CHAPITRE IV

 

HAÏTI

 

Introduction

 

          1.       La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH ou “la Commission”) a décidé d’incorporer dans le présent chapitre l’examen d’une question concernant la République d’Haïti, État membre de l’OEA dont les pratiques en matière de droits de la personne méritent une attention particulière parce qu’on peut dire que ce pays se trouve dans la situation correspondant au cinquième critère énoncé dans le Rapport annuel de la CIDH pour 1997 et susmentionné, c’est-à-dire une

 

“situation temporaire ou structurelle qui peut se produire dans des États membres confrontés, pour diverses raisons, à des situations qui affectent gravement la jouissance des droits fondamentaux consacrés dans la Convention américaine ou dans la Déclaration américaine.  Ce critère comprend, par exemple, des situations graves de violations des droits de l’homme qui empêchent le fonctionnement adéquat de l’État de droit, de graves crises institutionnelles, des processus de changements institutionnels ayant des conséquences négatives pour les droits de la personne ou de graves omissions dans l’adoption des dispositions nécessaires à l’exercice effectif des droits fondamentaux”.

 

          2.       La Commission a élaboré la présente section du Chapitre IV de son Rapport annuel conformément aux dispositions de l’article 57(1) (h) de son Règlement et a fondé son analyse sur des informations qu’elle a obtenues pendant sa visite décrite ci-dessous ainsi que sur des renseignements provenant d’autres sources fiables.  Le 25 janvier 2005, la CIDH a transmis à l’État une copie du projet de la présente section du Chapitre IV de son Rapport annuel pour 2004, conformément à l’article susmentionné, et a demandé au Gouvernement de la République haïtienne de soumettre ses observations dans un délai de vingt jours.  L’État n’a pas soumis d’observations dans le délai prescrit.

 

          3.       L’année 2004 a été marquée par des changements dramatiques du climat politique haïtien, notamment le départ de l’ancien Président Jean-Bertrand Aristide à la fin de février 2004 suivi d’un violent soulèvement, l’installation d’un gouvernement de transition en mars 2004, et l’arrivée en juin 2004 d’une nouvelle mission des Nations Unies, la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH).  Les activités de la Commission en Haïti en 2004 ont été forcément influencées par ces événements importants, qu’elle a suivis de près tout au long de l’année.  Parmi celles-ci, figurent notamment une visite du Rapporteur de la Commission pour Haïti du 1er au 3 septembre 2004, en vue d’avoir des entretiens avec des membres du gouvernement de transition et d’autres acteurs pertinents et d’évaluer la situation actuelle en matière de droits de la personne.

 

          4.       Compte tenu de ses activités sur Haïti en 2004, la Commission continue d’être vivement préoccupée par un certain nombre de domaines dans lesquels les droits fondamentaux du peuple haïtien manquent de protection et de garanties.  Pendant sa visite en Haïti au début de septembre, la Commission a exprimé l’espoir que Haïti et son peuple pourraient surmonter leurs difficultés passées et s’engager vers un avenir dans lequel la primauté du droit, la démocratie et le respect des droits de la personne sont pleinement réalisés.  La Commission maintient toujours cet objectif, mais elle s’alarme de plus en plus de la situation sécuritaire en Haïti, qui s’est beaucoup détériorée les derniers mois de 2004.  À la lumière de ces circonstances, la Commission appelle le gouvernement de prendre les mesures d’urgence nécessaires, conformes aux principes et normes internationales applicables aux droits de la personne, d’exercer un contrôle sur la sécurité en Haïti et elle appelle la communauté internationale à renforcer ses efforts d’assistance au gouvernement dans cette tâche.  Sans ces mesures, Haïti aura peu de chance de s’orienter vers un avenir plus prospère.

 

Résumé des événements clés en Haïti en 2004

 

          5.       Comme cadre de son examen de la situation des droits de la personne en Haïti en 2004, la Commission présente un bref aperçu des principaux événements intervenus au cours de l’année en question.

 

          6.       À la fin de 2003 et au début de 2004, de nombreuses protestations violentes ont eu lieu dans les rues de Port-au-Prince contre le Gouvernement de l’ancien Président Jean-Bertrand Aristide.  Ces événements se sont accompagnés d’actes de sabotage contre des journalistes et des biens des médias, qui ont été condamnés par le Rapporteur spécial de la Commission sur la liberté d’expression.[1]

 

          7.       Le 5 février 2004, un conflit a éclaté aux Gonaïves, quatrième ville du pays en importance, lorsque des opposants armés du gouvernement ont attaqué les postes de police et les tribunaux, obligeant les forces de l’ordre et les autorités locales à prendre la fuite.  Parmi les dirigeants de l’insurrection figuraient notamment d’anciens membres de la Police nationale haïtienne (PNH) et des groupes paramilitaires, tels que le Front Révolutionnaire Armé pour le Progrès (FRAPH).  Les trois semaines suivantes, il y a eu une escalade de la violence et celle-ci a gagné d’autres parties du pays, faisant, selon les estimations, plus de 200 morts.

 

          8.       Le 29 février 2004, alors que les insurgés menaçaient d’avancer sur Port-au-Prince, l’ancien Président Aristide a quitté Haïti dans des circonstances controversées.  Quelques heures après le départ d’Aristide, le Président de la Cour suprême, Boniface Alexandre, a été assermenté en qualité de nouveau Président par intérim.  Le 4 mars 2004, un Conseil tripartite a été créé, lequel était composé de trois membres: l’un représentant le parti Fanmi Lavalas de l’ancien Président Aristide, un autre, la Plate-forme démocratique, groupe opposé à l’ancien Président Aristide et le troisième, la communauté internationale.  Le lendemain, le Conseil tripartite a choisi sept personnalités de secteurs clés de la société pour constituer un Conseil de Sages et l’a chargé de sélectionner un Premier Ministre par intérim.  Gérard Latortue, homme d’affaires et consultant auprès des Nations Unies résidant aux États-Unis, a été nommé Premier Ministre le 9 mars 2004, et un gouvernement de transition a été formé une semaine plus tard.

