RAPPORT Nº 65/06

RECEVABILITÉ

REQUÊTE P81-06

JIMMY CHARLES

HAÏTI

Le 20 juillet 2006

 

 

I.        RÉSUMÉ
 

1.       Le 24 janvier 2006, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (dénommée ci-après «la CIDH» ou «la Commission») a été saisie d’une plainte présentée par Brian Concannon, de l’Institut pour la justice et la démocratie en Haïti, et par Mario Joseph, du Bureau des avocats internationaux, (ci-après dénommés «les requérants»), au nom de Jimmy Charles, contre la République d’Haïti (ci-après dénommée «l’État» ou «Haïti»).

 

2.       Dans leur requête, les requérants allèguent la violation du droit à la vie (article 4), du droit à un traitement humain (article 5), du droit à la liberté de la personne (article 7), du droit à un procès équitable (article 8) et du droit à la protection judiciaire (article 25.1), consacrés dans la  Convention américaine relative aux droits de l’homme (dénommée ci-après «la Convention» et «la Convention américaine»).
 

3.        Les requérants affirment que M. Charles, un employé de la compagnie haïtienne des téléphones, la TELECO, a été arrêté le 5 janvier 2005, sans qu’un mandat d’arrêt ait été émis à son égard, et sans qu’il soit pris en train de commettre un délit pénal.  Ils affirment qu’il a été détenu sans avoir été jugé et que son cadavre a été découvert à la morgue de l’Hôpital de l’Université de l’Etat à Port-au-Prince le 13 janvier, 2005 peu après avoir été remis en liberté le même jour.

 

4.       L’État n’a pas soumis de réponse aux faits allégués par les requérants et n’a pas non plus contesté la recevabilité de la requête faisant l’objet du présent examen. 

 

          5.       Dans ce rapport, la CIDH, après avoir analysé les informations disponibles sous l’angle de la Convention américaine, conclut qu’elle est compétente pour connaître des allégations présentées par les requérants, selon lesquelles la mort et la détention de la victime constituent des violations des droits visés aux articles 4, 5, 7, 8 et 25.1 de la Convention américaine et que, vu que la requête satisfait les conditions énoncées aux articles 46 et 47 de la Convention américaine, elle décide de déclarer recevable cette requête.  La Commission décide également de notifier sa décision aux parties, de la publier et de l’inclure dans le Rapport annuel qu’elle soumettra à l’Assemblée générale de l’OEA.

 

          II.       PROCÉDURES INTRODUITES DEVANT LA COMMISSION

 

          6.       Le 24 janvier 2006, la Commission a été saisie de la plainte présentée par les requérants.

 

          7.       Le 18 avril 2006, la Commission a transmis cette requête à l’État haïtien et a demandé à celui-ci d’y répondre dans un délai de deux mois à compter de la date de réception de la communication, conformément à l’article 30.3 du Règlement de la Commission.

 

          8.       Au moment où ce rapport a été examiné, l’État n’avait fourni aucune information à propos de la requête.

 

          III.      POSITIONS DES PARTIES

 

          A.      Les requérants

 

         9.       Les requérants expliquent que le 13 janvier 2005, la famille de la victime présumée, Jimmy Charles, 27 ans, père de deux jeunes enfants et employé de la compagnie haïtienne des téléphones, la TELECO, a découvert le corps de celui-ci, qui présentait 11 blessures par balles, à la morgue de l’hôpital de l’Université d’État, à Port-au-Prince.

 

          10.     Les requérants affirment que le 5 janvier 2005, M. Charles a été arrêté par les soldats brésiliens de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) devant la maison de son père alors qu’il se préparait à décharger du sable d’un camion destiné à l’entreprise de maçonnerie de son père.  Ils affirment que son arrestation était illégale parce qu’elle ne reposait pas sur un mandat d’arrêt et que M. Charles n’avait pas, non plus, été arrêté en train de commettre un délit pénal.

