montre qu’il reconnaît le traitement discriminatoire dont les femmes font traditionnellement l’objet dans cette société et témoigne de l’engagement de l’État à agir avec la diligence voulue afin de prévenir de tels actes, enquêter sur eux, les sanctionner et les réparer.

 

            52.       Les informations qui sont parvenues à la Commission indiquent que l’incidence des viols de femmes et d’enfants est restée élevée en 2008[29] et les travailleurs sociaux et les observateurs des droits de l’homme ont confirmé que l’impunité des actes de violence commis à l’égard des femmes perpétue le problème. À cet égard, un petit nombre d’affaires ont fait l’objet de poursuites ayant abouti depuis la promulgation du décret de 2005 qui a modifié les peines pénales infligées en cas de viol. Malgré tout, la Commission remarque l’écart important entre les affaires qui ont été dénoncées et celles qui en sont arrivées à l’étape des poursuites et des sanctions. En ce qui concerne ces problèmes, la Commission a réitéré que l’État doit prendre des mesures concrètes afin de promouvoir et de protéger les droits des femmes, ce qui inclut la réalisation d’enquêtes et de poursuites judiciaires effectives en cas de dénonciation de violences sexuelles perpétrées contre des femmes et des fillettes, ainsi que le prescrit la Convention interaméricaine pour la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme, adoptée par Haïti le 2 juin 1997.  À cet effet, la Commission considère encourageantes les initiatives législatives de l’État haïtien dans ce domaine. Elle recommande en particulier de prendre des dispositions afin de présenter une loi spécialisée destinée à protéger les femmes contre la violence et la discrimination.   

 

            53.       Par ailleurs, la Commission estime encourageantes les initiatives mises en œuvre par le Ministère à la condition féminine qui consiste à adopter une politique et un programme pour éliminer la violence faite aux femmes et dispenser des services appropriés aux victimes de violence sexuelles. En outre, elle reconnaît et apprécie à leur juste valeur les efforts déployés par ce Ministère pour éliminer les stéréotypes discriminatoires à l’égard des femmes et en particulier les initiatives législatives qu’il a prises dans ce domaine, notamment son intention d’élaborer un projet de loi sur la violence contre les femmes et les fillettes.

 

            54.       Les informations reçues en 2008[30] par la Commission sur la situation des enfants se situent dans le prolongement de celles obtenues par le Rapporteur pour les enfants en 2005. Ces informations indiquent que les enfants continuent à être soumis au travail infantile et à être victimes de la traite organisée, d’enlèvements, de mauvais traitements ainsi que d’arrestations et de détentions arbitraires par les forces de police. Selon les informations, en 2008, la violence exercée par les gangs a continué de sévir dans les centres urbains,[31] en particulier sous la forme d’enlèvements d’enfants et de violences sexuelles contre les victimes en relation avec ces enlèvements.

 

            55.       Il a été également constaté que la traite des enfants est une tendance inquiétante et constitue une menace à la protection des enfants, spécialement des filles. Les défenseurs des droits des enfants indiquent également que, dans certains cas, les orphelinats sont utilisés à des fins illicites, telles que la traite d’enfants, la prostitution et d’autres formes d’exploitation sexuelle des enfants. À cet égard, les autorités haïtiennes, en collaboration avec l’Organisation internationale pour les migrations et des organisations de défense des droits humains, travaillent à l’élaboration d’une loi nationale sur la traite des personnes. La Commission espère que l’étude et le vote de ce texte par le Parlement, de même que le vote du Code de l’enfant encore en instance de révision au Parlement, auront lieu rapidement et contribueront à améliorer la protection des enfants.