 

          9.       Pour former un vaste consensus politique, le Premier Ministre Latortue a été signé le 4 avril 2004 un document intitulé “Consensus de transition politique” au nom des 13 membres du cabinet de transition, des membres du Conseil de sages et des représentants de divers groupes politiques et d’organisations de la société civile, à l’exception de Fanmi Lavalas.  Le Consensus de transition politique comprenait des mesures à adopter dans des domaines tels que la sécurité, la lutte contre l’impunité et la corruption, les élections, la réforme judiciaire, la réintégration d’anciens éléments armés, la professionnalisation de la Police nationale haïtienne et l’assistance aux victimes.  Il prévoyait aussi la tenue d’élections municipales, parlementaires et présidentielles en 2005.  Un Conseil électoral provisoire (CEP) a été créé à cette fin, lequel était initialement composé de seulement huit des neufs membres requis en raison du refus de Fanmi Lavalas d’y participer, mais un neuvième membre représentant les secteurs de la justice et de la société civile a été ultérieurement nommé.  Bien que des controverses aient marqué ses activités, y compris la démission de sa Présidente en novembre 2004 à la suite d’accusations de mauvaise gestion, le CEP semble maintenir son objectif de tenir des élections en novembre 2005 suivies de la passation des pouvoirs au nouveau gouvernement en février 2006.

 

          10.     Dans leurs efforts visant à remettre le pays des effets des événements violents de février et de mars 2004 et à le faire avancer, le gouvernement de transition et le peuple haïtien ont continué de faire face à de nombreux défis, dont une insuffisance grave du nombre de policiers et la crise permanente causée par des personnes et des groupes illégalement armés dans le pays, dont les effets conjugués ont exacerbé les sérieux problèmes qui se posent en matière de droits de la personne et de sécurité.  Comme on l’a déjà vu, les derniers mois de 2004 ont connu une recrudescence de violence parmi les groupes et les gangs illégalement armés à Port-au-Prince et ailleurs, qui a été précipitée par un heurt avec la police au cours d’une manifestation pro-Aristide à Port-au-Prince le 30 septembre 2004.  Ces événements ont eu pour conséquence d’accroître l’inquiétude de la Commission et d’autres entités soucieuses d’établir une situation stable en Haïti.  Ces questions font l’objet d’un examen approfondi ci-dessous.

 

          11.     Les faits intervenus au niveau national en Haïti se sont accompagnés d’une évolution des activités de la communauté internationale dans le pays.  En particulier, le 29 février 2004, date à laquelle l’ancien Président Aristide a quitté Haïti, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1529 (2004)[2] par laquelle il a autorisé le déploiement immédiat d’une force multinationale intérimaire pour une période de trois mois.  Le même jour, le déploiement des troupes a commencé.

 

          12.     Suite à cette résolution, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté le 30 avril 2004 la résolution 1542 (2004) portant création de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), force de stabilisation des Nations Unies devant comprendre, selon les prévisions, 6 700 militaires, 1 622 membres de la police civile et du personnel civil local supplémentaire.[3]  Il a autorisé cette mission pour une durée initiale de six mois à compter du 1er juin 2004, et le 20 novembre 2004 il a prorogé son mandat jusqu’en juin 2005 avec l’intention de le renouveler.[4]  Le mandat de la MINUSTAH a été défini par le Conseil de sécurité de manière à pourvoir à la sécurité et à la stabilité propices au bon déroulement du processus constitutionnel et politique haïtien, à aider le gouvernement de transition à réformer la Police nationale haïtienne et à l’aider notamment à mettre en oeuvre des programmes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion complets et durables.  À la fin de novembre 2004, sur les 6 700 effectifs des forces de maintien de la paix et les 1 622 officiers de la police civile qui avaient été prévus, 4 790 et 1 270 respectivement étaient déployés en Haïti.[5]

 

          13.     D’autres organisations intergouvernementales ont réagi aux événements dramatiques qui ont eu lieu en Haïti.  La Communauté des Caraïbes (CARICOM), dont Haïti est membre, a condamné les circonstances qui ont provoqué le départ de l’ancien Président Aristide et a décidé ultérieurement de ne pas permettre au gouvernement de transition de participer à ses Conseils.  Au dernier Sommet de la CARICOM en novembre 2004, la demande de réadmission de Haïti aux réunions de la CARICOM a été rejetée, les membres opposés invoquant les problèmes liés aux droits de la personne et à la sécurité.[6]

 

          14.     De son côté, lors de sa 34ième session ordinaire qui a eu lieu du 6 au 8 juin 2004 à Quito (Équateur), l’Assemblée générale de l’Organisation des États Américains (OEA) a adopté la résolution AG/RES.2058 (XXXIV)-O-04[7] dans laquelle elle réaffirme que le souci principal de l’OEA en Haïti est le rétablissement total d’un ordre démocratique durable et du bien-être économique, social et politique des citoyens haïtiens.  Elle a aussi chargé le Secrétaire général d’assurer la coordination nécessaire avec le Secrétaire général des Nations Unies et de définir les domaines de collaboration entre la Mission spéciale de l’OEA et celle des Nations Unies, en particulier ceux qui se rapportent au renforcement des institutions démocratiques, à la tenue des élections et à la promotion des droits de la personne.  En outre, elle a instamment invité la CIDH à surveiller la situation des droits de la personne en Haïti et à faire rapport sur cette question, ainsi qu’à travailler avec la Mission spéciale de l’OEA à la promotion et au respect de ces droits.

 

          15.     Depuis juin 2004, de nombreuses initiatives ont été prises par les organes et institutions de l’OEA pour mettre en oeuvre les dispositions de la résolution de l’Assemblée générale.  Une délégation du Conseil permanent de l’OEA a effectué une visite en Haïti du 9 au 11 septembre 2004 pour évaluer la situation et souligner la nécessité d’encourager le rétablissement total de la démocratie dans le pays.  De plus, le 3 novembre 2004, le Secrétariat général de l’OEA et les Nations Unies ont signé un accord de coopération relatif à l’organisation, à l’observation et à la conduite des élections en Haïti prévues pour 2005.  En outre, l’Institut électoral fédéral du Mexique, les Nations Unies et l’OEA ont organisé un atelier dans la ville de Mexico pendant la semaine du 22 novembre 2004 pour préparer les élections haïtiennes.  Un examen des activités de la CIDH concernant la situation des droits de la personne en Haïti en 2004 est présenté ci-dessous.

 

          16.     Toujours en 2004, plusieurs organisations non gouvernementales ont publié des rapports sur la situation en Haïti, dont Amnesty International[8] et International Crisis Group,[9] et celle-ci a fait l’objet d’une vaste couverture médiatique au niveau international.