 

          11.     Les requérants déclarent que la MINUSTAH a remis M. Charles à la Police nationale d’Haïti le jour même de son arrestation et qu’il a été détenu dans une cellule du poste de police du Service anti-gang.  Cette cellule en ciment de neuf pieds sur douze était dépourvue d’eau courante, d’installation sanitaire et de tout meuble, et les détenus ne recevaient des aliments et de l’eau potable que des membres de leur famille qui étaient autorisés à leur déposer de la nourriture dans la cellule tous les matins.  Il est dit que la cellule de ce poste de police est surpeuplée, manque d’air frais en quantité suffisante et que la température peut y atteindre 105 degrés Fahrenheit (40º C).

 

          12.     Les requérants allèguent également que les jours suivants, la femme et le père de M. Charles sont allés le voir à sa cellule, tous les jours, pour lui apporter de la nourriture et que la détention de M. Charles s’est poursuivie sans qu’il ait été informé d’une accusation formelle portée contre lui  et sans qu’une décision judiciaire n’ait entériné son arrestation.

 

13.             Le 10 janvier, selon les requérants, M. Charles a été envoyé devant le juge de Paix du Tribunal Section Sud de Port-au-Prince, où le Juge Marc Pascal déclara que le dossier de M. Charles était incomplet, et qu’il ne relevait pas de sa juridiction.  Ainsi, M. Charles a été renvoyé dans la cellule de détention de l’Anti-Gang sans qu’une décision de justice approuve son arrestation, et sans avoir été informé par le juge des charges retenues contre lui.

14.             , Les requérants indiquent que le 11 janvier, l’avocat de M. Charles d’alors, Roosevelt St. Jean, alla au service Anti-Gang pour s’informer auprès d’un policier dénommé M.Nazaire lui dit qu’un rapport de police avait été écrit, mais devait encore être signé par le chef du Service Anti-Gang, lequel était absent.  De plus, il expliqua que M.Charles allait comparaître devant le Juge de paix de la Section Est et suggéra que son avocat aille l’attendre au Tribunal de la section Est le lendemain.

 

15.     Selon les requérants, la femme de M. Charles l’a vu vivant, pour la dernière fois, le 12 janvier au matin, lorsqu’elle lui a apporté à manger.  Ce même jour, son père s’est rendu à la cellule du Service anti-gang vers 14 heures, mais son fils n’y était plus.  On lui a dit que M. Charles avait été remis en liberté un peu plus tôt ce jour-là, aux environs de midi.  Il s’est alors rendu immédiatement chez son fils pour voir s’il était rentré chez lui.  Ne le trouvant pas là-bas, il est allé au Tribunal de paix de la Section Est où son fils aurait dû se présenter ce jour-là et là, on lui a dit qu’il n’avait pas comparu devant le tribunal.  Finalement le lendemain, 13 janvier, il a découvert le corps de son fils, criblé de balles, à la morgue de l’hôpital de l’Université d’État.  Le personnel de la morgue lui a dit que le cadavre de M. Charles était arrivé en ambulance vers 14 heures, le 12 janvier, jour de sa remise en liberté.

 

          16.     Les requérants affirment également que, dans un communiqué de presse, le porte-parole de la police a allégué ultérieurement que M. Charles avait été tué pendant un affrontement entre la police et des «bandits» dans le quartier de La Saline, après sa libération.  Ils font valoir que cette affirmation n’est pas crédible.  Ils font valoir qu’un individu raisonnable qui vient juste d’être remis en liberté après avoir été détenu pendant une semaine dans une cellule surpeuplée et dépourvue de toute hygiène dans un poste de police, rentrerait chez lui pour voir sa famille ou qu’il se cacherait, mais qu’il ne participerait pas à un affrontement armé dans une partie éloignée de la ville.