 

            56.       La Commission souhaite faire savoir qu’elle est préoccupée par la situation des enfants en conflit avec la loi. À cet égard, lors de la visite du Secrétariat pour rassembler des informations en mai 2008, la délégation de la Commission a pu observer que des enfants étaient détenus avec des adultes à la prison des Gonaïves. À ce moment-là, 8 enfants étaient détenus avec des adultes aux Gonaïves. De même, la détention d’enfants dans un établissement carcéral et non pas, comme le prescrit la loi, dans un centre de rééducation continue à être une préoccupation primordiale de la Commission. Le cadre juridique d’Haïti, en ce qui concerne la protection des enfants en conflit avec la loi, se limite essentiellement à la loi de 1961 sur les adolescents délinquants et les enfants en conflit avec la loi, qui adopte une approche de rééducation pour les jeunes délinquants et préconise une protection spéciale des enfants en conflit avec la loi. En particulier, la loi prévoit que les enfants de moins de seize ans ne sont pas pénalement responsables et sont censés purger leur peine dans un centre de rééducation et non dans un établissement pénitentiaire. Lors de réunions tenues avec des fonctionnaires du gouvernement, des membres du pouvoir judiciaire et de la société civile, l’immense majorité des participants s’est dite préoccupée par la détention de mineurs en conflit avec la loi et par l’absence d’un centre de rééducation autorisé légalement pour ce groupe ainsi que par le manque de centres d’accueil pour les enfants abandonnés et mal traités.   

            57.       Ces manquements violent les dispositions de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et les normes internationales pour la protection des mineurs en détention énoncées dans l’Ensemble des règles minima de l’ONU concernant l’administration de la justice pour les mineurs qui prévoient la détention préventive des mineurs comme un recours en dernière instance. Ces dispositions prescrivent que les mineurs en détention reçoivent une attention, une protection et toute l’assistance personnelle nécessaire sur le plan social, éducatif, professionnel, psychologique, médical et physique dont ils auraient besoin compte tenu de leur âge, de leur sexe et de leur personnalité.

 

            58.       En outre, pendant la visite de mai 2008 destinée à recueillir des informations, la délégation de la Commission a visité l’un des seuls centres d’accueil pour les enfants abandonnés et les enfants en conflit avec la loi géré par l’État, à Carrefour, Port-au-Prince. Le Directeur a indiqué qu’il existe trois centres gérés par une congrégation religieuse (les Petits frères et petites sœurs de l’Incarnation)[32] suite à un accord conclu avec le Ministère des affaires sociales. Il y a deux centres pour les garçons à Port-au-Prince et un centre pour les filles à Hinche. Le centre de Carrefour est le plus grand de tous et accueillait 110 enfants au moment de la visite de la Commission. Soixante-quatre enfants étaient hébergés au centre de Petit-Place Cazeau, à Port-au-Prince, qui dispense une formation professionnelle aux enfants. À Hinche, il y a 134 enfants (des filles uniquement). Cependant, le jour de sa visite, la délégation a constaté que plusieurs filles étaient logées au même endroit que les garçons, bien que représentants du centre avaient indiquée que les filles devaient loger séparément des garçons. Une autre question préoccupante est le fait que les enfants abandonnés et les enfants de la rue ne soient pas séparés des enfants en conflit avec la loi.

 

            59.       Un motif important de préoccupation est le fait que l’établissement a été conçu pour accueillir les enfants à risque (enfants sans foyer, enfants de la rue, enfants fugueurs) et les enfants en conflit avec la loi sans qu’il y ait des différences dans le traitement de ces enfants. Ainsi, comme plusieurs des enfants qui sont hébergés dans cet établissement sont en conflit avec la loi, la politique du centre est de ne permettre à aucun enfant de quitter l’établissement. Le Directeur a également indiqué que l’entrée est gardée à tout moment pour empêcher les enfants de s’échapper.

 

            60.       En ce qui concerne les conditions, l’établissement a besoin de réparations et d’entretien, alors qu’il semble manquer sérieusement de l’argent nécessaire pour fournir les matériels, les fournitures et l’équipement dont le centre a besoin pour fonctionner comme il se doit. Les salles de classe sont dépourvues de tout matériel ou fourniture, à l’exception de quelques chaises (dont beaucoup sont à moitié cassées) et de tableaux noirs qui étaient appuyés contre le mur parce que leur base n’était pas assez solide. En même temps, le Directeur a montré à la délégation les travaux de construction de latrines ainsi que d’une cuisine et d’un réfectoire plus spacieux.