 

          17.     Il importe aussi de mentionner que Haïti a été victime de graves catastrophes naturelles en 2004.  D’abord en mai des inondations dues à des pluies torrentielles dans la région frontalière avec la République Dominicaine ont causé la mort de plus de 1 700 personnes, et en septembre l’ouragan tropical Jeanne, l’une des pires catastrophes qui ait frappé Haïti, a eu des effets dévastateurs et a fait 1 900 morts et 900 disparus et présumés morts.  Ces catastrophes et leurs conséquences, dont le manque d’eau, de logement, de services d’hygiène et de santé et la propagation concomitante de maladies et d’affections, ont exacerbé les problèmes auxquels se heurtait Haïti et son besoin de recevoir une assistance internationale musclée et décisive.  À ce sujet, lors d’une conférence de donateurs qui a eu lieu à Washington, D.C. en juillet 2004, une contribution d’un montant d’environ EU$1,08 milliard a été annoncée pour Haïti.  Ces ressources apporteront au pays l’assistance dont il a grandement besoin pour relever les nombreux défis qui se présentent à lui, mais la Commission croit comprendre que des retards sont intervenus dans le décaissement de ces fonds.  La CIDH appelle l’État haïtien et la communauté internationale à prendre les initiatives urgentes nécessaires pour accélérer la livraison et l’utilisation de ces ressources et, partant, faire progresser le processus de redressement et l’apport d’assistance à la population.

 

Activités de la Commission concernant Haïti en 2004

 

          18.     Alors que Haïti était le théâtre des événements violents de février et de mars 2004, la Commission a déploré la violence et la perte consécutive de vies humaines, la détérioration de la situation humanitaire et la violation des droits de la personne.  Elle a demandé instamment aux parties intéressées d’aplanir leurs différences d’une manière pacifique, démocratique et constitutionnelle, conformément aux dispositions de la Charte démocratique interaméricaine et de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.[10]

 

          19.     Après l’installation du gouvernement de transition, la Commission s’est déclarée toujours préoccupée par certains aspects de la situation des droits de la personne sous le nouveau régime, notamment par les circonstances dans lesquelles s’était déroulé en août 2004 le procès de l’ancien dirigeant paramilitaire Louis-Jodel Chamblain et celui de l’ancien officier de police Jackson Joanis pour le meurtre d’Antoine Izméry en 1993, ce qui, d’après la Commission, ne témoignait pas de la volonté de mettre fin à l’impunité liée aux violations passées des droits de la personne par l’application de procédures manifestement équitables et efficaces, conformes aux normes internationales.[11]

 

          20.     Ces activités ont été suivies d’une visite de la Commission en Haïti du 1er au 3 septembre 2004 à l’invitation du gouvernement de transition et avec l’aide financière du gouvernement français.  La délégation de la Commission était composée des membres suivants : Clare K. Roberts, Premier Vice-président et Rapporteur pour Haïti; Brian Tittemore, spécialiste principal des droits de la personne, Bernard Duhaime, membre associé du personnel de l’OEA et professeur de droit à l’Université du Québec à Montréal; Candis Hamilton, avocate consultante de la CIDH et Julie Santelices, assistante administrative.  Cette visite a eu lieu conformément au mandat et aux attributions de la CIDH découlant de la Charte de l’OEA et de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, ainsi qu’en application des dispositions de la résolution AG/RES.2058 (XXXIV)-O-04) adoptée par l’Assemblée générale le 8 juin 2004.[12]

 

          21.     Cette visite était la première visite effectuée par la Commission depuis la violence armée en Haïti au début de 2004 et l’installation du gouvernement de transition.  En conséquence, pendant sa visite, la Commission s’est efforcée d’obtenir des informations sur l’état des protections des droits de la personne en Haïti au lendemain de ces événements.  À cette fin, elle a eu des entretiens avec des représentants du gouvernement haïtien de transition et des membres de la société civile, ainsi que des organisations internationales.  La Commission s’est réunie avec le Président de la République, M. Boniface Alexander; le Premier Ministre, M. Gérard Latortue; le Ministre des affaires étrangères et du culte, M. Yvon Siméon; le Ministre de la justice et de la sécurité publique, M. Bernard Gousse; le Ministre de l’intérieur, M. Hérard Abraham; la Ministre à la condition féminine, Mme Adeline Magloire Chancy; le Directeur général de la police nationale haïtienne, M. Leon Charles; et l’Ombudsman de Haïti, M. Necker Dessables.  La Commission a aussi eu des entretiens avec des représentants de différents secteurs de la société civile, notamment avec un grand nombre d’organisations non gouvernementales aux opinions diverses, ainsi qu’avec des juges, des avocats et des magistrats.  En outre, elle s’est entretenue avec le Chef de la MINUSTAH, l’Ambassadeur Juan Gabriel Valdes, et d’autres personnalités de la MINUSTAH et du Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH).  De plus, elle a tenu un séminaire sur le système interaméricain des droits de la personne avec de hauts responsables et fonctionnaires de divers ministères et organismes d’État.[13]

 

          22.     Suite à sa visite, la Commission a publié un communiqué de presse, ainsi que des observations préliminaires sur la situation des droits de la personne en Haïti et a présenté ses observations au Conseil permanent de l’OEA pendant une réunion ordinaire du Conseil tenue le 7 septembre 2l04.[14]  La Commission a continué de suivre de près les événements en Haïti en septembre et en octobre.  Compte tenu d’une recrudescence de la violence et d’autre faits inquiétants à travers le pays, elle a examiné la situation pendant sa 121ième session ordinaire d’octobre 2004 et a publié un communiqué de presse à l’issue de cette session dans lequel elle s’est déclarée de plus en plus préoccupée par la situation des droits de la personne en Haïti.[15]

 

          23.     En se fondant sur sa visite et d’autres activités menées Haïti en 2004, la Commission a discerné de nombreux domaines dans lesquels elle se dit vivement préoccupée par la protection des droits de la personne dans le pays et qui sont examinés ci-dessous.  Il est à noter que certains de ces problèmes existaient avant 2004 et ont fait l’objet d’une analyse dans des Rapports annuels et communiqués de presse précédents de la CIDH.[16]

 

Observations de la Commission sur la situation des droits de la personne en Haïti en 2004

 

          24.     Dans le communiqué de presse qu’elle a publié après sa visite de septembre en Haïti, la Commission a noté que le pays continuait de faire face à de nombreux problèmes graves en matière de droits de la personne, mais que malgré cela, elle avait l’espoir que le gouvernement et le peuple haïtiens, en collaboration avec la communauté internationale, pourraient surmonter les difficultés du passé et s’acheminer vers un avenir plus prometteur.  Depuis lors, toutefois, la Commission est de plus en plus préoccupée par le manque de progrès dans plusieurs domaines clés recensés pendant sa visite.  Si le gouvernement et la communauté internationale ne redoublent pas d’efforts pour régler un certain nombre de problèmes, dont en particulier le désarmement des groupes et des gangs armés illégaux et la situation d’insécurité sur tout le territoire, tout progrès pour le pays et son peuple demeurera hors de portée.