 

          17.     Par contre, les requérants affirment que la séquence des événements et les preuves indirectes disponibles suggèrent que M. Charles a été tué alors qu’il était encore sous la garde de la police, ou immédiatement après sa ‘libération’ de la cellule du Service anti-gang mais qu’il avait été repris aussitôt après et exécuté soit par des membres réguliers de la PNH, ou par des attachés de la police affectés au commissariat du Service anti-gang.  Les requérants allèguent également que le cadavre est arrivé dans une ambulance et que la PNH dispose d’ambulances policières qui ont été utilisées maintes fois pour transporter les victimes d’exécutions extrajudiciaires à la morgue de l’hôpital de [l’Université] d’État.

 

          18.     Les requérants font également observer que lorsqu’une personne, qui a été vue vivante pour la dernière fois alors qu’elle était détenue par des autorités de l’État, est retrouvée morte aussitôt après, de telles preuves indirectes constituent une forte présomption que des agents de l’État sont responsables de son meurtre.  Dans bien des cas de ce genre, affirment les requérants, il n’incombe pas exclusivement aux proches de la victime de prouver la responsabilité de l’État dans la mort violente de la victime.  C’est plutôt à l’État que revient la charge d’exonérer ses agents de la responsabilité du décès d’un détenu dont ils avaient la garde.

          19.     Pour ce qui est de l’épuisement des voies de recours internes, les requérants déclarent que le 25 janvier 2005, le père et la femme de M. Charles ont porté plainte au pénal devant le Commissaire du gouvernement du Tribunal de première instance de Port-au-Prince et se sont constitués parties civiles dans le cadre de la procédure pénale.  À ce jour, la procédure n’a fait aucun progrès.

 

          20.     Les requérants déclarent également que les proches de M. Charles ont demandé le 25 janvier 2005, et réitéré cette demande le 14 mars 2005,  à ce que le corps de M. Charles soit soumis à une autopsie et à un examen médico-légal afin de déterminer, entre autres, la distance, la direction et l’angle sous lesquels ont été tirées les 11 balles qui ont tué M. Charles.  Selon les requérants, en dépit de ces efforts, aucune autopsie n’a été pratiquée sur le corps de M. Charles.  Ils affirment également qu’aucune enquête impartiale n’a été entreprise et qu’aucun fonctionnaire gouvernemental ou judiciaire n’a pris de mesures afin de faire la lumière sur les circonstances de la mort de M. Charles.

 

          21.     Enfin, le requérant allègue que sa requête doit être considérée comme recevable pour les raisons suivantes: (1) le retard injustifié de l’enquête et des poursuites pénales vu que, à la date où la Commission a été saisie de la requête, l’État n’avait pris aucune disposition pour enquêter sur cette affaire ni pour donner suite au recours juridique formé par la famille; (2) le fait qu’une action au civil séparée ne constitue pas un recours adéquat pour la violation en question lorsque le principal recours consiste à traduire en justice les auteurs de la violation, car ce but ne peut pas être atteint devant les tribunaux civils; et (3) le fait que le système judiciaire haïtien n’est pas efficace et ne permet pas de garantir une procédure régulière pour la protection des droits qui ont été violés.

 

          B.       L’État

 

          22.     L’État n’a pas présenté de réponse aux faits allégués par les requérants dans leur pétition et n’a pas non plus contesté la recevabilité de la requête faisant l’objet de cet examen.

 

          IV.      ANALYSE DE LA RECEVABILITÉ

 

             A.      Considérations préliminaires

 

          23.     La CIDH constate que l’État n’a répondu à aucun moment aux allégations des requérants et qu’il n’a pas non plus contesté la recevabilité de la requête comme il l’a fait pour plusieurs affaires concernant Haïti par le passé.[1]  La Commission rappelle qu’Haïti est responsable des obligations internationales qu’elle a assumées aux termes de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.  L’article 48 (1) (a) de la Convention présente un intérêt particulier car il établit les procédures à suivre lorsque la Commission reçoit une requête ou une communication.  La CIDH doit demander «des informations au gouvernement de l'Etat dont relève l'autorité à qui la violation est imputée» et «[c]es informations devront être présentées dans un délai raisonnable».  Les dispositions de l’article 48(1) (e) stipulent que la Commission «pourra demander aux Etats intéressés toutes informations pertinen­tes».  Cette disposition oblige les États parties à la Convention à fournir à la CIDH toutes les informations dont elle peut avoir besoin pour procéder à l’examen des pétitions individuelles.

