COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Nº 6/06

 

 

HAÏTI: JUSTICE EN DÉROUTE OU L’ÉTAT DE DROIT?

LA COMMISSION INTERAMÉRICAINE DES DROITS DE L’HOMME PUBLIE

SON RAPPORT SUR L’ADMINISTRATION DE LA JUSTICE EN HAÏTI

 

          Aujourd’hui, durant sa 124ème Session ordinaire, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a publié son rapport sur l’administration de la justice dans la République d’Haïti.

 

          Le rapport intitulé “Haïti: Justice en Déroute ou l’État De Droit ? Défis pour Haïti et la communauté internationale”, offre une évaluation de la situation actuelle de l’administration de la justice en Haïti dans le cadre des obligations de ce pays envers la Convention américaine relative aux droits de l’homme et d’autres instruments juridiques pertinents en matière de droits de l’homme. Le rapport conclut que le système de justice en Haïti connaît de graves déficiences dans presque tous les domaines et a systématiquement failli à sa tâche de protéger les droits humains fondamentaux du peuple haïtien. Le Rapport souligne aussi que les efforts visant à remédier aux sérieux et actuels problèmes politiques, sociaux et économiques d’Haïti  n’aboutiront pas sans l’introduction de réformes urgentes propres à renforcer l’administration de la justice et la primauté du droit en Haïti. Cette tâche exigera un appui permanent, coordonné et soutenu des États membres de l’OEA et d’autres membres de la communauté internationale.

 

     Le rapport analyse trois domaines principaux d’administration de la justice en Haïti: le respect de la loi, le système judiciaire, et le système pénitentiaire et autres établissements de détention. Entre autres conclusions, le rapport établit que la force de police nationale est accablée par de graves pénuries d’officiers et de ressources, est dénuée d’une hiérarchie de commande et de contrôle claire et réglementée et est entachée de corruption et de violation des droits de l’homme. Selon le rapport, le système judiciaire est grevé par des ressources et une formation inadéquates, ainsi que par des lois désuètes, ce qui entraîne des retards chroniques et inacceptables dans le processus judiciaire, ainsi qu’une impunité systématique à l’égard de graves violations des droits de l’homme. En outre, le rapport établit que les conditions qui prévalent dans les prisons et autres établissements de détention en Haïti sont loin de satisfaire aux normes internationales, notamment en ce qui a trait à la protection spéciale à accorder aux mineurs. À la lumière de cet état de faits et d’autres déficiences fondamentales, le rapport appelle la communauté internationale à accélérer le décaissement des fonds annoncés à Haïti en 2004 et à prendre les mesures nécessaires pour que leurs initiatives dans le secteur de la justice en Haïti se traduisent par des changements durables.

 

 

          La publication du rapport survient à un moment particulièrement opportun à la lumière de l’élection récente de René Préval comme Président d’Haïti, suite à une période de violence et d’instabilité. Au moment où le Président Préval se prépare à assumer ses responsabilités, la Commission exhorte son futur gouvernement à faire de la réforme du système judiciaire une priorité absolue.       

 

          Ci-joint au présent communiqué de presse un résumé du rapport dont le texte intégral peut être consulté sur le site web de la Commission au www.cidh.org.

 

Washington, D.C.  le 16 mars 2006

 

 

RÉSUMÉ OFFICIEL

 

 

            1.         Depuis plus de quarante ans, la Commission interaméricaine des droits de l’homme assure une surveillance permanente de la situation des droits de l’homme en Haïti. Pendant la plus grande partie de cette période, la population haïtienne a connu des conditions de vie difficiles, y compris l’instabilité et la violence politiques, de graves violations des droits de la personne dont personne n’a été tenu pour responsable ainsi que la mise en coupe réglée et la dégradation de l’économie et des infrastructures du pays. Malheureusement, l’histoire récente d’Haïti ne montre pas que des progrès considérables aient été réalisés pour inverser cette tendance. Compte tenu de l’expérience acquise de longue date en Haïti et dans d’autres pays du Continent, la Commission estime que les initiatives ayant pour but de s’attaquer aux problèmes actuels et à ceux qui remontent loin dans le passé ne seront pas couronnées de succès sans des réformes urgentes pour renforcer l’administration de la justice et l’État de droit en Haïti.