 

Sécurité et désarmement

 

          25.     Parmi les soucis principaux de la Commission durant 2004 a figuré la situation sécuritaire en Haïti.  Selon l’information dont a disposé la Commission, le manque de sécurité de la population à travers la plus grande partie du pays a été et demeure un problème urgent.  Depuis la rébellion de février et de mars, des groupes armés illégaux continuent de contrôler de nombreuses régions d’Haïti, en particulier dans le nord, et il semblerait que dans certains cas ces groupes ont opéré en coopération avec la police nationale ou à sa place.  En conséquence, la sécurité des populations dans nombre de ces régions n’a pas été vraiment garantie par l’État.

 

          26.     Comme l’a noté la Commission pendant sa visite sur place, il est indispensable pour la stabilité future du pays que le gouvernement haïtien, en collaboration avec la communauté internationale, prenne les mesures d’urgence nécessaires pour regagner le contrôle dans toutes les régions du pays, désarmer les groupes y opérant et garantir les droits fondamentaux des personnes sur tout le territoire de l’État.  La Commission a aussi réaffirmé avec insistance que les droits humains de toutes les personnes doivent être respectés dans le processus de rétablissement de l’ordre et de la sécurité dans le pays et que toutes les violations des droits de la personne qui se produisent doivent faire l’objet d’une enquête, de poursuites et de sanction, quel qu’en soient les auteurs.  Bien que la date limite du 15 septembre 2005 ait été fixé pour le désarmement des groupes armés illégaux par les forces des Nations Unies et la police haïtienne, elle a expiré sans que des progrès significatifs aient été réalisés dans la saisie des armes, la reprise du contrôle des postes de police tombés aux mains des rebelles et ex-soldats et l’adoption de toutes les autres mesures qui s’avèreraient nécessaires pour assurer un véritable contrôle sur la sécurité dans l’ensemble d’Haïti.

 

          27.     Le désarmement manqué a, quant à lui, perpétué et exacerbé la situation de violence en Haïti.  Les autorités locales ont indiqué que le taux d’homicide a augmenté dans le pays en 2004 par rapport aux années précédentes, en particulier pendant la seconde moitié de l’année.  Pour l’essentiel, la violence a pris la forme de confrontations entre des gangs armés illégaux et la police.  L’impact de la violence a été généralisé, touchant non seulement des membres de la police et des soldats des Nations Unies, mais aussi la population civile au sens large.  Des ambulanciers ont été attaqués, des enlèvements ont eu lieu et l’aide aux victimes des catastrophes naturelles a été pillée, suscitant ainsi de plus grandes craintes dans la population.

 

          28.     La recrudescence de la violence semble avoir commencé le 30 septembre, date à laquelle les partisans d’Aristide ont intensifié leurs protestations dans la capitale, Port-au-Prince, pour demander son retour d’exil d’Afrique du Sud.  Face à cette montée de violence, la police aurait tiré sur des manifestants, causant la mort de deux personnes.  Ces actes ont été suivis de représailles le même jour lorsque trois officiers de police sont censés avoir été tués et décapités dans une action dénommée avec perversité par les auteurs “Opération Baghdad”, faisant allusion aux atrocités comparables perpétrées l’an dernier par des terroristes en Iraq.  Depuis le 30 septembre, on estime que la violence en Haïti a fait plus de cents morts, dont 19 officiers de police.

 

          29.     La Commission ne saurait trop souligner combien il importe que le gouvernement prenne des mesures urgentes et efficaces, avec l’assistance de la communauté internationale, pour maîtriser cette situation.  À défaut d’exercer un véritable contrôle sur la sécurité, le gouvernement ne sera pas en mesure de remplir son obligation de garantir la protection des droits humains du peuple haïtien.  La non-application rapide et décisive de programmes de désarmement n’a fait qu’enhardir les groupes et les gangs armés illégaux et la violence concomitante s’est étendue en raison du manque de sécurité publique, tout comme les autres délits.

 

          30.     Les lacunes dans le domaine de la sécurité exposent non seulement la population à des dangers quotidiens, mais elles ont aussi des conséquences pour les progrès et la prospérité à long terme du pays.  Comme on le verra de façon plus détaillée ci-dessous, elles risquent de compromettre les élections prévues pour 2005 en privant la population d’un climat propice à un exercice plein et libre de son droit de vote démocratique ainsi que de son droit de se faire élire, conformément aux dispositions de l’article 23 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.  Dans la mesure où la violence prend la forme de confrontations entre les forces de l’ONU, la police et les partisans de l’ancien Président, il faut trouver une solution afin d’assurer que les élections seront libres et inclusives et engloberont tous les partis politiques, y compris Fanmi Lavalas.  La persistance de problèmes sécuritaires risque aussi d’empêcher les relations d’Haïti avec d’autres États, organisations internationales et institutions financières ainsi que l’apport et l’utilisation d’aide internationale, à un moment où la consolidation et le renforcement du soutien international revêt une importance cruciale pour les progrès à court et à long terme d’Haïti.

 

          31.     À ce sujet, la Commission note qu’en dépit du mandat conféré à la MINUSTAH de contribuer à la création d’un climat sûr et stable en Haïti, celle-ci n’a pas opéré à pleine capacité en 2004, situation à laquelle la Commission a instamment demandé à la communauté internationale de remédier et continue de le faire.  Par ailleurs, elle reconnaît que malgré le déficit des ressources, la MINUSTAH a entrepris des efforts pour améliorer la sécurité dans le pays.  Ceux-ci ont revêtu la forme d’initiatives visant à protéger la livraison de l’aide humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles en Haïti, ainsi que d’une opération réalisée le 18 décembre 2004 grâce à laquelle les forces de maintien de la paix ont pu faire partir d’anciens soldats qui occupaient la propriété de l’ancien Président.  Ce n’est qu’en étoffant les troupes et les forces de police et en prenant les devants par le biais d’opérations supplémentaires que Haïti parviendra vraiment à assurer la sécurité.