 

          24.     La CIDH souligne l’importance qu’elle accorde aux informations qu’elle demande car ce sont elles qui servent de fondement à ses décisions à propos des requêtes dont elle est saisie.  De fait, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a affirmé que la coopération des États constitue une obligation fondamentale dans le cadre de la procédure internationale établie par le système interaméricain:

 

A la différence du droit pénal interne, en ce qui concerne les procédures relatives aux violations des droits de l'homme, la défense de l'Etat ne peut reposer sur l'impossibilité du demandeur d'alléguer des preuves qu'en de nombreux cas, il ne peut obtenir sans la coopération de l'Etat.

 

L'Etat contrôle les moyens d'éclaircir les faits survenus dans son territoire.  Bien que la Commission ait la possibilité d'effectuer des enquêtes, dans la pratique, pour pouvoir effectuer ses enquêtes dans la juridiction de l'Etat, elle dépend de la coopération de cet Etat.[2]     

 

          25.     La Commission et la Cour interaméricaines des droits de l’homme ont également déclaré que «le silence du défendeur ou ses réponses évasives ou ambiguës peuvent être interprétés comme une acceptation des faits allégués, du moins tant que le contraire n'apparaît pas dans la procédure ou ne résulte pas de la conviction du juge» et la présomption a été reconnue explicitement dans l’article 39 du Règlement de la Commission et dans l’article 38 (2) du Règlement de la Cour.[3]  Ayant cela présent à l’esprit, la Commission rappelle à l’État haïtien qu’il est dans l’obligation de coopérer avec les différents organismes du Système interaméricain des droits de la personne afin de faciliter leurs efforts visant à protéger les droits individuels.

 

B.       Compétence ratione personae, ratione loci, ratione temporis et ratione materiae de la Commission

 

26.     Les requérants, aux termes de l’article 44 de la Convention américaine, sont autorisés à déposer des plaintes auprès de la CIDH.  La pétition désigne comme victime présumée une personne à l’égard de laquelle Haïti s’est engagée à respecter et à garantir les droits, compte tenu de l’obligation générale de ce pays de respecter les droits de la personne en vertu de l’article 1 de la Convention américaine.  La République d’Haïti est  partie à la Convention américaine, depuis le 27 septembre 1977, date à laquelle elle a déposé l’instrument d’adhésion correspondant.  De ce fait, la Commission a la compétence ratione personae nécessaire pour examiner la pétition dont elle est saisie.

 

27.     La Commission estime qu’elle a compétence ratione loci pour connaître de la pétition, car les violations présumées ont été commises sur le territoire d’un État partie à ce traité.

 

28.     La CIDH estime également qu’elle a compétence ratione temporis, vu que la requête concerne des actes qui auraient été commis en 2005 alors que les obligations ont été contractées par Haïti en vertu de son adhésion à la Convention américaine le 27 septembre 1977.

 

29. Enfin, la Commission considère qu’elle a compétence ratione materiae parce que la pétition dénonce des violations de droits protégés par la Convention américaine, et notamment le droit à la vie (article 4), le droit à un traitement humain (article 5), le droit à la liberté de la personne (article 7), le droit à un procès équitable (article 8) et le droit à la protection judiciaire (article 25).