 

61.              L’un des principaux défis mentionnés par le Directeur et son personnel est le  fait que le Ministère des affaires sociales n’affecte pas les ressources suffisantes à la gestion du centre. Ainsi, par exemple, le Ministère alloue au centre 250 gourdes par jour et par enfant,[33] somme qui, a indiqué le Directeur, ne suffit pas à couvrir le coût actuel de l’alimentation des  enfants et à leur fournir une qualité de vie élémentaire. Le personnel du centre a également fait savoir à la délégation qu’il n’avait pas reçu son salaire mensuel au cours des 5 derniers mois.[34]

 

62.              Comme la Commission l’a fait remarquer auparavant, les enfants sont parmi les membres les plus vulnérables de nos sociétés et ils ont droit à une protection spéciale de la part de l’État pour que leurs droits soient sauvegardés dans les faits. Elle exprime à nouveau sa préoccupation devant la situation précaire des enfants en Haïti et prend note du manque presque total de protection offerte aux enfants. À ce sujet, elle demande instamment à l’État de prendre toutes les mesures de protection nécessaires compte tenu de leur condition d’enfants afin de donner pleinement effet aux droits qui sont protégés par l’article 19 de la Convention américaine ainsi qu’aux droits et aux libertés prévus dans la Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée par Haïti le 8 juillet 1995.

 

63.              Les problèmes sociaux, économiques et politiques qu'affronta Haïti en 2008 n'eurent pas d'impacts si forts sur l'exercice du droit a la liberté d'expression comment ils l'ont eu dans les années précédentes, il ya eu clairement l'évidence d'effort pour résoudre quelques uns des principaux défis dans cette matière.

 

64.              A ce sujet, la Commission applaudis le progrès fait dans la lutte contre l'impunité dans les cas relatifs aux meurtres de journalistes. Le 23 janvier 2008 la cour pénal de Petit-Goave a condamné in absentia sept individus impliqués dans le meurtre de décembre 2001 de Brignol Lindor, de Radio Echo 2000. Les suspects furent identifiés comme membres de la milice armée connue comme Dòmi nan Bwa, connue comme supporters de l'ancien président haïtien Jean-Bertrand Aristide. Deux personnes furent condamnées à la prison a perpétuité en décembre 2007 pour le meurtre.[35] Et en mai 2008, les parents de Ricardo Ortega, le journaliste espagnol tué à Haïti en 2004, ont dévoilé la décision de la court Haïtienne que, en accord avec les évidences rassemblées, le journaliste avait été tue par des balles tirées par des soldats étrangers. Quand il fut tué, lors de la remise du pouvoir d'Aristide, Ortega couvrait les démonstrations pour et contre Aristides. Initialement les recherches étaient concentrées sur les supporters de l'ancien président comme suspect possible du crime du journaliste, mais les courts indiquèrent qu'il n'y avait pas assez d'évidences pour retenir les neufs haïtiens comme suspects. En juillet les autorités espagnoles annoncèrent la réouverture des recherches.[36]

 

65.              Par ailleurs, la Commission a reçu des rapports selon lesquels des journalistes on été attaques pendants leur travail. Le 8 avril du 2008, le photographe du journal Le Matin, Jean-Jacques Agustin, et le cadreur de la chaîne de télévision 11, Leblanc Macaenzy, ont été blessés par des balles en caoutchouc quand ils reportent les affrontements entre les protestants et forces de sécurité d’Haïti et des Nations Unis a Port-au-Prince, selon renseignements. Le photographe du journal Haïti Progrès, Yves Joseph, a été blessé par des balles renvoyées par les manifestants. Ces actes d’agression ont eu lieu dans un contexte de protestes violentes contre le gouvernement de René Préval, pour dénoncer la hausse des prix de la nourriture. [37]

 

66.              D’autres attaques a journalistes ont été rapportés a la Commission. Pedro Edouard, un caméraman de la chaine de télévision gouvernementale TNH, quand un officier de police plaça un revolver dans sa bouche, même si le coup n'est pas parti quand la gâchette fut appuyée. Le photographe Evens Saint-Felix fut interpellé par des soldats étrangers quand il les photographiait en train de harasser un policier en uniforme.[38]

 

67.              La Commission voudrait insister sur l’importance du Principe 9 de la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression, lequel exprime que: "L’assassinat, le séquestre, l’intimidation, les menaces proférées contre les communicateurs sociaux ainsi que la destruction matérielle des moyens de communication, constituent des violations des droits fondamentaux de la personne et limitent gravement l’exercice du droit à la liberté d’expression.  Les États ne doivent pas seulement prévenir et, le cas échéant, mener des enquêtes sur de tels faits, mais aussi punir leurs auteurs et veiller à ce que les victimes reçoivent une réparation adéquate"