 

Administration de la justice

 

          32.     Il est manifeste que, d’après l’information disponible, le manque de progrès dans le domaine sécuritaire a été attribuable dans une large mesure à l’insuffisance du nombre et de la formation des membres de la police nationale en Haïti.  À ce sujet, la Commission continue d’être préoccupée par les carences de l’administration de la justice en Haïti.  D’après les sources d’information dont dispose la Commission, le système de justice demeure très faible et laisse à désirer sur des points fondamentaux.  Notamment, les juges, les magistrats, les tribunaux et la police font face à une grave pénurie de ressources et les violations du droit à un procès équitable sont répandues, telles que la détention prolongée d’individus sans qu’ils comparaissent devant un juge.  À titre d’exemple du manque critique de ressources, la Commission a été informée pendant sa visite de septembre que les forces de police ne comprennent que 2 000 à 4 000 membres pour une population totale de plus de 8 millions.  Comme on l’a déjà vu, la police a aussi été victime d’actes de violence dans le pays, 19 officiers ayant été tués depuis la fin de septembre 2004 seulement, d’après les estimations.

 

          33.     Par ailleurs, la Commission a pris note de l’information selon laquelle certains cas de meurtres illégaux sont sans doute attribuables à la police.  Par exemple, le 26 octobre 2004, 13 personnes auraient été exécutées dans le quartier du Fort National à Port-au-Prince par des hommes qui, d’après des témoins, semblaient être des membres de la police.  Des incidents de ce genre, ainsi que des exécutions extrajudiciaires doivent rapidement faire l’objet d’enquêtes indépendantes et impartiales et leurs auteurs de poursuites et de sanctions.

 

          34.     La Commission s’inquiète également des arrestations et détentions apparemment arbitraires qui se seraient produites en 2004.  Ainsi, le 2 octobre 2004 ont été arrêtés l’ancien Président du Sénat haïtien, Yvon Feuille, à Radio Caraïbe, l’ancien Président de la Chambre haïtienne des députés, Rudy Heriveaux, et l’activiste Lesly Gustave, tandis que le 13 octobre 2004 le Père Gérard Jean-Juste était arrêté dans sa paroisse de Port-au-Prince et détenu.  Dans son communiqué de presse du 28 octobre 2004 concernant Haïti, la Commission s’est déclarée préoccupée par ces incidents.  Selon les informations disponibles, le Père Jean-Juste a été libéré 7 semaines plus tard, soit le 29 novembre 2004, après une audience devant un juge qui a conclu qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour le juger.  La Commission croit comprendre aussi que le 23 décembre 2004, MM. Feuille, Heriveaux et Gustave ont été libérés tandis que les enquêtes ouvertes sur eux se poursuivaient.  La Commission note que la perpétration d’arrestations et de détentions arbitraires n’est pas un problème nouveau en Haïti, mais qu’elle a fait l’objet de critiques de la part de la Commission dans le passé.[17]  Dans le présent rapport, la Commission met de nouveau l’accent sur l’interdiction, visée à l’article 7 de la Convention américaine, de procéder à des arrestations et détentions arbitraires, et réitère l’obligation de l’État d’assurer que les activités qu’il mène pour enquêter sur les délits et les poursuivre font appel à des méthodes manifestement équitables et réelles, conformes aux normes internationales de procès équitable, y compris le droit d’un détenu à être rapidement notifié du ou des chefs d’accusation retenus contre lui et de comparaître devant un juge sans tarder.

 

          35.     En 2004, des actes de violence ont aussi été signalés contre et entre des détenus dans les prisons et autres établissements de détention, ainsi que l’existence de conditions non conformes aux normes.  En particulier, le 1er décembre 2004, des actes de violence auraient été commis au Pénitencier national, qui ont entraîné la mort d’au moins 7 détenus.  De plus, la Commission a reçu des informations selon de laquelle des groupes armés et autres autorités non État continuent de contrôler certains prisons et autres établissements de détention. Comme la question des arrestations et détentions arbitraires, la violence et les mauvaises conditions dans les prisons ne sont pas un problème nouveau en Haïti, et la Commission lance de nouveau un vigoureux appel au Sénat pour assurer que les personnes détenues ou incarcérées ne sont pas victimes de violence ou de mauvais traitement de la part des employés de l’État ou d’autres détenus et ne sont soumises à des conditions qui ne répondent pas aux normes internationales minimales applicables au traitement des détenus, notamment celles qui figurent dans l’ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies. La Commission a aussi appelle l’État haïtien à prendre les mesures urgentes nécessaires pour regagner le contrôle dans toutes les prisons et  autres établissements de détention dans le pays.

 

          36.     Pendant la visite de la Commission du début de septembre, l’État a indiqué qu’il prenait des mesures pour s’attaquer à un certain nombre de problèmes liés à l’administration de la justice.  Il a informé la Commission, par exemple, qu’une législation était en cours d’élaboration, selon laquelle le pouvoir de nommer, de promouvoir et de discipliner les juges qui relevait jusqu’à présent du Ministère de la justice passerait désormais à un organe indépendant, et que les salaires des juges avaient été récemment relevés.  Ces augmentations de salaires sont sans doute encore insuffisantes, mais pour la Commission elles représentent un premier pas vers une amélioration de l’administration de la justice dans le pays.  La Commission a aussi été informée que le gouvernement avait établi un plan pour le recrutement et la formation de nouveaux membres des forces de police à court et à long terme, 1 500 officiers supplémentaires devant être engagés avant les élections prévues pour l’an prochain.  Toujours selon le gouvernement, le processus de sélection des nouvelles recrues disqualifie les candidats qui risquent d’avoir été impliqués dans le passé dans des abus des droits de la personnes, et l’enseignement des droits de la personne a été incorporé à la formation de la police en tant que composante clé.  La Commission a encouragé ces mesures et a souligné la nécessité pour l’État, avec l’appui de la communauté internationale, de continuer à prendre les mesures nécessaires pour régler ces problèmes et les autres qui portent atteinte au système de justice.  La Commission a aussi souligné la nécessité pour les recrues dans la police de recevoir une formation aux droits de la personne, notamment aux règles et principes internationaux régissant l’usage de la force, et d’enquêter immédiatement et efficacement sur toutes les allégations de participation à des meurtres de la part de membres de la police et d’en juger et punir les auteurs. De plus, la Commission note la nécessité pour les juges et autres fonctionnaires en la administration de la justice de recevoir une formation aux droit de la personne.