 

C.      Autres conditions de recevabilité

 

1.       Épuisement des voies de recours internes

 

30.     L’article 46 (1) (a) de la Convention américaine prévoit que la recevabilité d’une pétition introduite devant la Commission aux termes de l’article 44 est soumise à la condition que les voies de recours internes aient été dûment utilisées et épuisées conformément aux principes du droit international généralement reconnus.  Le but de cette exigence est de donner aux instances nationales la possibilité d’examiner la violation présumée d’un droit protégé par la Convention et, le cas échéant, de régler le problème, avant que celle-ci ne soit soumise à la considération d’une instance internationale. 

 

31.     L’obligation d’épuiser au préalable les voies de recours internes s’applique lorsque, dans la pratique, celles-ci sont disponibles dans le système national et constitueraient un recours adéquat et efficace pour la violation présumée.  À cet égard, l’article 46 (2) précise que cette obligation ne s’applique pas lorsque la législation interne n’offre pas les garanties d’une procédure régulière pour la protection du droit en question, ou si la victime présumée n’a pas eu accès aux voies de recours internes ou s’il s’est produit un retard injustifié pour obtenir un jugement définitif quand elle a invoqué ces recours.  Comme l’indique l’article 31 du règlement de la Commission, lorsqu’un requérant allègue l’une ou l’autre de ces exceptions, c’est à l’État qu’il incombe alors de démontrer que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées, à moins que cette conclusion ne ressorte clairement du dossier.

 

32.     Conformément aux principes du droit international, lesquels se retrouvent dans les précédents établis par la Commission et par la Cour interaméricaines, il convient de remarquer en premier lieu que l’État concerné peut renoncer expressément ou tacitement à invoquer cette règle.[4]  En deuxième lieu, pour que la contestation selon laquelle les voies de recours internes n’ont pas été épuisées soit considérée comme ayant été faite en temps opportun, elle doit avoir été faite aux premiers stades de la procédure; dans le cas contraire, la Commission présumera que l’État concerné a renoncé tacitement à l’invoquer.[5] Enfin, l’État qui allègue le non épuisement des voies de recours internes doit préciser quelles sont les voies de recours qui auraient dû être épuisées et donner des preuves de leur efficacité.[6]  En conséquence, si l’État concerné ne présente pas en temps opportun des arguments concernant cette exigence, la Commission interprètera que l’État a renoncé à son droit de faire valoir le non épuisement des voies de recours internes, et de ce fait est exonéré de la charge de la preuve correspondante.

 

33.     En l’espèce, les requérants ont allégué que l’exception visée à l’article 46 (2), à savoir le fait que l’accès aux voies de recours internes prévues par la législation nationale ait été refusé à la victime,  que celle-ci ait été empêchée de les épuiser et le retard injustifié pour obtenir un jugement définitif, s’applique à cette affaire et que l’État n’a pas contesté cet argument.  C’est pourquoi, s’appuyant sur: les termes de l’article 46 de la Convention et de l’article 31 du Règlement de la Commission, son examen du dossier, et prenant notamment en considération l’absence d’une enquête sur la mort de M. Charles, le fait que, en l’espèce, l’État n’ait pas donné suite aux poursuites pénales, et le délai d’un an pendant lequel les instances concernées n’ont rendu aucune décision, et faute d’informations spécifiques et concrètes indiquant que des voies de recours internes disponibles et efficaces n’ont pas été épuisées, la Commission conclut que l’exception visée à l’article 46 (2) s’applique à cette affaire et qu’il y a eu un renoncement tacite de l’État.

 

D.      Délai pour la présentation de la requête

 

34.     Aux termes de l’article 46 (1) (b) de la Convention, la requête doit être introduite en temps opportun pour être recevable, à savoir, dans un délai de six mois à compter du jour où la décision définitive, au niveau national, a été notifiée à la partie plaignante.  La norme établissant ce délai de six mois garantit la sécurité et la stabilité juridiques une fois que la décision a été prise.