 

            63.       En comparaison avec les années précédentes, la Commission a reçu un nombre moins élevé de plaintes relatives à des actes de violence et à des menaces contre des défenseurs des droits de l’homme perpétrés à titre de représailles pour le travail qu’ils accomplissent. Dans ces régions, les défenseurs constituent une des rares sources d’information sur les violations des droits de l’homme commises dans le pays. La Commission attache beaucoup de valeur à l’important travail que réalisent les défenseurs qui, dans des circonstances difficiles, continuent à promouvoir et à protéger les droits des Haïtiens. Dans ce sens, la Commission rappelle à l’État qu’il est de son devoir de leur assurer les conditions nécessaires qui faciliteront leur travail. En 2007, la Commission a été informée de deux cas de menaces contre des défenseurs des droits de l’homme et, en ce qui concerne l’un d’eux, elle a adressé une demande d’information à l’État. En particulier, elle fait part de sa préoccupation du fait de l’absence de réponse à sa demande d’information et pour l’incapacité, depuis 2005, à mettre en application sa demande de mesures conservatoires en faveur de défenseurs des droits de l’homme en Haïti. À ce jour, elle n’a reçu aucune communication de l’État lui indiquant les mesures qu’il avait prises pour protéger la vie et l’intégrité de la personne des requérants dans les affaires où elle avait accordé des mesures conservatoires et elle fait remarquer en particulier que les informations concernant l’enquête menée à propos de ces affaires ne lui ont toujours pas été communiquées. En conséquence de quoi, la Commission souligne les risques extrêmes que courent les requérants qui continuent à exercer leur profession sans que l’État n’ait adopté de mesures de sécurité pour garantir leur droit à la vie et à l’intégrité de leur personne.

 

            V.         CONCLUSION

 

            64.       Sur base de son observation de la situation des droits de l’homme en Haïti au cours des dernières années, la Commission constate que la situation en Haïti en 2008 s’est caractérisée une fois de plus par des défis considérables qui mettent en péril la capacité de l’État à assurer au peuple haïtien le respect intégral de ses droits humains. Ces défis incluent la crise alimentaire et les émeutes qui en ont été le résultat, la destitution de l’ancien Premier ministre, Jacques Edouard Alexis, et ses conséquences pour la stabilité politique du pays, ainsi que les catastrophes naturelles qui se sont produites ensuite et qui ont amené l’État à déclarer l’état d’urgence. La combinaison de tous ces événements a porté atteinte de manière non négligeable à la capacité de l’État à garantir les droits économiques et sociaux des Haïtiens en 2008. La Commission constate que ces événements ont eu des effets dévastateurs sur la survie et les moyens de subsistance quotidienne des Haïtiens.

 

            65.       En même temps, la Commission rend hommage à l’appui précieux que la communauté internationale a fourni au Gouvernement haïtien pendant cette période de transition politique et de récupération après les catastrophes naturelles. Cependant, la paix et la stabilité restent fragiles et la tâche qui consiste à renforcer les institutions haïtiennes et à mettre au point des mesures pour s’attaquer aux déficiences de longue date est un processus qui va exiger du temps, des ressources financières et humaines en quantité suffisante et un engagement à long terme du gouvernement et de la communauté internationale. En conséquence, la Commission continue à souligner le rôle important que joue l’État dans le renforcement de l’état de droit et de l’administration de la justice, dans les initiatives destinées à renforcer et à réformer les forces de sécurité publique, les mesures intégrées pour parvenir graduellement au développement économique et social, et pour assurer aux Haïtiens la jouissance de leurs droits économiques et sociaux, y compris l’accès à des offres d’emploi. La Commission continue à être profondément préoccupée par le degré d’impunité généralisée en cas de délits et de violations des droits de l’homme, l’absence de mesures de protection effectives pour les victimes de violations des droits de l’homme, et les déficiences extrêmes dans les conditions sociales et économiques qui empêchent sérieusement la majorité de la population haïtienne d’avoir accès aux services sociaux de base, notamment à un logement décent, à l’eau potable, aux soins médicaux, à l’éducation et à un emploi.