 

Impunité

 

          37.     Le problème que continue de représenter l’impunité de violations passées des droits de la personne est en rapport avec l’état précaire de l’administration de la justice en Haïti.  En 2004, la Commission a reçu des critiques sur la façon dont des individus déterminés étaient traités dans le système judiciaire de l’État.  Ainsi, comme on l’a vu ci-dessus, des irrégularités ont été relevées dans le procès de Louis-Jodel Chamblain et Jackson Joanis en août 2004 pour le meurtre d’Antoine Izméry en 1993, notamment le fait que le procès a eu lieu pendant la nuit du 16 au 17 août et qu’un seul témoin à charge n’a été cité.  L’arrestation et la détention en 2004 de plusieurs membres de l’ancien gouvernement ont aussi suscité des inquiétudes, y compris de l’ancien Premier Ministre Yvon Neptune et de l’ancien Ministre de l’intérieur Jocelerme Privert.  Pendant sa visite de septembre 2004, la Commission avait eu l’occasion de s’entretenir avec ces deux anciens ministres au Pénitencier national et de vérifier les conditions de leur détention.

 

          38.     Préoccupée par ces questions, la Commission a rappelé l’obligation pour l’État de mettre fin à l’impunité des violations des droits de la personne en suivant des procédures manifestement équitables et efficaces qui soient conformes aux normes internationales, et de respecter le droit correspondant de toutes les personnes à faire l’objet d’un procès équitable et à comparaître devant un tribunal compétent, indépendant et impartial, sans discrimination d’aucune sorte.  La Commission a aussi noté que, bien que certaines procédures légales puissent être conformes à la législation nationale, l’État est obligé d’assurer que l’enquête, les poursuites et la sanction des violations des droits de la personne sont conformes aux normes internationales.  La Commission estime qu’il importe de souligner la responsabilité qui incombe à l’État d’enquêter sur les violations des droits de la personne et de les poursuivre conformément aux normes susmentionnées, quels qu’en soient les auteurs et quelle que soit la date à laquelle elles ont été perpétrées, y compris les violations commises pendant la dictature militaire au début des années 60 ou sous les gouvernements précédents ou actuel.  L’État doit aussi prendre les mesures qui s’avèreraient nécessaires pour assurer que toutes les personnes qui pourraient être impliquées dans de tels délits ne font pas partie des forces publiques de sécurité.

 

 Situation de personnes et de groupes particuliers

 

          39.     En 2004, la Commission s’est aussi penchée sur la situation de groupes qui retiennent particulièrement son attention, notamment les femmes, les enfants, les défenseurs des droits de la personne et les journalistes ainsi que les personnes victimes de violence et de mauvais traitements en raison de leurs affiliations ou opinions politiques.  Par exemple, la Commission a aussi reçu pendant l’année des informations et des rapports sur l’allégation d’actes de violence contre des individus fondés sur leur affiliation, ou apparente affiliation, avec l’ancien Président et son parti politique, ainsi que sur d’autres cas de violence qui auraient été attribuables aux partisans de l’ancien gouvernement, dont celui d’août 2004 dans lequel le Secrétaire d’État aux affaires étrangères de la République française a été attaqué tandis qu’il visitait un hôpital dans la Cité Soleil.  La Commission a condamné les incidents de ce genre et a continué de mettre l’accent sur l’obligation pour l’État d’enquêter sur les allégations de ces actes de violence et, le cas échéant, d’en poursuivre et sanctionner les auteurs.

 

          40.     Par ailleurs, d’après des informations reçues par la Commission, le viol de femmes et de jeunes filles commis notamment par des groupes armés et des bandits demeure un sérieux problème dans la société haïtienne, et cette situation a empiré considérablement en 2004 en raison du pouvoir accru détenu par d’anciens paramilitaires dans le pays et du recours au viol par ceux-ci en tant qu’instrument leur permettant de parvenir à leurs fins politiques.  Le problème de la violence sexuelle contre des femmes et jeunes filles va de pair avec d’autres graves violations des droits de la personne, telles que la discrimination, et les femmes sont particulièrement touchées par les lacunes des systèmes de santé et d’éducation.  Par exemple, selon des organisations locales non gouvernementales, les femmes perçoivent des salaires nettement plus faibles que leurs homologues masculins bien que, d’après les estimations, 60% des ménages aient une femme à leur tête.  Les estimations font également apparaître que 6,7% de la population jeune féminine sont infectés du virus VIH/SIDA.  Des groupes de femmes se sont plaints d’être de moins en moins en mesure de fonctionner en raison de leur manque de ressources et de leurs craintes d’être victimes de violence.  Face à ces problèmes, la Commission a réaffirmé la nécessité pour l’État de prendre des mesures concrètes pour promouvoir et protéger les droits des femmes, notamment de mener des enquêtes sur les plaintes concernant le violence sexuelle commise sur des femmes et des jeunes filles et d’engager des poursuites.  À ce sujet, le Ministre à la condition féminine a informé la Commission pendant sa visite de septembre que son ministère s’efforçait d’encourager des projets de réforme législative visant à répondre aux besoins des femmes, y compris des propositions ayant pour objet de qualifier le viol de délit dans la loi haïtienne et d’offrir des activités de formation à des groupes de femmes dans toutes les régions du pays.  La Commission croit comprendre depuis lors que le Conseil des Ministres a autorisé l’adoption d’un décret par lequel il qualifie le viol de délit dans la loi haïtienne.  La Commission se félicite de cette initiative et assurera le suivi des efforts entrepris par l’État pour mettre en oeuvre cette loi cruciale.

 

          41.     Les enfants semblent eux aussi avoir été victimes de violations particulièrement flagrantes des droits de la personne en Haïti en 2004.  Par exemple, des enfants auraient été forcés à travailler ou victimes d’enlèvements et d’actes de violence perpétrés par des groupes armés et sont souvent incarcérés avec des adultes.  D’après les estimations de l’UNICEF, la violence en Haïti a eu des conséquences particulièrement importantes pour 2 000 enfants des rues à Port-au-Prince et 120 000 filles qui travaillent comme domestiques à travers le pays.  Des enfants ont été victimes de meurtre et ont été recrutés dans des gangs, tandis que le nombre des viols d’enfants augmentait.  Comme la Commission l’a observé précédemment, les enfants figurent parmi les membres les plus vulnérables de nos sociétés et ont le droit à une protection spéciale de la part de l’État pour que leurs droits soient sauvegardés.  En conséquence, elle demande instamment à l’État de prendre les mesures nécessaires au plein exercice des droits des enfants conformément aux dispositions de l’article 19 de la Convention américaine concernant les mesures de protection requises par leur situation de mineurs de la part de leurs familles, de la société et de l’État, ainsi que des droits et libertés prévus dans la Convention relative aux droits de l’enfant, qui a été ratifiée par Haïti le 8 juillet1995.