 

35.     Dans les affaires où une exception à l’obligation d’épuiser au préalable les voies de recours internes est applicable, l’article 32 du Règlement de la Commission prévoit que les requêtes doivent être présentées dans une période de temps raisonnable, laissée à l’appréciation de la Commission.  Conformément à cet article, la Commission, dans son analyse, «tient compte de la date à laquelle a eu lieu la violation présumée des droits ainsi que des circonstances de chaque cas.»

 

36.     En ce qui concerne la pétition examinée ici, la Commission a établi que l’exception visée à l’article 46 (2), à savoir le fait que l’accès aux voies de recours internes prévues par la législation nationale ait été refusé à la victime, est applicable et que, de ce fait, elle doit évaluer si la pétition a été présentée dans une période de temps raisonnable compte tenu des circonstances de la situation soumise à sa considération.  À cet égard, au vu des circonstances indiquées dans la pétition, la Commission constate que les requérants déclarent que la victime a été retrouvée morte le 13 janvier 2005 et que la requête a été déposée le 24 janvier 2005.  Au regard des circonstances particulières de cette requête, la CIDH estime qu’elle a été introduite dans un délai raisonnable.

 

E.       Double emploi des procédures et de la chose jugée

 

37.     La Commission croit comprendre que l’objet principal de cette pétition n’est pas en instance de règlement devant une autre instance internationale et qu’elle ne fait pas non plus double emploi avec une pétition déjà examinée par cette autre instance internationale.  En conséquence de quoi, les conditions visées à l’article 46 (1) (c) et 47 (d) sont remplies.

 

F.       Caractérisation des faits

 

38.     L’article 47 (b) et (c) de la Convention, ainsi que l’article 34 (a) et (b) du Règlement de la Commission considèrent qu’une pétition n’est pas recevable lorsqu’elle n’expose pas des faits qui semblent constituer des violations de droits consacrés par la Convention ou par tout autre instrument applicable ou si les arguments des requérants ou de l’État indiquent que la requête est manifestement dénuée de fondement ou non conforme aux normes.

 

39.     Les requérants allèguent que l’État est responsable des violations des droits de M. Charles visés aux articles 4, 5, 7, 8 et 25 de la Convention américaine, ainsi que le résume la section III ci-dessus.  L’État n’a pas présenté d’observations ou d’informations sur les violations alléguées par les requérants.

 

40.     La Commission en conclut que la requête contient des allégations factuelles qui, si leur véracité est prouvée, tendent à caractériser des violations des droits protégés par les articles 4, 5, 7, 8 et 25 de la Convention et de l’article 1.1., qui traduit l’obligation générale de respecter les droits protégés par la Convention.  La CIDH estime également que, sur la base des informations qui lui ont été soumises, les allégations des requérants ne sont pas ostensiblement dénuées de fondement et qu’elles ne sont pas non plus non conformes  aux normes.  En conséquence de quoi, la CIDH conclut que la requête ne doit pas être considérée comme irrecevable en vertu des articles 47 (b) et (c) de la Convention ou de l’article 34 (a) et (b) du Règlement de la Commission.

 

V.      CONCLUSIONS

 

41.     Après avoir examiné la présente requête, la Commission conclut qu’elle a compétence pour connaître de ladite affaire.  Elle juge que la requête est recevable compte tenu des allégations des requérants faisant état de violations des articles 4, 5, 7, 8 et 25.1 de la Convention en connexion avec l’article 1.1.  La Commission décide également de notifier cette décision aux parties, de la publier et de l’inclure dans son Rapport annuel à l’Assemblée générale de l’OEA.

 

42.     Faisant fond sur les arguments de droit et de fait mentionnés ci-dessus, et sans préjuger du fond de l’affaire,

 

LA COMMISSION INTERAMÉRICAINE DES DROITS DE L’HOMME,

 

DÉCIDE:

 

          1.       De déclarer la présente affaire recevable par rapport aux articles 4, 5, 7, 8 et 25.1 de la Convention américaine en connexion avec l’article 1.1.