 

            66.       La Commission souligne l’importance de mettre au point une stratégie et un programme de réforme à longue échéance afin de s’attaquer aux faiblesses structurelles et législatives dans ces domaines. À cet égard, la Commission réitère le rôle important que joue la communauté internationale en apportant une assistance financière et technique cruciale à la Mission en Haïti pour qu’elle aborde des problèmes de longue date et mette en place des changements et une stabilité durables et elle rappelle en particulier la nécessité d’élaborer des programmes, en collaboration et en coordination avec le gouvernement haïtien et avec d’autres parties prenantes de première importance. À la lumière de ces conclusions, la Commission recommande à la République d’Haïti de prendre les mesures suivantes :

 

1.       S’agissant de la sécurité publique, d’élaborer un plan de sécurité intégral pour tout le pays, qui inclue des stratégies propres à empêcher la prolifération de la criminalité organisée et des trafics illicites, et concrètement, d’adopter des mesures durables et à long terme pour assurer la prévention et la sanction appropriées des actes criminels perpétrés avec violence, et de renforcer les mécanismes de responsabilisation pour que les auteurs de violations des droits de l’homme rendent compte effectivement de leurs délits. Également, de maintenir l’aide financière et technique destinée à la formation professionnelle de la Police nationale d’Haïti et de prendre des mesures propres à améliorer le programme d’études de l’Académie de police tout en mettant en place une supervision et un contrôle effectifs du comportement des policiers et en prenant des mesures disciplinaires, si besoin est, dans le respect des droits de la défense.

 

2.       S’agissant du système judiciaire, d’adopter des mesures immédiates et à long terme pour s’attaquer aux faiblesses identifiées dans les rapports de la Commission en matière d’administration de la justice en Haïti et en particulier de veiller à ce que des ressources financières et humaines en quantité suffisante lui soient affectées afin que les tribunaux fonctionnent de manière correcte et efficace. De prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que les lois votées récemment sur l’indépendance du pouvoir judiciaire sont mises rapidement en application et d’adopter les mesures nécessaires pour s’assurer que les tribunaux sont en mesure de remplir leur rôle, en particulier leur obligation de mener des enquêtes, d’engager des poursuites contre les responsables de violations des droits de l’homme et de les sanctionner.  

 

3.       S’agissant de l’administration pénitentiaire et des personnes privées de liberté, de prendre d’urgence des mesures pour améliorer les conditions de vie et de sécurité dans les établissements pénitentiaires et les centres de détention d’Haïti afin que leurs installations soient conformes aux normes minimales internationales en matière de droits humains et, indépendamment de la création de la commission spéciale sur la détention, d’adopter des pratiques optimales et des mesures de prévention, y compris les réformes institutionnelles nécessaires, afin de diminuer la durée de la détention préventive. À cet effet, d’améliorer le mécanisme de coordination entre les bailleurs de fonds internationaux et les organismes qui exécutent les programmes humanitaires et sociaux au sein de l’administration pénitentiaire haïtienne. 

 

4.       D’adopter rapidement une législation de nature à protéger comme il se doit les femmes et les fillettes des actes de discrimination et des différentes formes de violence – physique, sexuelle et psychologique – dans les sphères publique et privée. Et dans cet ordre d’idées, d’offrir aux femmes victimes de cette violence des services juridiques gratuits, accessibles et efficaces, pour qu’elles puissent faire valoir leurs droits auprès des tribunaux et de créer des centres spécialisés qui dispenseront des services multidisciplinaires aux victimes de la violence, y compris des services juridiques, médicaux et psychologiques.


 


[1] CIDH, Rapport annuel pour l’année 2007, p. 283

[2] Radios Vision 2000, Métropole, Signal, Caraïbes, Antilles, Solidarité, Mélodie, Galaxie, 12 septembre 2008; MINUSTAH, Haïti est à un carrefour de défis et d’espoirs, déclare le chef de la MINUSTAH, 9 octobre 2008. http://www.minustah.org/articles/1665/1/Haiti-est-a-un-carrefour-de-defis-et-despoirs-declare-le-chef-de-la-MINUSTAH/09-octobre-2008.html.