 

          42.     De plus, la Commission a été informée des menaces et d’autres actes de violence et d’intimidation perpétrés contre des défenseurs des droits de la personne, ainsi que des journalistes et les médias dans le pays.  Parmi ces incidents figure le meurtre le 13 septembre 2004 du Révérend Moleste Lovinsky Bertomieux, hôte d’une émission quotidienne de Radio Caraïbe.  Comme la Commission l’a observé dans de nombreuses occasions dans le passé, si elles ne sont pas découragées, les violations et coercitions de ce genre rendent vulnérables les défenseurs des droits de la personne et les journalistes et les empêchent de travailler.  De nouveau, la Commission demande instamment au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour enquêter sur de tels incidents, engager des poursuites et les prévenir.

 

Droits sociaux, économiques et culturels et problèmes connexes

 

          43.     Les inquiétudes susmentionnées de la Commission doivent aussi être examinés à la lumière des problèmes de base avec lesquels la société est aux prises, tels que la pauvreté extrême, le taux élevé d’analphabétisme et la malnutrition, qui continuent de priver les Haïtiens des droits économiques, sociaux et culturels fondamentaux et en même temps d’aggraver les conséquences qu’entraîne le non-respect des droits civils et politiques de base.  Dans nombre d’occasions dans le passé, la Commission a reconnu qu’il s’agit là d’un énorme défi pour l’État haïtien et elle a instamment demandé au gouvernement, en collaboration avec tous les secteurs de la société et avec l’appui de la communauté internationale, d’élaborer et de mettre en oeuvre un plan de développement qui réponde aux besoins économiques et sociaux fondamentaux de chaque citoyen haïtien.

 

          44.     Parmi les études les plus récentes des enjeux sociaux, économiques et culturels qui se posent pour Haïti figure le rapport conjoint du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et du gouvernement haïtien intitulé: “Une vision commune du développement humain durable”[18].  Ce rapport fournit des informations et des analyses concernant les nombreux problèmes graves avec lesquels Haïti est aux prises, dont la pauvreté extrême, la mortalité infantile, la santé et la mortalité maternelles, la prolifération du virus VIH/SIDA, la malaria, la tuberculose et d’autres maladies, et les sérieuses carences du système d’éducation.  Par exemple, d’après ce rapport, 76 % des Haïtiens vivent avec moins de EU$2 par jour, tandis que 55 % avec moins de EU$1 par jour.  Les taux de malnutrition et de mortalité sont particulièrement élevés pour les enfants: 42 % des enfants âgés de moins de 5 ans souffrent de malnutrition et un décès sur trois en Haïti est un décès d’enfant.  Le taux de mortalité maternelle liée à l’accouchement a reculé au point d’être désormais la deuxième cause de décès parmi les femmes haïtiennes.  Le Rapport conclut qu’aux taux actuels de transmission du virus VIH/SIDA, 10,5% de la population, d’après les estimations, seront infectés d’ici à 2015, contre 6,31 % en 2002 et 4,98 en 1996.  Le système sanitaire en Haïti est dans une situation désespérée, les hôpitaux souffrent d’une pénurie de personnel et de ressources et une grande partie de la population n’a pas les fonds nécessaires pour acheter les médicaments indispensables.  Les rares ressources disponibles ont été grevées par les dégâts et les maladies dus aux catastrophes naturelles et la violence permanente qui sévit dans le pays.  En ce qui concerne la situation dans le secteur de l’éducation, le rapport indique que plus de 21 % des enfants âgés de 6 à 9 ans ne sont pas scolarisés et que seulement 15 % des enseignants satisfont aux conditions d’aptitude à l’enseignement.

 

          45.     Il faut d’urgence prêter une attention à ces difficultés graves pour faire face aux menaces immédiates que la transmission des maladies et le manque de médicaments et de soins de santé adéquats font peser sur les vies et l’intégrité des Haïtiens et pour élaborer des stratégies de développement à long terme des systèmes haïtiens de santé et d’éducation ainsi que d’autres moyens de garantir les droits sociaux, économiques et culturels fondamentaux de la population.  À cet égard, il faut s’efforcer d’accélérer le décaissement du montant de la contribution de $1,08 milliard annoncée à Haïti à la conférence des donateurs en juillet 2004 pour commencer à s’attaquer à la situation désespérée dans laquelle se trouve le pays au moyen de projets de redressement et de développement.  Il faudra pour cela que le gouvernement prenne des mesures pour éliminer tous les obstacles à l’apport d’assistance, y compris l’interférence de groupes armés illégaux, et assurer que les projets seront vraiment exécutés d’une manière efficace et transparente.

 

Observations finales

 

          46.     Pendant sa visite de septembre, la Commission a été encouragée par des indications de la part de hauts fonctionnaires du gouvernement de transition selon lesquelles les droits de la personne ont joué un rôle capital dans leurs activités.  Depuis que la Commission a noté une nouvelle détérioration des conditions en Haïti, provoquée principalement par une augmentation de la violence par des groupes et des gangs armés conjuguée à l’impossibilité pour le gouvernement, avec l’assistance internationale, d’assurer la sécurité de la population à travers le pays.  Le fait que les groupes et les gangs illégaux en Haïti n’ont pu être désarmés préoccupe vivement la Commission non seulement en raison de la menace immédiate que la violence correspondante représente pour les vies et l’intégrité physique des Haïtiens, mais aussi parce que l’avenir du pays dépend dans une large mesure du succès des efforts dans le domaine de la sécurité.  Faute d’une véritable maîtrise de la situation sécuritaire par l’État, les défenseurs des droits de la personne, les journalistes et les personnes ciblées en raison de leurs opinions politiques ainsi que d’autres acteurs clés pour l’exercice de la démocratie demeureront en péril et les perspectives d’élections complètes et libres s’affaibliront, ainsi que les possibilités de coopération internationale et de développement à long terme du pays.  Compte tenu de ces éléments, la Commission demande de nouveau instamment au gouvernement de prendre les mesures d’urgence nécessaires, conformes aux principes et normes internationales en matière de droits de la personne, pour contrôler la situation en matière de sécurité en Haïti et lance un appel à la communauté internationale pour qu’elle redouble ses efforts d’assistance au gouvernement dans cette tâche.

 

          47.     La Commission souhaite aussi souligner l’importance de maintenir les élections en 2005 comme prévu.  Des progrès ont été réalisés à ce sujet grâce à une coopération entre notamment le gouvernement de transition, le Conseil électoral provisoire, l’OEA et l’ONU et ce n’est que par une coopération de ce genre que des élections complètes et libres et la consolidation de la démocratie seront possibles en application des dispositions de la Convention américaine et de la Charte démocratique interaméricaine.  Les élections doivent être ouvertes et inclusives et, conformément au système pluriel des partis et organisations politiques, tous les partis, y compris Fanmi Lavalas, devront activement y participer.