 

            2.         Dans ce contexte, le présent rapport présente une évaluation de la situation actuelle de l’administration de la justice en Haïti sous l’angle des droits et libertés fondamentaux protégés aux termes de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et des autres instruments pertinents concernant les droits de la personne, qui ont un caractère contraignant pour Haïti. Le rapport se fonde sur les enquêtes menées par la Commission entre 2003 et 2005, notamment sur des informations recueillies pendant les quatre visites qu’elle a réalisées dans ce pays ainsi que sur des rapports et d’autres informations mis à sa disposition par diverses organisations gouvernementales et non gouvernementales nationales et internationales.

 

            3.         Ce rapport présente une analyse détaillée de trois aspects fondamentaux de l’administration de la justice en Haïti : le maintien de l’ordre et la Police nationale d’Haïti, le pouvoir judiciaire, le régime des prisons et des autres établissements de détention. Dans le cadre de cette analyse, la Commission examine le problème particulier de l’impunité et du manque de confiance du public à l’égard du système de justice ainsi que le rôle de la communauté internationale en Haïti.

 

            4.         À partir de cette analyse, la Commission est parvenue aux grandes conclusions ci-après : 

 

        La Police nationale d’Haïti est confrontée à une pénurie de personnel et de moyens, à un manque de programmes de vérification des antécédents et de formation de ses membres ainsi qu’à l’absence d’une hiérarchie claire et respectée en matière de commandement et de contrôle. D’autre part, des affaires de corruption et de violations des droits de l’homme perpétrées par des officiers de police ont gravement sali l’image des forces de police et n’ont fait l’objet ni d’une véritable enquête, ni, le cas échéant, de sanctions et de poursuites judiciaires.

 

        Les conditions de travail des magistrats, toutes instances confondues, ne sont pas appropriées : manque d’espace et des moyens essentiels, absence d’une formation adéquate pour les juges, et sécurité insuffisante des juges et des tribunaux. En outre, l’indépendance du pouvoir judiciaire est toujours en péril compte tenu notamment des lacunes de la définition du mandat des magistrats, les allégations d’ingérences du pouvoir exécutif pour que des affaires précises soient affectés à certains tribunaux et l’absence d’un mécanisme de supervision du pouvoir judiciaire bien conçu et qui fonctionne.

 

        Les faiblesses susmentionnées ainsi que d’autres qui affectent le système judiciaire haïtien, y compris la nature obsolète de bon nombre de lois, le manque d’accès effectif à l’aide juridictionnelle et le fait que la police n’exécute pas les décisions des tribunaux, ont provoqué des retards chroniques et inacceptables dans l’instruction des affaires par la justice, ce qui se traduit par la généralisation de retards considérables avant les procès et par le fait que, selon les estimations, de 85 à 90% des détenus ne sont pas passés en jugement. Ces déficiences ont également miné la capacité du système de justice haïtien à assurer et à garantir efficacement les droits et libertés fondamentaux auxquels peuvent prétendre les Haïtiens, instaurant ainsi un régime d’impunité pour les violations perpétrées aussi bien par des fonctionnaires de l’État que par des acteurs non étatiques.

 

        Un certain nombre de prisons et autres établissements de détention haïtiens ne sont pas opérationnels, notamment la prison de femmes et d’enfants de Fort National. Et les prisons qui sont en bon état sont surpeuplées et ne disposent pas des ressources nécessaires qui leur permettraient de satisfaire aux normes minimales d’hygiène et aux autres exigences fondamentales, telles que, entre autres, l’accès à  l’air frais, à la lumière naturelle et à l’eau potable, à une literie, à l’alimentation et aux soins de santé. D’autre part, les prisons haïtiennes souffrent de graves faiblesses dans le domaine de la sécurité et de la formation des gardiens de prison, ce qui a donné lieu à plusieurs incidents graves en matière de sécurité au cours de ces deux dernières années, lesquels se sont soldés par des morts et des blessés parmi les détenus et par l’évasion de centaines de détenus dont beaucoup n’ont toujours pas été repris.

 

         L’absence d’un centre de rééducation opérationnel pour les mineurs, combinée au fait que les tribunaux pour enfants n’ont pas encore pu commencer à fonctionner à cause de problèmes de sécurité, se solde par des détentions de mineurs qui ne sont pas conformes à l’article 5(5) de la Convention américaine ni aux dispositions pertinentes de la Convention relative aux droits de l’enfant.