[3] MINUSTAH, Communiqué de presse #375, 24 octobre 2008, disponible sur le site : http://www.minustah.org/articles/1706/1/Communique-de-presse-375/----PIOPR375FRA2008.html.

[4] Visite (en mai 2008) à Port-au-Prince, Saint-Marc et les Gonaïves de fonctionnaires du Secrétariat exécutif.

[5] Selon des statistiques de l’ONU, le prix des denrées alimentaires de base a augmenté de près de 80% en Haïti entre août 2007 et mars 2008.

[6] Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation d’Haïti, UN doc. S/2008/586 (27 août 2008),    p. 2.

[7] Radios Vision 2000, Métropole, Signal, Caraïbes, Antilles, Solidarité, Mélodie, Galaxie, 12 septembre 2008; MINUSTAH, Haïti est à un carrefour de défis et d’espoirs, déclare le chef de la MINUSTAH, 9 octobre 2008. http://www.minustah.org/articles/1665/1/Haiti-est-a-un-carrefour-de-defis-et-despoirs-declare-le-chef-de-la-MINUSTAH/09-octobre-2008.html.

[8] Radio Métropole, 1er octobre 2008.

[9] Amélie Gauthier, « Food crisis in Haiti : a ruptured process ? », Programme Paix et sécurité, FRIDE, commentaire, juin 2008.

[10] Rapport du Secrétaire Général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation d’Haïti, UN doc. S/2008/586 (27 août 2008),    p. 11.

[11] Résolution 1840 (2008) du Conseil de sécurité des Nations Unies, UN Doc. S/RES/1840(2008) (14 octobre 2008).

[12] CARICOM, Canada, Haiti Move on CSME Project, 26 février 2008, http://www.caricom.org/jsp/pressreleases/pres40_08.jsp

[13] CARICOM Supports Haiti Through Capacity Building, 14 octobre 2008, http://www.caricom.org/jsp/pressreleases/pres307_08.jsp,.

[14] Caribbean Receives US$2.5m Grant from European Commission to Support Renewable Energy, 9 mai 2008, http://www.caricom.org/jsp/pressreleases/pres123_08.jsp.

[15] « Appui au renforcement de la stabilité politique et au développement socio-économique d’Haïti », Résolution AG/RES. 2424 (XXXVIII-O/08) de l’Assemblée générale de l’Organisation des États Américains.

[16] CIDH, communiqué de presse nº46/08  « La CIDH conclut sa 133ème Session ordinaire », 31 octobre 2008. Disponible sur le site: http://www.cidh.org/Comunicados/English/2008/46.08eng.htm; et communiqué de presse nº10/08  « La CIDH conclut sa 131ème Session ordinaire », 14 mars 2008. Disponible sur le site: http://www.cidh.org/Comunicados/English/2008/10.08eng.htm

[17] Rapport annuel de la CIDH pour 2007, Chapitre IV, Haïti, http://www.cidh.org/annualrep/2007eng/Chap.4d.htm.

[18] AlterPresse, Haïti/Sécurité publique : Plus de 40 cas d’enlèvements en moins de trois mois, 14 août 2008,  http://www.alterpresse.org/spip.php?article7591.

[19] International Crisis Group, Reforming Haiti’s Security Sector, 18 septembre 2008, p. 10  http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=5681&l=1.

[20] Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation d’Haïti, UN doc. S/2008/586 (27 août 2008), p. 8.

[21] Entretien avec l’Unité de la justice de la MINUSTAH, mai 2008.

[22] CIDH Rapport « Haïti: Justice en Déroute ou L’état de Droit? Défis Pour Haïti et la Communauté Internationale" OEA/Ser/L/V/II.123 doc.6 rev 1 (26 Octobre 2005).

[23] CIDH, Rapport annuel pour 2007, Chapitre IV, Haïti, http://www.cidh.org/annualrep/2007eng/Chap.4e.htm.

[24] Réseau national de défense des droits humains et Centre œcuménique des droits humains, Document de lobbying  présenté du  8 au  10  octobre  2008  aux  représentants  des  pays  membres  du  Conseil  de  Sécurité  des Nations Unies, 8-10 octobre 2008, p. 8. http://www.rnddh.org/IMG/pdf/Lobby_autour_du_renouvellement_du_mandat_de_la_MINUSTAH.pdf.