 

          48.     De plus, la Commission appelle la communauté internationale de poursuivre et d’intensifier ses efforts pour aider et appuyer Haïti à relever les nombreux défis auxquels il doit faire face.  Parmi les mesures à prendre figure notamment une accélération de la part du gouvernement et des donateurs internationaux de la livraison des fonds annoncés à Haïti en juillet 2004, ce qui à son tour exige la création d’un climat propice à une utilisation transparente, efficiente et efficace des ressources.  Il faudra aussi veiller à ce que la composante militaire et la composante civile de la MINUSTAH atteignent les niveaux fixés dans la résolution 1542 (2004) du Conseil de sécurité et que des stratégies énergiques de désarmement soient mises au point et appliquées en vue de reprendre le contrôle de la situation sécuritaire dans le pays.  Une aide financière et connexe devrait être apportée aux activités notamment de l’ONU et de l’OEA, en collaboration avec le gouvernement haïtien, pour créer des conditions favorables à la tenue des élections en 2005.  Enfin, la Commission demande instamment à la communauté internationale de continuer à fournir l’assistance humanitaire nécessaire au peuple haïtien pour qu’il se remette des effets dévastateurs des catastrophes naturelles qui se sont abattues sur le pays pendant l’année.

 

          49.     La Commission continuera de suivre de près la situation en Haïti et d’offrir son assistance au gouvernement et au peuple haïtiens au cours de l’année prochaine.

 

 


 

            [1] Voir les activités du bureau du Rapporteur spécial de la CIDH sur la liberté d’expression, “Le bureau du Rapporteur spécial déplore les attaques contre la liberté d’expression en Haïti”, communiqué de presse 98/04 (22 janvier 2004), qui peut être obtenu à http://www.cidh.oas.org/relatoria/showarticle.asp?artID=121&lID=1.

            [2] Voir la résolution 1529 (2004) du Conseil de sécurité des Nations Unies, document S/RES/1529 (2004) (29 février 2004), à http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/N04/254/10/PDF/N0425410.pdf?OpenElement.

 

            [3] Voir la résolution 1542 (2004) du Conseil de sécurité des Nations Unies, document S/RES/1542 (2004) (30 avril 2004), à http://ods-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N04/332/98/PDF/N0433298.pdf?OpenElement

 

            [4] Voir la résolution 1576 (2004) du Conseil de sécurité des Nations Unies, document S/RES/1576 (2004) (29 novembre 2004), à http://ods-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N04/626/12/PDF/N0462612.pdf?OpenElement

 

           

            [5] Voir MINUSTAH, Faits et chiffres (au 30 novembre 2004), à http://www.un.org/Dept /dpko/missions/minustah/facts.html.

           

            [6] Voir Associated Press-“Guyana president says Caribbean Community is justified not letting Haiti attend meetings” (Le Président du Guyana déclare que la décision de la Communauté des Caraïbes de ne pas laisser Haïti participer à ses réunions est justifiée), 6 décembre 2004, à http://www.Haïti-info.com/article.php3?id_ale=rtic3152.

           

            [7] Voir la Résolution AG/RES.2058 (XXXIV)-O-04 de l’Assemblée générale de l’OEA, “Situation en Haïti: renforcement de la démocratie” (8 juin 2004), à http://www.oas.org/main/main.asp?sLang=E&sLink=http://www.oas.org/consejo/GENERAL%20ASSEMBLY/default.asp.

 

            [8] Voir Amnesty International, Haïti: une occasion unique de mettre fin à la violence, AI Index: AMR 36/038/2004 (21 juin 2004).

           

            [9] Voir International Crisis Group, Une nouvelle chance pour Haïti?, ICG Rapport Caraïbes No 10 (18 novembre 2004).

 

            [10] Voir “Communiqué de presse de la Commission interaméricaine des droits de l’homme sur Haïti”, communiqué de presse No 4/04 (26 février 2004), à http://www.cidh.org/Comunicados/English/2004/4.04.htm; “La CIDH insite pour que les droits de l’homme soient respectés pendant la crise en Haïti”, communiqué de presse No 7/04 (11 mars 2004), à http://www.cidh.org/Comunicados/English/2004/7.04.htm.

           

            [11] Voir “La CIDH exprime sa préoccupation face au procès pour le meurtre de l’activiste haïtien Antoine Izméry”, communiqué de presse No 17/04 (20 août 2004), à http://www.cidh.org/Comunicados/English/2004/17.04.htm.

           

            [12] Voir “La CIDH effectuera une visite sur le terrain en Haïti”, communiqué de presse No 18/04 (31 août 2004), à http://www.cidh.org/Comunicados/English/2004/18.04.htm.

           

            [13] Voir “La CIDH complète sa visite en Haïti”, communiqué de presse No 19/04 (7 septembre 2004), à http://www.cidh.org/Comunicados/English/2004/19.04.htm.

 

            [14] Voir “La CIDH complète sa visite en Haïti”, Communiqué de presse No 19/04 (7 septembre 2004), à http://www.cidh.org/Comunicados/English/2004/19.04.htm.

 

            [15] Voir “La CIDH exprime ses préoccupations pendant sa 121ième Session ordinaire concernant la situation en Haïti”, Communiqué de presse No 22/04 (28 octobre 2004), à http://www.cidh.org/Comunicados/English/2004/22.04.htm.

 

           

            [16] Voir, par exemple, le Rapport annuel de la CIDH 2003, Chapitre IV, à http://www.cidh.org/annualrep/2003eng/chap.4.htm; le Rapport annuel de la CIDH 2002, Chapitre IV, à http://www.cidh.org/annualrep/2002eng/chap.4d.htm; le communiqué de presse de la CIDH No 24/03 (22 août 2003); le communiqué de presse de la CIDH No 11/00 (25 août  2000)

           

            [17] Voir, par exemple, Annual Report of the IACHR 2003, (il n’existe pas de version française pour 2003), Chapitre IV, à http://www.cidh.org/annualrep/2003eng/chap.4.htm; Rapport annuel de la CIDH 2002, Chapitre IV, à http://www.cidh.org/annualrep/2002eng/chap.4d.htm; Communiqué de presse de la CIDH No 24/03 (22 août 2003); Communiqué de presse de la CIDH No 11/00 (25 août 2000)

           

            [18] PNUD/Gouvernement haïtien, “Une vision commune du développement humain durable”, Rapport national sur les objectifs du millénaire pour le développement (2004), à http://www.ht.undp.org/OMD/.