 

        Les initiatives passées de la communauté internationale qui avaient pour but d’aider le système de justice haïtien à surmonter ses faiblesses ne sont pas parvenues à provoquer des changements durables, en partie à cause de la nature à court terme de certains projets et des financements qui leur étaient destinés, de l’absence d’une assistance technique ou d’un autre type de soutien permanents et du manque de coordination des questions et activités communes au sein des différentes organisations et institutions internationales et régionales qui opèrent en Haïti et entre celles-ci. En outre, une partie considérable des fonds promis à Haïti en juillet 2004 par les bailleurs de fonds n’a toujours pas été décaissée malgré le besoin urgent de projets ciblés sur les services de base, comme l’électricité, l’assainissement, les équipements hospitaliers et scolaires, ainsi que d’initiatives de plus longue haleine axées sur les dépenses d’équipement et le renforcement des capacités des acteurs et des institutions aussi bien publics que privés.

 

5.         À la lumière de ses conclusions, la Commission a formulé plusieurs recommandations à la République d’Haïti, et notamment celles énoncées ci-après : Il est impératif de :

 

        Doter de toute urgence la police et le pouvoir judiciaire des installations et des ressources fondamentales dont ils ont besoin pour s’acquitter de leurs attributions et de leurs responsabilités, y compris une formation et une supervision adéquates grâce au fonctionnement satisfaisant et efficace de l’Académie de police, de l’Inspection générale, de la Direction de la police judiciaire de la PNH, de l’École de la Magistrature et du Conseil supérieur de la Magistrature.

 

        Se pencher immédiatement sur la situation des individus qui, dans le système de justice, ont fait l’objet d’une détention prolongée sans avoir été traduits devant un juge ou sans être passés en jugement, moyennant un examen indépendant et impartial de leurs situations réalisé par des juges ou par tout autre fonctionnaire autorisé par la loi à exercer le pouvoir judiciaire et l’établissement d’un système efficace d’aide juridictionnelle ou de défenseurs publics.

 

        Mettre fin à l’impunité des violations des droits de la personne perpétrées par le passé, ce qui peut impliquer l’établissement d’une juridiction collégiale constituée à cette fin ou d’une chambre au sein des tribunaux civils ainsi que la participation internationale à l’enquête et au procès concernant ces crimes.

 

        Améliorer de toute urgence les conditions de vie et de sécurité dans les prisons et autres centres de détention de tout le pays, notamment rendre opérationnels le centre de détention pour les femmes et les enfants de Fort National ainsi que l’Institut de bien-être social, qui est l’établissement officiel pour la rééducation des mineurs.

 

            6.         La Commission a également formulé plusieurs recommandations à propos du rôle de la communauté internationale en Haïti, y compris les autres États membres de l’OEA, et notamment cette recommandation : Il faut

 

        Accélérer les mesures visant à assurer le décaissement et la distribution dans les plus brefs délais des fonds promis à Haïti  par le biais de projets qui s’occupent de satisfaire les besoins les plus urgents du peuple haïtien en matière de santé, d’éducation, de création d’emplois et de formation professionnelle. 

 

         Les organisations et les organismes internationaux doivent s’efforcer de mettre au point des approches coordonnées et multidisciplinaires de l’assistance technique et de l’appui fournis à Haïti, afin d’éviter la répétition des activités et maximiser leur impact. De plus, le mandat confié aux organisations, institutions et organismes doit reconnaître et prendre en considération l’existence d’interactions entre la sécurité, le droit à la participation politique, l’administration de la justice et la concrétisation des droits économiques, sociaux et culturels, autant de problèmes qu’il faut résoudre pour que s’établisse une stabilité durable en Haïti.

 

            7.         La Commission exprime sa gratitude pour l’hospitalité, la participation, la coopération et les installations fournies par le Gouvernement et les citoyens haïtien dans le cadre de ses visites, pour la assistance et la participation de valeur des organisations non gouvernementales, les institutions de la société civile et les organisations internationales, notamment la Mission spéciale de l’OEA, et pour l’assistance financier du gouvernement de France.