 

          2.       De notifier la présente décision aux requérants et à l’État.

 

          3.       De poursuivre l’examen portant sur le fond de l’affaire.

 

          4.       De publier cette décision et de l’inclure dans le Rapport annuel qu’elle soumettra à l’Assemblée générale de l’OEA.

 

Fait et approuvé au de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, dans la ville de Guatemala, Guatemala, le 20 juillet 2006. 
 


[1] CIDH, Rapport Nº 129/01, Affaire 12.389, Haïti, paragraphes 11 et suivants.  CIDH, Rapport Nº 79/03, Affaire P139/02, Haïti, paragraphes 10 et suivants.

[2] Cour interaméricaine des droits de l’homme.  Affaire Velásquez Rodríguez, jugement du 29 juillet 1988, série C, nº 4, paragraphes 135 et 136.  Commission interaméricaine des droits de l’homme.  Rapport nº 28/96 Affaire nº 11.297, Juan Hernández (Guatemala), 16 octobre 1996, paragraphe 43.

[3] Cour interaméricaine des droits de l’homme.  Affaire Velásquez Rodríguez, jugement du 29 juillet 1988, série C, nº 4, paragraphe 138.  Commission interaméricaine des droits de l’homme.  Rapport nº 28/96 Affaire nº 11.297, Juan Hernández (Guatemala), 16 octobre 1996, paragraphe 45.

[4] Voir, par exemple, CIDH, Rapport nº 69/05, requête 960/03, Recevabilité, Iván Eladio Torres, Argentine, 13 octobre 2005, par.  42 ; Cour interaméricaine des DH, Affaire Ximenes Lopes.  Objections préliminaires.  Jugement du 30 novembre 2005.  Série C nº 139, par. 5 ; Cour interaméricaine des DH, Affaire Village Moiwana c./ le Suriname.  Jugement du 15 juin 2005.  Série C nº 124, par. 49 ;  Cour interaméricaine des DH, Affaire des sœurs Serrano-Cruz c./ El Salvador. Objections préliminaires.  Jugement du 23 novembre 2004.  Série C nº 118, par. 135. 

[5] Voir, par exemple, Cour interaméricaine des DH, Affaire Communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni.  Objections préliminaires.  Jugement du 1er février 2000.  Série C nº 66, par. 53 ; Cour interaméricaine des DH, Affaire Castillo Petruzzi. Objections préliminaires.  Jugement du 4 septembre 1998.  Série C nº 41, par. 56 et Cour interaméricaine des DH, Affaire Loayza Tamayo.  Objections préliminaires.  Jugement du 31 janvier 1996.  Série C nº 25, par. 40.  La Commission et la Cour ont toutes deux établi qu’il fallait interpréter les « premiers stades de la procédure » comme l’étape où la Commission établit la recevabilité du dossier, c’est-à-dire « avant d’en examiner le fond ».  Voir, par exemple, CIDH, Rapport nº 71/05, requête 543/04, Recevabilité, Ever de Jesús Montero Mindiola, Colombie, 13 octobre 2005, qui cite la Cour interaméricaine des DH, Affaire Herrera UlloaJugement du 2 juillet 2004.  Série C nº 107, par. 81.

[6] Voir, par exemple, CIDH, Rapport nº 32/05, requête 642/03, Recevabilité, Luis Rolando Cuscul Pivaral et autres personnes souffrant du VIH/SIDA, Guatemala, 7 mars 2005, par. 33-35 ; Cour interaméricaine des DH, Affaire Communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni.  Objections préliminaires, supra, par. 53 ;  Cour interaméricaine des DH, Affaire Durand et Ugarte.  Objections préliminaires.  Jugement du 28 mai 1999.  Série C nº 50, par. 33 et Cour interaméricaine des DH, Affaire Cantoral Benavides.  Objections préliminaires.  Jugement du 3 septembre 1998.  Série C nº 40, par. 31.