[25] MINUSTAH, Rapport mensuel sur les droits de l’homme, juin 2008, p. 4.

[26] International Crisis Group, Reforming Haiti’s Security Sector, 18 septembre 2008, p. 17, http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=5681&l=1.

[27] CIDH, Haïti : Justice en déroute ou l’État de droit ? Défis pour Haïti et la communauté internationale, 2006, http://www.cidh.org/countryrep/HAITI%20ENGLISH7X10%20FINAL.pdf.

[28] Visite de la CIDH en Haïti (décembre 2006, avril 2007) ; 133ème Session ordinaire de la CIDH, audience sur la situation de la violence contre les femmes et les fillettes en Haïti, 27 octobre 2008.

[29]  133ème Session ordinaire de la CIDH, audience sur la situation de la violence contre les femmes et les fillettes en Haïti, 27 octobre 2008.

[30] L’information pour cette section a été partiellement rassemblée dans la visite du personnel du Secrétariat de la CIDH en Haïti en Mai 2008, durant les réunions avec le gouvernement Haïtien, les organisations de la société civile et une visite a un centre d’accueil pour enfants, administrée par l’État, a Carrefour, Port-au-Prince.

[31] MINUSTAH, Unité de protection de l’enfant, Report of grave violations against children in the context of armed violence in Haiti, janvier – juillet 2008

[32] En principe, le centre est dirigé par l’IBESR, qui est un institut créé par le Ministère des affaires sociales pour s’occuper du bien-être social des enfants (en particulier des enfants à risque). En avril 2007, le Ministère des affaires sociales a signé un accord avec la congrégation des petits frères et petites sœurs de l’Incarnation pour la gestion quotidienne de l’établissement. Depuis mai 2007, cette congrégation et son personnel administrent le centre. Il faut faire remarquer qu’une partie du personnel est payé par le gouvernement et le reste par la congrégation. 

[33] 38 gourdes = 1 US$ (250 gourdes sont l’équivalent de 6,50 US$).

[34] Sur un total de 150 employés dans les trois villes, 132 sont payés par le Ministère des affaires sociales et le reste par la congrégation des petits frères et petites sœurs de l’Incarnation.

[35] Reporters Without Borders (RSF). “Victory over impunity ‘within reach’ in Lindor murder after seven are convicted in absentia.  25 Janvier, 2008. Disponible sur le site:

      http://www.rsf.org/article.php3?id_article=25205; IAPA. Haïti Rapport. Assemblé Générale: 64th Assemblé Générale, Octobre 3-7, 2008, Madrid, Espagne. Disponible sur le site:

      http://www.sipiapa.com/v4/index.php?page=det_informe&asamblea=20&infoid=320&idioma=sp.

 

[36] RSF. Conclusiones de la investigación sobre la muerte del periodista Ricardo Ortega: en tela de juicio la fuerza de interposición norteamericana. 13 Mai, 2008. Disponible sur le site: http://www.rsf.org/article.php3?id_article=26980. CPJ. “Spanish authorities restart Haiti murder investigation”. 16 Juillet, 2008. Disponible sur le site: http://cpj.org/2008/07/spanish-authorities-restart-haiti-murder-investiga.php.

[37] CPJ: “Three reporters injured while covering mass protests in Haitian capital.” Communique de presse du 9 avril, 2008. Disponible sur le site: http://www.cpj.org/news/2008/americas/haiti09apr08na.html//. Reuters AlertNet: “Protests over food prices paralyze Haitian capital.” Article publié le 8 avril, 2008. Disponible sur le site: http://www.alertnet.org/thenews/newsdesk/N08409570.htm//Terra/EFE: “Violentas protestas en Haití causan número indeterminado de heridos y saqueos.” Article publié le8 avril, 2008. Disponible su le site : http://www.terra.com/noticias/articulo/html/act1205856.htm.

 

[38] IAPA. Haïti Rapport. Assemblé Générale: 64th Assemblé Générale, Octobre 3-7, 2008, Madrid, Espagne. Disponible sur le site: http://www.sipiapa.com/v4/index.php?page=det_informe&asamblea=20&infoid=320&idioma=sp.